Epilogue : les guerres d’indépendance de l’Antiquité à nos jours

La reddition de Yorktown le 19 octobre 1781
La reddition de Yorktown le 19 octobre 1781 (Surrender of Lord Cornwallis, peinture à l’huile de John Trumbull, 1819-1820)

Tout au long de ce premier numéro, nous avons observé plusieurs guerres ayant une finalité commune : l’indépendance d’un pays, d’une caste, ou d’un peuple ayant une identité propre. Certaines fonctionnent pour les indépendantistes, d’autres, au contraire, signent leur mise à mort. Si F. Nietzsche disait que « peu de gens sont faits pour l’indépendance, c’est le privilège des puissants », l’Histoire prouve le contraire d’un point de vue politique et militaire.


En effet, certaines guerres d’indépendance ont réussi. Nous avons observé, par exemple, les Écossais qui ont résisté longtemps avant que l’influence anglaise ne finisse par l’emporter. Ou bien, la guerre d’Indépendance américaine où les 13 colonies, avec l’appui du royaume de France, se sont émancipées de la tutelle britannique. Nous retrouvons encore au XXe siècle ces succès pour les indépendantistes : Algérie, Indochine, Inde (sans constituer une guerre ouverte) ou encore l’Irlande. Nous pouvons alors nous demander pourquoi certaines guerres ont réussi contrairement à d’autres ? La réponse tient dans trois conditions, trois piliers, qui ne sont pas sans rappeler la trinité Clausewitzienne.

Tout d’abord, le politique. Il faut que les indépendantistes trouvent une certaine stabilité, avec une véritable organisation hiérarchisée, pour parvenir à se maintenir en vie et ainsi, se développer. Nous avons vu, avec la guerre judéo-romaine, les dégâts causés par le manque d’unité au sein d’un mouvement, à l’image des trois factions en guerre dans Jérusalem.

A contrario, en Amérique, l’organisation et le rôle de G. Washington ont permis un contrôle global sur l’armée continentale et sur la population. La question politique se retrouve du côté des indépendantistes comme du côté loyaliste/étatique. En effet, si Rome rencontre des difficultés au départ contre les Juifs, c’est qu’il y a une grande instabilité au sein même de la Ville, due notamment à Néron.

L’exemple le plus marquant se retrouve lors de la guerre d’Algérie : changement de République, de Constitution, crise de sécurité au sein même de la métropole, et surtout manque de confiance entre l’armée en Algérie et le général de Gaulle, considéré comme un traître par une partie de cette dernière. L’ordre politique doit donc être accepté et stabilisé par les deux camps pour l’emporter dans ce type de guerre, l’anarchie étant souvent synonyme d’échec.

Puis, le contrôle de la population. Ce que nous appelons aujourd’hui “l’opinion publique” doit être contrôlée. Le parti qui contrôle au mieux cette arme bénéficie alors d’un immense avantage. Nous pouvons d’ailleurs observer deux échelles dans ce contrôle : l’opinion nationale et l’opinion internationale. En effet, le rôle de la diplomatie et des alliances étatiques est très important dans ce type de guerre. Le F.LN. ou le Viêt-Cong se sont ainsi appuyés sur l’aide soviétique en matière d’armement et de relations internationales.

à l’époque moderne il en fut de même : sans le soutien financier et militaire des royaumes de France et d’Espagne, la guerre d’indépendance américaine n’aurait peut-être pas connu le même dénouement. De même au Moyen Âge, en vertu de l’Auld Alliance, les Écossais purent s’assurer de l’aide française. L’opinion publique au sens national est tout aussi importante à contrôler. Dans Pourquoi perd-on la guerre ? Un nouvel art occidental (Ed. Odile Jacob, 2016), G. Chaliand montre le rôle primordial du rôle de la population et de l’opinion publique dans les guerres actuelles, notamment celles marquées par la guérilla et la cause indépendantiste.

En effet, l’opinion publique mine petit à petit l’entreprise des états dans l’usage de la violence légitime : en Algérie, si la guerre était gagnée militairement, l’opinion ne s’en lassait pas moins. Ce fut pire pour les États-Unis lors de la guerre du Vietnam avec tout le mouvement de contestation que nous connaissons grâce au rock et aux hippies. Aujourd’hui encore, il suffit de regarder la situation en Ukraine ou en Syrie pour observer la dépendance des États vis-à-vis de l’opinion avant de décider d’une éventuelle intervention. Le contrôle de l’opinion publique est donc essentiel pour les États mais aussi pour les indépendantistes dans cette forme de guerre. Par ailleurs, il faut que chaque camp montre au public qu’il se bat pour une cause juste et légitime. C’est cette cause qui justifiera l’adhésion ou non à un camp ou l’autre.

Enfin, le militaire. Bien entendu, cette condition est centrale. Les indépendantistes doivent innover pour réussir. Lorsque ces derniers y parviennent, c’est en bouleversant le code militaire ou moral. Prenons trois exemples : les barbares contre Rome, l’exemple écossais et le cas algérien. Au Ve siècle, alors qu’ils sont moins organisés que les légions romaines et moins bien équipés, des peuplades dites “barbares “– comme les Francs ou les Wisigoths – parviennent à ébranler puis neutraliser l’empire romain d’Occident.

Cela est rendu possible en partie grâce à un art de la guerre bien différent de l’habitude romaine : l’arme de jet (francisque, ambon) est favorisée avant chaque début de combat par exemple. Nous avons vu comment tiennent les écossais face à l’élite de l’armée anglaise : la formation en schiltron. à nouveau, nous nous retrouvons devant une innovation tactique, lorsque l’un des acteurs à conscience de son infériorité et de sa défaite proche. Enfin, le cas du F.L.N. concerne l’augmentation importante des effectifs. Le mouvement parvient à passer de la modique somme de 400 combattants à plusieurs dizaines de milliers en quelques années.

Mais surtout, ce mouvement parvient à donner du fil à retordre à une armée puissante qui a connu entre 1945 et 1954 la jungle indochinoise. Si la France a gagné militairement la guerre d’Algérie, le F.L.N. aura innové en termes de techniques de guérilla afin de fragiliser la situation politico-militaire française. Cela explique pourquoi le Viêt-Cong s’est inspiré des méthodes du F.L.N., ou encore pourquoi la bataille d’Alger est encore étudiée dans les écoles de guerres américaines .


Alors, grâce aux différentes études que nous avons faites dans ce dossier sur les guerres d’indépendance, nous avons pu remarquer les raisons des échecs ou des succès : les trois piliers (politique, militaire et opinion publique) doivent être rassemblés afin de parvenir à une finalité. Il fut intéressant d’étudier dans notre premier dossier ce type de guerre car cela nous permet de mieux saisir certaines questions concernant l’indépendance, le terrorisme, la guérilla ou encore la lutte anti-impérialiste. En effet, nous nous retrouvons souvent dans des guerres face aux mêmes états : Rome, la France, l’Angleterre…

Les empires constituent donc un terreau pour la naissance de guerres d’indépendance. La raison est simple : hormis pour la guerre d’Indépendance américaine – qui a eu lieu surtout pour des questions financières et de représentation politique – les autres opposent souvent des anciens peuples ou états libres à des empires qui n’ont pour légitimité que leur domination militaire. Nous retrouvons le même cas aujourd’hui avec les guerres contre l’empire (économique et diplomatique) américain : une tentative d’indépendance vis-à-vis de la surpuissance culturelle, politique et économique américaine dans le monde.


Nous espérons que ce dossier et son approche vous auront plu. La question des guerres d’indépendance est très importante dans l’Histoire et les sociétés. L’étudier d’un point de vue militaire permet de comprendre une partie de la situation géopolitique actuelle, mais aussi d’envisager les futures guerres d’indépendance qui sont en train de germer dans le monde. C’est pourquoi le rôle d’un état juste et fort, s’appuyant sur son peuple et son armée, demeure un enjeu important pour prévenir de tels dangers.

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4 réflexions sur “Epilogue : les guerres d’indépendance de l’Antiquité à nos jours

  1. Dommage que dans ton texte, il n’est pas mentionné la victoire des esclaves haïtiens mené par Toussaint Louverture au dépens de la puissante armée française.

    1. Effectivement, nous l’avions en tête (surtout qu’il s’agissait du cadre de la Révolution française puis de l’Empire) mais comme dit en intro, il y avait tellement de cas (les Séminoles, la révolte des Héréros, sans compter les pays d’Afrique sub-saharienne et d’Asie lors de la guerre Froide…) que nous avons dû choisir !

      Mais le sujet de l’indépendance haïtienne est tellement vaste et méconnu du grand public qu’il mériterait à lui seul une série d’articles ! Alors qui sait ? Nous gardons l’idée précieusement en tête 😉

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