Se coucher tard, se lever au milieu de la nuit, commencer sa journée non loin de Moscou aux environs de 5h30 au milieu de 1200 pièces d’artillerie qui s’insultent avec une certaine franchise, charger en tête de ses soldats en passant entre les gouttes de mitraille tirées par des Russes et tonner « la mort ne frappe que ceux qui hésitent ! »[1] : il y a des métiers qui sont parfois pénibles.
Ce sont les paroles d’un officier d’exception : le maréchal Ney. Bien sûr, parler d’officier d’exception durant la période de l’Empire se rapproche presque du pléonasme, car il suffit de passer sous l’Arc de Triomphe ou de marcher sur le boulevard des Maréchaux à Paris pour sentir le rassemblement de bravoure et d’abnégation que fut l’épopée napoléonienne. Cependant, Michel Ney a une place singulière dans cette aventure.
Franck Favier, agrégé et docteur en histoire, nous raconte la vie de ce personnage clair obscure au caractère bouillonnant et colérique qui dissimula mal ses ambivalences, les inimitiés pour ses pairs et ses manquements tactiques : engagé volontaire en 1787 dans un régiment de hussards, il n’a dû son ascension militaire qu’à sa témérité et ses capacités de meneur d’hommes. Nommé général de brigade en 1796, il faisait partie des officiers les plus décisifs et talentueux de l’armée du Rhin, mais c’est sous l’Empire que s’est révélée cette boule de bravoure. Il a participé, entre autres, à l’éclatante victoire de Iéna en 1806[2], sauva Napoléon dans la terrible et indécise bataille d’Eylau un an plus tard et s’est distingué à Friedland[3]. En 1812, il était en première ligne des attaques contre les Russes à la bataille de la Moskova[4], à quelques kilomètres du Kremlin. La blessure qu’il y reçut au cou ne l’empêcha pas de faire preuve d’un courage inimaginable lors de la retraite des restes de la Grande Armée de Napoléon au milieu du grand hiver russe et de protéger l’arrière français des impitoyables troupes cosaques sous moins vingt degrés.
Mais son caractère plein de bravoure et d’énergie fut cependant son pire ennemi. Favier raconte comment ses succès ont entretenu sa vanité et son irritabilité notamment vis à vis de ses frères d’armes comme Berthier, Murat ou Davout et cite même le général Gelder à son propos : « C’était un homme de beaucoup de courage et d’énergie sur le champ de bataille ; hors du théâtre de la guerre, il était faible et indécis, et se laissait dominer par les conseils »[5].
De tous les grands combats, il fut pourtant l’un des maréchaux qui, en 1814, alors que les coalisés envahissaient la France, poussèrent l’empereur avec le plus de véhémence à sa première abdication.
Une fois le roi Louis XVIII de retour au pouvoir en France, Ney prêta serment à la couronne et, sitôt que Napoléon se fut échappé de son exil pour revenir à la tête de l’état, il promit au roi de le ramener captif… avant de se rallier à l’empereur et de participer à la campagne de Belgique de 1815, durant laquelle il multiplia les occasions manquées contre les Anglais avant de l’achever par des charges meurtrières à la tête de la cavalerie le 18 juin 1815.
Ce jour-là, dans la plaine de Waterloo, ne s’est pas seulement joué le destin de Napoléon. L’empereur déchu laissa de nouveau la place au roi, qui n’oublia pas les revirements du maréchal Ney. Ce dernier fut arrêté, jugé et fusillé.
Entre deux chapitres de son histoire, promenez-vous avenue de l’observatoire à Paris. Vous le trouverez figé dans le bronze à l’endroit où il affronta une dernière fois la poudre.
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Bibliographie :
FAVIER Franck, Le maréchal Ney, Paris, Perrin, 2023, 400 p.
[1] Franck Favier cite le maréchal Ney dans le récit qu’il fait de la bataille de la Moskova, FAVIER Franck, Le maréchal Ney, Paris, Perrin, 2023, 400 p., pp. 166-167
[2] La journée du 14 octobre 1806 fut celle de l’anéantissement des armées prussiennes. Deux batailles eurent lieu le même jour : Iéna et Auerstaedt. Napoléon commandait à la première et la maréchal Davout à la seconde. Les deux furent des victoires décisives françaises qui privèrent le royaume de Prusse de toute armée en une seule journée.
[3] Le 14 juin 1807, la bataille de Friedland opposa l’armée française à l’armée russe, non loin des bords de la mer Baltique, et se solda par une victoire décisive française. Elle poussa le tsar Alexandre Ier à signer la paix avec Napoléon. Le 7 juillet 1807, le traité de Tilsit fixa, entre autres, l’alliance entre la France et la Russie et l’adhésion de cette dernière au blocus continental contre l’Angleterre.
[4] La rivière Moskova, qui coule à quelques kilomètres de Moscou, fut, le 7 septembre 1812, voisine de la plus grande bataille de la campagne de Russie. Les armées françaises et russes disposant chacune de plus de 130 000 hommes, en ont toutes deux perdu plusieurs dizaines de milliers pour ne tirer qu’un bénéfice incertain : les russes durent se retirer, mais les français ne parvinrent pas à anéantir leurs adversaires, leur laissant ainsi leur force de frappe.
[5] Ibid., p. 191