Cet article est une transcription corrigée d’une conférence tenue par l’auteure le 25 septembre 2021 à l’occasion des Samedis de l’Histoire Militaire, organisés par La Revue d’Histoire Militaire (LRHM) en partenariat avec la Commission française d’histoire militaire (CFHM).
Lorsque nous nous intéressons à la Seconde Guerre mondiale du point de vue japonais, nous pouvons observer que la guerre russo-japonaise de 1945 est pratiquement ignorée par les historiens militaires occidentaux. Cela est dû, d’une part, à la brièveté de l’affaire[1] et, d’autre part, au fait que la machine de guerre japonaise avait été depuis bien longtemps démontée par les efforts combinés américains sur la terre, sur la mer et dans l’air durant les années précédentes. De plus, la déclaration de guerre soviétique contre le Japon le 8 août 1945 a été minimisée par l’annonce du largage d’une première bombe atomique sur Hiroshima deux jours plus tôt et de celle de Nagasaki le lendemain.
Il n’est donc pas bien surprenant que cette campagne soviétique ait été vue comme une opération de nettoyage contre un ennemi déjà battu et donc peu digne d’attention. Néanmoins, du fait de son rôle stratégique majeur dans le processus de capitulation japonais, mais également du fait des conséquences géopolitiques qu’eut cette campagne pour la situation asiatique durant les décennies suivantes, il nous semble nécessaire de mettre en avant cette offensive.
En effet, comme nous avions pu le voir dans un précédent article[2], si nous devions pointer du doigt un seul et unique élément qui aurait poussé le Japon à prendre sa décision de capitulation le 9 août 1945, cela ne serait ni les bombardements atomiques, ni le processus américain de blocus naval qui fut tactiquement si dévastateur, mais bel et bien les opérations militaires soviétiques qui eurent lieu en Extrême-Orient en août et septembre 1945.
En 1945, le Japon savait qu’il allait perdre la guerre. Il tentait simplement d’obtenir de meilleurs termes que la capitulation sans conditions qu’exigeaient les États-Unis. Le gouvernement japonais, alors séparé en deux « camps » – le parti de la paix et celui de la guerre – fomenta deux stratégies différentes afin de pousser les Américains à négocier.
La première était le ketsugō 決号. Celui-ci consistait à préparer une « bataille finale » contre une extrêmement probable invasion américaine de l’île de Kyūshū (opération Olympic). Dans ce but, de nombreuses forces furent rappelées de Mandchourie afin de stationner sur cette île. Des unités kamikaze 神風 furent préparées, des forces de guérilla ou des milices civiles implantées, les plages fortifiées de mines, d’obstacles, de tranchées remplies de soldats et d’artillerie… Le ketsugō avait pour objectif, non pas de gagner, mais d’infliger le plus de pertes possibles aux Américains afin de les pousser à négocier la fin de la guerre, qui ne serait ainsi pas une capitulation, encore moins inconditionnelle.
En parallèle de cette stratégie militaire, plusieurs personnes, notamment le ministre des Affaires étrangères, Tōgō Shigenori 東郷茂徳, cherchaient de manière plus ou moins officielle des intermédiaires neutres afin qu’ils négocient avec les Alliés au nom du Japon une capitulation avec conditions avant cette bataille finale. L’intermédiaire privilégié était l’URSS, à qui l’archipel hésitait entre demander de l’aide militaire et négocier en son nom auprès des États-Unis.

Sous les ordres de Tōgō, Satō Naotake 佐藤尚武, l’ambassadeur du Japon en URSS, œuvra considérablement à cet effet. Néanmoins, grâce à leur programme d’écoute et de décryptage MAGIC, les États-Unis interceptèrent leurs échanges par messages chiffrés grâce au code PURPLE (aussi appelé « code 97 »). Une fois traduits, leur correspondance furent transcrite dans ce qui fut nommé les « MAGIC Diplomacy Summary » (« résumés diplomatiques MAGIC »).


À l’été 1945, le Japon avait donc deux stratégies afin de mettre fin à la guerre : la médiation de l’URSS et le ketsugō. Ces deux plans étaient, dès leurs conceptions, relativement incertains, mais toujours réalisables après le bombardement atomique de Hiroshima[3]. Ils devinrent cependant impossibles après la déclaration de guerre de l’URSS. La neutralité soviétique était décisive pour leur accomplissement. La vulnérabilité militaire, provoquée notamment par le blocus naval américain, rendit l’invasion des îles principales inévitables : au sud par les Américains après la perte d’Okinawa et/ou au nord après l’assaut soviétique. La capitulation était devenue la seule issue.

De fait, cette déclaration de guerre du 8 août 1945 et les opérations militaires soviétiques qui suivirent furent décisives quant à la conclusion du gouvernement japonais d’accepter une reddition sans condition.
En outre, à la fin de la guerre, l’Union soviétique reçut des concessions territoriales particulièrement conséquentes, parmi lesquelles des positions extrêmement stratégiques sur la péninsule coréenne, en Mandchourie, et sur l’archipel japonais. En effet, l’URSS réussit à obtenir la partie sud de l’île de Sakhaline, appelée Karafuto à l’époque, ainsi que l’entièreté de l’archipel des Kouriles[4].
Bien que petites, ces îles sont d’une importance de taille sur le plan de la stratégie navale : elles donnent un accès à l’océan Pacifique. Lorsqu’elles étaient sous juridiction japonaise, les troupes navales russes devaient rester à Vladivostok, soit dans une véritable cage, notamment à cause des conditions météorologiques, afin de pouvoir faire face à une éventuelle menace venant de l’archipel ou d’ailleurs. Ces îles coupaient la ligne costale soviétique en trois, la rendant impossible à utiliser. De plus, Karafuto avait une certaine valeur industrielle. Elle était l’une des rares zones industrielles japonaises (ou même civiles) à ne pas avoir été complètement rasées par les bombardements aériens américains de 1945.

Ainsi, d’une position de relative faiblesse en 1940, l’URSS a émergé en 1945 en tant que plus grande puissance d’Asie, capable, qui plus est, d’expansion encore plus poussée à la moindre complaisance ou indécision américaine. De cette participation soviétique, extrêmement courte, à la guerre du Pacifique, nous pouvons retrouver l’émergence de la guerre froide, une facilitation de la saisie de la Chine par son parti communiste (1949), ou encore les origines de la guerre de Corée (1950-1953).
Notre intention ici est donc de mettre en avant cette opération qui fut si significative pour la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont les circonstances géopolitiques et diplomatiques sont encore d’actualité. Nous nous intéresserons aux origines de cette seconde guerre russo-japonaise[5] à travers un résumé bref de l’historique des relations entre ces deux nations avant 1945, puis nous aborderons leurs situations militaires en Extrême-Orient et nous détaillerons les différentes opérations militaires en Mandchourie, sur la partie sud de l’île de Sakhaline et dans l’archipel des Kouriles.
Les relations russo-japonaises avant 1945
Pour comprendre la situation au moment de l’opération militaire soviétique contre le Japon en 1945, il nous semble important de revenir brièvement sur l’histoire récente de cette aire géographique.
Durant la première moitié du XIXe siècle, l’océan Pacifique Nord pouvait être relativement raisonnablement considéré comme un lac russe. Des officiers du Tsar occupaient l’Alaska et des postes russes étaient établis jusqu’aux environs de San Francisco. L’Alaska fut ensuite vendue aux États-Unis en 1867 et le contrôle russe fut limité aux côtes est du Pacifique, mais la Russie restait le pouvoir le plus fort en Asie.

Le Japon, quant à lui, était encore relativement refermé sur lui-même. Le shôgunat Tokugawa 徳川幕府[6] ayant imposé le sakoku 鎖国, une politique isolationniste interdisant, entre autres, une grande majorité des entrées étrangères sur son territoire, ainsi que les sorties sans autorisation de ses habitants.
En 1905, la balance du pouvoir entre nos deux nations fut radicalement changée. En résultat de sa défaite durant la première guerre russo-japonaise (1904-1905)[7], la Russie fut forcée de renoncer au profit du Japon à la partie sud de Sakhaline, nommée Karafuto, et à la base navale extrêmement importante de Port Arthur. La péninsule coréenne et le sud de la Mandchourie tombèrent également sous la sphère d’influence japonaise. Mais 1905 ne marqua que le début de ce déclin de la puissance russe en Asie.

Le Japon annexa officiellement la Corée en 1910, et, profitant des préoccupations russes de la Première Guerre mondiale, obtint davantage de concessions en Mandchourie. Par suite des Révolutions russes de 1917, le Japon occupa la moitié nord de Sakhaline. Les troupes japonaises étaient largement majoritaires parmi les forces armées alliées[8] débarquant à Vladivostok en 1918 pour y protéger des munitions, à la demande du président américain, Thomas Woodrow Wilson.

Par ailleurs, les troupes japonaises se joignirent à la guerre antibolchévique et se battirent en Sibérie de 1918 à 1920. Et, même si les autres nations retirèrent leurs forces deux ans plus tard, les Japonais restèrent jusqu’en 1922. La moitié nord de Sakhaline ne fut rendue qu’en 1925.
Les trois années d’occupation de Vladivostok furent un facteur déterminant pour l’avenir des relations diplomatiques russo-japonaises. Les leaders de l’Union soviétique devinrent convaincus que le Japon était une menace militaire sérieuse, attendant un moment de faiblesse soviétique pour prendre Vladivostok et potentiellement l’entièreté de la Sibérie orientale.
Les meilleures divisions soviétiques furent donc envoyées en Extrême-Orient et la première armée soviétique, renommée « Première armée combinée indépendante » en 1940, devint autonome. Des usines de munitions et autres industries lourdes furent construites dans l’Extrême-Orient russe afin que le système ferroviaire du transsibérien ne soit plus le seul moyen de ravitaillement des troupes en cas de guerre russo-japonaise.
Du fait de cette méfiance envers le Japon, l’URSS essaya également de modifier la balance du pouvoir en Asie en renforçant la Chine en tant que potentiel allié. Sun Yat-Sen 孫逸仙 et son Kuomintang 中國國民黨 (« Parti nationaliste chinois ») furent décrits comme une force révolutionnaire par la propagande soviétique. En outre, le futur commandant de la première armée soviétique fut envoyé avec une large quantité d’experts pour assister la modernisation de l’armée chinoise et renforcer son pouvoir militaire.


Néanmoins, après la mort de Sun en 1925, l’orientation prosoviétique de la Chine évolua. Le successeur de Sun, Tchang Kaï-Chek 蔣介石, inquiet de la force des communistes chinois, coupa avec l’URSS en 1927 et expulsa les conseillers militaires soviétiques. La Chine n’étant plus un voisin amical, l’Union se trouva isolée de tout support. La seule nation sur laquelle elle pouvait compter était l’État satellite de la République populaire mongole, dépendant nominalement de la Chine, mais conquis par l’URSS en 1921.
À cause de sa faiblesse relative, l’URSS se concentra sur l’augmentation de sa production industrielle, satisfaite de reporter une future campagne d’expansion en Asie à un temps plus propice. Ainsi, même si l’armée mongole était organisée selon le pattern soviétique et pouvait la soutenir, l’URSS se sentait trop faible pour résister lorsque les Japonais entamèrent une occupation de la Mandchourie en 1931[9]. Le système de chemin de fer de l’Est chinois fut alors vendu sous pression à l’archipel en 1935. Avec cette occupation, une frontière continentale directe entre l’URSS et le Japon se créa.

En 1938 toutefois, la supériorité des Japonais en Asie n’était plus aussi prononcée. Le Japon avait entamé une guerre non déclarée avec la Chine au cours de l’année précédente et environ deux millions de soldats étaient dévoués à ce conflit. Durant la série de heurts à la frontière entre l’URSS et le Japon qui eut lieu en 1938 et 1939[10], il s’est révélé que les forces militaires immédiatement disponibles pour les deux puissances en Extrême-Orient étaient égales en force et en habileté. En attendant que la lutte japonaise avec la Chine se termine, ou que la première armée soviétique se renforce de manière conséquente, aucune des deux nations ne pouvait logiquement lancer une attaque contre l’autre.
Cela était accepté par les deux gouvernements qui décidèrent alors, faisant preuve d’un pragmatisme mutuel, de se tolérer. Pendant un certain temps, le Japon et l’URSS se joignirent à Adolf Hitler et au Troisième Reich en termes de plans pour diviser le monde entre des sphères d’influence respectives[11], mais la rapacité des trois empêcha un véritable accord. Alors que le gouffre entre l’URSS et l’Allemagne s’agrandissait, il devint vital pour les Soviétiques d’éviter une guerre sur deux fronts et donc d’arriver à une entente avec le Japon. Et les Japonais eux aussi souhaitaient cet accord : ils préparaient leur attaque contre les États-Unis.


Ainsi, le 13 avril 1941, l’URSS et le Japon conclurent un pacte de non-agression de cinq ans, les deux signataires se mettant d’accord sur le fait qu’ils resteraient neutres si l’un des deux était inclus dans des hostilités avec une troisième puissance. En résultat de ce pacte, le statu quo fut maintenu sur le continent asiatique entre 1941 et 1945. Alors que les États-Unis dépêchaient de l’équipement militaire pour assister les Russes dans leur résistance à l’invasion allemande, l’URSS ne s’engageait pas dans son conflit avec le Japon.

La situation en 1945
Et pourtant, malgré cette non-participation soviétique, au début de l’année 1945, le Japon était déjà au bord de la défaite. Des centaines de milliers de soldats japonais étaient isolés sur des îles coupées de l’archipel principal par les Américains, la majorité de la flotte avait coulé, les îles principales étaient sans cesse les cibles de bombardements… Le gouvernement japonais était si conscient de l’imminence de cette défaite que, comme nous l’avons signalé dans notre introduction, l’URSS fut la cible de demandes pour agir en tant que médiateur entre les États-Unis et le Japon.

Néanmoins, en dépit des signes évidents de la défaite japonaise, la politique américaine officielle était dirigée vers l’obtention d’une participation soviétique à la guerre du Pacifique afin d’éviter des pertes américaines et d’occuper les troupes de l’armée du Kwantung[12].
En 1945, le Japon tenait toujours la péninsule coréenne et une partie importante de la Chine : la Mandchourie. Cette dernière, prise de la Chine en 1931, avait une population de 43 millions d’habitants, du charbon et du fer qui donnaient des matières premières pour une industrie sidérurgique large et moderne. Des plans d’avions mandchous, des usines à caoutchouc synthétique et des arsenaux pouvaient être utilisés par les forces japonaises avec des armes de guerre produites localement. Même la nourriture ne faisait pas défaut : blé, maïs et soja étaient cultivés sur le sol fertile de la Mandchourie centrale.
Le facteur le plus important dans l’évaluation des forces japonaises était donc cette garnison en Mandchourie. Avant 1941, l’armée japonaise en Mandchourie, l’armée du Kwantung, consistait en plus d’un million de soldats sélectionnés avec en moyenne un entraînement supérieur et un meilleur équipement que le soldat moyen japonais. Des planificateurs américains croyaient que cette force avait été gardée intacte au cours de la guerre et qu’elle pourrait donc défendre la Mandchourie de manière indépendante bien après une capitulation des îles principales. Mais cela était loin d’être le cas.
À la fin de la guerre, l’armée du Kwantung avait été retirée de la Mandchourie pour la défense des îles principales japonaises – notamment Kyūshū pour le ketsugō – et des Philippines. Elle avait été remplacée par des troupes de second ordre. De cette manière, même si le nom de l’armée restait le même, les troupes japonaises défendant la Mandchourie en 1945 étaient de bien moindre qualité que celles de 1941.
Ainsi, lorsque durant la conférence de Yalta en février 1945, les États-Unis du président Franklin D. Roosevelt abordent le sujet de la guerre du Pacifique, Joseph Staline y vit l’occasion tant attendue d’avancer sur l’échiquier géopolitique asiatique. Afin d’éviter un massacre des troupes américaines lors de l’opération d’invasion de l’archipel japonais (Olympic), Roosevelt obtint un accord secret de Staline : l’entrée en guerre de l’URSS environ trois mois après la future capitulation allemande.

Contre cette participation, il promit à l’URSS des gains territoriaux majeurs : la partie sud de Sakhaline, les îles Kouriles, des baux pour les ports de Dairen et de Port Arthur, et une exploitation conjointe avec la Chine des chemins de fer de l’Est de la Chine et de la Mandchourie du sud.


L’URSS entrerait donc en guerre contre le Japon et recevrait en échange les terres demandées. De ce fait, elle se vit dans l’obligation d’attaquer si elle souhaitait les obtenir. À travers des notes interposées et rencontres entre Roosevelt et Staline lors de la conférence de Yalta en février 1945, les deux hommes abordèrent les conditions soviétiques, et le président américain les accepta rapidement malgré les tensions naissantes causées par l’administration « communiste »[13] de la Pologne agencée par Staline. Roosevelt imposa simplement à Staline d’obtenir l’accord du chef du gouvernement chinois, Tchang Kaï-chek, les demandes de l’URSS empiétant sur sa souveraineté.
Si l’URSS avait obtenu ne serait-ce que ces concessions promises, elle aurait rétabli la balance du pouvoir en Asie telle qu’elle était en 1904, avant la première guerre russo-japonaise, et la Russie aurait été dominante en Extrême-Orient. Les termes établis par les accords de Yalta toutefois, ne représentaient que le minimum des objectifs soviétiques.
En effet, la participation à la guerre pouvait permettre à l’URSS de revendiquer une partie de l’occupation alliée du Japon et donc d’amener une opportunité de subversion au « communisme ». L’influence soviétique sur l’archipel pouvait prévenir la montée d’un fort gouvernement démocratique japonais, saboter les activités des autorités d’occupation alliées et donc préparer la voie pour une potentielle prise de pouvoir « communiste ».
Sur le continent asiatique, une avancée soviétique en Mandchourie pouvait détruire les organes gouvernementaux locaux et créer une situation chaotique, conditions favorables, dans l’idéologie marxiste, à l’établissement du communisme. Les troupes soviétiques en Mandchourie pouvaient empêcher le gouvernement nationaliste de reprendre le contrôle sur la province et être ainsi en mesure de supporter les communistes chinois. De la sorte, une voie serait ouverte pour la continuation de la guerre civile chinoise entre nationalistes et communistes, ce qui permettrait une capture ultime de la Chine par ces derniers, ce qui finit par advenir.
Mais le but ici n’était, en soi, pas de développer une prétendue idéologie « communiste ». Staline souhaitait étendre son influence et prendre la main sur ces nouveaux gouvernements. Ses objectifs étaient avant tout géopolitiques.
La planification
Ainsi, au début de l’année 1945, le Japon était à deux doigts de capituler. Avec la fin des hostilités, cette gigantesque opportunité géopolitique disparaîtrait pour l’URSS. Les préparatifs militaires furent alors lancés et les troupes du front européen progressivement déplacées à la frontière avec la Mandchourie. Staline entama les négociations avec le gouvernement chinois. Sachant l’archipel au bord de la défaite, l’URSS commença également à mettre en œuvre une stratégie dilatoire[14], donnant l’impression au Japon que leurs relations étaient toujours amicales tout en lui faisant perdre du temps afin de préparer l’attaque.
De fait, lorsque, le 5 avril 1945, l’URSS informa le Japon que le traité de neutralité ne serait pas renouvelé, il fut promis à l’ambassadeur japonais Satō par Viatcheslav Molotov, ministre des Affaires étrangères soviétique, que ce traité serait respecté jusqu’au bout – soit en avril 1946. Toutefois, les préparatifs de l’attaque étaient déjà en cours.

Nous tenons, par ailleurs, à préciser que l’URSS notifia le Japon de sa volonté de ne pas renouveler le pacte de neutralité car, si cela n’était pas fait au moins un an avant sa fin, le traité serait renouvelé automatiquement. De plus, cela indiquait aux États-Unis que, comme promis à Yalta, l’URSS comptait bel et bien entrer en guerre.
Les préparatifs militaires se déroulèrent alors en trois étapes. Tout d’abord, l’État-Major général commença par définir un plan opérationnel qui nécessitait de nombreux calculs assez complexes. En effet, les opérations devaient se dérouler sur trois fronts, soit une zone d’environ 1,5 million de km² ! Trois fois la taille de la France. L’URSS créa donc un Commandement principal des forces soviétiques, dirigé par le maréchal Alexandre Vassilievski. La deuxième étape était d’effectuer le transport des troupes du front européen à l’Extrême-Orient, et la troisième de réaliser l’opération selon le plan.

En mars, le plan soviétique était prêt. Le transfert du matériel militaire débuta dès avril, mais ce ne fut qu’à la suite de la reddition allemande que la masse de troupes soviétiques fut déplacée par le réseau ferroviaire transsibérien jusqu’en Extrême-Orient. Le choix de quelle unité serait envoyée dans quel front[15] fut très réfléchi. Par exemple, les 39e et 5e armées, qui avaient combattu dans la zone très fortifiée de Königsberg, furent réaffectées dans une région fortifiée de la Mandchourie Orientale. De même, la 53e armée et la 6e armée de blindés de la Garde, qui avaient combattu dans les Carpathes, furent envoyées attaquer la chaîne montagneuse du Grand Khingan en Mandchourie.
Durant la guerre en Europe, l’URSS avait maintenu une large force à sa frontière orientale pour prévenir une attaque surprise japonaise. Et, pendant trois mois, un flux constant d’unités expérimentées fut envoyé pour renforcer cette déjà puissante armée en Extrême-Orient, jusqu’à atteindre approximativement 1,5 million d’hommes organisés en environ 80 divisions. Leur équipement, soviétique mais aussi américain, était des plus modernes, et ils disposaient du soutien de tanks et d’artillerie lourde. De nouveaux terrains d’atterrissage furent préparés pour recevoir des avions venus depuis le théâtre des opérations européen, et la flotte soviétique de l’Extrême-Orient fut préparée à Vladivostok.

En l’espace de quatre mois, environ un million d’hommes, des unités de combat, du génie, des chars, de l’artillerie, etc., furent transportés sur 9 à 12 000 km. Ce fut un exploit extraordinaire, d’autant plus que ce transfert fut réalisé sur une seule ligne de chemin de fer, et principalement avec du mouvement de nuit afin de tromper au maximum les Japonais. L’URSS utilisa environ 136 000 wagons durant la période de pointe que furent les mois de juin et de juillet, soit 20 à 30 trains par jour sur le transsibérien. Bien plus que ce qu’estimèrent les services de renseignement japonais. Les Soviétiques ont plus ou moins doublé leurs forces en Extrême-Orient, passant de 40 à un peu plus de 80 divisions. Au début du mois d’août, il y avait environ 1,5 million d’hommes, 5500 tanks et 3900 avions de combat à la frontière avec la Mandchourie.
Au même moment, les troupes japonaises dans le nord-est de la Chine, la Mongolie intérieure et la Corée comptaient plus d’un million de personnes, 1215 chars, 6640 canons et mortiers, 1907 avions de combat et 25 navires de guerre des classes principales. Le groupe le plus puissant, l’armée de Kwantung, était situé en Mandchourie et dans le nord de la Corée. Il réunissait entre 30 et 40 divisions organisées en sept groupes : les 1re, 3e et 17e armées régionales, la 4e armée indépendante, les 2e et 5e armées aériennes et la flottille fluviale Sungaria.

Concernant les troupes terrestres :
- La 1re armée régionale était stationnée au nord-est de la Mandchourie, près du centre ferroviaire de Harbin, et aussi sur le long de la frontière faisant face aux provinces maritimes soviétiques ;
- La 3e armée régionale était en Mandchourie centrale dans les environs de Mukden et Changchun (ville abritant le Quartier général de l’armée du Kwantung) ;
- La 17e armée régionale était à une certaine distance de la scène des opérations, dans le nord de la péninsule coréenne ;
- La 4e armée indépendante était stationnée dans le nord-ouest de la Mandchourie.
Sur le territoire de la Mandchourie et de la Mongolie intérieure, dix-sept régions fortifiées furent érigées à proximité des frontières avec l’Union soviétique et la République populaire de Mongolie. Le nombre total de structures permanentes y a atteint plus de 4500. En somme, environ un tiers des troupes japonaises était disposée dans des fortifications près de la frontière soviétique, alors que le reste était à l’intérieur de la Mandchourie et sur la péninsule coréenne.
En cas d’attaque, l’intention était de repousser les coups des troupes soviétiques et d’empêcher leur percée dans les régions centrales de la Mandchourie et de la Corée lors de la conduite de la défense dans les zones frontalières fortifiées et sur les lignes naturelles avantageuses. Si les événements tournaient de manière désavantageuse, il était envisagé de se replier sur la ligne Changchun, Mukden, Jinzhou, et s’il était impossible d’y prendre pied, sur la Corée.
Selon les calculs de l’État-Major japonais, il faudrait environ six mois à l’Armée rouge pour s’emparer de la Mandchourie et de la Mongolie intérieure. Après cela, les forces armées japonaises, ayant effectué les regroupements nécessaires, devaient lancer une contre-offensive, contre-attaquer sur le territoire de l’URSS et obtenir des conditions de paix honorables.
Nous notons également que l’armée du Kwantung était, en outre, handicapée par un manque d’équipement moderne, ses tanks étaient obsolètes, son artillerie de petit calibre… Et elle devait s’opposer à l’armée soviétique et ses divisions blindées ! De plus, l’armée soviétique avait une supériorité aérienne absolue, les Japonais disposant de moins de deux milliers d’avions assez vieillis et éparpillés sur l’ensemble de la Mandchourie et de la péninsule coréenne. Enfin, seize divisions avaient récemment été transférées depuis la Mandchourie vers les îles principales en prévision du ketsugō et de l’invasion américaine…
Les forces soviétiques, quant à elles, étaient également organisées en trois groupes (fronts) sous le commandement suprême d’Alexandre Vassilevski. L’effort principal était confié au front transbaïkal, commandé par le maréchal Rodion Malinovsky. Cette force, qui comprenait de nombreuses divisions de blindés lourds, devait avancer depuis des bases en Mongolie en suivant les rails du système ferroviaire de l’est de la Chine jusqu’à Harbin. Dans cette région, le terrain n’était pas vraiment favorable : les Soviétiques devaient traverser des zones désertiques, notamment vers la frontière mongole. Ce front transbaïkal devait être renforcé par l’armée mongole sous le maréchal Horloogiyn Choybalsan. Leur objectif principal était de prendre les communications à Mukden, Changchun et Port Arthur.

Le deuxième bras de l’assaut soviétique était le 2d front d’Extrême-Orient, avec Maxim Purkaev à sa tête. Les unités de ce front devaient avancer vers le sud-ouest jusqu’à Harbin. Dans cette région, le terrain marécageux entravait l’avancée de ces troupes, limitant l’utilisation des tanks et de l’artillerie lourde. Elles devaient assister la destruction de l’armée du Kwantung en imposant à ses éléments au nord d’y rester, alors que les deux autres fronts devaient l’entourer depuis l’est et l’ouest.
Enfin, le 1er front d’Extrême-Orient du maréchal Kirill Meretskov, qui devait se déplacer au sud-ouest suivant la côte depuis des positions dans les alentours de Vladivostok. Une partie de cette force devait continuer au sud et occuper la péninsule coréenne, alors que le reste allait tourner au nord-ouest pour aller vers Harbin. Sur le flanc, des unités de la flotte soviétique du Pacifique apportaient un support de feu lourd. Le terrain dans cette région était potentiellement le plus difficile : des forêts basses et épaisses, mais surtout de petites collines couvertes de fortifications japonaises bien construites.
De manière générale, les plans pour cette campagne d’Extrême-Orient suivirent une doctrine militaire soviétique relativement classique : le front transbaïkal et le 1er front d’Extrême-Orient devaient attaquer vers le sud-est et le sud-ouest respectivement et s’unir à Harbin, coupant l’armée du Kwantung dans un « double enveloppement », une prise en tenaille. Le rôle assigné à la flotte de protection du flanc de l’armée était en accord avec la position subalterne usuellement donnée à la marine de l’URSS.
Les Soviétiques devaient faire mouvement en trois directions : l’armée transbaïkale viendrait de l’ouest, la 1re d’Extrême-Orient de l’est et la 2e ferait pression à partir du nord. Les trois en direction de la région de Changchun et Mukden. Le but était ainsi de diviser l’armée du Kwantung, l’isoler au centre-sud et de la détruire petit à petit. Ils estimaient avoir besoin de six à huit semaines pour la renverser et occuper la Mandchourie et la Corée. Bien moins que ne l’estimaient les Japonais.
Lorsque, de nos jours, nous nous intéressons au mois de juillet 1945, il peut nous sembler évident que l’URSS préparait une attaque contre le Japon. En plus de ce déplacement gargantuesque de troupes, au sein de la Russie, les « agitateurs communistes » travaillaient pour mobiliser l’opinion publique en faveur de la guerre imminente, préparant des manifestations contre les Japonais. Les manifestations publiques non-organisées n’étaient pas autorisées en URSS, les rassemblements publics peuvent donc être interprétés comme des signes que le gouvernement était prêt à s’embarquer dans une politique nouvelle et potentiellement impopulaire, ici : l’invasion de la Mandchourie.
Nous remarquons alors que le Japon prit connaissance dès la fin du mois d’avril 1945 de l’envoi de troupes soviétiques vers l’est. Néanmoins, l’État-Major général était divisé à propos des intentions de l’URSS : la 5e division (spécialiste du renseignement sur l’Armée rouge) estimait que la Russie déclarerait la guerre tôt ou tard, mais la 12e division (en charge de la planification des opérations) excluait totalement cette possibilité.
Choisissant d’ignorer ces manœuvres militaires, le Japon offrit à l’URSS de renouveler le pacte de neutralité en contrepartie de gains. Toutefois, ces derniers étaient bien inférieurs aux promesses américaines et l’URSS avait déjà bien avancé dans ses préparatifs de guerre. Les négociations furent un échec, mais les Soviétiques, et plus particulièrement Molotov, purent continuer de faire perdre encore plus de temps aux Japonais, leur faisant croire qu’il existait une possibilité qu’ils acceptent, avant de refuser.
De fait, comme nous l’avons signalé plus tôt, l’URSS entretenait une stratégie dilatoire, tentant de retarder la capitulation du Japon afin de disposer de suffisamment de temps pour entrer en guerre vers la mi-août. Il est intéressant également de noter que les États-Unis perpétuaient eux aussi en juillet 1945 un même type de stratégie dans le but de pouvoir utiliser leur nouvelle bombe sur l’archipel. Nous pouvons notamment l’observer dans la déclaration de Potsdam, publiée le 26 juillet au soir, exigeant de nouveau une capitulation inconditionnelle au Japon.

En effet, les États-Unis, et en particulier leur président Harry S. Truman, savaient pertinemment à l’époque que la simple mention du fait que l’archipel pourrait garder son système impérial suffirait à les faire capituler, mais ils gardèrent l’ambiguïté sur ce point jusqu’à la toute fin de la guerre. Ils allèrent même jusqu’à justifier leur usage de la bombe atomique par ce qu’ils considéraient être un refus de la déclaration par le Premier ministre japonais[16], alors que l’ordre de larguer la bombe fut donné avant même la publication du texte[17].
Ainsi, l’attaque soviétique était initialement prévue pour la mi-août. Néanmoins, Staline apprit à Potsdam que les Américains avaient une nouvelle bombe. Il tenta alors d’accélérer son planning : il était persuadé que la bombe ferait capituler le Japon. Cependant, le 6 août, tout changea pour lui.
Le chamboulement de la bombe déclencheur de l’attaque soviétique
Comme nous l’avons indiqué dans un précédent article[18], Staline fut averti du bombardement atomique de Hiroshima peu après les faits, soit, avec le décalage horaire, dans la nuit du 5 au 6 août. Le 6, il ne vit personne, probablement défait de cette victoire américaine dans la course à la capitulation japonaise. Le lendemain (le 7), Molotov était persuadé que le Japon allait capituler. Mais non. L’annonce de la reddition ne vint pas et, au contraire, l’ambassadeur Satō lui demanda un entretien dans l’espoir d’aborder le sujet de la médiation de l’URSS. Le Japon n’envisageait pas de capituler dans l’immédiat et comptait toujours sur l’aide soviétique. À cette nouvelle, Staline réagit immédiatement : à 16 h 30 heure de Moscou, il ordonna l’invasion de la Mandchourie à minuit heure transbaïkale (soit 22 h 30 heure de Moscou) dans la nuit du 8 au 9 août.

Néanmoins, un obstacle s’élevait toujours devant Staline : il devait obtenir l’accord de la Chine comme cela avait été décidé à Yalta. Il essaya de conclure en urgence un accord avec la délégation chinoise le 7 au soir, mais n’y parvint pas. Tant pis. L’attaque serait tout de même lancée, rien ne se dresserait entre l’URSS et son dû.
Le 8 août, à 17 h, Molotov reçut donc Satō. Ce dernier s’attendait à pouvoir aborder le sujet des négociations mais, à peine était-il entré que Molotov lui lisait une déclaration de guerre. Dans celle-ci, l’URSS annonçait que la guerre commencerait le 9 août à minuit. Toutefois, il n’y avait pas de précision de fuseau horaire, ce qui laissa croire à Satō qu’il disposait de plusieurs heures pour tenter, en vain, de contacter son gouvernement. Alors qu’en réalité, les troupes soviétiques lançaient l’assaut à peine une heure plus tard.
De plus, afin de légitimer cette déclaration, l’URSS précisa : « Ayant pris en considération le refus du gouvernement japonais d’accepter cet ultimatum, les Alliés ont adressé au gouvernement soviétique la proposition de participer à la guerre contre le Japon »[19]. Comme nous l’avons remarqué, il n’y avait pourtant pas eu de refus officiel de la déclaration de Potsdam[20]. En outre, le président américain Truman avait complètement écarté Staline de la déclaration. D’un point de vue légal, la justification de l’entrée en guerre ne tenait pas.
Après l’annonce de Truman à la presse américaine que l’URSS avait déclaré la guerre au Japon durant une conférence de presse particulièrement courte, le secrétaire d’État, James F. Byrnes, fit une déclaration quelque peu plus longue dans laquelle il rectifia les propos soviétiques, justifiant leur entrée en guerre via la charte des Nations unies, qui avait alors bien moins de valeur qu’une demande officielle des Alliés. L’engagement de l’URSS dans le conflit contre le Japon violait leur pacte de neutralité et pouvait être considérée de la même manière que le fut l’opération Barbarossa d’Hitler contre l’URSS en 1941. Nous notons que, en dehors des mémoires de Truman, le camp américain ne protesta pas publiquement du fait que Moscou était entrée en guerre sans avoir conclu un accord avec la Chine.

Contrairement à d’autres entreprises militaires, l’URSS a donc précédé l’ouverture des hostilités contre le Japon par une déclaration officielle de guerre. Ainsi, le 9 août à minuit et une minute, heure transbaïkale, l’URSS envahit la Mandchourie en trois différents fronts avec, au total, un million et demi d’hommes. L’opération offensive stratégique en Mandchourie (Mantchjourskaïa strateguitcheskaïa nastoupatelnaïa operatsia), surnommée August Storm (« Tempête d’août ») par l’historien David Glantz[21], était lancée.
Dans le nord-ouest, les colonnes puissamment armées du front transbaïkal connurent un succès immédiat. Les faibles forces japonaises étaient constamment harcelées par les frappes aériennes soviétiques et, en l’espace de quelques jours, la 4e armée japonaise indépendante fut écrasée. L’URSS concentra environ 70 % des divisions de fusiliers et jusqu’à 90 % des chars et de l’artillerie dans l’attaque, considérée comme principale, de ce front, donnant une claire supériorité à ses forces.

Incapable de résister à l’URSS, le reste des forces japonaises adopta une politique de la terre brulée, détruisant tout ce qui avait potentiellement de la valeur pour les envahisseurs, et fit ensuite retraite dans la chaîne du grand Khingan. Les troupes soviétiques continuèrent leur avancée, employant des blindés soutenus par de l’artillerie pour percer les points forts japonais dans les cols montagneux. Au 13 août, le front transbaïkal avait traversé le grand Khingan et était entré dans la plaine centrale de la Mandchourie. Les troupes avaient parcouru plus de 450 km en quatre jours.
La route pour Harbin et Mukden était alors ouverte. À l’ouest par exemple, l’un des éléments principaux, la 6e armée de blindés de la Garde, ne rencontra aucune résistance. Les seuls ennemis ralentissant sa progression étaient le désert de Gobi et la chaîne du grand Khingan, mais aussi une pénurie de carburant qui ralentit dès son commencement l’avancée extrêmement rapide.
Sur le long de la côte, pendant ce temps-là, le 1er front d’Extrême-Orient avait pénétré un système de fortifications japonaises défensives bien construites, incluant des champs de mines, des piluliers et des bunkers souterrains. Cette zone fut affaiblie par l’artillerie massive et des bombardements aériens, puis percée par des équipes de tanks/infanterie. Une fois passé ces défenses, le fer de lance soviétique continuait son avancée afin d’ouvrir la voie, laissant l’infanterie qui suivait s’occuper des troupes japonaises restantes.

Néanmoins, malgré l’infériorité numérique japonaise, l’avancée soviétique était lente et les pertes nombreuses. Le 16 août, le gros des forces de Meretskov était toujours au nord de la frontière avec la Corée. Les troupes rencontraient de l’opposition. Toutefois, après cette date, les Japonais cessèrent les hostilités et les Soviétiques purent continuer relativement facilement jusqu’à Pyongyang et d’autres villes au nord du 38e parallèle. Les voies d’évacuation vers la Corée furent coupées, et l’armée du Kwantung fut privée de moyen de communication avec la métropole.
Dans le nord de la Mandchourie, le 2d front d’Extrême-Orient avait forcé son chemin à travers la rivière Ussuri le 9 août, protégé par une couverture aérienne soviétique, et avait procédé afin de remonter la vallée de la rivière Sungari. Son avancée fut ralentie par le terrain marécageux le long de la rivière. Le 16 août, ces troupes avaient seulement atteint Kiamusze, sise environ à 160 km de la frontière avec la Sibérie.

Outre les combats en Mandchourie, les Soviétiques étaient aussi actifs dans d’autres régions. Le 14 août, après un premier bombardement par des avions de la marine, des unités de la flotte Pacifique entrèrent dans le port de Seishin, en actuelle Corée du Nord, et des opérations amphibies commencèrent. Comme nous le verrons plus loin, la Sakhaline du Sud fut envahie par des forces soviétiques descendant de la partie nord de l’île, et d’autres troupes se dirigèrent sur les îles Kouriles.
En préparation de l’opération, les troupes du génie avaient construit 1 390 km de routes et en avaient réparé environ 5000 autres kilomètres. Sur le front transbaïkal, afin d’approvisionner les troupes en eau, des puits de mine avaient été réparés, 61 points d’approvisionnement en eau avaient été mis en place. Pour assurer un contrôle stable et continu, les postes de commandement étaient aussi proches que possible de la ligne de combat. Dans les fronts, il y avait de trois à cinq sets de munitions pour tous types d’armes, de dix à trente ravitaillements en essence d’aviation…
Néanmoins, malgré ces préparatifs, de nombreux problèmes survinrent : charbon inadéquat pour le support des opérations par train, pénuries de munitions, soutien aérien inadapté, manque de conteneurs d’eau… Avant l’attaque en elle-même, il y avait déjà eu des problèmes de logistique et d’organisation avec, par exemple, un sous-effectif de personnel de communication, des unités médicales sous-équipées, ou encore une désorganisation des unités de maintenance des tanks. Le problème majeur fut le manque de carburant tout le long de l’opération. Finalement, cette dernière fut si courte que ces problèmes (en dehors de celui du carburant) n’impactèrent que très peu ses retombées.
La capitulation japonaise
Du côté japonais, le 9 août vers 1 h du matin, le Quartier général de l’armée du Kwantung reçut l’information que l’armée soviétique avait franchi la frontière entre l’URSS et la Mandchourie à l’ouest, puis d’autres rapports arrivent petit à petit sur des attaques aériennes. Dès 2 h du matin, l’État-Major général de l’armée du Kwantung avait conclu que l’URSS avait lancé une attaque tous azimuts. Mais le Quartier général impérial ne donna qu’un ordre de limitation à la défense : le gouvernement souhaitait toujours essayer de négocier.
À 6 h du matin, la diffusion de l’annonce de déclaration de guerre déclencha un branlebas de combat au sein du gouvernement japonais qui se décida, après de longues délibérations et une décision impériale, à négocier une capitulation avec conditions auprès des États-Unis. L’ordre de résister à l’invasion arriva enfin.
Le 10 août, l’URSS apprit que le Japon voulait capituler rapidement et qu’il était en train de négocier l’ajout de conditions à la déclaration de Potsdam. Staline tenta une première fois de s’insérer dans le processus de haut commandement allié qui serait placé au-dessus de l’empereur japonais, mais les États-Unis refusèrent immédiatement, entraînant un rétropédalage soviétique.
Le 14 août, le Japon annonça sa capitulation aux États-Unis et accepta la déclaration de Potsdam annotée par Byrnes. Néanmoins, l’URSS continua ses opérations militaires afin d’étendre au maximum son pouvoir en Asie en détruisant l’administration japonaise en Mandchourie, mais aussi avec la conquête de territoires insulaires.

Les trois fronts continuèrent donc de progresser. La période du 15 au 17 août fut décisive pour l’URSS : il lui fallait assurer des positions stratégiques importantes avant d’arriver aux grandes villes. Ainsi, le 15 août, les troupes du front transbaïkal surmontèrent la crête du Grand Khingan avec leurs forces principales et prolongèrent leur avancée vers Moukden et Changchun, villes principales encore hors de portée. Dans la zone du 1er front d’Extrême-Orient, des combats acharnés se poursuivirent pour la ville de Mudanjiang. Le 16 août, les formations de la 1re armée et du 65e corps de fusiliers de la 5e armée, d’un coup du nord-est et de l’est, percèrent les défenses ennemies et s’emparèrent de cet important centre de communication.
Ce même 16 août, Vassilevski exigea une capitulation complète de l’ensemble des troupes japonaises en Mandchourie dans les quatre jours suivants. Cela était à peine nécessaire : l’armée du Kwantung n’avait plus la capacité de résister. Les forces japonaises avaient été isolées dans des petites poches de résistance par l’avancée rapide du front transbaïkal, et le groupe de la 17e armée régionale en Corée était coupée du reste de l’armée du Kwantung en Mandchourie.
Le 17 août, 20 000 soldats japonais furent faits prisonniers. Deux jours plus tard, les Japonais se rendirent. Nous notons alors que, le 16 août, les États-Unis avaient bombardé des sites sur la péninsule coréenne, les Japonais craignirent alors que des unités aéroportées américaines atterrissent en Corée. Sur place, les troupes du Kwantung préfèrent céder la péninsule à l’URSS plutôt qu’aux Américains en tentant de négocier un cessez-le-feu.
En outre, comme les Soviétiques tentaient de récupérer autant de territoire que possible, il fut ordonné aux officiers sur place d’ignorer toute tentative de négociation de cessez-le-feu, sauf si les Japonais se rendaient et déposaient les armes. Il y eut alors de nombreuses exécutions de Japonais envoyés parlementer entre le 16 et le 19 août, date de capitulation sans condition de manière formelle de l’armée du Kwantung face à l’URSS.
Mais, encore une fois, cette capitulation ne mit pas fin à l’avancée soviétique. Déterminé à récupérer les cités importantes, le maréchal Vassilievski ordonna aux commandants des fronts transbaïkal et du 1er d’Extrême-Orient de former des unités mobiles spéciales afin d’occuper les villes de Changchun, Mukden, Kirin et Harbin le plus rapidement possible. Cette première devait l’être pour le 20, Mukden et Harbin le 21. La péninsule du Liaodong, sur laquelle sont sises Dairen et Port-Arthur, devait être conquise pour le 28 août.
Toutefois, Staline n’était pas satisfait de cette lente avancée, surtout concernant la péninsule du Liaodong : il savait les États-Unis également intéressés par ce territoire. Il envoya alors des ordres contradictoires au commandant du front transbaïkal, lui demandant d’achever l’occupation de Dairen et de Port-Arthur pour les 22-23 août à l’aide de troupes aéroportées. Ainsi, durant la seconde moitié du mois d’août, les Soviétiques continuèrent leur avancée afin d’occuper l’ensemble de la Mandchourie. À la fin du mois, les troupes soviétiques avaient terminé le désarmement des unités japonaises, l’opération militaire en Mandchourie s’acheva.
Bien évidemment, cette opération surprise de l’URSS obtint une victoire écrasante sur l’armée du Kwantung. Néanmoins, la victoire en elle-même n’était pas l’objectif principal, l’occupation des terres promises à Yalta, et donc l’intérêt géopolitique, étant la réelle motivation de Staline. Précisions, par ailleurs, que l’attaque soviétique en elle-même n’a pas étonné le Japon, c’est son timing qui provoqua une surprise tactique totale et la paralysie du haut commandement japonais dans les premiers jours, et cela fut décisif pour cette opération.
D’autant plus que l’URSS a très rapidement imposé un blocus aérien sur les centres de communication. Elle a séparé le corps de l’armée de sa tête, l’État-Major japonais ne savait pas ce qu’il se passait et, sur le terrain, il y avait une importante désorganisation due au manque d’ordre ou de l’arrivée d’injonctions contradictoires. Les renforts vinrent petit à petit, mais bien trop tard. Les Japonais furent incapables d’organiser un effort cohésif cohérent. Cette opération fut un exemple classique de « blitzkrieg » soviétique (« opérations en profondeur »)[22]. Au 14 août, l’armée du Kwantung avait cessé d’exister en tant que force capable d’offrir une résistance significative.
Karafuto
Toutefois, en parallèle de ces opérations militaires en Mandchourie, l’URSS lança également une attaque sur l’archipel des Kouriles (que nous étudierons dans la suite de cet article), mais aussi sur la partie sud de Sakhaline. Cette dernière était divisée en deux au niveau du 50e parallèle. Sa partie sud, Karafuto, appartenait alors au Japon et était défendue par la 88e division. Ses commandants militaires s’attendaient à une invasion américaine et avaient donc construit des fortifications sur le rivage oriental de l’île. Mais, à partir du 9 août, lorsque l’URSS débuta son invasion, ils déplacèrent petit à petit leurs forces vers le nord de l’île.

Il y avait une importante supériorité numérique du côté soviétique. La prise de Karafuto était donc une simple question de temps. D’autant plus que l’île avait été cédée dans les accords de Yalta : les Américains ne risquaient pas de s’en approcher et d’entraver les plans soviétiques. Cependant, l’URSS souhaitait aller vite. Son objectif était de pouvoir concentrer des forces aux villes portuaires de Maoka et d’Otomari afin de poursuivre une éventuelle attaque sur les îles Kouriles du sud et, surtout, sur l’île de Hokkaidō.
Tard dans la nuit du 10 août, une fois que le maréchal Vassilievski fut certain que la campagne en Mandchourie était une réussite, fut ordonné le déploiement du 56e corps de fusiliers ainsi que de la flotte du Pacifique afin d’envahir Karafuto le 11 au matin, avec pour objectif de s’emparer de l’île pour le 22. Les troupes franchirent la frontière à 9 h 35. Les combats firent rage au niveau de Koton et, malgré les ordres de cessez-le-feu immédiat en dehors de la défense qui furent envoyés par le Quartier général impérial japonais, la 5e armée régionale basée à Sapporo sur Hokkaidō ordonna à la 88e division de défendre Karafuto jusqu’au dernier homme. Elle prévoyait – avec raison – que les Soviétiques rassembleraient leurs troupes à Otomari pour préparer une invasion de l’archipel principal par le nord de Hokkaidō.
La 88e division reçut donc deux ordres contradictoires, ce qui entraîna une certaine confusion qui fut exploitée par l’URSS. La résistance japonaise autour de Koton se fit massacrer le soir du 17, et le 19 le Quartier général impérial ordonna à la 5e armée régionale de cesser toutes les hostilités et de commencer à négocier avec les commandants soviétiques. Le 20, la 5e armée annula l’ordre de se battre jusqu’au dernier homme et imposa aux commandants locaux de négocier le cessez-le-feu et le désarmement. Les Soviétiques partirent vers le sud et s’emparèrent de Toyohara le 25, soit trois jours plus tard que prévu.
Néanmoins, à l’opposé de la précision extrême de l’invasion de Karafuto, l’occupation de ses ports ne nous semble pas avoir été aussi bien organisée. Nous retenons notamment que la prise de Maoka le 19 août se fit via des tirs sur des civils japonais tentant de prendre des bateaux vers Hokkaidō et donc de fuir, ou encore des tirs sans distinctions sur des civils lorsque les troupes soviétiques entrèrent dans la ville… Ce qui poussa des troupes japonaises à répondre. En outre, lorsque le commandement des unités de défense japonaises envoya un groupe d’émissaires négocier le cessez-le-feu, il se fit tirer dessus avant même qu’il n’atteigne le poste de commandement soviétique. Un seul membre du groupe survécut.
Un autre objectif soviétique était Otomari et son port. Des navires soviétiques partirent de Maoka pour arriver à Otomari le 24 au matin mais, dans la nuit du 23 au 24, ils furent pris dans des tempêtes qui les forcèrent à débarquer sur le rivage occidental de l’île. Ils repartirent le 24, et, enfin, ils prirent Otomari le 25 à partir de la terre et de la mer. La capture advient en même temps que celle de Toyohara.
Le 26 août, la 5e armée régionale ordonna à toutes les forces japonaises sur Sakhaline de se rendre. Vassilievski termina son opération quatre jours en retard. Karafuto, si décisive pour une attaque des Kouriles et de Hokkaidō, était soumise.
La prise des premières îles Kouriles : une opération soviétique bien mal menée
La Mandchourie et Sakhaline acquises, il restait un point – peut-être même le plus important – sur la liste de Staline : l’archipel des îles Kouriles. Selon l’accord de Yalta, il devait être cédé à l’URSS en compensation de sa participation à la guerre. Mais aucune définition précise des Kouriles ne fut établie à cette époque.
En outre, les États-Unis et l’URSS s’étaient mis d’accord que toutes ces îles, sauf les quatre les plus au nord, seraient une zone d’occupation américaine. La délimitation se trouvait au niveau du détroit d’Onekotan. Staline avait donc un défi difficile devant lui : occuper les îles le plus rapidement possible pour se les assurer, tout en surveillant de près la réaction des Américains qui pourraient contester l’invasion.
Il s’agissait véritablement d’un territoire capital pour les deux nations opposées : pour le Japon les îles septentrionales sont décisives pour la protection des îles principales ; pour l’URSS, elles offrent un accès au Pacifique. L’URSS voulait donc absolument occuper a minima Shimushu, Paramushiru et Onekotan.

Le 15 au matin à l’heure de Vladivostok, mais le 14 au soir à Moscou, Vassilievski ordonna ainsi l’occupation des parties nord des îles Kouriles sans attendre le renfort d’autres fronts. Il est possible que cet ordre fût donné si tôt afin de répondre à l’annonce de capitulation du Japon. La signature de l’acte de capitulation se faisait imminente, il devenait urgent pour Staline de prendre le plus de terres possibles et, jusqu’alors, il n’avait pas encore engagé d’opération dans les Kouriles. L’ordre d’attaquer sans attendre de renfort trahit cet empressement et une certaine précipitation.
Deux régiments de la 101e division de fusiliers, deux ou trois compagnies d’infanterie de la marine de la flotte du Pacifique et un peu de navires et engins flottants furent donc rassemblés à grande peine à Petropavlovsk. Il y avait un manque absolu de préparation. Les Soviétiques organisèrent l’opération depuis le Kamtchatka en seulement deux jours. Pas assez de bateaux, d’artillerie, d’armes pour mener ce débarquement. Ils comptaient sur la surprise et la situation politique de la capitulation imminente pour compenser ces manques.
Leur plan était de lancer une opération de débarquement surprise sur le rivage nord-est de Shimushu le 16 août à 11 h du matin, d’envoyer la majorité des forces à la base navale de Kataoka au sud de l’île et d’occuper d’ici le lendemain soir l’ensemble de son territoire. Shimushu aurait ensuite servi de base pour la prise de Paramushiru et d’Onekotan, mais absolument rien d’autre n’était prévu à ce stade.
Étant donné que Staline ne savait pas quelle serait la réaction des États-Unis face à cette incursion militaire dans l’archipel des Kouriles, il voulait tout d’abord établir des bases solides et occuper Shimushu et Paramushiru qui appartenaient à la zone d’opération soviétique. Les bases serviraient alors pour la suite des opérations sur d’autres îles. Par ailleurs, nous notons que ce premier plan prévoyait l’occupation d’Onekotan qui était dans la zone américaine. Sans doute pour tester la réaction des États-Unis : s’ils montraient une opposition claire, alors c’était marche arrière, mais s’ils ne disaient rien, l’opération serait étendue aux Kouriles centrales et méridionales.
Par rapport à l’élaboration minutieuse des autres opérations soviétiques, celle des Kouriles fut une aberration à cause du manque de prévision. De nombreuses choses ont mal tourné. Par exemple, des armes et du matériel furent embarqués sur les navires au fond du chargement lourd, alors qu’ils étaient nécessaires au début de l’opération. Les soldats durent débarquer des chargements entiers afin de récupérer du matériel disposé au fond des navires…
Le 17 août, le convoi de navires soviétiques partit. Deux heures en retard. Dans le brouillard, il traversa lentement l’espace maritime le séparant de Shimushu. Soit plus de 24 h de voyage. Ce fut la plus longue traversée que durent faire les forces navales soviétiques de la Seconde Guerre mondiale.

Environ 8800 Soviétiques débarquèrent au nord de l’île de Shimushu le 18 août 1945 à 2 h 15 du matin. Des tirs prématurés soviétiques provoquèrent une réponse de l’artillerie japonaise, des deux batteries installées aux deux extrémités de la plage choisie (Takeda) pour débarquer. Ce fut un massacre. Le débarquement du premier échelon ne s’acheva qu’à 7 h du matin.
Les unités soviétiques avancèrent vers les points stratégiques du mont Yotsumine, mais ne parvinrent pas à s’en emparer à cause d’une trop faible force de tir. Le 11e régiment de chars et la 73e brigade d’infanterie japonaises avaient pour ordre de repousser l’ennemi, cependant, le régiment de chars le fit sans prudence et largua l’infanterie. Elle se retrouva sans soutien et devint la proie des armes anti-char soviétiques.
Il nous faut, par ailleurs, souligner qu’initialement les Japonais sur l’île pensaient avoir affaire aux Américains et non pas aux Soviétiques. Le 18, le Quartier général impérial, après avoir appris pour l’attaque, envoya une demande de renseignement urgente au Quartier général de MacArthur à Manille indiquant : « Vos troupes ont débarqué sur l’île de Shimushu… Les nôtres sont obligées de recourir aux armes pour se défendre. Maintenant que les hostilités sont interdites des deux côtés, il est profondément souhaitable que cessent les actes d’hostilité »[23]. Aussitôt, le télégramme fut transmis par les Américains à Moscou afin d’obtenir des informations, ce qui fit que l’URSS pensa que les Américains avaient également débarqué à Shimushu en violation de la ligne de démarcation convenue ! Les Soviétiques demandèrent des explications immédiatement et furent soulagés d’apprendre que, non, les Américains n’attaquaient pas les Kouriles.

Retour sur Shimushu. À 9 h, le second échelon soviétique atteignit le rivage et les navires pilonnèrent les coteaux. La 74e brigade de Paramushiru se joignit à la défense japonaise. Elle se mêla à l’essentiel des forces de la 91e division qui était stationnée sur l’île et qui était déjà en marche vers l’envahisseur. Une certaine supériorité numérique permettait aux Japonais de commencer à repousser les troupes soviétiques.

Or, à Sapporo sur Hokkaidō, la 5e armée régionale du Japon apprit ce qu’il se passait à Shimushu et en fut terrifiée : le Quartier général impérial s’efforçait d’assurer une reddition en douceur de toutes les forces japonaises. Si Shimushu devenait une victoire japonaise, le processus risquait de dérailler entièrement. Vers midi, elle ordonna donc l’arrêt des combats, sauf pour se défendre. Dix émissaires furent envoyés pour négocier un cessez-le-feu, mais les Soviétiques tirèrent sur leurs drapeaux blancs… Une contre-attaque soviétique fut lancée. Ils s’emparèrent finalement des coteaux après deux heures de combats au corps à corps.
Le lendemain, l’artillerie lourde soviétique fut débarquée et la 5e armée régionale ordonna l’arrêt de toute opération militaire, même en cas de défense. Des négociations de cessez-le-feu eurent lieu sur la plage de Takeda. Le 20, comme convenu, les navires soviétiques se rendirent dans la baie de Kataoka afin d’occuper la base navale. Mais les batteries japonaises installées sur le rivage déclenchèrent des tirs meurtriers sur les navires. La 5e ordonna de nouveau d’arrêter toutes les opérations. Le 21, l’accord officiel de cessez-le-feu fut enfin signé.
Cette bataille démontre les faiblesses fatales de l’opération soviétique sur les Kouriles (au contraire de l’invasion terrestre de la Mandchourie). Staline était pressé de récupérer ce qui lui fut promis lors de la conférence de Yalta, ce qui entraîna une mauvaise conception et exécution de l’invasion de manière générale. Un manque de préparation et de stratégie bien planifiées et bien coordonnées, une pénurie de navire, de matériel, d’armes, une infériorité numérique des soldats… Comment auraient-ils pu réussir à conquérir Shimushu pour le 18 ? Il y avait 8800 Soviétiques contre 8500 Japonais, 23 000 une fois les forces de Paramushiru arrivées. En outre, l’île était sérieusement fortifiée.
Des bateaux soviétiques avaient des charges trop lourdes et restèrent coincés à 50 m du rivage, soit à 2 m de profondeur ou plus. Des soldats sautèrent à l’eau, avec leur matériel et leur équipement lourd. Les 22 radios (sauf une) furent plongées ou lâchées dans l’eau salée et donc mises hors d’usage. Et bien sûr, des bateaux d’invasion commencèrent à tirer prématurément. Quant aux Japonais, ils n’avaient pas le soutien de pilotes kamikaze et leur hiérarchie faisait pression afin qu’ils se rendent. S’il y eut un vainqueur à Shimushu, ce ne fut pas l’URSS.
Cette bataille fut la dernière importante de la Seconde Guerre mondiale, mais elle n’eut pas lieu pour gagner la guerre qui était déjà finie. Nous pouvons remarquer que Staline aurait probablement conquis plus rapidement cette île en envoyant un émissaire négocier le cessez-le-feu… Néanmoins, cette bataille fut aussi une excuse pour Staline : les Soviétiques gagnèrent les Kouriles au prix de leurs vies (environ 1500 morts soviétiques, 1000 japonais), ce sang versé était un acompte l’autorisant à s’emparer de toutes les Kouriles.

Le 19, durant la bataille de Shimushu, les forces soviétiques reçurent, par ailleurs, l’ordre de continuer d’occuper les Kouriles nord jusqu’à Shimushiru. Paramushiru fut prise dans la nuit du 23 au 24. Mais les Soviétiques n’avaient pas de carte précise et ils ignoraient quelles plages conviendraient pour un débarquement. Ils ne savaient pas non plus si les îles étaient défendues par des troupes japonaises. Ils divisèrent donc leurs unités de navires en deux, chaque groupe accompagné d’un officier japonais.
Le premier groupe occupa Onekotan le 25, Shasuktotan le 26 et Harumukotan le 27. Ils retournèrent ensuite dans la baie de Kataoka entre Shimushu et Parashimushu le 28. Le second groupe atteignit Matsuwa et reçut la reddition du commandant des forces présentent sur l’île. Le gros des unités y débarqua le 27. Le même jour, l’avant-garde fit mouvement vers Shimushiru. L’opération sur les Kouriles, telle qu’elle était initialement prévue, était terminée.
Les disputes de Staline et Truman autour des Kouriles et de Hokkaidō
Du côté américain, l’inquiétude commençait à naître à propos de l’avancée soviétique dans les Kouriles. Les 13 et 14 août, les États-Unis avaient préparé l’ordre général n°1 qui, entre autres, désignait l’autorité militaire à laquelle les troupes japonaises devaient se rendre. L’article 1-b stipulait ainsi : « Les commandements japonais de haut niveau et toutes les forces terrestres, navales et aériennes et auxiliaires en Mandchourie, en Corée au nord du 38e parallèle et sur Karafuto se rendront au commandement en chef des forces soviétiques en Extrême-Orient »[24]. Nous remarquerons bien ici l’absence de mention des Kouriles, qui devaient être divisées en deux au niveau des détroits de Onekotan.
Les États-Unis étaient contrariés par la question des Kouriles, ils ne voulaient pas les laisser au moins entièrement à l’URSS, mais ne souhaitaient pas leur empiéter dessus non plus afin de ne pas être perçus comme hostiles. Cependant, pour les Américains, la question de la Mandchourie, de la péninsule coréenne et de la péninsule du Liaodong était bien plus importante. Ils se concentrèrent donc plutôt sur ces zones, s’emparant militairement de Dairen et d’un port de la côte coréenne.
Les deux partis se disputèrent alors à propos de l’ordre général n°1. Dans une lettre, le 16 août, Staline demanda d’inclure « toutes les îles des Kouriles »[25] et un second amendement incluant la partie septentrionale de Hokkaidō. Les États-Unis firent le choix d’accepter d’inclure cette première demande (mais pas la seconde), la considérant conforme à l’accord de Yalta, qui précisait pourtant seulement « les îles Kouriles ».

Ici, Staline essaya également de mettre en avant qu’il s’agissait du juste droit de l’URSS d’obtenir l’archipel entier, prétendant que les Kouriles faisaient partie de la Russie. Elles ne devaient donc pas être « cédées » mais « rendues ». Truman accepta ces modifications pour les Kouriles. Toutefois, il demanda en échange une base aérienne (militaire et à usage commercial) sur l’une des îles, de préférence dans la partie centrale. Mais ce sans véritable envie ou volonté, les dirigeants américains semblaient avoir accepté un refus soviétique avant même qu’il n’arrive. Néanmoins, il rejeta catégoriquement la séparation de Hokkaidō.
Nous pouvons considérer que la concession des Kouriles fut faite par peur que l’URSS ne balaie entièrement l’ordre n°1 face à ce refus, et envoie ses troupes au-delà du 38e parallèle en Corée (entre autres). Les États-Unis n’avaient pas non plus grande envie d’envoyer des troupes au niveau de l’archipel des Kouriles. Ils ne souhaitaient pas en venir à un affrontement avec l’URSS. De même, nous notons que, durant un temps, les États-Unis avaient envisagé dans certaines études de céder Hokkaidō à l’URSS. Ce ne fut toutefois pas le choix final des dirigeants américains.
Par ailleurs, en négociant de cette manière, les États-Unis furent forcés de céder la péninsule du Liaodong à l’URSS. Ils envisagèrent d’y envoyer des hommes, mais abandonnèrent : ils pensaient (avec raison) que l’URSS allait s’en emparer très rapidement (et Staline le fit dès qu’il reçut la réponse de Truman). En revanche, les Américains restèrent fermes sur la démarcation coréenne, ce qui ne servit pas à grand-chose : l’URSS ne tenait pas réellement à s’aventurer aussi loin au Sud.
De surcroît, nous remarquons que la mention de Hokkaidō dans la demande de modification de l’ordre général n°1 n’était pas juste un point pour négocier les Kouriles. Staline tenait véritablement à occuper au moins une partie de l’île pour pouvoir imposer un partage du commandement suprême sur l’archipel principal. Le 16, après l’envoi de sa lettre à Truman, il ordonna à Vassilievski de mettre en œuvre l’opération sur les Kouriles du sud, mais aussi sur Hokkaidō. Le 18, Vassilievski somma au commandement du 1er front d’Extrême-Orient « d’occuper la moitié septentrionale de Hokkaido, de Kushiro à Rumoi, et la partie méridionale des îles Kouriles »[26] pour le 1er septembre ! Trois divisions du 87e corps de fusiliers auraient été déployées, deux sur Hokkaidō et une sur les Kouriles du sud. Après l’occupation de Hokkaidō, un quartier général des opérations aurait été établi là-bas.
Cependant, le 20, un nouveau télégramme est envoyé à Vassilievski demandant de « préparer l’opération sur Hokkaidō et les Kouriles du sud, mais de ne lancer cette opération que sur l’ordre spécial de la Stavka[27], […] de concentrer le 87e corps de fusiliers de Ksenofontov sur la partie méridionale de l’île de Sakhaline et de le préparer à une offensive soit sur Hokkaidō soit sur les Kouriles du sud »[28]. La réponse de Truman acceptant pour les Kouriles mais refusant sèchement pour Hokkaidō aurait fait douter Staline : il hésitait entre lancer ses opérations sur les deux territoires ou un seul. Le 21, des mouvements de troupes au sud de Karafuto commencèrent afin de préparer une potentielle invasion.
Néanmoins, le 22, Staline répondit à Truman. Il rejeta la demande de base aérienne qu’avait faite le président, il était clairement offensé par le refus américain de diviser Hokkaidō, mais il n’insista pas sur ce sujet, disant « comprendre ». Cela n’excluait cependant pas une opération militaire. Finalement, il y renonça et se concentra sur les Kouriles. En outre, le 24, voyant les manœuvres soviétiques, le Japon prévint les États-Unis d’une attaque imminente sur Hokkaidō et quand Truman répondit (sans mâcher ses mots) au message du 22, il demanda des explications et l’URSS fit définitivement machine arrière, abandonnant entièrement l’opération sur Hokkaidō.

Par ailleurs, le 23 août, juste après ses échanges avec Truman pour Hokkaidō, l’URSS adopta une résolution et 500 000 prisonniers de guerre japonais physiquement aptes à des travaux forcés furent sélectionnés pour être envoyés dans des camps de travail en URSS. Au total, 640 000 prisonniers furent pris. Et ce en dépit d’un ordre envoyé par le bras droit de Staline le 16 août précédent demandant le contraire. Nous pouvons observer un changement de politique – probablement dû à la suspension de l’opération sur Hokkaidō – dont l’un des objectifs était d’enrôler de force de la main-d’œuvre. Cela allait aussi à l’encontre de la déclaration de Potsdam qui annonçait que les soldats pourraient rentrer chez eux, mais les Soviétiques n’en étaient pas signataires.
Enfin, une fois sûr et certain que l’ordre général n°1 serait modifié pour inclure les Kouriles, Staline se prépara à s’emparer de la partie sud de l’archipel. Il fallait cependant se dépêcher : il ne savait pas encore quand les Américains prévoyaient de faire signer l’acte officiel de capitulation. Les Soviétiques se lancèrent alors dans une opération de nettoyage pour la conquête des dernières îles. Staline était d’autant plus pressé que la réponse de Truman à son message du 22 se retournait un peu contre lui : Truman était énervé de la réponse de Staline et rejeta ses demandes. Le président américain précisa également que les Kouriles n’étaient pas des territoires soviétiques qui devaient être rendus, mais des territoires japonais : « Je ne parlais pas d’un territoire de la République soviétique. Je parlais des îles Kouriles, un territoire japonais, dont l’aliénation doit être déterminée par un règlement de paix »[29].
Avec ce message, les États-Unis revenaient sur les accords de Yalta. Il n’y avait normalement pas besoin de règlement de paix pour que les Kouriles soient cédées. Cela rendit Staline encore plus déterminé à s’emparer des îles avant la signature de la capitulation. Il revint sur ses paroles et fut assez mielleux avec les États-Unis dans sa réponse, parlant notamment de « malentendu »[30]. Mais, avec ces messages, il cherchait surtout à gagner du temps pour prolonger la période de l’opération. Stratégie dilatoire, il reçut la réponse le 27 et répondit le 30…
En parallèle, l’URSS tenta aussi une nouvelle fois de s’introduire dans l’organe de décision qui déterminerait l’occupation japonaise en demandant une organisation interalliée pour contrôler le gouvernement du Japon, ce qui fut immédiatement refusé par les Américains.
Les dernières heures de la guerre
Les 23 et 25 août, les premiers ordres soviétiques d’envahir Kunashiri et Etorofu, soit les Kouriles sud, furent envoyés. Il y eut notamment une opération aéroportée visant à s’emparer de l’aérodrome d’Etorofu qui fut organisée par le 87e corps de fusiliers de Maoka/Sakhaline. Le but était de s’emparer des Kouriles du sud avant la capitulation imminente. La zone d’opération s’étendit donc aux îles Shikotan et Habomai, et, en parallèle, dans les Kouriles centrales.

La prise d’Uruppu démontre, par ailleurs, à quel point les forces d’occupation soviétiques n’étaient pas prêtes. Les unités de reconnaissance encerclèrent l’île du 26 au 30, sans réussir à trouver un lieu de débarquement adéquat. Et elles se montrèrent tout aussi incapables de déceler des informations sur les troupes japonaises présentes sur l’île avant le 30. Les vivres s’épuisèrent. Le navire de transport censé acheminer les unités à Uruppu heurta des rochers et s’échoua près de Harumukotan.
Par dépit, les deux bataillons devant se déployer sur Uruppu reçurent l’ordre de le faire sur Harumukotan. Petit détail, il n’y avait pas de troupes japonaises sur cette île. Deux bataillons soviétiques pour un rocher. Sur Uruppu, après avoir peiné à localiser les troupes japonaises, la seconde unité de reconnaissance atteignit le rivage et l’émissaire japonais arriva directement avec un drapeau blanc. Les troupes japonaises attendaient le débarquement des soviétiques pour se rendre. La reddition se fit en bon ordre avec les armes le 31.
En outre, les commandants soviétiques locaux ne comprenaient pas pourquoi Staline voulait tant se dépêcher. Certains pensaient les îles Kouriles sud sous juridiction américaine et ne voulaient pas s’y frotter. Il y avait également une pénurie aiguë de nourriture et la majorité des bateaux avait déjà épuisé ses réserves d’huile pour moteur. Les informations à propos d’Etorofu et Kunashiri ne circulaient pas… Ils n’avaient pas de vue d’ensemble de la situation, ce qui fit que certains résistaient face à des ordres qui leur semblaient irréfléchis.
Néanmoins, le 28 août, le Conseil militaire de la flotte du Pacifique décida, comme nous l’avons vu, d’étendre l’opération sur les Kouriles du sud. Ils envoyèrent des renforts aux troupes du 87e corps de fusiliers afin de régler certains soucis liés à l’occupation des îles, et ordonnèrent d’achever l’opération pour le 2 septembre. Choix non anodin : il s’agissait de la date de signature de l’acte de capitulation officiel sur le Missouri dans la baie de Tōkyō. Staline montrait clairement qu’il lui fallait occuper ces îles avant cette date.

Quelques heures avant l’envoi de cet ordre, les deux premiers dragueurs de mines soviétiques atteignirent la baie de Rubetsu à Etorofu dans un épais brouillard. La compagnie de l’un débarqua sur l’île et l’autre bateau prit position pour la protéger. Les émissaires japonais arrivèrent et déclarèrent que les 6000 et quelques soldats et officiers japonais étaient prêts à se rendre pacifiquement. La première question que posèrent les Soviétiques sur Etorofu fut « Y-a-t-il des soldats américains sur l’île ? »[31].
Mais, comme les commandants locaux avaient rechigné à obéir aux ordres pour Etorofu et Kunashiri, ils étaient en retard sur le planning soviétique. Le 31 août, un dragueur de mines quitta enfin la baie de Rubetsu sur Etorufu avec une unité de débarquement de seulement 100 soldats et deux navires transportant un peu plus de 200 soldats partirent d’Otomari. Les deux groupes arrivèrent le 1er septembre dans la baie de Furukamappu sur Kunashiri, et commencèrent à débarquer. De même, dès leur arrivée, des émissaires japonais virent pour capituler, l’occupation de l’île se fit en quelques heures le 1er septembre.
Toutefois, cela ne signifiait pas pour autant la fin de l’opération ! Les Soviétiques voulaient aussi Shikotan et les îles Habomai. Ces dernières étaient une extension de Hokkaidō et se trouvaient donc, évidemment, dans la zone d’occupation américaine. Néanmoins, elles furent surnommées « l’archipel des petites Kouriles » par les Soviétiques afin de justifier leur invasion.
Pour Shikotan, une unité de débarquement à bord de deux navires quitta Otomari le 31 et arriva le 1er. Les 4800 membres de l’unité de défense japonaise se rendirent sans aucune résistance. De même, la première question posée concerna la présence d’Américains sur l’île.

Pour les îles Habomai, le Quartier général de la flotte du Pacifique décida d’utiliser Kunashiri comme base. Une force de débarquement importante embarqua sur deux navires. Ils quittèrent Otomari le 1er et entrèrent dans la baie de Furukamappu le 3. Une autre unité de débarquement de 1300 hommes arriva au même endroit le 4. L’acte de capitulation avait été signé le 2, la guerre était déjà terminée.
Enfin… ou pas. Les Soviétiques continuèrent en catimini l’opération sur les Kouriles et notamment dans l’archipel Habomai, même après cette signature et ce jusqu’au 5 septembre à 19 h, lorsque les soldats japonais finirent de se rendre sur l’ensemble des îles Habomai. Toutefois, il n’y eut pas, en soi, d’action militaire après le 23 août. Uniquement des redditions massives de troupes japonaises.
Le 2 septembre, Staline fit un discours à la suite de la signature de l’acte de capitulation. Pour justifier son opération contre l’archipel, il compara les fascismes allemand et japonais, ajoutant l’URSS dans le groupe des nations Alliées blessées par l’impérialisme japonais. Il évoqua aussi le passé tsariste et la première guerre russo-japonaise, mettant en avant le fait que le Japon avait attaqué par surprise durant celle-ci, et donnant une justification implicite : les Japonais l’ont fait eux aussi. Il continua de se disculper de la violation du pacte de neutralité et d’éviter une comparaison avec l’offensive surprise d’Hitler en violation du pacte de non-agression germano-soviétique lors de l’opération Barbarossa. Ainsi, il valorisa certains éléments, mais n’aborda pas pour autant directement le sujet du pacte de neutralité ou de la conférence de Yalta.
Staline en profita aussi pour falsifier un fait historique. Dans son discours, il dit ainsi : « Le Japon profita de la défaite de la Russie tsariste [lors de la première guerre russo-japonaise] pour s’emparer de la Sakhaline du sud russe et prendre pied solidement dans les Kouriles, ce qui lui permit de nous enfermer en bloquant le passage vers l’océan »[32].
Toutefois, le Japon n’a pas obtenu les Kouriles à la suite de cette guerre. Initialement habitées par le peuple aïnou, elles avaient été divisées en deux par le traité de Shimoda en 1855 : les îles russes au nord d’Uruppu et les îles japonaises au sud d’Etorofu. Ensuite, en 1875, fut signé le traité de Saint-Pétersbourg dans lequel la Russie échangea ses Kouriles nord pour le sud de Sakhaline. Ce que le Japon gagna après la première guerre russo-japonaise était « simplement » Karafuto, la partie sud de Sakhaline. Les Kouriles du sud n’ont jamais fait partie de la Russie et celles du nord furent obtenues légalement et non pas par la « violence et la cupidité »[33] comme le prétexta Staline.

Dans ce discours, il cherchait à convaincre les citoyens soviétiques que les sacrifices consentis par leur pays n’avaient pas été réalisés pour rien, mais surtout à justifier l’acquisition d’une partie du territoire propre du Japon aux yeux de l’opinion publique internationale. Staline souligna aussi ses motivations derrière cette opération en Extrême-Orient : « Cela signifie que la Sakhaline du sud et les Kouriles seront cédées à l’Union soviétique et ne serviront plus désormais à isoler l’Union soviétique de l’océan Pacifique, ni de base à une offensive japonaise contre notre Extrême-Orient, mais de moyen de relier l’Union soviétique à l’océan et de base pour défendre le pays d’une agression japonaise »[34].
Staline était principalement mû par des intérêts géopolitiques. Rien à voir avec un « communisme » ou une envie de révolutionner le système impérial japonais ici.
Conclusion
Nous pouvons tirer plusieurs conclusions de cette intervention de l’URSS. En tant qu’opération militaire, le résultat n’a jamais été mis en doute : le Japon était une nation défaite bien avant l’entrée des Soviétiques dans la guerre. Étant donné l’extrême supériorité de l’URSS, tant en main-d’œuvre qu’en matériel, presque n’importe quelle tactique aurait été un succès. Néanmoins, certains aspects de cette campagne méritent une étude soignée.
L’opération offensive en Mandchourie et dans les îles alentours, en termes de portée et de résultats, est devenue l’une des plus grandes opérations de la Seconde Guerre mondiale. Elle a été réalisée dans une bande de plus de 4000 km de large et à une profondeur de 800 km.
D’un point de vue opératif[35], la victoire décisive soviétique fut due à une avancée rapide du front transbaïkal, qui a frappé l’armée du Kwantung à son point le plus faible, avant de se déplacer rapidement dans le but de s’unir avec le premier front d’Extrême-Orient, attrapant les forces japonaises dans un double enveloppement massif et prévenant toute retraite vers le sud de la Mandchourie et vers la péninsule coréenne. La supériorité aérienne soviétique, indiscutable, fut un facteur majeur dans la perturbation des défenses japonaises et facilita la traversée des diverses rivières et la pénétration de leurs fortifications.
Les forces armées soviétiques gagnèrent une expérience bénéfique dans la conduite d’opérations amphibies et aéroportées, et dans la coordination de support naval et aérien. Des éléments qui manquaient cruellement à sa résistance face à l’invasion allemande dans les premières années de la guerre en Europe. Bien sûr, les troupes engagées en Asie concentraient de manière inhabituelle des unités de troupes d’élite, supérieures en artillerie, forces blindées, et pouvoir aérien sous la direction des meilleurs maréchaux et généraux soviétiques.
Par-dessus tout, Staline a réussi à s’emparer de l’entièreté de l’archipel des Kouriles (y compris les îles Habomai, contre toute attente). Cependant, ce ne fut pas grâce à une exécution brillante des manœuvres militaires. Les mouvements dans les Kouriles furent marqués par une précipitation, un manque de préparation, de matériel, d’information, mais aussi par des liaisons médiocres. Ici, la victoire soviétique était due à la disposition des Japonais à se rendre et au manque d’intérêt des Américains.
De ce que nous pouvons conclure de manière générale, c’est que Staline a finalement réussi à entrer en guerre sur la scène Pacifique et à obtenir les territoires auxquels il estimait avoir le droit. Il a, certes, violé le pacte de neutralité avec le Japon et la clause de l’accord de Yalta qui prévoyait la conclusion d’un traité avec la Chine avant toute entrée en guerre, mais il est, dans l’ensemble, resté dans le cadre de cet accord.
Toutefois, en occupant les Kouriles du sud, il créa un conflit territorial sans issue, la question des Territoires du nord, qui demeure encore de nos jours et empêche tout rapprochement entre la Russie et le Japon. Il n’y a, par ailleurs, jamais eu de traité de paix entre l’URSS (ou la Russie) et le Japon à cause de ce sujet.
Cette opération est donc, à nos yeux, doublement significative. D’une part, elle imposa à l’empire du Japon une capitulation sans condition face aux États-Unis, l’empêcha d’amorcer toute tentative de négociation. D’autre part, ses conséquences géopolitiques sont toujours d’actualité. Il nous semble donc particulièrement déplacé qu’elle continue de sombrer dans l’oubli.
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[1] Les opérations militaires ont duré moins d’un mois : du 9 août au 5 septembre 1945. La phase de combat en elle-même ne dépassa pas les deux premières semaines.
[2] DAUVERGNE Cécile, « Japon, 1945 : l’inefficacité stratégique de la bombe atomique », dans La Revue d’Histoire Militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire Militaire, 2021, 63 p., [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2021/08/06/japon-1945-linefficacite-strategique-de-la-bombe-atomique/ (dernière consultation le 21/07/2022)
[3] Ibid.
[4] Nous notons que cette prise des Kouriles, notamment celles du sud et les îles Habomai, créa un conflit territorial conséquent et toujours irrésolu entre les deux nations : la question des Territoires du nord.
[5] La première (1904-1905) ayant aboutit à une victoire japonaise.
[6] Le shôgunat est un système politique avec à sa tête un shōgun 将軍 dirigeant (en général) de facto l’empire du Japon. Il est assimilé à un régime militaire et féodal. Le Japon a connu trois shôgunats : de Kamakura 鎌倉幕府 (1192-1333), de la lignée Ashikaga 足利幕府 (1338-1573) et de la lignée Tokugawa 徳川幕府 (1603-1868).
[7] Cette guerre avait pour objectif principal le contrôle de la Mandchourie et de la péninsule coréenne. À la grande surprise générale, le Japon sortit vainqueur, il devint de fait la première nation non européenne à devenir une « Grande puissance ». Par le traité de Portsmouth, le Japon gagna la péninsule du Guandong (où se trouvent Port Arthur et Dairen) et la moitié sud de l’île de Sakhaline (Karafuto).
[8] États-Unis, Royaume-Uni, France, Italie et Japon.
[9] En 1931, par suite de l’incident de Moukden (attentat planifié par les Japonais mais mis sur le compte des Chinois), l’Empire en profita pour envahir la Mandchourie et y créer un État fantoche sous protectorat japonais : le Mandchoukouo.
[10] Bataille du lac Khasan (1938) et bataille de Khalkhin Gol (1939).
[11] Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et formation de l’axe Rome-Berlin-Tōkyō en 1936 transformée en pacte tripartite le 27 septembre 1940.
[12] Ou armée du Guandong ou kantōgun 関東軍 du nom de la région où ce groupe d’armées était basé en Mandchourie. Il s’agissait de l’une des forces armées japonaises principales. Nous notons que la tristement célèbre Unité 731 en faisait partie.
[13] Les administrations staliniennes n’avaient de communiste que le nom, d’où notre utilisation des guillemets.
[14] Le fait d’utiliser des manœuvres afin de faire perdre du temps à son ennemi ou le faire ralentir, notamment à travers une attitude ambiguë.
[15] Généralement, un front est une zone de combat et de déploiement de troupes. Néanmoins, pour l’URSS, il s’agissait d’une armée, d’un groupement d’unités militaires généralement centré sur une région en particulier.
[16] Mais qui, en réalité, n’en était pas un et n’avait rien d’officiel. Ibid.
[17] Le seul ordre direct de larguer une bombe atomique fut donné le 25 juillet 1945, soit un jour avant que la déclaration de Potsdam ne soit publiée. GROVES Leslie, « Official Bombing Order, July 25, 1945 », dans DANNEN Gene, Leo Szilard Online, Corvallis, Dannen.com, [en ligne] http://www.dannen.com/decision/handy.html (dernière consultation le 18/09/2021)
[18] DAUVERGNE Cécile, art. cit.
[19] Le Monde, « L’U.R.S.S. déclare la guerre au Japon – Les troupes russes attaquent sur la frontière du Mantchoukouo », dans Le Monde, Paris, Société Editrice du Monde, 1945, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1945/08/10/l-u-r-s-s-declare-la-guerre-au-japon-les-troupes-russes-attaquent-sur-la-frontiere-du-mandchoukouo_3140258_1819218.html (dernière consultation le 19/07/2022)
[20] DAUVERGNE Cécile, art. cit.
[21] Notamment dans GLANTZ David, Leavenworth Papers: August Storm: The Soviet 1945 Strategic Offensive in Manchuria, n°7, Fort Leavenworth, Combat Studies Institute, 1983, 260 p., [en ligne] http://www.kuriles-history.ru/up/lib/August%20storm%20%20the%20Soviet%201945%20strategic%20offensive%20in%20Manchuria.pdf (dernière consultation le 18/09/2021)
[22] La blitzkrieg, « guerre éclair », est une tactique cherchant la victoire grâce à un engagement limité dans le temps et l’espace touchant en profondeur l’adversaire. Elle fut à plusieurs reprises utilisée par l’armée d’Hitler, notamment contre l’URSS en 1941 à l’occasion de l’opération Barbarossa. L’Union soviétique finit par reprendre la doctrine et l’adapter pour l’appliquer contre ses ennemis, dont l’Allemagne elle-même à partir de 1943. C’est ce qui est appelé « opérations en profondeur ». Cette doctrine se distingue de la blitzkrieg allemande par le fait qu’elle ne cherche pas systématiquement l’encerclement et par sa dimension opérative. Il s’agit plutôt de déstructurer le dispositif de l’adversaire. Avec August Storm, nous pouvons observer une mise en œuvre de l’art opératif des penseurs militaires soviétiques.
[23] HASEGAWA Tsuyoshi, Staline, Truman et la capitulation du Japon – La course à la victoire, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2014 (1re éd. en langue anglaise, 2005), 337 p., p. 221, traduit par MAT Michèle
[24] Ibid., p. 222
[25] Ibid., p. 224
[26] Ibid., p. 227
[27] Commandement suprême de l’armée soviétique.
[28] Ibid.
[29] Ibid., p. 233
[30] Ibid., p. 234
[31] Ibid., p. 237
[32] Ibid., p. 239
[33] Ibid., p. 240
[34] Ibid.
[35] L’art opératif est un concept militaire s’intercalant entre la stratégie et la tactique, liant les objectifs de la première avec les détails de l’organisation de cette seconde.