Une Paris-soir 4 septembre 1939 : La guerre est déclarée, Allemagne nazie

La dissuasion avant l’ère nucléaire : l’exemple de l’armée française des années 1930 face à l’Allemagne nazie [4/4]

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Partie III : Une dissuasion ?

L’objet de cette étude demeure la question de la dissuasion. Afin de mieux saisir cette problématique, nous avons pris le cas de l’armée française durant les années 1930. Puis, nous nous sommes interrogés sur la manière dont était vue cette armée et sa détentrice par l’Allemagne nazie. C’est à partir de cette vision de l’autre que nous pouvons dès lors observer s’il existe bel et bien une dissuasion. C’est tout l’intérêt de cette dernière partie de notre dossier.

Comparaison des deux armées entre 1935[1] et 1939, en termes d’armements, de stratégies et des effectifs

Les réformes commencées en 1935 modifient petit à petit l’armée allemande de 1933. Cependant, malgré des résultats très satisfaisants, l’armée lancée sur l’Europe n’est pas le rouleau compresseur auquel nous croyons encore aujourd’hui. Tout d’abord, étudions l’élément décisif pour la constitution d’une bonne armée : la démographie. En effet, le réservoir humain est un atout non négligeable pour une nation. La guerre moderne le démontre bien.

Certes, la technologie joue un tout nouveau rôle, mais le contingent doit encore être très important, d’où l’intérêt de posséder une population nombreuse – et surtout jeune. L’Allemagne a une longueur d’avance non négligeable vis-à-vis de la France. Le 16 mars 1933, elle comprend 65 306 130 individus. En 1939, elle en compte 69 314 000, soit une augmentation de presque 6 %. A contrario, la France connaît une légère baisse : elle passe de 41 520 000 habitants en 1933 à 41 510 000 en 1939. Donc, la population française baisse, alors que celle de l’Allemagne augmente. Par ailleurs, il y a 27 804 000 hommes de plus en Allemagne en 1939.

Cependant, avoir un réservoir important d’hommes ne fait pas tout dans la guerre moderne. La question des budgets et de leurs allocations est également centrale. Cela permet de doter l’armée d’un matériel performant, et à grande échelle. Nous pouvons observer sur le graphique ci-dessous que, contrairement à la courbe stagnante de la France, celle de l’Allemagne est exponentielle. Cela se retrouve dès 1936, suite au plan de réarmement à outrance allemand.

Dépenses des grandes nations belligérantes de la Seconde Guerre mondiale, 1930-1938
Dépenses des grandes nations belligérantes de la Seconde Guerre mondiale, 1930-1938. Data forme The World in 1939, AJ Toynbee & FT Ashton, 1952, Wikimedia Commons

Il existe deux théories sur le budget alloué dans l’armement en Allemagne. La première, celle de Lutz Schwerin von Krosigk, considère que le budget passe de 10,3 milliards de reichsmarks en 1936-37 à 17 milliards de reichsmarks en 1938-39. La seconde, celle de Kuczynski, considère qu’il passe de 13,6 milliards de reichsmarks en 1936-37 à 26 milliards de reichsmarks en 1938-39. Nous pouvons remarquer sur ce graphique que le budget français ne connaît pas la même évolution dans les années 1930. Par ailleurs, la question des ressources et des industries joue dans la balance des forces. Sur ce sujet, la France connaît une grande compétitivité malgré les réformes du Front populaire qui handicape l’armée (comme nous l’avons vu dans la partie 2/4).

Puis, la différence entre ces deux armées se retrouve aussi dans l’expérience du feu. En effet, la France n’intervient plus vraiment dans les années 1930. Quant à l’Allemagne, nous la retrouvons en Espagne, pendant la guerre civile avec l’épisode connu de Guernica, en Autriche, ou encore en Pologne, entre 1938 et 1939. Ce manque d’interventions françaises assèche la stratégie potentielle de déploiement, alors qu’au même moment, la tendance est inverse pour l’Allemagne : on assiste à un perfectionnement de l’outil militaire, et de la stratégie d’emploi des forces – que nous appellerons bien plus tard la blitzkrieg[2].

Enfin, la question de l’armement reste centrale. Nous avons vu dans la partie 2/4 l’arme aérienne française et ses défauts. Si les matériels se valent en général, leur emploi diverge. Un fait est notable à ce sujet. En Allemagne, contrairement à la France, il n’existe pas un grand panel d’avions. En effet, la Luftwaffe possède pour la chasse le Messerschmitt Bf 109 et le Heinkel He 112. Dans le bombardement, nous retrouvons surtout le Stuka. La Luftwaffe ne recherche pas la constitution d’une flotte aérienne diversifiée.

En revanche, à terre, les blindés français semblent supérieurs techniquement aux chars allemands. Cependant, la question de l’emploi des forces est encore problématique. Par ailleurs, alors que les Allemands transmettent leurs ordres par radio, les tankistes français utilisent des fanions, comme sur les bateaux à voiles. Enfin, l’armée française est beaucoup moins mécanisée que ne l’est l’armée allemande. Les forces françaises sont donc, en définitive, une armée de défense, alors que l’armée allemande est faite pour l’offensive. C’est la puissance du choc et de la stratégie qui permettent alors de faire la différence en mai et juin 1940.

Produit en plus de 30 500 exemplaires, le Messerschmitt Bf 109 est un chasseur classique et iconique de la Seconde Guerre mondiale. Avec une vitesse de pointe pouvant atteindre les 621 km/h, armée d’un canon et de deux MG latérales, le Bf 109 demeure l’un des meilleurs chasseurs de cette guerre
Produit en plus de 30 500 exemplaires, le Messerschmitt Bf 109 est un chasseur classique et iconique de la Seconde Guerre mondiale. Avec une vitesse de pointe pouvant atteindre les 621 km/h, armée d’un canon et de deux MG latérales, le Bf 109 demeure l’un des meilleurs chasseurs de cette guerre, Ad Meskens, 1937, Wikimedia Commons

Bien que l’armement français surclasse dans une certaine mesure l’armement allemand, comme nous l’avons vu dans la première partie, il existe toujours un problème dans la stratégie : celle de l’État-major français s’appuie sur la défense et l’indépendance des corps, l’autre sur la corrélation entre blindés, infanterie et une aviation spécialisée.

La vision de la guerre en France et en Allemagne

Nous avons étudié la vision de la France par l’Allemagne dans la partie précédente. Toutefois, nous devons ajouter à cette étude la représentation du fait guerrier et militaire par les deux puissances. Cela permet alors d’aborder la volonté et la vigueur militaire, et in fine le potentiel dissuasif. De fait, les visions sont profondément différentes de part et d’autre du Rhin.

En Allemagne, le soldat doit être :

« résistant comme du cuir, agile comme le lévrier, dur comme l’acier Krupp »[3]

Le mythe du soldat germain ou prussien demeure dans les mémoires et le parti nazi l’utilise. Un soldat ne connaissant pas la peur, fort, et constituant la colonne vertébrale de la patrie. Cet idéal guerrier, dépeint ici en 1935, était déjà présent dans les années 1920. En effet, pour Hitler :

« [L’État] ne trouvera pas alors ses meilleurs moyens de défense dans ses armes, mais dans ses citoyens ; ce ne sont pas les fossés des forteresses qui le protégeront le mieux, mais le mur vivant que formeront des hommes et des femmes pleins du plus ardent patriotisme et d’un enthousiasme national fanatique »[4]

Cette théorie est à comparer avec celle du ministre de la guerre français, André Maginot : « Le béton vaut mieux à cet égard et coûte moins cher que le mur de poitrines »[5]. La différence entre ces deux citations est indéniable.

Le 11 septembre 1935 à Nuremberg : grand rassemblement (« grand appel ») de troupes paramilitaires allemandes faisant partie de la SA, de la SS ou de la NSKK pour le 7e congré du parti nazi. Dans un discours inspiré par Rudolf Hess, Hitler y fait mention de sa vision du peuple germain et de l’Allemagne.
Le 11 septembre 1935 à Nuremberg : grand rassemblement (« grand appel ») de troupes paramilitaires allemandes faisant partie de la SA, de la SS ou de la NSKK pour le 7e congré du parti nazi. Dans un discours inspiré par Rudolf Hess, Hitler y fait mention de sa vision du peuple germain et de l’Allemagne. Charles Russell, 1935, National Archives and Records Administration, Wikimedia Commons

Cette vision de la guerre – positive et acceptable – en Allemagne se retrouve également dans des détails témoignant aussi de la mentalité de la société allemande des années 1930. Il suffit d’observer le ministère chargé de la question militaire. En 1935, le Reichswehrministerium devient le Reichskriegsministerium. Si nous observons la traduction littérale, nous pouvons déceler cette transition vers un élan guerrier et belliqueux en Allemagne. En effet, le premier témoigne d’une philosophie de la défense et de la frontière : le « ministère de la Défense ». Il devient alors en 1935 le « ministère de la Guerre ». L’idéal de protection et de sanctification du territoire national devient celui de la guerre offensive.

En France, la vision à l’égard de la guerre et du soldat change. Dans l’opinion publique, l’idée qu’une guerre avec l’Allemagne devient inévitable se démocratise. Dans les mentalités, il est évident au début de l’année 1939 que la guerre aura lieu. Un officier allemand écrit dans le Match du 13 avril 1939 que

« l’acier est le maître du monde. Ce qui nous tente le plus, c’est le minerai de fer de Silésie polonaise ; et celui de Lorraine. Mais chaque chose en son temps »[6]

Or, cette déclaration n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de l’arrivée de la guerre. Toutefois, en France, l’opinion semble être différente. En effet, si l’Allemagne, dans une mentalité tournée vers la guerre, est profondément belliqueuse ; en France, l’humeur n’est pas à la bataille. Si le pacifisme que nous avons étudié précédemment mine en profondeur la préparation à la guerre en France, cela n’existe pas outre-Rhin.

Toutefois, en France, il ne faut pas accabler cet attentisme et ce pacifisme. De fait, il existe deux visions. Lutter contre l’Allemagne, que nous retrouvons chez des personnalités publiques comme Edouard Daladier ou Paul Reynaud ; ou bien être conciliant, comme nous le voyons avec Georges Bonnet. En somme, deux écoles existent sur la question allemande au sein de la classe politique française en cette seconde moitié des années 1930. L’idée que personne ne voulait la guerre en France est véridique. Néanmoins, si la guerre se fait sentir aux portes du pays, les hommes semblent prêts à combattre. Pour l’historien Eugen Weber, « la majorité silencieuse était moins passive et moins défaitiste que la minorité tapageuse »[7]. Les sondages étudiés dans l’ouvrage à ce sujet le prouvent.

Nous retrouvons donc deux visions différentes entre la France et l’Allemagne au sujet de la guerre : la défense et l’attaque. Il est intéressant de souligner la similitude entre la vision de la guerre et la stratégie adoptée en France dès le début des années 1930, à savoir, la défense et le repli. En Allemagne, cette représentation de la guerre et du fait guerrier est intrinsèquement différente. Si nous observons cette question à l’échelle européenne, nous retrouvons à nouveau cette double vision.

D’un côté l’esprit de Locarno et de la SDN, qui croit en la « paix perpétuelle » et au pacifisme. De l’autre, une colonne fasciste, nazie, et communiste qui croit en la guerre, la vengeance et l’idéologie belliqueuse. Entre les deux, nous retrouvons certains personnages qui ont compris dès le départ le danger des deux visions, à commencer par le général Maxime Weygand, le colonel Charles de Gaulle ou bien le ministre anglais Winston Churchill. Finalement, entre l’amour de la paix et celui des armes, le vainqueur se trouve facilement.

Une autre dissuasion ? La diplomatie, les alliances et la situation géopolitique

Nous nous sommes interrogés sur la dissuasion avant l’ère nucléaire en observant majoritairement l’outil militaire et ses composantes. Mais existe-t-il une autre dissuasion ? Nous sommes tentés de dire oui, car la diplomatie, les alliances et la situation géopolitique d’un pays jouent indéniablement dans ses rapports à la guerre et à ses voisins.

Jusqu’en 1936, l’Allemagne semble isolée. Elle ne peut compter que sur l’Italie de Benito Mussolini. La France, quant à elle, se retrouve au cœur des alliances. Cependant, en 1936 cela tend à changer suite à la crise rhénane. La France s’isole peu à peu et l’Angleterre ne sait plus où donner de la tête.

En France, une prise de conscience se fait avec Léon Blum, notamment au sujet de l’armée. Elle ne suffit pas pour dissuader. Il faut alors chercher d’autres outils. En 1938, alors que l’aura dangereuse d’Hitler se fait sentir en Europe, la réponse ne se fait pas par les armes, mais par des tractations diplomatiques. En effet, le 12 mars 1938, la 8e armée de la Wehrmacht entre en Autriche, c’est l’Anschluss. Puis, la question des Sudètes arrive sur le devant de la scène internationale.

Afin de répondre à l’agression armée, et celle qui risque d’avoir lieu à l’égard de la Tchécoslovaquie pour les Sudètes, une conférence diplomatique se tient. Les 29 et 30 septembre 1938, à Munich, les dirigeants britannique, français, allemand et italien trouvent un accord. Le Royaume-Uni de Chamberlain et la France de Daladier décident, pour calmer l’appétit d’Hitler, de laisser les Sudètes à leur propre sort. Ainsi, face aux agressions contre des États souverains, les démocraties occidentales répondent par des arguments diplomatiques et, de ce fait, non militaires.

Ce schéma se retrouve quelques mois plus tard. En effet, le 6 décembre 1938, est signé la déclaration Bonnet-Ribbentrop[8]. Le premier article de cette déclaration témoigne de l’optique qu’avait le chef des affaires étrangères françaises :

« Le Gouvernement français et le Gouvernement allemand partagent pleinement la conviction que les relations pacifiques et de bon voisinage entre la France et l’Allemagne constituent l’un des éléments essentiels de la consolidation de la situation en Europe et du maintien de la paix générale. »[9]

Or, si nous comparons cette déclaration avec les théories de W. Churchill, nous remarquons un grand décalage : « on ne négocie pas quand on a la tête dans la gueule du tigre »[10] ; « un conciliateur c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé ». Donc, le gouvernement français avait probablement conscience de son manque de dissuasion en se basant uniquement sur son armée. C’est pourquoi, le même gouvernement a usé de l’outil diplomatique afin de se protéger.

Signature de la déclaration franco-allemande le 6 décembre 1938 par les ministres des Affaires étrangères des deux pays : G. Bonnet et J. von Ribbentrop
Signature de la déclaration franco-allemande le 6 décembre 1938 par les ministres des Affaires étrangères des deux pays : G. Bonnet et J. von Ribbentrop. Inconnu, 1938, Wikimedia Commons

La diplomatie peut être comprise comme un outil palliant le manque de dissuasion de l’appareil militaire, mais aussi comme une continuité de la stratégie de l’armée française. De fait, nous retrouvons derrière ces déclarations une forme de mise en défense du territoire national. La France des années 1930 est donc bien celle de la pensée défensive, que ce soit dans l’opinion publique, la stratégie militaire ou bien la diplomatie.

Enfin, la situation géopolitique d’un pays peut également servir dans le schéma dissuasif. En effet, observons le cas de l’Allemagne afin de comprendre comment la géographie d’un pays peut le gêner dans les relations internationales. Les Allemands ont peur de l’encerclement. L’espace germanique est bordé de tout côté par des pays, contrairement à la France ou à l’Italie qui ont des mers formant des frontières naturelles. Cette peur de l’encerclement explique en partie l’idée de Lebensraum (litt. « espace vital ») chez Friedrich Ratzel.

Au cours de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne se retrouve prise en tenaille sur deux fronts : celui de l’ouest et celui de l’est. L’État-major allemand a peur de l’encerclement et cette possibilité de se battre sur deux fronts opposés. In fine, cette peur est pratique pour les puissances s’opposant à l’Allemagne des années 1930. En effet, le IIIe Reich – en théorie – ne souhaite pas se battre sur deux fronts. Cet élément est à prendre en considération dans le schéma dissuasif précédent la Seconde Guerre mondiale, et pour comprendre l’alliance entre les nazis et les communistes.

Conclusion :

Il faut, certes, dissocier le factuel du théorique, mais aussi étudier les deux aspects afin de savoir s’il y a un schéma dissuasif en France, dans les années 1930, à l’égard de l’Allemagne nazie.

Alors, l’armée française est-elle un outil dissuasif dans les années 1930 ? Et, si tel est le cas, est-elle le seul instrument dans la main des gouvernements permettant de mettre en place un schéma dissuasif ?

Conclusion générale : qu’est-ce que la dissuasion avant l’ère nucléaire ?

En latin classique, dissuasio peut se comprendre comme l’action de dissuader, de parler contre, de détourner. Ce dernier terme est peut-être le plus intéressant pour définir ce qu’est la dissuasion. Pour Lucien Poirier, « la stratégie de dissuasion est un mode préventif de la stratégie d’interdiction, se donnant pour but de détourner l’adversaire d’une initiative en lui faisant prendre conscience que l’entreprise qu’il projette est irrationnelle »[11]. Ainsi, le fait de détourner est central pour mettre en place un schéma dissuasif.

De nos jours, avec l’évolution technologique, certaines puissances mondiales disposent de l’arme nucléaire. Cette dernière constitue non plus un, mais l‘ultime outil permettant de dissuader. Avant que cette arme ne soit créée dans les années 1940, la dissuasion existait déjà. Nous avons alors étudié tout au long de ce dossier une puissance militaire – la France – face à un État potentiellement belliqueux – l’Allemagne. De cette analyse, nous pouvons désormais comprendre ce qu’est la dissuasion avant l’ère nucléaire.

Cette dissuasion repose désormais sur un domaine : celui de la technologie et de la science. En effet, il fallait être performant sur plusieurs tableaux afin de pouvoir détourner son potentiel adversaire de ses projets. C’est le cas pour les questions liées à la démographie, la technologie militaire, les mœurs et les valeurs de la société, la doctrine d’emploi des forces ou encore la question budgétaire.

Avec la France des années 1930, nous pouvons voir que certaines de ces questions sont problématiques. Par exemple, au sujet de la société, sa division interne (l’idée d’une guerre civile couve pendant les années 1930), son instabilité politique et son opposition au principe de guerre, ébranlent ce facteur dissuasif. Nous devons alors observer, comme nous l’avons fait dans ce dossier, chaque question pour savoir si le potentiel dissuasif de la France atteint son paroxysme.

Nous pouvons d’ores et déjà répondre à cette question : l’armée française n’est pas le grand outil de dissuasion que nous pouvons imaginer. Cependant, cette armée demeure une référence et un ensemble de qualités. Il faut donc relativiser le propos. L’armée française, à elle seule, n’a pas la capacité de détourner entièrement l’Allemagne nazie de sa destinée envers la France, mais elle n’en inspire pas moins une sorte de respect au sein de l’armée allemande.

Ainsi, pour comprendre la clef de voûte dans la composante de la dissuasion avant l’ère nucléaire, il faut observer le concept de vision. C’est la manière dont est vu l’autre qui fait naître la possibilité de détourner un projet belliqueux. Étudier la vision de l’autre est donc une préoccupation centrale pour quelqu’un qui s’interroge sur le potentiel dissuasif. Prenons un exemple : si le cambrioleur décide d’aller dans la maison de M. Dupont plutôt que celle de M. Paul, c’est que, dans cette dernière, il y a un berger allemand féroce, et que dans l’autre c’est un caniche qui la garde. En d’autres termes, le cambrioleur est face à deux chiens, mais c’est uniquement sa vision (et, dans ce cas, son bon sens) qui lui permet de choisir telle ou telle maison.

Alors, pour qu’une nation puisse avoir en sa possession un élément dissuasif avant l’ère nucléaire, il faut qu’elle puisse jouer sur la manière dont elle est vue par ses voisins. Si, sa société s’ébranle, son armée est défaillante en certains points et que sa férocité sur le plan diplomatique est inexistante, alors cette nation sera mal perçue par ses voisins.

Aujourd’hui, la dissuasion ne se fait pas par une armée, une société ou le prestige, mais par une arme, même si la technologie que possède l’armée, ainsi que ses effectifs revêtent toujours une grande importance. Par ailleurs, il faut aussi que la société vive dans la concorde. Mais, si ce n’est pas le cas, demeure alors l’atout nucléaire. Avant que ce dernier existe, il fallait qu’il y ait une corrélation entre tous ces points pour que la nation possède un potentiel dissuasif.

En somme, la dissuasion avant l’ère nucléaire se partage entre : la vision de l’autre ; l’armée ; la société et ses mœurs ; les budgets ; la diplomatie. Nous vous renvoyons vers notre article sur l’actualité nucléaire afin d’observer les différences entre avant et après l’apparition du nucléaire en termes de dissuasion.

Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :

Bibliographie sélective

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[1] Nous l’avons vu dans la troisième partie, 1935 est une année charnière: alors que la France prolonge son service militaire obligatoire, le lendemain, l’Allemagne décide de forger une lance solide avec le plan IV confié à Herman Göring.

[2] À ce sujet, voir FRIESER Karl-Heinz, Le mythe de la guerre-éclair : la campagne de l’Ouest de 1940, Paris, Belin, 2015, 775 p. Il montre que l’État-major envisageait une réplique de la Première Guerre mondiale, avec des batailles longues sur un espace étendu. Or, la grande percée de Heinz Guderian change la donne et fait naître un mythe de guerre-éclair.

[3] HITLER Adolf, Mon combat, Paris, Nouvelles éditions latines, 1934, 685 p., traduit par CALMETTES André et GAUDEFROY-DEMOMBYNES Jean

[4] Ibid.

[5] Reprise de MAGINOT André, dans Gazette des armes, n°74, Paris, Régi’Arm, 1979, 60 p., p. 60

[6] Match, l’hebdomadaire de l’actualité mondiale, n°41, Paris, Match, 1939

[7] WEBER Eugen, La France des années 30 : tourments et perplexités, Paris, Fayard, 1995, 417 p., traduit par DAUZAT Pierre-Emmanuel

[8] Georges Bonnet et Joachim von Ribbentrop étaient les ministres des Affaires étrangères française et allemande lors de la signature de cette déclaration. Ribbentrop est également l’artisan du pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939.

[9] « Déclaration Bonnet-Ribbentrop », dans La Croix de l’Aveyron, vol. 49, n°50, Rodez, La Croix de l’Aveyron, 1938, 8 p., pp. 1-2, [en ligne] https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_Bonnet-Ribbentrop (dernière consultation le 14/08/2018)

[10] CLODI Nicole, « Churchill et le pouvoir des mots », dans La Dépêche, Toulouse, Groupe La Dépêche du Midi, 2018, [en ligne] https://www.ladepeche.fr/article/2018/01/06/2716837-churchill-et-le-pouvoir-des-mots.html (dernière consultation le 14/08/2018)

[11] BLIN Arnaud et CHALIAND Gérard, Dictionnaire de stratégie, Paris, Perrin, 2016, 1117 p.

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