En avril 1945, l’avancée de la 1re division blindée polonaise libéra de nombreux camps de prisonniers, dont celui de Oberlangen. Celui-ci contenait des femmes polonaises de l’Armia Krajowa (« Armée de l’intérieur ») ayant participé à l’insurrection de Varsovie en août 1944.
Elles furent surprises de se voir libérées par leurs compatriotes, combattants en exil. Certaines de ces femmes étaient malades et 27 d’entre elles furent envoyées à l’hôpital des Bateliers à La Haye afin d’y être soignées. D’autres profitèrent de l’occasion pour rejoindre les rangs de la division (WAC/Woman Auxiliary Corps). Ces femmes jouèrent un rôle non négligeable durant les mois suivants.
À Varsovie, le général Tadeusz Bór-Komorowski ne s’était résigné à capituler qu’à condition que, puisqu’ils étaient incorporés à l’armée polonaise et de ce fait possesseurs d’un matricule militaire, les insurgés soient traités comme des militaires par les Allemands. En effet, ces derniers les considéraient comme des francs-tireurs, et les fusillaient en conséquence. Le statut de prisonniers de guerre ne leur fut finalement octroyé qu’à la fin de l’insurrection de Varsovie, in-extremis.
Après leur libération, les femmes d’Oberlangen furent confiées à une Polska Wojskowa Służba Kobiet (« Service militaire des femmes polonaises », PWSK) autonome. Il s’agissait d’un bataillon de femmes à la tête duquel se trouvait un commandant féminin et qui accomplissait pour l’armée polonaise d’occupation dans le Nord de l’Allemagne, des tâches de soutien et d’ordre administratif.
Elles ne firent donc pas partie de la 1re division blindée. Les soldats polonais avaient l’habitude de les surnommer Petski, ce que l’on pourrait traduire par « filles qui ont du chien ».
Moins d’un mois plus tard, la guerre se termina et l’Allemagne fut divisée en quatre zones entre les Alliés. La division polonaise fut alors casernée à Meppen, en zone britannique, commandée par le 30th Corps.
Évidemment, tous les prisonniers des camps furent libérés et devinrent, en termes techniques, des displaced persons (« personnes déplacées », DPs).
La question du logement des militaires polonais et, par la suite, des DPs, s’est posée presque immédiatement après la conquête du Nord de l’Allemagne. Le 14 avril 1945, les Britanniques du Military Government Detachment 107 firent donc savoir aux habitants de la ville de Haren, dans l’Emsland, qu’il leur faudrait avoir évacué les lieux pour le 19 avril à minuit.
La ville fut alors rebaptisée « Maczków », puis « Lwów ». Cependant, quelques jours plus tard, ce fut bien le nom de Maczków, dérivé du patronyme du général Maczek, qui fut choisi pour la ville. Maczek pouvant être traduit par coquelicot, le lieu fut également désigné comme « la ville aux coquelicots », « Poppies-town ».
L’expulsion fut donc décidée par les autorités militaires britanniques. Cette situation s’est reproduite en d’autres endroits du Nord de l’Allemagne. C’est ainsi à tort que l’on blâme les Polonais pour cette évacuation, même s’il est vrai qu’ils ont joué un rôle lors de son application.
De fait, il s’agissait (initialement) exclusivement de l’hébergement de militaires polonais. Néanmoins, par la suite, la mesure fut étendue en raison des nombreux citoyens et militaires polonais qui se présentaient aux portes de la ville. Il s’agissait, entre autres, des personnes arrêtées par les Allemands et envoyées dans les camps de concentration, comme le peintre Christo Stefanoff et sa femme Irena, ou ceux qui, soumis au travail obligatoire, faisaient fonctionner l’industrie de guerre allemande. Certains militaires polonais revenaient des camps de prisonniers de guerre. Ces derniers étaient le plus souvent réintégrés dans l’armée d’occupation.
Devant cet afflux de personnes de toutes nationalités dans le besoin, les militaires alliés sur place furent rapidement débordés. Or, les Américains, en collaboration avec 48 autres nations, anticipèrent et créèrent un organisme pouvant s’occuper de cette situation : l’United Nations for Relief and Rehabilitation Association (UNRRA).
Plusieurs « team » composées de sept personnes furent disséminées dans toutes les zones et mirent en place une structure d’accueil directement opérationnelle. Le Comité international de la Croix-Rouge leur apporta également une aide précieuse.
De fait, cette organisation entra en conflit avec la Pologne parce que le membre russe de la délégation exigeait que les Polonais regagnent leur pays. Lorsque, après la conférence de Yalta en 1945, il semblait clair que la Pologne vivrait sous un régime communiste, une grande partie des soldats démobilisés refusèrent de retourner au pays. Certains même affirmèrent que Maczków était devenue leur nouvelle patrie et refusèrent de quitter la ville. Ce fut seulement après de longues négociations qu’une solution acceptable fut envisagée. Il fut proposé à tous les militaires polonais de partir pour l’Angleterre afin d’y choisir une destination dans le monde libre.
La team de l’UNRRA qui s’était établie à Maczków était dirigée par Paul Rousseau, avocat belge et ancien prisonnier de guerre. Il avait été formé par les Anglais en France en fin d’année 1944. Il avait sous ses ordres une assistante sociale, un chef d’équipe adjoint, un médecin, une secrétaire, une infirmière et un chauffeur.
Toute une ville commença alors à fonctionner, avec l’aide de nombreux ex-prisonniers volontaires que l’on plaçait suivant leurs fonctions et leur savoir-faire pour palier aux besoins les plus urgents : médecins, infirmiers, personnel de manutention… Les priorités étaient les consultations médicales et sanitaires, le logement et l’habillement. Les WAC polonaises devinrent de précieuses auxiliaires et remplissaient de nombreuses fonctions pour les DPs.
Il faut alors préciser que la majorité des nouveaux habitants de Maczków étaient des Polonais. Les soldats de la division n’étaient pas en reste non plus, et aidaient de leur mieux le personnel et ces gens démunis de tout. Les militaires étaient, par ailleurs, tenus de prêter main-forte en cas de demande du bourgmestre.
Et ce qui devait arriver arriva : nombre de personnes travaillant ensemble, civils et militaires se rencontrèrent et bientôt naquirent de tendres liens. Un mariage de masse eut lieu le 29 novembre 1945 en la basilique de Maczków. Les actes de mariage se trouvent toujours dans les archives de l’église R. K. de Haren.
En 1946, le moral des anciens prisonniers s’était amélioré grâce à l’apport de nourriture suffisante et vitaminée, d’un travail pour participer à la vie en communauté et d’un retour progressif à la vie décente. Le lycée avait également rouvert ses portes et nombre d’enfants, tant orphelins que ceux issus d’une famille en vie, purent y suivre des cours et y faire du sport. Une troupe de scouts polonais fut créée. Des formations professionnelles furent également organisées pour les adultes afin de les former au métier de maçon, menuisier, agriculteur, chauffeur, etc.
Pour cette dernière formation, M. Barclay de Tolly, directeur de l’Automobile-Club polonais, la fille de celui-ci et le directeur Paul Rousseau créèrent une auto-école destinée à palier le manque de chauffeurs sur tout types de véhicules. Avec les carcasses trouvées ça et là, la rénovation de quelques locaux, on installa une école qui donna des cours de mécanique théorique et pratique, ainsi que des cours de conduite. Le tout était placé sous la houlette de l’armée anglaise qui faisait passer des examens draconiens aux candidats. Sept cent hommes obtinrent le permis.
Cette année-là, les premiers départs vers la Pologne, les États-Unis ou encore les pays du Commonwealth furent organisés. En effet, l’UNRRA obtint des pays vainqueurs que les DPs puissent émigrer dans ces pays s’ils le souhaitaient. C’est ainsi que les habitants des pays de l’Est, ne voulant pas rentrer dans leurs nations d’origine devenues communistes, purent gagner la France, la Hollande, la Belgique, etc.
En ce qui concerne cette dernière, certains soldats de la division polonaise, triés sur le volet et au nombre de 25, purent suivre des cours à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Ils habitèrent dans une maison en ruine, avenue Brugmann, à Ixelles.
Certains DPs rentrèrent tout de même en zone communiste, ayant laissé leurs familles sur place. Après un transit au camp de Lübeck, ils prirent le bateau jusqu’à Gdynia. Ce fut le cas pour le grand-père de mon épouse, qui fut surveillé par la police politique pendant de nombreuses années après avoir rejoint sa ville natale.
En 1947, la division polonaise fut démobilisée et Maczków, dont la population s’était déjà bien vidée, diminua encore. Seuls restèrent les vieillards, les malades et les orphelins. L’UNRRA intervint encore une fois afin que les pays ayant déjà accueilli des DPs fassent encore un effort.
L’année 1948 sonna le glas de cette ville temporaire et la population regagna sa ville d’origine, Haren. Les DPs restant encore sur place furent bien intégrés.
La ville du coquelicot vécut trois ans, sa structure aida 60 000 personnes de toutes nationalités à retrouver une raison de vivre et sept personnes de l’UNRRA, pour cette zone, firent un travail humanitaire immense. Qu’ils en soient ici félicités et remerciés.
Pour mon ami P. Rousseau
Directeur de l’UNRRA Team 162 de Maczków.
Gilles Lapers
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Bibliographie :
Interview de Paul Rousseau effectué en 2003
Archives UNRRA (Coll. Gilles Lapers)
