L’affaire du métro Charonne

Lorsqu’est évoquée la station de métro Charonne à Paris, difficile de ne pas penser aux événements de février 1962, conséquences dramatiques d’un contexte particulier. En février 1962, la France est encore engagée dans la guerre d’Algérie. Le 21 avril 1961 a lieu le putsch des généraux suivi le surlendemain, soit le 23 avril, par l’entrée en vigueur de l’état d’urgence. Celui-ci confère au président des pouvoirs étendus conformément à l’article 16 de la Constitution. Cette décision a lieu pour éviter de nouvelles séditions et insurrections. En effet, des campagnes terroristes et d’actions ciblées sont menées aussi bien en Algérie qu’en métropole par les militants du Front de Libération Nationale algérien (FLN) et ceux de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), constituée de partisans civils et militaires jusqu’au-boutistes de l’Algérie française. La situation est donc des plus préoccupantes et tout rassemblement peut être interdit pour des mesures de sécurité.

L’affaire du métro Charonne s’inscrit donc dans ce contexte, mais elle ne fut pas la seule manifestation violemment réprimée : après un couvre-feu imposé aux Français Musulmans d’Algérie à Paris en raison de la vague d’attentats du FLN ciblant la police, une manifestation a lieu le 17 octobre 1961 pour protester contre cette mesure. Elle fut marquée par les décès de dizaines – voire quelques centaines selon les sources – d’Algériens provoqués par une répression policière particulièrement violente. Une autre manifestation contre l’OAS et pour la paix en Algérie fit de nombreux blessés le 19 décembre, notamment parmi les forces de l’ordre.

L’OAS est particulièrement ciblée du fait des actions qu’elle mène en métropole pour répondre aux campagnes du FLN et aux décisions politiques prises par le gouvernement français, actions qui font par ailleurs des victimes civiles. C’est d’ailleurs en raison d’attentats de l’OAS que la manifestation du 8 février 1962 s’organise. Elle est motivée par la campagne de plasticage du 7 février durant laquelle plusieurs tués et blessés sont à déplorer, dont une jeune fillette de quatre ans, Delphine Renard, blessée au visage dans un attentat qui visait en réalité André Malraux. Plusieurs syndicats et organisations[1] appellent donc à une manifestation contre l’OAS et pour la paix en Algérie.

Cette manifestation se veut davantage un rassemblement statique à Bastille qu’un défilé militant. Elle est tout de même prohibée, son interdiction semblant d’ailleurs motivée par le danger subversif que celle-ci pouvait représenter (le PCF est présent). On estime que près de 60 000 personnes ont participé à cette manifestation, encadrée par plus de 2800 membres des forces de l’ordre. Ces derniers ont reçu pour instruction de dissoudre avec la plus grande énergie les cortèges. Pour ce faire, les policiers disposaient de grenades lacrymogènes, mais aussi ces fameux « bidules », des matraques en bois longues de 85 cm et épaisses de 4 cm de diamètre.

Les cortèges se concentrent sur les boulevards Voltaire et Beaumarchais, ainsi que dans les rues avoisinantes aux alentours de 18h – 18h30. L’ensemble se veut pacifique. Bastille étant quadrillée par les forces de l’ordre, et donc inatteignable, il est décidé de s’arrêter aux abords de la place et de lire des déclarations communes, avant de se disperser.

Cependant, la situation est tout autre : une partie des manifestants ne peut se rassembler aux lieux prédéfinis[2] en raison du dispositif policier, certains sont même refoulés sur la rive gauche et ne peuvent plus progresser. Quelques affrontements éclatent notamment au nord du boulevard Beaumarchais : les forces de l’ordre répliquent par des coups de matraque et des lancés de gaz lacrymogène. Mais le reste des cortèges demeure pacifique et les dirigeants parviennent à lire leurs déclarations. À peine celles-ci terminées et les manifestants prêts à se disperser, les policiers des compagnies d’interventions chargent boulevard Voltaire. Il est 19h30 passé.

La panique se répand et la répression est terrible. De nombreux manifestants tentent de se réfugier dans la station Charonne, mais dans la confusion, les bousculades et les matraquages, ils sont nombreux à rester bloqués à l’entrée. D’après certains témoins, des policiers auraient jeté des grilles métalliques d’arbres sur les personnes bloquées dans l’escalier de la bouche de métro. Les blessés sont nombreux dans ce secteur. Au total, neuf personnes perdent la vie dans cette répression et plus d’une centaine sont blessées. Trois quart d’heures après la dispersion et le drame de la station Charonne, des affrontements auraient éclaté aux alentours de 20h15, du fait de l’émotion immense provoquée. Une centaine des membres des forces de l’ordre auraient ainsi été blessés et des manifestants libérés des fourgons de police.

Plaque commémorative du massacre du 8 février 1962 au métro Charonne à Paris, DUCHER Gérard, 2007, Wikimedia Commons

Le souvenir de Charonne demeure vivace. Déjà, le 13 février 1962, les funérailles des victimes avaient été suivies par une à plusieurs centaines de milliers d’individus (en fonction des sources). Le choc était vif, alors même que cette manifestation aurait pu conforter les choix du gouvernement quant à la guerre d’Algérie et le cas de l’OAS. Au niveau du gouvernement, il fut d’abord expliqué par le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, que l’action de la police avait été menée en réponse à l’action d’émeutiers bien équipés et organisés, avant que des politiques ne fassent porter la responsabilité de la répression sur des membres de l’OAS infiltrés dans les rangs des policiers (ce qui se révéla faux par ailleurs).

Depuis, chaque 13 février, des manifestations commémoratives ont lieu, menées notamment par les communistes, dont huit des neuf victimes étaient membres (et toutes syndiquées à la CGT). En 1982, sous la présidence de François Mitterrand, une plaque fut apposée dans la station de métro et, le 8 février 2007, une place a été inaugurée en mémoire des victimes. Cet événement est, par ailleurs, très ancré dans la culture populaire, le chanteur Renaud lui ayant, par exemple, dédié un couplet dans sa chanson « Hexagone » en 1975.

Renaud, « Hexagone », 1975, Youtube

Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :


[1] Parmi ces organisations, nous pouvons nommer la Confédération générale du travail (CGT), la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF), le Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN), la Fédération de l’Éducation nationale (FEN), le Syndicat national des instituteurs (SNI), le Parti Communiste Français, le Parti Socialiste Unifié et le mouvement de la paix.

[2] Ledru-Rollin, Sully-Morland, Filles du Calvaire, Gare de Lyon, Rue Saint-Antoine étaient les zones de rassemblement définies.

Laisser un commentaire