La guerre de Cent Ans et le développement d’un sentiment national français

Dans son article « La notion de nation en France au Moyen Age », la médiéviste Colette Beaune démontre que « l’imprécision du vocabulaire n’est que le reflet de la difficulté à situer une notion neuve dans un ensemble de valeurs qui reste dominé par l’idée de chrétienté. La nation France est une catégorie nouvelle de la pensée dont le Moyen Âge a vu la lente émergence. La nation mit des siècles à trouver sa juste place, à ériger le particularisme face à l’universel. Pourtant, ce ne fut pas par une rupture avec l’ordre chrétien que la France prit naissance mais à l’intérieur même de celui-ci. La France fut fille de la foi, comme de l’histoire et du symbole »[1]. La question est complexe : de quand pouvons-nous dater le développement d’un particularisme face à l’universel en France ?

Notre attention va se tourner sur le sentiment national en France au cours de la guerre de Cent Ans, ce conflit opposant le royaume de France à celui d’Angleterre, entre 1337 et 1453. Durant cette guerre, dans une société féodale bouleversée, la notion de nation se développe fortement contrairement aux siècles précédents où elle n’est pas autant apparente. Le terme nation ne revêt pas le même sens dans la France médiévale que dans celle d’aujourd’hui. Du latin natio, c’est-à-dire « naitre, naissance » nous pouvons définir la nation au XVe siècle comme une entité reposant sur un régionalisme marqué, tout en étant tourné vers son roi, étant chrétienne et ressentant le dégoût face à l’ennemi, c’est-à-dire l’Anglais.

Observons également le terme patrie. Un seigneur ou un paysan du Moyen Âge définit le terme patrie comme son village ou son domaine, d’un point de vue géographique et linguistique. Il relève également du domaine religieux, correspondant à l’appellation du Père des Cieux. Pater quant à lui correspond au roi, père de ses sujets. Donc, l’enjeu de la question du sentiment national à cette période se fonde sur le point de vue de la société vis-à-vis de l’espace territorial sur lequel elle vit. Autrement dit, sur le sentiment d’appartenance à un destin commun, cimenté par la religion, la culture et l’opposition à un ennemi bien défini.

Depuis le XIIe siècle, la théorisation de l’État monarchique ne cesse de se développer grâce aux Capétiens, qui utilisent et exaltent l’histoire du royaume de France. Cela a apporté un élément de réponse sur la question de la nation. Cerner le sentiment national au cours du bas Moyen Âge (XIV-XVe siècle) en France consiste donc à travailler sur le sentiment de la société à l’égard de sa nation.

Dans un premier temps, revenons rapidement sur les événements de la guerre de Cent Ans qui auraient permis l’éveil du sentiment national. Lorsque la guerre éclate entre le roi de France Philippe VI et son cousin le roi d’Angleterre Edouard III en 1337, le royaume de France connaît de grands revers, tel que les batailles de l’Écluse (1340), de Crécy-en-Ponthieu (1346), ou bien de Poitiers (1356). Entre-temps, les Anglais pillent sans relâche le territoire par des chevauchées. Lors de la bataille de Poitiers en 1356, le roi Jean II dit le Bon est fait prisonnier. Le royaume se confronte alors à des crises internes.

Son fils Charles, régent du royaume pendant la captivité de son père à Londres, devient roi en 1364 sous le nom de Charles V. Il entame une reconquête du territoire et de grandes réformes afin de consolider l’État et la monarchie. N’étant pas un roi guerrier, à l’inverse de ses ancêtres, il aliène la formation militaire au profit de la formation intellectuelle. Son règne a aussi été marqué par nombres d’écrits, et surtout, par un développement théorique plus important du principe de l’État monarchique.

De plus, il a mené, grâce à son connétable Bertrand du Guesclin, la reconquête des territoires sous domination anglaise. À sa mort en 1380, le royaume de France se relève, mais le futur Charles VI est trop jeune pour régner. Jusqu’en 1388, ce sont ses oncles, donc les grands princes du royaume, qui ont exercé une régence. Puis, à partir de 1392, il est touché par des crises de démences jusqu’à sa mort.

Durant cette période, la France rechute. Une guerre civile éclate ouvertement en 1407, opposant le clan des Bourguignons à celui des Armagnacs. À cela s’ajoute une crise extérieure avec l’Angleterre, qui frappe le fleuron de la chevalerie française à Azincourt en 1415. Le royaume de France est au plus mal. Le coup fatal est porté en 1420, par le traité de Troyes, créant « les trois France[2] ». Le dauphin, futur Charles VII, est retiré de la succession au profit de l’Anglais Henry V de Lancastre. Ce dernier meurt en 1422, la même année que Charles VI. Donc, une régence menée par le duc de Bedford s’installe car Henry VI n’est qu’un nourrisson.

Enluminure représentant le loup armagnac contre le lion bourguignon, auteur anonyme, XVe siècle, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek
Enluminure représentant le loup armagnac contre le lion bourguignon, auteur anonyme, XVe siècle, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Wikimedia Commons

Charles VII est contraint de se retirer en-deçà de la Loire, à Bourges puis à Chinon. Il est à la fois confronté au problème de la guerre civile et de l’occupation anglaise. Ces deux fronts ébranlent le royaume de Charles VII. En 1429, poussé par Jeanne d’Arc, il est sacré à Reims et engage la reconquête. Il a été appuyé à partir de 1435 par le duc de Bourgogne, Jean le Bon, qui, par le traité d’Arras, renonce à s’allier aux Anglais et promet fidélité au roi de France.

Le roi ne gagne pas par les armes sur le terrain. Il essaya de se battre, toujours avec le fer certes, mais aussi avec le verbe. Les écrits et la théorisation de l’État et du Roi ne cessent d’évoluer, développant une vision modernisée de la monarchie par la pensée et une proto-propagande, tout en mêlant l’histoire de la France, ainsi qu’en mettant en avant les saints et la chrétienté dans le royaume. Paradoxalement, malgré les multiples crises au sein du royaume, un sentiment national émerge au cours de la guerre de Cent Ans.

Cette question du sentiment national au Moyen Âge est de plus en plus étudiée depuis les années 1980. L’ouvrage de Colette Beaune, Naissance de la nation France en est l’exemple le plus marquant. Pour cette auteure, le sentiment national plonge ses racines dans la haine contre l’Anglais, dans la chrétienté en France (qui a un statut particulier vis-à-vis de l’Église), dans le développement de l’État monarchique grâce aux progrès juridique et linguistique et, dans la manière de penser l’histoire et l’origine de la France durant cette période.

D’autres historiens s’attardent sur les sources ayant permis de comprendre d’où vient cette idée du développement du sentiment national au XIVe et XVe siècle, comme Nicole Pons, Hélène Olland, ou encore feu Philippe Contamine. Les principales sources utilisées sont Jean de Montreuil, le Religieux de Saint-Denis, Christine de Pizan, ou encore Noël de Fribois. A cette légère liste nous pouvons ajouter l’art et la numismatique.

Il semble alors légitime de se demander dans quelles mesures les événements touchant le royaume de France au cours de la guerre de Cent Ans contribuent-ils à faire naître dans la société française la prise de conscience d’un destin commun ?

Par les croisades et la Reconquista, les royaumes chrétiens européens avaient un ennemi commun, à savoir les Sarrasins. Au XIVe siècle, si l’idéal de croisade reste entier, la réalité est bien différente : les chevaliers européens ne foulent plus le sol de la Terre-Sainte. En effet, depuis qu’en 1291 les Mamelouks ont chassé d’Orient les Croisés, ces derniers n’ont pas encore réussi à unir une véritable armée pour traverser la Méditerranée. Par ailleurs, l’expédition est coûteuse et lointaine.

Ainsi, ces royaumes chrétiens ne se battent plus contre un ennemi extérieur mais entre eux. Certes, pendant les croisades les rivalités sur le sol ouest-européen n’ont pas cessé, mais elles se sont limitées. Désormais, les royaumes peuvent se concentrer face à un adversaire principal et plus proche. La guerre de Cent Ans en est l’exemple le plus marquant. Grâce à cette guerre et la violence exercée par les troupes anglaises, un sentiment commun et une cohésion nationale se développent au sein du royaume de France.

Tout d’abord, la guerre de Cent Ans a modifié la constitution de l’armée du roi de France. Face aux difficultés militaires, Charles V l’a réorganisé en 1370. Désormais, l’armée est plus massive puisque l’ost est renforcé par un contingent venant des villes. Ces dernières, notamment les communes, sont obligées d’envoyer au roi de France un contingent d’archer, d’arbalétrier et de gens à pied (la piétaille). Ce sont les « gent de commune » qui s’opposent à l’armée traditionnelle des « gentilz hommes ».

De plus, au début du XVe siècle, Charles VI, puis son fils Charles VII, ont demandé une contribution supplémentaire des populations rurales comme le souligne Pierre Cochon dans sa Chronique normande : au cours du siège de Dreux en 1412, un contingent de soutien était constitué des gens du plat pays[3]. Cette modification de l’outil militaire est exceptionnelle pour le Moyen Âge puisque le métier des armes était réservé à l’aristocratie alors que les milices urbaines n’avaient vocation qu’à défendre leur cité. Ainsi, des hommes venant de divers horizons se sont battus sous la bannière du roi de France contre les Anglais, développent donc un sentiment d’union pour une même cause.

Toujours dans le domaine militaire, nous pouvons remarquer une forme de sentiment national dans les cris de guerre français. Ils font références aux saints nationaux, spécialement saint Denis et la Vierge Marie, parfois associés au nom du chef (par exemple à Cocherel en 1364, on cria « Notre-Dame-du-Guesclin » en hommage à l’homme de guerre breton, bras droit du roi de France). En parallèle, l’uniformisation des tenues apparaît pendant la guerre de Cent Ans avec la croix blanche sur fond rouge pour les Français et la croix rouge sur fond blanc pour les Anglais.

Avant cette guerre, les soldats portaient les signes distinctifs de leur seigneur, donc il y avait un rattachement à la contrée d’origine. Désormais, il y a une forme de « nationalisation » et d’uniformisation de la tenue, témoignant de la prise en main de l’armée par le roi. En outre, cela démontre l’effet de la prise en main de l’armée par le souverain et le développement du sentiment de servir une « nation » et une cause commune.

Si l’armée française au cours de la guerre de Cent Ans témoigne de l’ancrage plus important pour la cause française, il n’en demeure pas moins que la haine de l’Anglais a été un véritable facteur d’unité et du développement d’un sentiment national.

Les écrits du XVe siècle sont particulièrement intéressants car nous retrouvons dans des textes littéraires l’expression d’une haine contre un peuple. Par exemple, vers 1411, Jean de Montreuil écrivait en parlant des Anglais : « je les regarde avec tant d’abomination et de haine que j’aime ceux qui les haïssent et je hais ceux qui les aiment »[4]. Loin des considérations d’amour du prochain prêché par le christianisme, ce fidèle secrétaire de Charles VI définit par ces mots la définition d’un « Français », à savoir celui qui est fidèle au roi de France contre l’ennemi diabolique anglais.

Les Annales de Normandie, écrites vers 1419, restent dans la lignée de Jean de Montreuil. La Normandie a particulièrement souffert de la guerre de Cent Ans. Déjà, dans les années 1350-1370, elle est au cœur des chevauchées anglo-navarraises et elle est même, au cours de cette période, fidèle au roi de Navarre, alors ennemi du roi de France. Or, c’est à partir du début du XVe siècle que la plus riche province du royaume de France est entièrement pillée, ravagée et récupérée par les Anglais.

Ainsi, nous pouvons lire dans les Annales de Normandie que les anglais « sont une secte de gens mauldicte, contredisans a tout bien et a toute raison, loups ravissans, orgueilleux, pompeurs, papellars [hyppocrites], decepvans [trompeurs] et sans conscience, tirans et persectueurs de chrestiens et qui boyvent et transgloutissent le sang humain, ressemblans a la nature des oyseaulx de proye qui vivent de rappine et aux despens de leurs simples et débonnaires voisins »[5].

Le portrait est loin d’être flatteur et il témoigne une fois de plus, non pas du simple dégoût, mais de la haine à l’égard des Anglais. Ces derniers, par les chevauchées, les pillages et la fragmentation du royaume de France, ont poussé les Français à les détester comme la peste. La violence et la présence anglaise dans le royaume de France depuis les années 1340 a ainsi créé une convergence sur un même sujet au sein de la population dudit royaume.

Outre les textes du début du XVe siècle, nous retrouvons dans certaines expressions cette méfiance haineuse à l’encontre de l’Anglais. Par exemple, la devise de Charles VII souligne cette haine : Ultorem ulciscitur ulto (signifiant « avenger, avenger et punir »). Le doublement du terme « venger » n’est pas anodin et s’inscrit dans cette mentalité nationale portée ici par le roi en personne. De plus, le principe de vengeance n’est pas ordinaire à cette époque puisqu’il est contraire au principe de miséricorde défendu par le christianisme et l’Eglise. Dans le royaume de France, Colette Beaune précise « qu’on se moquait de tous ceux qui n’avaient que des origines mêlées et bâtardes comme les Anglais »[6]. La bâtardise était ainsi apparentée au déshonneur anglais. Ou bien encore, le simple terme « Anglois » était devenu une insulte courante au cours du XVe siècle.

La haine des Anglais au cours de la guerre de Cent Ans est très forte et permet de créer un sentiment commun au sein d’une nation qui n’en est pas une au sens moderne du terme. En parallèle, cette guerre permet de développer l’honneur du royaume de France autant dans les mentalités que dans les écrits des hommes de lettres.

Cet honneur se développe en réaction à la présence anglaise sur le territoire du royaume de France. Depuis le XIIe siècle, les monarques anglais n’ont de cesse d’étendre leurs possessions dans ce dernier. En effet, la dynastie anglaise est d’origine française. Les Plantagenêt viennent d’Anjou et les liens avec les Capétiens et le royaume de France étaient donc forts. Cependant, les deux dynasties étaient ennemies et, pendant plusieurs siècles, les Anglais ont récupéré des domaines en France, comme le duché de Guyenne ou la Normandie.

Nonobstant, le roi d’Angleterre demeurait vassal du roi de France et devait lui prêter hommage lige. Cette situation complexe explique en partie pourquoi la guerre de Cent Ans a éclaté en 1337 entre Philippe VI et Edouard III. Toujours est-il que l’Angleterre est présente dans des contrées du royaume de France et cette présence entraîne une forme de résistance de la part de certains locaux.

Au début du XVe siècle, la situation géopolitique accroît le problème. En effet, après la terrible bataille d’Azincourt en 1415, où le fleuron de la chevalerie française est décimé, l’Angleterre parvient à imposer le traité de Troyes en 1420. Ce dernier divise la France en trois royaumes. Le dauphin Charles, fils de Charles VI, récupère un royaume réduit au sud de la Loire. À l’Est, le duc de Bourgogne se rallie aux Anglais. Enfin, Henri VI, roi d’Angleterre, récupère le Nord du royaume et devient roi de France en 1422. Dans ce contexte, Colette Beaune précise que « rares sont les Français, sans doute, qui aimeraient être considérés comme Anglais »[7]. Ainsi, nous remarquons que cette théorie se retrouve dans la pratique puisqu’une résistance et une guerre civile éclatent dans les années 1420 face à la domination anglaise sur le royaume de France[8].

Le fait qu’il y ait eu une vive résistance[9] témoigne de l’importance du sentiment national français à cet instant important de l’histoire de France. Par ailleurs, nous pouvons dresser une carte de cette France qui découvre le destin commun au cours de la guerre de Cent Ans. En effet, les régions qui ont résisté et aidé le dauphin Charles sont celles qui partageaient la cause française face à celle des anglais et des bourguignons.

Ainsi, nous remarquons un développement des liens unissant les pays de langue d’oc (le Midi) et les pays de langue d’oïl (au Nord) au cours de la guerre entre le roi de France et celui d’Angleterre. En effet, depuis 1271 le Languedoc est rattaché au royaume de France. Les états généraux de cette province ont été les premiers à soutenir et aider le dauphin Charles dans les années 1420 dans son combat pour arracher des mains anglaises le trône de son père.

L’opposition entre l’Angleterre et la France n’est pas le seul facteur du développement d’un sentiment national dans les deux royaumes. Pour celui de France, nous pouvons également distinguer l’importance de l’imagerie royale, concernant notamment l’honneur des fleurs de lys[10].

Tout d’abord, l’honneur du royaume de France peut compter sur la mise en avant de la grandeur de sa monarchie. Ainsi au XIVe siècle, Guillebert de Metz explique dans la Description de la ville de Paris que « le roy de France est le plus grant, le plus noble, le plus catholique et le plus puissant des Crestiens »[11]. Cette grandeur s’exprime également par la personnification de la couronne dès le règne de Charles V. Désormais, la couronne n’est pas le simple attribut du roi, elle est également synonyme du royaume de France.

Par exemple, Jean de Montreuil dans son traité A toute la chevalerie fait s’exprimer devant les habitants du royaume la couronne aux fleurs de lys : « mes parens, mes amis, mes vassaulx et subgiéz, vous avez veu […] que je suis et dont je vieng et par quel labeur et magnificance je suis acquise »[12]. Elle poursuit ses lamentations en dénonçant l’usurpation d’Henri VI d’Angleterre.

Cette personnification de la couronne s’accompagne d’une mise en avant de l’honneur de cette dernière. Cette double considération n’est pas sans rappeler l’aspect sacré de la royauté française et le devoir de respecter l’honneur des fleurs de lys, symbole de la pureté mariale et de la pureté du royaume de France très chrétien.

Enfin, cet honneur du roi de France et des lys se retrouve dans une véritable liturgie royale accessible à un large public. Plusieurs événements marquent la royauté, à commencer par le sacre. À partir du XIVe siècle, les entrées solennelles sont de plus en plus importantes dans les villes du royaume. Bernard Guenée et Françoise Lehoux ont démontré dans Les entrées royales françaises de 1328 à 1515[13] l’importance pour le pouvoir monarchique comme pour la population des entrées royales qui étaient codifiées et fastueuses. Ainsi, l’entrée solennelle contribue à la constitution d’une conscience nationale par une démonstration publique du pouvoir royal et de l’honneur des fleurs de lys. Nous pouvons ajouter à cela les différents symboles présents dans le paysage quotidien, comme la monnaie.

De quand pouvons-nous dater une nation ? Cette question anime les débats d’historiens et de politologues depuis des siècles. Tout d’abord, le terme de nation peut prendre plusieurs sens et sa définition demeure complexe. Au XIXe siècle, les historiens, linguistes et géographes de plusieurs pays européens ont cherché l’origine des nations dans l’héritage antique et, notamment, dans les ethnies opposées à Rome.

Ainsi, un roman national français commencerait avec les Gaulois contre Rome depuis Brennus (IVe siècle av. J.-C.) et les Allemands auraient exalté leur nation à partir de la bataille de Teutobourg (9 ap. J.-C.). Cependant, les historiens contemporains ont démontré que le sentiment d’appartenance à une nation n’apparaît que bien plus tard[14]. À ce titre, Colette Beaune avance en 1985 l’idée que le Moyen Âge voit apparaître une protonation française[15].

Nous avons pu observer que le sentiment national français apparaît factuellement pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453). Nous avons alors dissocié deux facteurs expliquant le développement d’un sentiment d’appartenance à un même corps : la haine des Anglais et le développement de la symbolique royale. Le principe d’honneur du royaume de France vient cimenter ces deux théories, permettant de trouver les premières traces du sentiment national français (une forme de protonation) dans des textes, des événements militaires ou encore des symboles.

À ce titre, Jeanne d’Arc répondait lors de son procès à la question « Dieu hait-il les Anglais » que « De tout l’amour de la haine que Dieu a pour les Anglais, je n’en sais rien ; mais je sais bien qu’ils seront tous boutés hors de France, excepté ceux qui y périront. »[16] Sans répondre directement à la question sur la haine, la chef de guerre de Charles VII témoigne d’un sentiment protopatriotique vis-à-vis des Anglais, partagé par les soldats qui ont lutté avec elle sous les murailles d’Orléans deux années auparavant par exemple.

L’opposition à une nation étrangère a souvent été facteur de développement d’un sentiment national et de l’exaltation du patriotisme. Les guerres napoléoniennes et les guerres mondiales ont permis par exemple de développer de nouvelles consciences nationales. Encore aujourd’hui, la guerre entre l’Ukraine et la Russie permet, en outre, de cimenter une cohésion au sein d’une société ukrainienne qui était profondément divisée. L’attaque russe a uni autour d’un même principe la nation ukrainienne.

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Bibliographie indicative

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[1] BEAUNE Colette, « La notion de nation en France au Moyen Age », dans Communications, n°45, Paris, Le Seuil, 1987, 254 p., pp. 101-116, p. 102, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1987_num_45_1_1670 (dernière consultation le 11/04/2022)

[2] BOVE Boris, Le temps de la guerre de Cent ans, Paris, Belin, 2014 (1re éd. 2009), 669 p., p. 260

[3] COCHON Pierre, Chronique normande de Pierre Cochon, notaire apostolique à Rouen, Rouen, A. Le Brument, 1870, 372 p., pp. 259-269

[4] Cité dans LEWIS Peter S., La France à la fin du Moyen Âge : la société politique, Paris, Hachette, 1977, 575 p., pp. 88-113, p. 91

[5] Ibid., p. 92

[6] BEAUNE Colette, « La notion de nation en France au Moyen Age », op. cit., pp. 103-104

[7] LEWIS Peter S., La France à la fin du Moyen Âge : la société politique, op. cit., p. 89

[8] Voir Boris Bove, Le Temps de la guerre de Cent Ans, op. cit., pp. 235-275. Cette guerre civile est surtout alimentée par l’opposition entre le clan des Armagnacs, fidèle au roi de France, et celui des Bourguignons, allié du roi d’Angleterre. À cette guerre civile s’ajoute une résistance face aux Anglais, surtout en Normandie et dans les Pays de la Loire.

[9] Voir à ce titre ALLMAND Christopher T., Lancastrian Normandy, 1415-1450 : The History of a Medieval Occupation, Oxford, Clarendon Press, 1983, 349 p. Également, BAUME Andrew J.L., « Soldats et paysans en Normandie : 1419-1449 », dans MANNEVILLE Philippe (dir.), Le monde rural en Normandie : ceux de la plaine et du bocage : actes du XXXIIe congrès tenu à Gisors du 2 au 5 octobre 1997, vol 3, Caen, Musée de Normandie, 1998, 439 p., pp. 275-282.

[10] L’honneur des fleurs de lys doit être compris comme la dignité, la grandeur et de respect qui proviennent des armoiries capétiennes devenues les armoiries du royaume de France. Les lys ont une signification de pureté et par extension, ces fleurs représentent la Vierge Marie, protectrice du royaume de France.

[11] Éd. par Le Roux de Lincy et Tisserand dans Paris et ses historiens aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1867, pp. 117-241, p. 147

[12] DE MONTREUIL Jean, Opera, t. 2, Torino, G. Giappichelli, 1975, 351 p., pp. 105-106

[13] GUENÉE Bernard et LEHOUX Françoise, Les entrées royales françaises : de 1328 à 1515, Paris, Centre National de Recherche Scientifique, 1968, 366 p.

[14] Cette question est centrale au cours du XIXe siècle. Le Printemps des Peuples de 1848 et l’essor des nationalités expliquent ces questionnements. À ce titre, Ernest Renan tient en 1887 une conférence devenue célèbre en se demandant « Qu’est-ce qu’une nation ? ».

[15] Cet aspect est la thèse défendue dans Naissance de la nation française, op. cit.

[16] Extrait de la séance du 17 mars 1431 du procès de Jeanne d’Arc à Rouen. Voir pour le texte intégral dans « Procès de condamnation – procès d’office », SteJeannedArc.net, [en ligne] http://www.stejeannedarc.net/condamnation/interro_prive6.php (dernière consultation le 13/04/2021).

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