guerre en Ukraine

24 février 2022 : la Russie envahit l’Ukraine

Le 24 février 2022, vers 5 h 30, le président russe Vladimir Poutine annonce, dans une allocution télévisée, lancer une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine.

La prise de parole, de près d’une demi-heure, multiplie les références à l’histoire de la Russie, qui apparaît comme menacée d’un péril existentiel par des pouvoirs occidentaux agressifs et irresponsables, prêts à grignoter les marges du grand pays d’Eurasie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ou plutôt de la « Grande Guerre patriotique » remportée grâce au sacrifice du peuple russe.

Comme le 22 juin 1941, où l’Allemagne nazie envahit l’URSS sans déclaration de guerre, la Mère Patrie courrait un grave danger, représenté par les « nationalistes » et les « néo-nazis » au pouvoir à Kyiv, soutenus par l’OTAN. Plus grave encore, c’est un « génocide » qui serait en cours contre les Russes du Donbass, région de l’Est de l’Ukraine où se situent deux républiques populaires autoproclamées, reconnues par Moscou deux jours avant. Il s’agit donc de « protéger » ces ressortissants et de « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine.

Le chef de l’État russe en appelle nommément aux « camarades officiers » ukrainiens, ceux-là dont les pères et les grands-pères « ne se sont pas battus contre les nazis » pour « laisser aujourd’hui les néonazis prendre le pouvoir en Ukraine », les appelant à refuser d’obéir aux ordres. Dans le même temps, l’ancien du KGB ne doute pas que les militaires russes « accompliront leur devoir avec professionnalisme et courage ».

La rhétorique poutinienne ne nomme pas la guerre, préférant parler pudiquement d’une « opération militaire spéciale ». Pourtant, la décision du locataire du Kremlin, saturée d’allusions à la Seconde Guerre mondiale, ne dupe pas grand-monde : la guerre, la guerre d’agression, interétatique et ouverte, est de retour sur le sol européen, à une échelle inégalée depuis 1945. En cela, la référence fait sens. De fait, le moment est historique.

L’invasion russe s’opère sur quatre grands fronts. Une partie des troupes attaque l’Est du pays à partir des zones contrôlées par les États fantoches du Donbass. Une autre, partie de la Crimée annexée en 2014, lance une offensive vers Kherson, capitale régionale située à proximité de la mer Noire, au Sud de l’Ukraine. Des forces armées se lancent vers Kharkiv, au Nord-Est, depuis le territoire du Bélarus, ou Biélorussie, laissé à la disposition de Moscou. Enfin, également depuis le Sud de la « Russie blanche », un important dispositif vise la capitale ukrainienne, Kyiv.

Attaques et positions russes au 24 février 2022 selon le renseignement militaire britannique
Attaques et positions russes au 24 février 2022 selon le renseignement militaire britannique, Defence Intelligence, Ministry of Defence, Government of the United Kingdom, Wikimedia Commons

Des analystes avancent instantanément que la Russie cherche avant tout à s’emparer de celle-ci, afin d’obtenir le contrôle des institutions ukrainiennes et d’y placer un exécutif pro-russe. La prise de la ville doit être rapide. De fait, selon le renseignement américain, elle n’est qu’une question de jours. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a proclamé la loi martiale et décrété la mobilisation générale, s’adresse le soir même aux dirigeants de l’Union européenne en déclarant : « C’est peut-être la dernière fois que vous me voyez vivant »[1].

Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. Si les armées russes venues du Nord s’emparent aisément de la tristement célèbre ville de Tchernobyl, l’aéroport de Hostomel, à proximité immédiate de Kyiv, reste contesté, ce qui complique les plans du Kremlin. Le maire de la capitale, Vitali Klitschko, décide le jour même d’un couvre-feu pour empêcher l’infiltration de saboteurs.

Dans la journée, une rumeur naît du partage massif, sur les réseaux sociaux, d’images d’avions de chasse dans le ciel de Kyiv : un aviateur ukrainien aurait abattu à lui seul pas moins de six appareils russes. Le mystérieux pilote serait donc devenu, en un seul jour, le premier as de l’aviation du XXIe siècle. Est-il bien réel ? Peu importe : la légende enfle, et la population tient son héros, le fantôme de Kyiv. Et il n’est pas seul. Le même soir, une partie de la flotte russe s’attaque à l’île des Serpents, dans la mer Noire ; le commandant du navire de tête, le croiseur Moskva, enjoint par radio les gardes-frontières à se rendre, et se voit rétorquer, en russe : « Navire de guerre russe, va te faire foutre »[2], un message enregistré et diffusé dans le monde entier. Les treize hommes reçoivent immédiatement la plus haute distinction militaire, celle de Héros d’Ukraine, à titre posthume – pourtant, il s’avère bientôt qu’ils ont été faits prisonniers et sont encore en vie. À l’évidence, le moral des Ukrainiens tient bon.

En face, les armées russes s’emploient à bombarder des villes à travers le pays tout entier, y compris dans les régions qui ne sont pas envahies. Kyiv ne cesse d’être la cible des missiles russes, même après que, fin mars, Moscou annonce officiellement la retraite de ses troupes de la région. Officieusement, le Kremlin semble avoir acté son échec à changer le régime ukrainien par la force, et se contenter désormais d’une invasion de l’Est et du Sud du pays, destinés à devenir une province à annexer sous le nom de Nouvelle-Russie, comme la colonie de peuplement établie à la fin du XVIIIe siècle par la Grande Catherine de Russie dans les régions riveraines de la mer Noire conquises sur l’Empire ottoman.

Dans le même temps, le pouvoir russe punit de la prison l’emploi des termes de « bombardement de villes », de « victimes civiles » et surtout de « guerre ». Pourtant, il ne fait de doute pour personne que l’« opération spéciale » ne correspond pas à ce qu’elle était censée être : à la chute imminente d’un gouvernement ukrainien supposément décrié se sont substituées des hostilités meurtrières, difficiles et longues, à tel point qu’elles entrent aujourd’hui dans leur deuxième année.

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Bibliographie

BROWN Lee, « Ukraine’s Volodymyr Zelenky warns EU leaders ‘this might be the last time you see me alive’ », dans New York Post, New York, Col Allan, 2022, [en ligne] https://nypost.com/2022/02/25/ukraines-volodymyr-zelensky-delivers-foreboding-message-to-eu-leaders/ (dernière consultation le 20/02/2023)

ROMANENKO Valentina, « “Русский корабль, иди на х.й!”: захисники Зміїного відповіли ворогові » (« “Navire de guerre russe, va te faire foutre !”, rétorquent les défenseurs [de l’île] des Serpents à l’ennemi »), dans Ukrayinska Pravda, Kyiv, Dragon Capital, 2022, [en ligne] https://www.pravda.com.ua/news/2022/02/25/7325592/ (dernière consultation le 20/02/2023)


[1] BROWN Lee, « Ukraine’s Volodymyr Zelenky warns EU leaders ‘this might be the last time you see me alive’ », dans New York Post, New York, Col Allan, 2022, [en ligne] https://nypost.com/2022/02/25/ukraines-volodymyr-zelensky-delivers-foreboding-message-to-eu-leaders/ (dernière consultation le 20/02/2023)

[2] ROMANENKO Valentina, « “Русский корабль, иди на х.й!”: захисники Зміїного відповіли ворогові » (« “Navire de guerre russe, va te faire foutre !”, rétorquent les défenseurs [des îles] du Serpent à l’ennemi »), dans Ukrayinska Pravda, Kyiv, Dragon Capital, 2022, [en ligne] https://www.pravda.com.ua/news/2022/02/25/7325592/ (dernière consultation le 20/02/2023)