Les révoltes phéniciennes contre l’impérialisme assyrien au VIIe siècle av. J.-C.

Les révoltes phéniciennes contre l’impérialisme assyrien au VIIe siècle av. J.-C.


Abréviations utilisées :

SAA : States Archives of Assyria

SAAo : States Archives of Assyria online

RIMA : Royal Inscriptions of Mesopotamia (Assyrian Rulers of the Early First Millennium BC)

RINAP : Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period


Au cours de l’histoire de l’empire néo-assyrien[1], les rois prirent l’habitude de faire consigner les accomplissements ayant marqué leurs règnes sous forme d’inscriptions royales, qui ornaient souvent des réalisations monumentales (statues, murs de palais, etc.). Cette tradition, d’origine bien antérieure, consistait principalement en l’exaltation des exploits militaires des rois assyriens, présentés comme de valeureux conquérants étendant leur empire à la gloire du dieu Aššur[2].

Malgré les biais assez évidents que comportent ces sources textuelles, l’abondante documentation qu’elles constituent nous octroie néanmoins des informations précieuses sur l’histoire politique de l’empire néo-assyrien, en particulier concernant les relations qui unissaient l’Assyrie aux autres territoires du Proche-Orient. N’étant pas avares de détails parfois très crus sur leurs campagnes, les rois assyriens livrèrent ainsi des renseignements cruciaux sur les populations qu’ils firent passer sous leur joug. En outre, si l’Assyrie et ses rois y sont toujours évoqués sous un jour avantageux, les inscriptions royales trahissent toutefois les difficultés auxquelles l’empire dut faire face alors qu’il s’imposait comme puissance dominante au Proche-Orient.

Carte des différentes phases d'expansion de l'empire néo-assyrien (934-612 av. J.-C.)
Carte des différentes phases d’expansion de l’empire néo-assyrien (934-612 av. J.-C.), Sémhur et Zunkir, 2010, Wikimedia Commons

Les cités phéniciennes figurent parmi les États levantins d’abord convoités, puis progressivement conquis par les rois assyriens. Ces royaumes, dont la prospérité découlait principalement de leur situation idéale sur la côte méditerranéenne et du développement des activités commerciales qui y étaient associées, constituèrent un enjeu pour la puissance mésopotamienne ne disposant pas d’ouverture maritime. De surcroît, ces territoires arboraient d’abondantes ressources introuvables en Mésopotamie, en particulier le bois des cèdres dans la région du mont Liban, particulièrement recherché par les Assyriens.

Parmi les cités-États les plus importantes et influentes de Phénicie[3], demeuraient Tyr, Sidon, Byblos et Arwad : ce sont celles que les sources néo-assyriennes mentionnent le plus souvent et pour lesquelles nous possédons la documentation la plus abondante. De ce fait, les localités de leur arrière-pays ou de l’aire d’influence de leurs royaumes respectifs sont aussi amenées à être régulièrement mentionnées dans ces textes, puisque l’autorité des rois phéniciens ne se cantonnait en réalité pas à l’unique territoire de la cité éponyme du royaume.

Carte représentant l’étendue du territoire désigné sous le terme « Phénicie »
Carte représentant l’étendue du territoire désigné sous le terme « Phénicie ». Alvaro et Kordas, 2008, Wikimedia Commons

Les contacts entre les royaumes phéniciens et la Mésopotamie demeurèrent limités jusqu’à la montée en puissance de l’empire néo-assyrien, dont le règne de Tiglath-Phalazar III (745-727 av. J.-C.) initia la spectaculaire expansion territoriale. Après plusieurs siècles d’indépendance depuis la fin de l’âge du bronze, ces cités-États furent progressivement dominées par l’Assyrie, à des degrés variables suivant les territoires. Le VIIe siècle av. J.-C. marqua alors le point culminant de la pression du joug assyrien sur la Phénicie, dont les souverains se virent largement restreints dans leur marge de manœuvre du fait des conditions imposées souvent unilatéralement par les rois mésopotamiens.

De la fin du VIIIe siècle av. J.-C. à la première moitié VIIe siècle av. J.-C. s’opéra un certain tournant, au cours duquel se transformèrent les relations entre les cités phéniciennes et l’empire assyrien. De manière analogue, cette emprise, accrue de la puissance mésopotamienne en Phénicie, suscita des réactions phéniciennes plus vives et plus fréquentes dans les territoires concernés. Diverses stratégies s’y développèrent et se systématisèrent alors dans l’optique d’échapper au contrôle assyrien et de reconquérir une indépendance perdue, sans pour autant mettre en péril les royaumes phéniciens[4].

Les cités phéniciennes à l’époque néo-assyrienne

Bref historique de l’intégration des cités phéniciennes à l’empire néo-assyrien

Les contacts entre les cités phéniciennes et les souverains mésopotamiens sont loin d’être une nouveauté datant de l’époque néo-assyrienne. Déjà à l’époque de Tiglath-Phalazar Ier (1116-1077 av. J.-C), le roi assyrien se serait rendu jusqu’à Arwad, où la population locale l’aurait convié à une partie de pêche jusqu’au large de Şimirra[5]. Malgré la volonté affichée des Arwadites d’obtenir les bonnes faveurs du souverain mésopotamien, les contacts entre Arwad et ce dernier demeuraient rares et extraordinaires[6].

Il faut en réalité attendre l’époque néo-assyrienne pour que s’aiguise la connaissance des territoires phéniciens par les rois et que s’instaure progressivement l’exploitation des relations avec les cités-États de la côte Levantine. Les versements ponctuels de tributs au roi assyrien marquaient alors les liens univoques de clientélisme[7] qui unissaient les royaumes phéniciens à l’Assyrie ; les premiers reconnaissant ainsi l’autorité et la supériorité du souverain mésopotamien.

Les reliefs en bronze des portes de Balawat (site de l’ancienne Imgur-Enlil) datant des règnes d’Aššurnaṣirpal II (883-859 av. J.-C.) et de Salmanazar III (858-824 av. J.-C.) mettent ainsi en exergue les contacts avec les cités-États phéniciennes, et plus particulièrement avec Tyr, la plus influente et prospère. Les Phéniciens de Tyr y sont notamment représentés en train de donner aux Assyriens des produits emblématiques des activités artisanales et commerciales phéniciennes. L’intérêt des rois mésopotamiens pour les richesses des royaumes phéniciens et leurs compétences en navigation apparaît alors distinctement, non sans une forme de vision exotique de ces territoires, offrant des produits rares et recherchés en Mésopotamie.

Carte situant les sites les plus importants de l’empire néo-assyrien, dont Imgur-Enlil (Balawat) à environ 25 km de Ninive
Carte situant les sites les plus importants de l’empire néo-assyrien, dont Imgur-Enlil (Balawat) à environ 25 km de Ninive. Sémhur et Zunkir, 2010, Wikimedia Commons

À ce stade, il ne s’agissait cependant pas encore d’une domination assyrienne entièrement établie en Phénicie, puisque l’Assyrie n’intervenait pas dans les affaires politiques des royaumes phéniciens. Tant que leurs rois témoignaient leur fidélité à l’empire et payaient le tribut exigé, rien de plus ne se produisait. En d’autres termes plus caricaturaux, il s’agissait avant tout de faire bonne figure lorsque le roi assyrien passait dans la région pour collecter ces tributs.

Dans le cas contraire, les cités-États s’exposaient, en revanche, à des représailles armées puisque cela constituait, aux yeux du roi assyrien, un acte de rébellion. L’agressivité de la politique assyrienne variait en fonction du souverain, mais aussi de l’importance accordée à la Phénicie au sein de cette même politique impériale. Cette dernière demeurait intrinsèquement conditionnée par un contexte régional plus vaste : influence des royaumes araméens (IXe et VIIIe siècles av. J.-C.), ambitions égyptiennes, etc.

Représentation de Phéniciens sur les portes de Balawat, palais de Salmanazar III (858-824 av. J.-C.)
Représentation de Phéniciens sur les portes de Balawat, palais de Salmanazar III (858-824 av. J.-C.). Artiste inconnu, British Museum, Osama Shukir Muhammed Amin FRCP, 2016, Wikimedia Commons

Néanmoins, dès le règne de Salmanazar III (858-824 av. J.-C.) se produisirent des résistances levantines, auxquelles prirent notamment part certaines cités phéniciennes. Le roi assyrien se targue d’avoir écrasé une coalition de douze rois à Qarqar, parmi lesquels sont mentionnées les villes de Byblos, Arqa et Arwad[8], mais en réalité, il y essuya un sérieux revers[9].

Dans cette relation, quoiqu’à priori désavantageuse pour les cités phéniciennes, primait la conservation des intérêts des deux partis engagés. D’une part, l’Assyrie tirait profit des ressources naturelles de la région, comme les essences d’arbres (en particulier des cèdres) recherchées pour les grands travaux de construction entrepris par les rois, ainsi que des produits issus des activités traditionnelles phéniciennes (étoffes, teintures) et du commerce méditerranéen.

Cartes des principales routes commerciales empruntées par les Phéniciens au premier millénaire av. J.-C.
Cartes des principales routes commerciales empruntées par les Phéniciens au premier millénaire av. J.-C. Bourrichon, 2009, Wikimedia Commons

D’autre part, pour les Phéniciens, l’alliance avec l’empire assyrien leur assurait une forme de protection sans porter grande atteinte au dynamisme économique de leurs royaumes prospères[10]. Toutefois, il arrivait que certains vassaux surestiment les « devoirs » qu’avait le roi assyrien envers eux, estimant que celui-ci devait prendre leur parti en cas de querelles avec les royaumes voisins. En réalité, le souverain mésopotamien accordait peu d’intérêt à ces affaires, ce qui eut parfois pour conséquence de provoquer le retournement de ses vassaux contre lui[11].

Consensuellement considéré comme le véritable moment de la fondation de la puissance néo-assyrienne, le règne de Tiglath-Phalazar III (745-727 av. J.-C.) constitua un tournant majeur au Levant, où l’expansion assyrienne fut exceptionnelle et remarquablement rapide[12]. Tiglath-Phalazar III innova en matière de gestion territoriale, puisque l’empire se dota alors d’un système d’administration provincial[13].

Les cités phéniciennes n’échappèrent pas à ce changement radical et furent alors intégrées à l’empire assyrien[14] ; par intégration, il faut entendre la soumission totale des royaumes vassaux, allant au-delà d’une simple relation de clientélisme. Ainsi, Tyr, Sidon, Byblos et Arwad venaient de franchir un cap dans la sujétion à l’Assyrie.

L’administration assyrienne s’ancra dans la région et mit en place un contrôle strict des activités commerciales au Liban, principalement celles concernant l’exploitation et la vente du bois. Des fonctionnaires appelés « qēpū » (au singulier « qēpu ») prirent poste dans les ports phéniciens de Tyr, Sidon et Arwad, où des comptoirs assyriens (karānu[15]) furent établis, afin d’assurer la supervision des activités commerciales phéniciennes. Ces qēpū étaient également chargés de veiller au respect des réglementations implantées localement concernant l’exploitation du bois.

Toutefois, le cas le plus radical demeura celui de Ṣimirra, une cité septentrionale de la Phénicie proche d’Arwad, longtemps liée au royaume de Byblos. Ṣimirra rejoignit le système provincial néo-assyrien et devint même une capitale provinciale à partir de 738 av. J.-C. Cet événement est associé à l’annexion d’une partie des États araméens en conséquence de l’échec d’une coalition montée contre Tiglath-Phalazar III[16].

À partir de cette période, les cités phéniciennes tombèrent définitivement sous l’emprise assyrienne et perdirent leur indépendance à différents degrés, selon qu’elles fussent provincialisées (Ṣimirra et probablement la partie continentale du royaume d’Arwad[17]) ou maintenues en tant que tributaires. Tiglath-Phalazar III renforça aussi la pression économique sur la région, exigeant des tributs conséquents et réguliers de la part de ses vassaux.

D’autre part, les fonctionnaires établirent une forme de contrôle politique, accompagnée de répressions sévères lorsque les peuples soumis se montraient désobéissants ; point sur lequel nous reviendrons. Tiglath-Phalazar III posa ainsi les jalons d’une politique sur laquelle fut, par la suite, grandement fondée celle des rois sargonides[18], qui continuèrent à resserrer l’étau autour des royaumes phéniciens pour mieux exploiter leurs ressources, mais aussi parce que le contexte géopolitique impliquant l’Égypte les poussait à agir en conséquence.

S’assurer la loyauté phénicienne : un défi de la politique néo-assyrienne

À partir de la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C., la condition des cités-États phéniciennes sous le prisme de la sujétion à l’empire assyrien peut sembler défavorable. Néanmoins, il s’agit de nuancer la vision trop radicale longtemps véhiculée par l’historiographie de la domination assyrienne, associée à l’image de rois cruels et tyranniques envers les populations soumises[19].

En effet, les inscriptions royales assyriennes, tout comme les écrits vétéro-testamentaires n’ont pas joué en faveur des rois assyriens, dont la violence ne reste toutefois pas anecdotique. Cependant, ces derniers ne pratiquaient pas un acharnement total sur les territoires vaincus. La répression tendait à gagner en intensité quand une région se rebellait à plusieurs reprises, mais le roi assyrien ne procédait pas directement au massacre ou à la déportation massive d’un territoire. La provincialisation d’un territoire, systématiquement associée au principe des déportations croisées[20], ne constituait qu’un dernier recours jamais initialement voulu par les Assyriens[21], quand les autres stratégies de « pacification » avaient échoué.

Malgré leur sujétion à l’empire néo-assyrien, les royaumes phéniciens non-provincialisés n’avaient pas à souffrir une situation absolument catastrophique. Au contraire, ceux-ci semblaient bénéficier d’un régime relevant quasiment de l’exception, leur octroyant des conditions définitivement plus favorables qu’au reste des territoires levantins conquis depuis le règne de Tiglath-Phalazar III.

Cela est observable dans les lettres du gouverneur de Ṣimirra, Qurdi-Aššur-lamur, adressées à Tiglath-Phalazar III dans les années 730 av J.-C.[22]. Ce fonctionnaire semblait également responsable de la supervision des comptoirs assyriens établis dans les ports phéniciens de Tyr et Sidon.

Qurdi-Aššur-lamur rédigea plusieurs rapports dans lesquels il fit état des troubles qui eurent lieu dans la région de Tyr et de Sidon, et qu’il s’efforça de juguler.

Dans une de ses lettres, l’injonction du roi de parler « gentiment » à Hiram II de Tyr est rappelée. Tiglath-Phalazar III se montrait alors inhabituellement conciliant, tandis que le roi phénicien, turbulent, provoquait de vives agitations autour de Tyr et de Sidon. Cette indulgence demeurait probablement liée aux intérêts assyriens dans la région, qui ne pouvaient être poursuivis que par l’intermédiaire de bonnes relations avec Hiram II ; d’où le choix de parlementer plutôt que d’attaquer d’emblée[23]. Les rois phéniciens de Tyr et Sidon jouèrent souvent de ce traitement privilégié qui les renforçait dans leur idée d’être indispensables à l’empire et que le roi assyrien leur était redevable[24].

Bien que territoires clefs de l’empire offrant une ouverture méditerranéenne sur un commerce extrêmement profitable, les cités phéniciennes restaient situées à la périphérie occidentale de l’empire néo-assyrien. En réalité, ce dernier n’avait pas les moyens d’exercer un contrôle exacerbé sur cette région, car cela n’aurait pas été rentable. Il était plus profitable de s’appuyer sur une politique diplomatique assez conciliante, laissant suffisamment de marge de manœuvre à ses intermédiaires phéniciens pour exploiter la relation entretenue avec ces derniers, tout en exerçant une pression les exhortant à obéir.

Cela ne signifie pas que les cités phéniciennes n’eurent jamais à subir de répression ; les révoltes phéniciennes n’étant pas une nouveauté du VIIe siècle av. J.-C., il fallait déjà trouver des moyens de pallier ces problèmes. De toute évidence, les populations locales n’accueillirent pas avec enthousiasme les fonctionnaires étrangers qui s’octroyaient le droit de réguler leurs activités séculaires. La fondation des karānu put alors être perçue comme une entrave au commerce phénicien, d’autant plus que les Assyriens établirent une forme d’embargo à l’égard des cités philistines, partenaires commerciales des ports phéniciens[25].

Là encore, la lettre du gouverneur de Ṣimirra susmentionnée en offre un exemple parlant, puisqu’il y était question de la désobéissance d’Hiram II de Tyr et des exploitations illégales de ressources par les Phéniciens de la région du Mont Liban. Qurdi-Aššur-lamur mentionne alors l’intervention d’une troupe de mercenaires dont le rôle fut de terroriser les populations sidonienne et tyrienne. Cependant, Hiram II de Tyr ne cessa pas ses provocations envers l’empire assyrien. Il finit par être chassé du pouvoir[26] et par être remplacé par Mattan II, éminemment pro-assyrien, pacifiant pendant un temps les relations avec la puissance dominante.

Arc d’Hadrien, sur le site archéologique de Tyr, Liban.
Arc d’Hadrien, sur le site archéologique de Tyr, Liban. David Bjorgen, 2006, Wikimedia Commons

Cette insoumission phénicienne par la transgression des mesures imposées unilatéralement par les Assyriens demeura un leitmotiv des révoltes phéniciennes, où le contournement du contrôle assyrien entra souvent en jeu : profiter du dépassement ou de l’incompétence des fonctionnaires, les corrompre ou tirer profit des troubles dans les autres régions de l’empire. Tout stratagème fut étudié pour ne pas subir l’entrave aux activités traditionnelles. Tant que les conditions de vasselage demeuraient profitables pour les cités phéniciennes concernées, celles-ci ne manifestaient pas d’hostilité envers l’Assyrie. En revanche, lorsqu’il était estimé que la sujétion à l’empire portait préjudice aux activités économiques, les populations phéniciennes et/ou leurs rois cherchaient à s’imposer.

Il était évident que les royaumes phéniciens ne pouvaient envisager un affrontement frontal avec l’armée assyrienne de Tiglath-Phalazar III ou de ses successeurs. C’est pour cela que la résistance phénicienne se caractérisait davantage par ces stratégies détournées que par l’offensive directe, trop risquée pour les cités marchandes, dont la force militaire ne pouvait égaler celle de l’empire assyrien.

La politique des Sargonides et ses conséquences pour les territoires occidentaux de l’empire

Un impérialisme de plus en plus offensif sous couvert d’une fragilisation de l’autorité royale assyrienne

Si l’intérêt assyrien pour les ressources phéniciennes se manifesta de manière précoce, force est de constater que les affaires phéniciennes ne constituaient pas non plus une priorité dans la politique impériale des rois néo-assyriens. Néanmoins, Sargon II (722-705 av. J.-C.) et ses successeurs, auxquels on se réfère par le terme « Sargonides », renforcèrent conséquemment l’emprise assyrienne en Phénicie, ainsi que l’exploitation de l’économie locale, particulièrement dans la région du mont Liban.

Les sources officielles assyriennes indiquent un net accroissement du poids de la sujétion mésopotamienne sur l’économie des cités phéniciennes, et plus particulièrement de Tyr. En effet, un des textes en question[27] mentionne le tribut versé par Mattan II à Sargon II, révélant une augmentation conséquente du montant exigé par le roi assyrien en comparaison à ce qui était habituellement payé auparavant[28].

Il n’est pas exclu (outre la tendance des rois assyriens à gonfler les chiffres) que Mattan fit preuve de zèle, à la fois pour témoigner de sa bonne foi, mais aussi pour se racheter après la mauvaise conduite de son prédécesseur, Hiram II, d’autant plus que la prospérité de Tyr permettait ce versement. Quoi qu’il en soit, ce document met en évidence la soumission accrue du royaume phénicien à la puissance mésopotamienne, redoutée par les rois levantins.

Relief du palais de Sargon II (721-705 av. J.-C.) de Dūr-Šarrukīn (actuelle Khorsabad) représentant le transport du bois.
Relief du palais de Sargon II (721-705 av. J.-C.) de Dūr-Šarrukīn (actuelle Khorsabad) représentant le transport du bois. Artiste inconnu, VIIIe siècle av. J.-C., Musée du Louvre, Jastrow, Wikimedia Commons

En effet, à partir du règne de Sargon II, les campagnes assyriennes au Levant se multiplièrent et la présence militaire assyrienne s’intensifia dans les régions intégrées à l’empire. Néanmoins, cette politique offensive d’un empire quasiment au sommet de sa puissance cache aussi une certaine fragilisation de l’autorité assyrienne, qui ne parvenait que difficilement à s’asseoir au Levant.

Sargon II était en réalité un usurpateur[29]. Sa prise de pouvoir déstabilisa le pouvoir royal assyrien, en crise de légitimité. Lors de cette première succession houleuse, marquée par l’usurpation de Sargon, se créa une réaction en chaîne dans les territoires de l’empire, en particulier ceux éloignés du cœur du pays. Ainsi, le Levant fut agité par une vague de soulèvements anti-assyriens, profitant des perturbations politiques en Mésopotamie.

De même, il s’agit d’un leitmotiv des relations entre le Levant et l’empire assyrien, où chaque trouble interne constituait un terrain fertile pour les révoltes et les tentatives des territoires conquis pour recouvrer leur indépendance. Les successions des rois sargonides furent presque toutes houleuses[30], ce qui ne manqua pas à chaque fois de laisser le champ libre à des révoltes levantines, y compris des cités phéniciennes, mais aussi de fragiliser l’autorité assyrienne sur le long terme.

Représentation de Sargon II sur un relief de Khorsabad dépeignant la remise de tribut de l’Urartut.
Représentation de Sargon II sur un relief de Khorsabad dépeignant la remise de tribut de l’Urartut. Artiste inconnu, VIIIe siècle av. J.-C., Iraq Museum, Osama Shukir Muhammed Amin FRCP, 2019, Wikimedia Commons

 

Diviser pour mieux régner : la dangereuse stratégie assyrienne

Outre les difficultés internes au pouvoir assyrien qui purent exalter les velléités de révoltes des vassaux phéniciens, la gestion des territoires phéniciens intégrés à l’empire fut elle-même une source de problèmes. Pour comprendre la multiplication des révoltes phéniciennes sous les Sargonides, il faut attirer l’attention sur l’hétérogénéité des relations unissant les différentes cités phéniciennes à la puissance dominante ; ce qui découlait directement de la politique assyrienne ébauchée depuis Tiglath-Phalazar III, mais surtout renforcée par ses successeurs. En effet, les rois tendaient à alimenter les tensions séculaires entre les cités phéniciennes, et plus particulièrement entre Tyr et Sidon[31], royaumes dont les histoires demeurent inexorablement liées[32].

En favorisant une des deux cités au profit de l’autre, les rois assyriens s’assuraient d’abord de dissuader leurs vassaux phéniciens de se rebeller ; en réservant le plus souvent un sort peu enviable au royaume le moins obéissant. En plus de servir d’exemple, ce dernier était momentanément mis hors d’état de nuire et contraint de se refermer sur lui-même. Par la même occasion, le vassal favorisé devait, en principe, témoigner de sa reconnaissance au roi assyrien et afficher une conduite exemplaire.

Il s’agit là de la théorie, puisque la réalité des événements, comme nous le verrons, ne correspond pas à cette vision envisagée. La lutte interne entre partis pro- et anti-assyriens demeure un motif récurrent de l’histoire politique des royaumes phéniciens. Il n’y avait jamais réellement de voix unanime au sein des élites à propos de la conduite à adopter face à l’empire assyrien, et la politique de « diviser pour mieux régner » envisagée par les rois mésopotamiens ne résolut en rien ces problématiques, qui finirent par leur porter eux-mêmes préjudice.

Un des cas les plus emblématiques demeure celui des cités de Tyr et Sidon sous le règne de Sennachérib (705 à 681 av. J.-C.). Jusqu’à l’accession au trône de ce dernier, Tyr entretenait une relation privilégiée avec l’empire assyrien. Son roi, Ṣilta[33], bénéficiait de la protection de Sargon II qui intervint militairement contre les Ioniens qui commettaient des actes de piraterie sur la côte phénicienne[34]. Les inscriptions royales de Sargon II insistent particulièrement sur la loyauté de Ṣilta et sa bonne conduite en tant que vassal[35].

eprésentation d’un navire de guerre phénicien (ca. 700-692 av. J.-C.), appelée à tort « navire de guerre assyrien », trouvée sur un relief du palais de Sennachérib (705-681 av. J.-C.) de Ninive.
Représentation d’un navire de guerre phénicien (ca. 700-692 av. J.-C.), appelée à tort « navire de guerre assyrien », trouvée sur un relief du palais de Sennachérib (705-681 av. J.-C.) de Ninive. Artiste inconnu, VIIe siècle av. J.-C., British Museum, World Imaging, 2005, Wikimedia Commons

L’arrivée de Lulî au pouvoir à Sidon, probablement durant les derniers moments du règne de Ṣilta à Tyr, marqua alors un tournant pour les deux grandes cités-États phéniciennes. De nombreux questionnements perdurent autour de l’identité de Lulî, son origine et ses motivations. Néanmoins, les documents dont nous disposons permettent, a minima, d’établir que ce roi, mentionné comme roi de Sidon dans les textes assyriens, parvint à asseoir son autorité à Tyr. Cette situation n’est pas étonnante : chaque royaume exerçant alternativement son hégémonie sur le second[36]. Dès lors, il est probable que Lulî parvint à gagner en influence à Tyr alors que le règne de Ṣilta touchait à sa fin.

Les descriptions de Lulî émanant des sources assyriennes, certes biaisées, mais également des écrits de Flavius Josèphe[37], dressent le portrait d’un roi phénicien éminemment anti-assyrien. Effectivement, celui-ci entra en rébellion ouverte contre Sennachérib, qui mata toutefois cette révolte sans trop de difficulté malgré son incapacité à prendre l’île de Tyr[38], depuis laquelle Lulî prit la fuite pour se réfugier à Chypre[39].

À l’issue de ces événements, Sennachérib punit durement Tyr en l’amputant d’une vaste partie de ses possessions continentales, qu’il redistribua à Sidon[40]. Cette mesure eut pour conséquence d’asphyxier Tyr, recluse dans son territoire insulaire et pâtissant alors de l’entrave à l’importation de matières premières et autres atouts venant de son ancien arrière-pays. Cette dépossession de Tyr affecta directement les activités commerciales du royaume, qui entra alors dans une période de déclin assez brutal.

Ainsi, Sennachérib choisit une politique inverse à celle de son père en élevant Sidon au rang de vassal phénicien préférentiel, aux dépens de Tyr. Ce choix peut d’abord sembler étonnant, puisque c’est le roi de Sidon qui entra en rébellion contre l’empire. Cela peut néanmoins s’expliquer par l’appartenance hypothétique, quoique probable, de Lulî à la famille royale tyrienne[41], ainsi que par la participation du royaume phénicien supposément loyal et fiable à la révolte de sa comparse sidonienne.

Relief dit « de Lachish », trouvé dans le palais sud-ouest de Ninive du palais de Sennachérib et représentant une de ses campagnes au Levant.
Relief dit « de Lachish », trouvé dans le palais sud-ouest de Ninive du palais de Sennachérib et représentant une de ses campagnes au Levant. Artiste inconnu, ca. 700-692 av. J.-C., British Museum, Mike Peel, 2010, Wikimedia Commons

Si la politique de Sennachérib est un exemple flagrant de l’entretien des rivalités séculaires entre Tyr et Sidon pour mieux en tirer profit, elle fut toutefois un échec à moyen terme. En effet, le successeur de Lulî, Abdimilkot de Sidon, profita des fameux troubles de successions assyriens sur fond de parricide[42] pour tenter de reconquérir son indépendance vis-à-vis de l’empire.

Cette ultime révolte du royaume de Sidon aboutit à sa provincialisation par Assarhaddon (681-669 av. J.-C.), successeur de Sennachérib, qui créa sur l’ancien territoire sidonien le nouvel établissement de Kār-Assarhaddon (littéralement « Port Assarhaddon ») avec le concours des autres rois de la côte[43]. Cet événement sembla profondément marquer le règne d’Assarhaddon, en tant qu’il fut mentionné à plusieurs reprises dans divers documents : inscriptions royales, textes divinatoires, lettres, etc.[44]. Pour Tyr, cette révolte échouée de sa rivale marqua le retour à son statut de vassale phénicienne privilégiée, ainsi que la restitution d’une partie de ses anciens territoires continentaux, lorsqu’ils n’étaient pas inclus dans l’aire de la nouvelle province assyrienne de Sidon.

Outre la contrainte que la répression dut représenter au début du règne du fils de Sennachérib, la provincialisation de Sidon dévoile surtout l’échec de la politique sargonide dans les territoires phéniciens[45], puisqu’il s’agit alors du dernier recours de l’empire, coûteux et contraignant, pour asseoir sa domination. En réalité, la stratégie des rois ne parvint donc pas à prévenir les révoltes des vassaux phéniciens ; au contraire, elle sembla davantage créer une spirale de rébellions en cascade dans ces territoires, qui n’acceptaient la domination assyrienne que lorsqu’elle était la seule option viable.

La multiplication des troubles en territoires phéniciens au VIIe siècle av. J.-C.

Baal Ier, un exemple représentatif des mutations relationnelles entre la Phénicie et l’empire assyrien au temps des Sargonides

Lorsque Baal Ier (ca. 680 av. J.-C – ca. 660 av. J.-C.) arriva au pouvoir à Tyr, le royaume souffrait encore de la politique de Sennachérib. Cependant, au cours de son règne, le dynamisme de la cité-État fut ravivé, notamment « grâce » à la révolte échouée d’Abdimilkot de Sidon, qui mit fin aux rivalités séculaires entre Tyr et Sidon et octroyait à présent le champ quasiment libre à Tyr, dans les limites de ce que lui permettait l’emprise assyrienne.

Au cours des années 670 av. J.-C.[46], un traité fut conclu entre Baal et Assarhaddon. Ce document, quoique dans un état de conservation plutôt mauvais, nous procure des informations essentielles sur les relations entre Tyr et l’empire assyrien[47], tout en laissant des indices sur ce que furent les relations de l’Assyrie avec le reste de la Phénicie sous les Sargonides[48].

Copie du traité conclu entre Baal de Tyr et Assarhaddon autour de 676 av. J.-C.
Copie du traité conclu entre Baal de Tyr et Assarhaddon autour de 676 av. J.-C., Hugo Winckler, 1898, Wikimedia Commons

Au premier abord, le traité semble plutôt profitable à la cité-État phénicienne, dont les intérêts commerciaux paraissaient garantis par la protection assyrienne. Si ce traité ne fut réellement imposé de façon unilatérale par l’empire, il est toutefois difficile d’ignorer le visible ascendant que possédait Assarhaddon sur son vassal tyrien. Certes, le roi assyrien se devait d’assurer des conditions avantageuses à Baal Ier, notamment pour éviter de nouvelles révoltes en territoires phéniciens. Néanmoins, il s’agissait également de circonscrire fermement l’étendue du pouvoir de Baal Ier, afin qu’il ne mette pas en péril les intérêts de l’Assyrie dans la région.

Assarhaddon conservait une méfiance aiguë à l’égard des Phéniciens ; tout comme envers une grande partie des populations levantines. Cela transparaît au travers des multiples requêtes adressées à Assarhaddon au dieu Šamaš les concernant[49].Cette suspicion constante d’Assarhaddon à l’égard des populations levantines, et plus particulièrement du Levant Sud, s’expliquait notamment par la montée en puissance des rois de Kush[50] en Égypte. Cette dernière menaçait de plus en plus les intérêts assyriens en Philistie[51] et en Phénicie, territoires constituant une forme de zone tampon entre les deux puissances assyrienne et kushite.

S’ajoutant à la fragilisation progressive de l’autorité assyrienne et le sentiment d’immunité souvent arboré par Tyr, la question égyptienne favorisait davantage la diffusion des agitations dans cette région à la périphérie du cœur du pouvoir assyrien[52]. Assarhaddon n’était alors dupe ni au sujet des aspirations de ses vassaux sud-levantins quant à leur indépendance, ni de l’influence conséquente qu’exerçait le roi kushite Taharqa (690- 665 av. J.-C) sur ces derniers.

Dans les années qui suivirent son traité avec Assarhaddon, Baal Ier sembla se comporter comme un vassal modèle et probablement reconnaissant envers le roi assyrien[53]. Dans les inscriptions émises par Assarhaddon, Baal est mentionné parmi les rois ayant contribué à la construction du nouveau palais d’Assarhaddon à Ninive. Néanmoins, ces bonnes relations avec l’empire assyrien se dégradèrent rapidement : Assarhaddon attribua cela à une alliance entre Baal et Taharqa dans une inscription relatant sa campagne contre l’Égypte entre la huitième et la dixième année de son règne[54]. Le roi assyrien justifiait alors son intervention militaire contre Tyr par l’entente de cette dernière avec l’Égypte.

Effectivement, après la première campagne échouée d’Assarhaddon en Égypte en 674-673 av. J.-C.[55], de nombreux vassaux assyriens durent apporter une lourde contribution financière et militaire à l’Assyrie : ce fut le cas de Baal Ier. Au même moment, Taharqa imposait sa domination en Philistie. Le rapprochement de Baal avec Taharqa peut donc s’entendre comme un choix stratégique, visant à protéger Tyr de toute agression égyptienne[56] et permettant, dans le même temps, de libérer potentiellement le royaume phénicien du joug assyrien.

La défaite d’Assarhaddon contre Taharqa en 673 av. J.-C. semble avoir réellement joué un rôle déterminant dans le soulèvement de Tyr en bouleversant les rapports de force entre l’Égypte et l’Assyrie, et en rouvrant la brèche des tendances rebelles phéniciennes. En effet, s’additionnant à l’immiscion de l’Assyrie dans les affaires tyriennes, aux lourdes redevances financières et militaires et au contrôle exacerbé du commerce, les facteurs propices à la révolte de Tyr commençaient à sérieusement s’accumuler.

Sur le chemin de sa campagne égyptienne de 671 av. J.-C., Assarhaddon dut alors intervenir contre Baal de Tyr. L’inscription susmentionnée, datant de la dixième année du règne d’Assarhaddon, fait état du blocus de Tyr mis en place par l’armée assyrienne, coupant alors le territoire insulaire de tout contact avec son arrière-pays et ses potentiels alliés. En mettant Tyr hors d’état de nuire, le roi assyrien assurait ses arrières pour poursuivre sereinement sa campagne vers l’Égypte[57].

Baal Ier se rendit assez promptement à Assarhaddon, qui avait organisé un blocus dont les conséquences n’étaient pas tenables pour l’île de Tyr. Bien qu’il s’agisse d’une victoire assyrienne, cet événement resta plutôt embarrassant pour les deux partis : du côté de Baal, sa révolte était un échec cuisant ; pour Assarhaddon, l’impossibilité de prendre le territoire insulaire ne faisait de sa victoire qu’une semi-réussite[58].

Néanmoins, la reddition rapide de Baal permit de limiter considérablement les dégâts qu’auraient pu subir Tyr et lui-même. Baal fut maintenu au pouvoir, bien que Tyr dut verser une lourde redevance en plus du tribut réclamé par le roi assyrien. Baal Ier s’engagea également dans une politique matrimoniale avec le roi assyrien, dont l’initiative fut apparemment celle du roi phénicien[59], témoignant ainsi des sacrifices que ce dernier était prêt à accomplir pour se racheter auprès d’Assarhaddon. En effet, Baal sembla obtenir à nouveau, d’une manière habile, les faveurs du roi assyrien, auquel il ne fit plus défaut[60].

Assarhaddon fit élever plusieurs stèles pour célébrer sa victorieuse campagne d’Égypte contre Taharqa. Une d’entre elles, retrouvée dans l’ancienne région du royaume de Sa’mal (actuel Zincirli), éveilla des débats autour de l’identification d’un personnage. Le relief présente le roi Assarhaddon en majesté, auquel se soumettent deux personnages. L’un deux semble être , de façon assez certaine, le fils de Taharqa. Le doute subsiste à propos du second personnage, tantôt identifié comme Taharqa, tantôt comme Abdimilkot[61], ou encore comme Baal de Tyr[62].

Représentation hypothétique de Baal de Tyr ou d’un autre prince étranger sur la stèle de la victoire d’Égypte d’Assarhaddon (ca. 670 av. J.-C)
Représentation hypothétique de Baal de Tyr ou d’un autre prince étranger sur la stèle de la victoire d’Égypte d’Assarhaddon (ca. 670 av. J.-C). Artiste inconnu, ca. 670 av. J.-C., Pergamonmuseum, Neithsabes, Wikimedia Commons

Lorsque Aššurbanipal succéda à Assarhaddon en 668 av. J.-C., Baal Ier de Tyr figurait à ce moment parmi les vassaux fidèles de l’Assyrie[63]. Pourtant, seulement quelques années plus tard, cette tendance s’inversa alors que le roi tyrien entrait à nouveau en rébellion contre l’empire. Cela est relaté dans les annales d’Aššurbanipal, et plus précisément dans le document nommé « Prisme F », faisant récit des campagnes du roi et figurant parmi les plus connus et les mieux conservés de son règne[64].

D’après les informations disponibles dans les annales d’Aššurbanipal, le soulèvement de Baal prit place aux alentours de 662 av. J.-C.[65]. Contrairement aux inscriptions d’Assarhaddon qui dévoilaient le rapprochement entre Baal et Taharqa, les raisons de la révolte de Tyr ne furent pas réellement précisées : Aššurbanipal se contenta de présenter le roi phénicien comme un vassal insolent. Néanmoins, les motivations de Baal restaient probablement similaires à celles de sa révolte précédente, auxquelles s’ajoutèrent probablement l’accroissement des devoirs militaires des vassaux envers l’empire sous le règne d’Aššurbanipal[66].

Lançant une campagne contre l’Égypte, Aššurbanipal en profita pour « pacifier » la région de Tyr et sécuriser le sud du Levant pour poursuivre sa route vers l’Égypte. Il se peut que l’intervention d’Aššurbanipal à Tyr fut davantage préventive que punitive, afin d’assurer ses arrières et d’écarter la menace égyptienne en Phénicie. En effet, le roi assyrien ne développa pas les circonstances de la révolte de Baal, qui n’était peut-être pas un acte de rébellion si affirmé que cela. La méfiance de l’Assyrie vis-à-vis de l’Égypte et du sud du Levant était assez prégnante, de sorte qu’il en fallait probablement peu pour qu’Aššurbanipal décidât de partir en campagne contre les potentiels alliés de l’Égypte.

Aššurbanipal se targuait d’avoir pris le contrôle des routes maritimes attachées à Tyr, il n’avait pas plus réussi à prendre l’île que ses prédécesseurs. Cependant, la stratégie du blocus, analogue à celle de ses prédécesseurs, fut d’une efficacité redoutable et lui assura la victoire sur Baal de Tyr. Ce dernier parvint une nouvelle fois à limiter les conséquences pour lui-même et pour son royaume grâce à ses talents de diplomate : Baal envoya notamment son fils au roi d’Assyrie et le contraint de rendre hommage à ce dernier, alors même qu’il était probablement son héritier[67].

Baal escomptait peut-être assurer la sauvegarde de sa dynastie et le maintien au pouvoir de celle-ci par cette manœuvre, quand bien même Aššurbanipal le retirait de son trône pour sa révolte. Le roi assyrien lui restitua cependant sa progéniture, certainement pour paraître miséricordieux et s’assurer la fidélité de son vassal, qui devait lui être reconnaissant. Ainsi, Aššurbanipal poursuivit la politique de son prédécesseur, qui consistait déjà en l’équilibre entre l’infliction de châtiments dissuasifs et les traitements de faveur à l’égard de Tyr et son roi.

Relief représentant une chasse royale au cours de laquelle Aššurbanipal combat un lion, trouvé dans le palais nord de Ninive.
Relief représentant une chasse royale au cours de laquelle Aššurbanipal combat un lion, trouvé dans le palais nord de Ninive. Artiste inconnu, ca. 645-635 av. J.-C., Zunkir, 2020, Wikimedia Commons

Une lettre adressée à Aššurbanipal en 650 av. J.-C.[68] introduit une certaine confusion vis-à-vis du statut de Tyr, car l’éponyme[69] mentionné apparaît sous le titre de « gouverneur de Tyr », ce qui impliquerait que le royaume phénicien eût été provincialisé. Il est envisageable que le roi assyrien ait renforcé la surveillance de Tyr et de son roi après la révolte de Baal, d’où la présence de ce gouverneur. Néanmoins, Baal Ier n’ayant pas été destitué, on ne peut envisager la provincialisation complète de Tyr. En revanche, il est assez probable qu’une partie du territoire continental anciennement sous domination tyrienne rejoignit un ensemble provincialisé, y compris les villes d’Ušu et Akko sur lesquelles nous reviendrons ; ce qui n’est pas surprenant étant donné les révoltes successives auxquelles se livra Tyr.

La révolte de Baal demeure emblématique des rébellions des vassaux levantins et des conflits irréguliers menés par ces derniers à l’encontre de la puissance dominante, espérant ultimement reconquérir l’indépendance de leurs territoires. Le caractère irrégulier de ces événements dans le sud de la Phénicie s’exprime au travers des diverses trahisons des devoirs des vassaux envers le roi assyrien : renversements d’alliance, cessation de paiement, conclusions illégales de traités avec d’autres rois, etc. Au travers de ces actes, l’indépendance de la cité-État rebelle était autoproclamée, sans pour autant être reconnue par l’empire. Ce type de révolte prenait place alors que l’Assyrie était en proie à des difficultés (conflits de succession, revers militaires, etc.), ce qui accentuait l’aspect irrégulier du conflit, profitant du déséquilibre temporaire des rapports de force.

Il demeure toutefois assez surprenant que Baal Ier s’en sortit aussi bien alors qu’il s’agissait de sa deuxième révolte contre l’empire assyrien. En principe, selon l’habitude des rois néo-assyriens, il n’aurait, a minima, pas dû être maintenu au pouvoir. Dans le pire des cas, Tyr aurait pu subir le même sort que Sidon, mais cela aurait été particulièrement coûteux et peu avantageux pour l’empire assyrien. Cette prise de risque, quoiqu’inhabituelle à l’échelle de l’empire, demeurait assez caractéristique des rois des cités côtières, qui se savaient utiles à l’Assyrie par l’intermédiaire qu’ils octroyaient pour la gestion de leurs ports[70].

Cette indulgence à l’égard de Baal Ier peut être le signe soit d’une grande habileté diplomatique de la part de ce dernier, soit du fait que ces affaires à la périphérie de l’empire n’étaient pas la priorité d’Aššurbanipal, qui avait d’autres problèmes à gérer sur différents fronts. D’autre part, la récidive de Baal de Tyr illustre le sentiment d’impunité qui habitait parfois les rois phéniciens et philistins, convaincus d’avoir droit à un traitement particulier de la part de l’empire assyrien[71]. Dans le cas de Tyr, cela restait particulièrement exacerbé par son statut de territoire insulaire, lui assurant une protection sans pareille au sein du royaume.

Une rébellion d’un genre distinct : la dissidence de Yakin-Lû d’Arwad

Jusqu’à présent, nous avons essentiellement évoqué le sud de la Phénicie en nous concentrant sur les contestations de l’impérialisme assyrien dans la région de Tyr et Sidon. Constituant à la fois le cœur de la puissance phénicienne et celui des convoitises assyriennes et égyptiennes, du fait de l’accès privilégié au commerce méditerranéen qu’ils prodiguaient, ces territoires procuraient un terrain fertile pour les conflits d’intérêts.

Malgré l’importance des cités-États de Tyr et de Sidon, les territoires phéniciens septentrionaux de l’aire d’influence du royaume d’Arwad ne se contentèrent pas d’accepter docilement la soumission à l’empire néo-assyrien. De fait, cette région demeurait en principe plus calme, particulièrement grâce à la provincialisation précoce de Ṣimirra (ca. 740 av. J.-C.) et d’une partie du territoire continental d’Arwad sous le règne de Tiglath-Phalazar III (745-727 av. J.-C.), contribuant à pacifier efficacement la région[72].

Pourtant, à partir du règne d’Assarhaddon, des documents assyriens indiquent que le royaume d’Arwad devint l’épicentre d’une dissidence anti-assyrienne, menée par son monarque Yakin-Lû. Lorsque nous avons évoqué le cas de son contemporain tyrien Baal Ier, nous avons pu mettre en lumière des stratégies de lutte et de résistance assez classiques au Levant à l’époque néo-assyrienne, alliant diverses trahisons envers le roi mésopotamien. Le cas d’Arwad se distingue de celui de Tyr, par le fait que la dissidence phénicienne se propagea au sein du système administratif assyrien. En d’autres termes, Yakin-Lû parvint à rallier une partie des notables assyriens en poste dans la région à sa cause.

En effet, si les vassaux levantins avaient déjà pour habitude de profiter des crises fragilisant l’autorité assyrienne dans les territoires périphériques de l’empire, la participation des fonctionnaires aux actes relevant de la rébellion n’était pas un phénomène courant ou, du moins, les sources assyriennes n’en faisaient pas mention. À partir du règne d’Assarhaddon, la méfiance du roi vis-à-vis de son personnel administratif sembla toutefois s’accroître. Cette tendance apparaît dans les documents à notre disposition, où les dénonciations des mauvaises actions de fonctionnaires se multiplient, encouragées par Assarhaddon lui-même[73].

Une de ces lettres fut émise à l’encontre de Yakin-Lû et de certains fonctionnaires de la province de Ṣimirra[74]. Le dénonciateur en question, Itti-Šamaš-balaṭu, lui-même en poste dans la région d’Arwad, adressa une longue lettre à l’intention du roi pour lui rendre compte de la situation, tout en essayant de se décharger de toute responsabilité. Après une longue introduction obséquieuse pour s’assurer la bienveillance du roi, Itti-Šamaš-balaṭu révèle que le roi d’Arwad enfreignait toutes les conditions imposées par l’Assyrie concernant les karānu établis dans la région. Ces comptoirs, visant à favoriser le commerce assyrien, furent visiblement détournés de leur finalité initiale par Yakin-Lû, pour son profit personnel ainsi que celui des marchands arwadites.

Statue du dieu phénicien Baal-Arwad, associé à la cité éponyme.
Statue du dieu phénicien Baal-Arwad, associé à la cité éponyme. Artiste inconnu, ca. 550-450 av. J.-C., Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, 2021, Wikimedia Commons

La conduite du roi d’Arwad portait certes préjudice à l’Assyrie du point de vue économique, par le détournement des bateaux et de leurs marchandises. Cependant, il attaquait aussi directement des Assyriens, lorsque ceux-ci refusaient d’obtempérer. Les actions de Yakin-Lû dépassaient alors les manifestations d’une « simple » révolte, puisque le roi d’Arwad semblait avoir réussi à imposer son autorité, au-delà de celle du roi assyrien, incarnée dans ses fonctionnaires. Itti-Šamaš-balaṭu dénonce un des complices de Yakin-Lû : un certain Ilu-ma’adi, venant de Ṣimirra. Le roi d’Arwad bénéficiait alors d’un réseau qui lui permettait de continuer à jouir de cette liberté d’action, sans que l’administration assyrienne parvînt à s’y opposer.

Ce qui est décrit par Itti-Šamaš-balaṭu reste inédit concernant la Phénicie, où les rébellions consistaient la plupart du temps en des non-versements de tributs ou en des alliances avec des ennemis de l’Assyrie. Ici, le roi d’Arwad était parvenu à contourner tout un système administratif et à réaffirmer son autorité, alors qu’une partie de l’ancien territoire du royaume se trouvait dans une province assyrienne (Ṣimirra). De plus, Yakin-Lû tirait profit de cette organisation, qui était au départ vouée à assurer le contrôle assyrien dans la région.

Les doléances d’Itti-Šamaš-balaṭu à Assarhaddon mettent en évidence le fait que Yakin-Lû et ses alliés de la province de Ṣimirra (comme Ilu-ma’adi) n’agissaient pas seuls contre les Assyriens. En réalité, ces derniers étaient en bonne partie corrompus et fermaient les yeux sur les actions de Yakin-Lû, voire y contribuaient pour générer des profits personnels en tissant des liens avec les marchands et le roi d’Arwad. Ce dernier avait donc ciblé les failles de l’administration assyrienne et les avait exploitées avec succès.

Paradoxalement, à ce moment, le royaume d’Arwad semblait particulièrement libre, tant que l’administration assyrienne corrompue permettait ce genre de débordements. Cette « révolte » de Yakin-Lû demeurait différente de celles des autres cités phéniciennes (Tyr ou Sidon). En effet, ce n’était pas le triomphe d’un parti anti-assyrien au pouvoir qui primait, mais plutôt la recherche d’assouvissement d’ambitions personnelles de Yakin-Lû, qui passait nécessairement par le contournement du système de contrôle impérial. D’un point de vue pragmatique, cela impliquait que le roi d’Arwad n’était pas particulièrement favorable à l’Assyrie ; à l’exception des fonctionnaires qui collaboraient avec lui, et de ceux, comme Itti-Šamaš-balaṭu, qui étaient incompétents.

Dans la fin de sa lettre, Itti-Šamaš-balaṭu s’évertue à prouver sa bonne foi et sa droiture vis-à-vis du roi. Le texte se conclut sur un long passage empli de pathos et de lamentations, où le fonctionnaire prie le roi de lui venir en aide. Néanmoins, quelles étaient les véritables intentions d’Itti-Šamaš-balaṭu, et était-il si innocent et impuissant que cela ?

En effet, certains fonctionnaires zélés exploitaient la politique de dénonciation encouragée par Assarhaddon afin d’obtenir les faveurs de ce dernier, s’ils rendaient service au roi en mettant en lumière des menaces potentielles[75]. Toutefois, le ton démesurément obséquieux d’Itti-Šamaš-balaṭu et ses supplications paraissent sincères. Le fonctionnaire était certainement en difficulté, voire en danger, mais il demeurait assez incompétent, puisqu’il ne parvenait ni à faire régner l’ordre à Arwad, ni à rappeler les autres fonctionnaires à leurs devoirs.

Quant à Assarhaddon, celui-ci semblait également préoccupé par la question arwadite, puisque dans l’une de ses requêtes au dieu Šamaš, le roi assyrien évoqua la conduite de Yakin-Lû[76]. Assarhaddon semblait alors hésiter à envoyer son fils Aššurbanipal se charger de régler le problème. Le prince héritier devait traiter certaines affaires touchant à la gestion de l’ouest de l’empire, ce qui expliquerait aussi pourquoi Assarhaddon n’intervint pas directement, s’il avait d’autres prérogatives ailleurs.

Ayant des problèmes plus urgents à traiter dans le sud du Levant et en Égypte, il est probable qu’Assarhaddon n’intervint pas à Arwad pour se focaliser sur les menaces les plus importantes. L’autre possibilité est que le roi sous-estima l’ampleur du problème arwadite[77] et pensa suffisant d’envoyer un stratège pour régler la situation, par le biais de la diplomatie. En soi, le versement du tribut dû par Arwad n’avait pas été interrompu : Yakin-Lû figurait toujours dans la liste des rois nord-levantins tributaires, y compris au début du règne d’Aššurbanipal. Il ne s’agissait donc pas d’une entrée en rébellion ouverte et revendiquée contre l’empire assyrien.

Yakin-Lû continuant à causer des troubles, Aššurbanipal intervint à Arwad entre 665 et 649 av. J.-C.[78] pour rétablir l’ordre dans la région. Dans un même document relatant la répression de Baal de Tyr sous le règne d’Aššurbanipal, le sort du roi d’Arwad est raconté[79]. Yakin-Lû adopta une conduite similaire à celle de Baal, duquel il fut peut-être inspiré, en allant implorer le pardon du roi assyrien à Ninive et en lui envoyant également des membres de sa famille[80]. Comme pour le roi de Tyr, cette stratégie fut efficace et permit de limiter les dégâts pour Yakin-Lû et son royaume. À la mort de ce dernier, Aššurbanipal prit part à l’organisation de la succession du roi d’Arwad en choisissant celui parmi ses fils qui devait accéder au trône, privilégiant très probablement le plus enclin à conduire une politique pro-assyrienne[81]

Conséquences de ces désobéissances phéniciennes : un soulèvement des campagnes du sud de la Phénicie

Une forme de réaction en chaîne se produisit en Phénicie à partir du règne d’Assarhaddon, moment où des rois phéniciens influents choisirent de tenter de se soulever contre l’Assyrie plutôt que de se soumettre à son joug toujours plus lourd. Baal Ier, peut-être lui-même influencé par Yakin-Lû, joua alors un rôle moteur, en tant qu’homme à la tête de la cité phénicienne la plus puissante. De façon générale, Tyr semblait dicter la conduite à tenir face à l’Assyrie auprès des autres cités phéniciennes de sa sphère d’influence.

Quelque temps après les révoltes qui agitèrent Tyr et Arwad, le sud de la Phénicie fut à nouveau agité par un soulèvement. L’inscription la plus célèbre des annales d’Aššurbanipal, traditionnellement appelée « Prisme A » ou « Prisme de Rassam », datant de ca. 644-642 av. J.-C. mentionne cet événement pour la première fois[82].

Cette révolte prit probablement place au début des années 640 av. J.-C., soit une vingtaine d’années après les rébellions d’Arwad et Tyr. Cette postériorité de la rébellion d’Ušû et Akko ne permet donc pas d’établir un lien de causalité net entre les événements qui eurent lieu dans les années 660 av. J.-C. Néanmoins, les actions de Yakin-Lû, et plus particulièrement celles de Baal Ier de Tyr, avaient probablement marqué la région sous influence tyrienne. Ainsi, il n’est pas improbable que ces cités reprirent l’exemple donné par Tyr quelques décennies plus tôt.

Outre les motifs habituels associés aux révoltes phéniciennes, l’empire assyrien commençait progressivement à perdre le contrôle de ses territoires occidentaux à compter des années 640 av. J.-C. du fait de la fragilisation du pouvoir d’Aššurbanipal[83]. Les régions particulièrement excentrées semblaient profiter de leur éloignement alors que l’affaiblissement de la puissance assyrienne se faisait sentir.

À cette époque, Ušu et Akko étaient apparemment intégrées à un ensemble provincialisé, appelé par commodité « province de Tyr », bien que seules les anciennes possessions continentales du royaume en fussent partie[84]. Lorsque les soulèvements atteignaient les provinces de l’empire, cela témoignait de la gravité de la situation. Les attitudes rebelles des vassaux demeuraient un phénomène courant, mais le désordre au sein de territoires provincialisés, donc sous administration assyrienne directe, restait autrement plus problématique.

Toutefois, Ušû et Akko furent frappées par une répression visiblement assez dure, qui s’accompagna de lourds châtiments pour les populations[85]. En l’occurrence, la déportation des dieux locaux en Assyrie témoignait de la sévérité et du caractère humiliant de la punition infligée par Aššurbanipal. De surcroît, la région fut apparemment sujette à des massacres et des déportations. La violence particulièrement exacerbée de cette répression fut probablement due à la récurrence des révoltes dans le sud du Levant, en particulier de la région de Tyr, et à la volonté des Assyriens d’y mettre fin définitivement.

Conclusion

Pour les cités phéniciennes, la sujétion à une puissance dominante demeurait la « norme » au cours du premier millénaire av. J.-C., puisque ces États furent presque continuellement soumis à divers impérialismes (assyrien, égyptien, puis babylonien et perse). Néanmoins, les royaumes phéniciens ne restèrent pas passifs vis-à-vis de ces immiscions dans leurs affaires internes et de ces privations d’indépendance.

Tant que leurs cités-États bénéficiaient de conditions plutôt avantageuses, les Phéniciens pouvaient s’accommoder de quelques versements de tributs à la puissance dominante ou de devoirs militaires modérés en tant que vassaux. Cependant, quand l’opportunité se présentait, s’en défaire demeurait la voie privilégiée.

À partir du règne de Tiglath-Phalazar III, l’emprise assyrienne s’alourdit considérablement sur les royaumes phéniciens, qui constituaient dès lors une ouverture méditerranéenne pour l’empire. Cette pression, qui s’accrut davantage encore sous les Sargonides, devint difficilement supportable pour ces cités-États de la côte levantine. Entre contraintes économiques, diplomatiques et militaires, l’autonomie de ces territoires fut violemment affectée, de même que les prérogatives régaliennes de leurs souverains.

Au VIIe siècle av. J.-C., nous constatons alors une forte recrudescence des soulèvements en Phénicie, où les rébellions devinrent régulières et tendaient à créer des réactions en chaîne dans les territoires de la côte phénicienne. Comme il était évident que les cités-États phéniciennes n’avaient pas les moyens militaires de s’opposer directement à l’empire assyrien[86], des stratégies plus détournées que le conflit ouvert entraient en jeu.

Les exemples de Baal de Tyr et de Yakin-Lû d’Arwad illustrent ainsi les diverses tactiques auxquelles les cités-États phéniciennes pouvaient avoir recours dans l’optique de préserver leurs intérêts et leur indépendance. Profiter des déstabilisations du pouvoir central et des troubles en Assyrie, entretenir des liens avec des individus éminemment anti-assyriens venant des territoires voisins ou encore exploiter les failles de l’administration assyrienne figuraient parmi les stratégies mises en œuvre.

L’irrégularité de la lutte contre l’impérialisme néo-assyrien apparaît donc dans ces voies détournées constituaient malgré tout une provocation envers le pouvoir assyrien. Ce dernier se voyait remis en cause lors de ces événements, s’éloignant de l’image classique d’une guerre bien réglée entre deux puissances, s’affrontant par le biais de leurs armées en batailles rangées.

Néanmoins, si les cités-États du sud du Levant bénéficiaient d’un relatif traitement de faveur de la part des rois assyriens, cela ne dura pas lorsque leur domination se substitua à celle de l’empire néo-babylonien à la fin du VIIe siècle av. J.-C. Les répressions assyriennes avaient jusque-là toujours épargné les cités phéniciennes et philistines, malgré leur fréquence : il semblait donc naturel que cela continue sous l’empire babylonien. En réalité, les souverains babyloniens menèrent une politique différente afin de juguler définitivement l’influence de l’Égypte dans le sud du Levant et de pacifier définitivement la région. Ainsi, la cité philistine d’Ashkelon, qui traitait avec les Égyptiens, en paya les frais et fut détruite par Nabuchodonosor II en 603 av. J.-C., servant d’exemple pour les royaumes voisins[87]. Tyr connut un sort quelque peu similaire au cours du règne de ce même roi, qui assiégea la ville pendant treize ans[88].

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Bibliographie :

Sources primaires :

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« Esarhaddon 034 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 183 p., p. 34, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap4/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

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[1] Le début de la période néo-assyrienne est marqué par le règne d’Aššur-dan II (934-911 av. J.-C) et dure jusqu’à la chute de l’empire dans les années 610 av. J.-C. Ici, le mot « empire » s’écrit sans majuscule puisqu’il ne désigne pas une forme d’État (contrairement à l’Empire romain, par exemple), mais fait écho à l’expansion territoriale de l’Assyrie au travers d’une politique impérialiste. Le terme « empereur » n’existe pas en Akkadien, seulement l’équivalent de roi est employé.

[2] VILLARD Pierre, « Annales royales », dans JOANNÈS, Francis (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, Robert Laffont, 2001, 1020 p., pp. 53-55

[3] Le terme « Phénicie » demeure impropre car les cités-États phéniciennes ne constituèrent jamais une seule entité politique unifiée, malgré des éléments culturels communs et les liens plus ou moins étroits qu’elles pouvaient entretenir ; à l’image, par exemple, de Tyr et Sidon. Ce terme ne désigne alors aucune réalité historique, mais sera néanmoins employé d’un point de vue géographique, par souci de clarté, lorsqu’il s’agira de faire référence à l’ensemble de la région côtière où étaient implantées les cités phéniciennes.

[4] La réussite de ces stratégies demeura cependant variable, comme nous le montrerons dans cet article.

[5] « Tiglath-pileser I 03 », dans The Royal Inscriptions of Assyria online (RIAo), Philadelphia, Royal Inscriptions of Mesopotamia (RIM) project, Oracc, 57 p., p. 3, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/riao/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[6] Cette partie de pêche put notamment être interprétée comme un honneur réservé aux grands rois, inspiré des traditions égyptiennes concernant la chasse à l’hippopotame. Plusieurs pistes d’interprétation sont évoquées dans l’article suivant : BORDREUIL Pierre et BRIQUEL-CHATONNET Françoise, « Tiglath-phalasar Ier a-t-il pêché ou chassé le naḫiru ? », dans Topoi. Orient-Occident, Supplément 2 : « Les animaux et les hommes dans le monde syro-mésopotamien aux époques historiques », Paris, Société des Amis de la bibliothèque Salomon-Reinach, 2000, 506 p., pp. 117-124

[7] Cette notion de royaumes « clients » est développée par Postgate qui met l’accent sur les enjeux économiques au sein des relations entre l’Assyrie et les royaumes levantins plutôt que sur la notion de vassalité, pouvant induire en erreur avec la connotation médiévale qui lui est souvent associée. Voir POSTGATE John Nicholas, « The Land of Assur and the Yoke of Assur. », dans World Archaeology, vol. 23, nº3, Abingdon, 1992, 385 p., pp. 247-263

[8] Voir « Shalmaneser III 002 », dans The Royal Inscriptions of Assyria online (RIAo), Philadelphia, Royal Inscriptions of Mesopotamia (RIM) project, Oracc, 131 p., p. 2, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/riao/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Il s’agit d’une inscription annalistique dont la rédaction date de 853 ou 852 av. J.-C., soit tout juste après que Salmanazar III a été défait à Qarqar.

[9] CASTEX Anne-Renée, « La moyenne vallée de l’Oronte à l’époque néo-assyrienne, regards croisés. 2. Les sources épigraphiques », dans Syria, supplément IV, Beyrouth, Institut français du Proche-Orient, 2016, 480 p., pp. 207-213, p. 209

[10] Certains spécialistes ont notamment développé l’hypothèse de la stimulation de l’expansion phénicienne en Méditerranée consécutive à la pression assyrienne sur la région, qui nécessitait de trouver de nouvelles ressources ailleurs. Voir VAN DER BRUGGE Caroline et KLEBER Kristin, « The Empire of Trade and the Empires of Force. Tyre in the Neo-Assyrian and Neo-Babylonian Period », dans MORENO-GARCIA Juan Carlos (éd.), Dynamics of Production in the Ancient Near East, Oxford, Oxbow Books, 2016, 368 p., pp. 187-222, p. 187

[11] ASTER Shawn Zelig, « An Assyrian Loyalty-oath Imposed on Ashdod in the Reign of Tiglath-pileser III ? », dans Orientalia, vol. 87, n°3, 2018, Rome, GBPress- Gregorian Biblical Press, 299 p., pp. 275-289, p. 287 ; cela était valable pour la Philistie, mais la situation demeurait très analogue en Phénicie, notamment en ce qui concerne l’impression d’immunité des rois phéniciens et de leur apport à l’Assyrie, assez surestimés.

[12] ELAYI Josette, « Les cités phéniciennes entre liberté et sujétion. », dans Dialogues d’histoire ancienne, vol. 16, n°2, Besançon, Institut des sciences et techniques de l’Antiquité, 1990, 418 p., pp. 93-113, p. 100

[13] CASTEX Anne-Renée, art. cit., p. 211

[14] La provincialisation n’était pas la seule manière d’intégrer un territoire à l’empire assyrien ; ce mode d’administration directe ne concernait pas toute la Phénicie. Néanmoins, cette période marqua le début d’un contrôle direct de l’Assyrie sur les cités phéniciennes, ne se cantonnant plus à de simples relations entre un empire et des États « clients ». Voir ODED Bustanay, « The Phoenician Cities and the Assyrian Empire in the Time of Tiglath-Pileser III. », dans Zeitschrift Des Deutschen Palästina-Vereins, vol. 90, n°1, Wiesbaden, Deutscher Verein zur Erforschung Palästinas, 1974, 95 p., pp. 38-49, pp. 38-39

[15] Les karānu (l’orthographe « kārus » se trouve aussi)étaient des comptoirs commerciaux assyriens établis dans les ports de la côte levantine. Les fonctionnaires assyriens y supervisaient les marchandises qui entraient et sortaient des ports et vérifiaient que les locaux ne commerçaient pas avec l’ennemi. Des taxes étaient prélevées dans ces comptoirs au profit de l’empire. Pour des explications détaillées sur le fonctionnement des karānu, voir YAMADA Shigeo, « Kārus on the Frontiers of the Neo-Assyrian Empire », Orient, vol. 40, Tōkyō, The Society for Near Eastern Studies in Japan, 2005, 196 p., pp. 56-90

[16] CASTEX Anne-Renée, op. cit., p. 211 ; Ṣimirra fut probablement provincialisée dès la fin des années 740 av. J.-C., bien que la date de cet événement ne fasse pas consensus. Cette annexion est évoquée dès le huitième palû (année de règne) de Tiglath-Phalazar III, c’est-à-dire 739-738 av. J.-C. Un orthostate de son palais de Kalhu comporte ainsi une inscription mentionnant la cité de Ṣimirra, voir « Tiglath-pileser III 14 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 96 p., p. 14, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap1/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). À propos des différentes hypothèses concernant la date de provincialisation de Ṣimirra, voir ELAYI Josette, art. cit., p. 101

[17] NA’AMAN Nadav, « Tiglath-pileser III’s Campaigns Against Tyre and Israel (734-732 B.C.E.) », dans Journal of the Institute of Archaeology of Tel Aviv University, vol. 22, n°2, Tel-Aviv, Taylor & Francis, 1995, 282 p., pp. 268-278, pp. 268-269

[18] Ce terme s’applique aux règnes de Sargon II (722-705 av. J.-C.) et ses successeurs, c’est-à-dire les derniers rois néo-assyriens.

[19] Les conclusions de Younger, spécialiste du Proche-Orient ancien et des écrits vétéro-testamentaires, nuancent ainsi la vision traditionnelle de la cruauté assyrienne. En effet, les Assyriens ne reculaient pas devant l’emploi de moyens extrêmement violents, mais leur gestion des territoires conquis doit toujours se comprendre du point de vue du contexte du cœur impérial et des nécessités immédiates de l’Assyrie. Voir YOUNGER K. Lawson Jr, « The Assyrian Economic Impact on the Southern Levant in the Light of Recent Study. », dans Israel Exploration Journal, vol. 65, n°2, Jérusalem, Israel Exploration Society, 2015, 250 p., pp. 179-204

[20] La pratique des déportations croisées consistait en l’envoi de populations dans une autre région qui avait elle-même été vidée de ses habitants par les déportations. En d’autres termes, il s’agissait d’une stratégie pour combler les vides démographiques laissés par les déportations et déraciner au maximum les populations concernées. Voir FRAHM, Eckart, « The Neo-Assyrian Period (ca. 1000-609 BCE) », dans FRAHM, Eckart, (éd.), A Companion to Assyria, Oxford, Wiley-Blackwell, 2017, 634 p., pp. 161-208

[21] MACGINNIS John, « The Fall of Assyria and the Aftermath of the Empire », dans I am Asshurbanipal, king of the World, king of Assyria, Londres, Thames & Hudson, 2018, 348 p., pp. 276-284, p. 276 ; l’auteur met l’accent sur le rôle de l’expansion territoriale et le coût du contrôle des territoires éloignés comme facteurs qui contribuèrent à la chute de l’empire assyrien. Les Assyriens avaient probablement conscience de cette problématique, d’où la volonté d’éviter la provincialisation lorsque cela était possible. On peut résumer le processus de soumission ainsi : les États vassalisés commençaient par payer un tribut ponctuel qui devenait ensuite annualisé. En cas de désobéissance, le roi était destitué et remplacé par un monarque fantoche pro-assyrien. Si les troubles persistaient, cela pouvait aboutir à une provincialisation, si cela ne représentait pas de pertes trop conséquentes pour l’empire, étant donné que ce mode de gestion demeurait le plus coûteux.

[22] Ici, nous nous appuyons essentiellement sur « Restricted Trade in Tyre and Sidon », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 229 p., p. 22, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa19/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[23] De surcroît, Hiram restait à la tête d’un royaume puissant, exerçant son influence à la fois sur Tyr et Sidon et ayant des liens avec d’autres alliés levantins. Bénéficiant de la position insulaire d’une partie du royaume de Tyr, il avait les moyens de résister face aux Assyriens, tandis que ces derniers auraient dû employer des moyens colossaux pour le contraindre par la force.

[24] Cela s’applique aussi aux rois philistins, en particulier Ashdod et Ashkelon. Voir ASTER Shawn Zelig, art. cit., pp. 275-289

[25] Na’aman emploie le terme d’embargo pour qualifier les restrictions mises en place par les Assyriens concernant le commerce avec l’Égypte et la pentapole philistine. Cette dénomination retranscrit en effet la dureté de la mesure imposée par l’Assyrie et l’ampleur des conséquences pour les Phéniciens. Ashkelon entretenait des relations particulièrement étroites avec Tyr tout au long du premier millénaire av. J.-C., donc certaines mesures à l’encontre du commerce avec les Philistins purent être mal reçues. (NA’AMAN Nadav, « Qurdi-Aššur-Lamur as Governor in Phoenicia and South Syria », dans Nouvelles Assyriologiques Brèves et Utilitaires, n° 26, Paris, Société pour l’étude du Proche-Orient ancien, 2018, 60 p., pp. 42-45)

[26] Les sources assyriennes nous informent qu’Hiram II eut d’abord le tort de se rapprocher de Hazaël, roi araméen de Damas et grand rival de l’Assyrie. Voir « Tiglath-pileser III 49 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 96 p., p. 49, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap1/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Après cela, Hiram II continua ses provocations à l’encontre de l’empire, notamment en faisant abattre des arbres sacrés dans la région du Mont Liban sans l’autorisation des qēpū. Voir « Hiram Deported after Sacrilegious Act », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 229 p., p. 23, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa19/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Cet événement est présenté par Qurdi-Aššur-lamur comme le point de rupture qui conduisit à la destitution du roi de Tyr et son remplacement par Mattan II, pro-assyrien et beaucoup plus docile.

[27]« Tiglath-pileser III 47 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 96 p., p. 47, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap1/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[28] ELAYI Josette, art. cit., p. 102 ; le tribut versé correspondait à 5 130 kg d’or et 68 400 kg d’argent.

[29] Souvent considéré à tort comme un fils de Tiglath-Phalazar III, Sargon II était en réalité probablement issu d’une autre branche de la famille royale assyrienne. Sargon II s’attela à décrédibiliser son prédécesseur Salmanazar V (727 à 722 av. J.-C.), dont il usurpa le trône, lui laissant une image de mauvais roi, incapable de remplir ses obligations. Ces allégations apparaissent dans le document nommé « Charte d’Aššur », une des sources les plus anciennes mentionnant les campagnes menées par Sargon II dans l’Ouest, inscription votive pour Aššur, qui s’attarde exclusivement sur les événements de 720 av. J.-C., c’est-à-dire la deuxième année de règne de Sargon II. Voir FRAHM Eckart, art. cit., pp. 59-60

[30] Sargon II meurt au combat et son corps n’est pas retrouvé, ce qui créa des troubles majeurs en Assyrie. Sennachérib (705 à 681 av. J.-C.), quant à lui, fut assassiné par un de ses fils. Seul Assarhaddon parvint à régler sa succession, mais ses fils finirent par se déchirer au cours d’une guerre civile opposant l’Assyrie à la Babylonie. Voir MACGINNIS, art. cit., p. 276

[31] ELAYI Josette, art. cit., p. 111

[32] L’hypothèse de l’existence d’un royaume unifié de Tyr et Sidon au cours du premier millénaire av. J.-C. a alimenté de nombreux débats parmi les spécialistes, en particulier pour le VIIIe siècle av. J.-C. (voir KHREICH Maroun, « Tyr V/S Sidon: La Phénicie du Sud dans le premier quart du premier millénaire », dans GUIRGUIS Michele (éd.), From the Mediterranean to the Atlantic: 8th International Congress of Phoenician and Punic Studies (Carbonia, Sant Antioco, 21th-26th October 2013), Folia Phoenicia, tomeII, n° 2, Florence, Fabrizio Serra, 2018, 467 p., pp. 451-455). Nous nous contenterons ici de rappeler que les deux cités-États entretenaient à la fois une forme de rivalité séculaire et des liens étroits, à la fois dans les domaines politique et économique. De cette manière, il n’était pas rare que l’une des deux cités phéniciennes prenne le dessus sur l’autre avant de s’imposer à nouveau face à sa rivale.

[33] Nous n’évoquerons pas ici, pour des raisons de clarté, le débat sur l’identité de Ṣilta, parfois assimilé à Lulî (LIPIŃSKI Edward, Itineraria Phoenicia, Louvain, Peeters Publishers, 2004, 635 p., p. 512). Cette discussion s’inscrit dans la continuité de celle sur l’existence d’un royaume unifié de Tyr-Sidon, qui a été alimenté par de nombreuses contributions des spécialistes. Ainsi, nous nous fonderons ici sur ce que l’on peut tirer avec certitude des sources néo-assyriennes, qui mentionnent en l’occurrence un roi de Tyr nommé Ṣilta sous le règne de Sargon II, puis un roi de Sidon nommé Lulî sous le règne de Sennachérib.

[34] Voir « Sargon II 001 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 151 p., p. 1, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap2/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023) et « Sargon II 043 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 151 p., p. 43, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap2/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Cette intervention permettait toutefois à l’empire assyrien de protéger ses propres intérêts dans les karānu phéniciens ainsi qu’à Chypre dans les établissements tyriens.

[35] Dans le document cité en note 26, il est notamment précisé que Ṣilta paie son tribut à l’Assyrie, faisant ainsi de lui un vassal fidèle.

[36] BOYES Philip, « « The King of the Sidonians » », dans Bulletin of the American Schools of Oriental Research, vol. 365, Jérusalem, The University of Chicago Press, 2012, 103 p., pp. 33-44

[37] Flavius Josèphe, Antiquités juives, IX, §283-287

[38] Il s’agit d’un lieu commun des répressions assyriennes à Tyr et à Arwad, bien que les rois se targuent parfois d’avoir pris l’île. Par exemple, cela est sous-entendu dans une inscription d’Aššurbanipal, voir « Ashurbanipal 009 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 346 p., p. 9, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap5/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). C’était en réalité impossible avec les moyens logistiques dont disposaient les Assyriens à cette période ; d’autant plus que ceux-ci se reposaient largement sur les Phéniciens eux-mêmes pour ce qui concernait la navigation (voir FUCHS Andreas, « Die Darstellung von Orten in neuassyrischen Königsinschriften » (« La représentation des lieux dans les inscriptions royales néo-assyriennes »), dans GERTZ Jan Christian, Ort und Bedeutung: Beiträge zum Symposion « Die Darstellung von Orten; von der Antike bis in die Moderne » am 20. und 21. Juni 2008 in Heidelberg (« Lieu et signification : compte-rendu du colloque » “La représentation des lieux ; de l’Antiquité à l’époque moderne” les 20 et 21 juin 2008 à Heidelberg), Kamen, Augustin Print-Medien-Verlag, 2010, 262 p., pp. 69-92, p. 86). Il faut attendre la conquête d’Alexandre le Grand pour que l’île de Tyr soit prise (voir ELAYI Josette, art. cit., p. 111).

[39] Tyr contrôlait une partie de l’île de Chypre, exploitée principalement pour ses ressources naturelles comme le cuivre. À propos des établissements tyriens à Chypre, voir SMITH Joanna, « Cyprus, the Phoenicians, and Kition », dans SAGONA Claudia (éd.), Beyond the Homeland: Markers in Phoenician Chronology, Ancient Near Eastern Studies, supplément 28, Louvain, Peeters Publishers, 2008, 655 p., pp. 261-303

[40] Cela est mentionné dans « Sennacherib 004 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 261 p., p. 4, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap3/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Ušu et Akko faisaient notamment partie de la sphère d’influence de Tyr et constituaient un atout pour cette dernière, en particulier Ušu, déjà intégrée au territoire sous contrôle de Tyr. Sans cet arrière-pays, l’île eut à subir une sévère entrave à l’importation de ressources essentielles. Voir FALES Frederick Mario, « Phoenicia In the Neo-Assyrian Period: An Updated Overview », dans State Archives of Assyria Bulletin, vol. 23, Padova, Sargon Editore Padova, 2017, 295 p., pp. 181-295, p. 246

[41] KHREICH Maroun, art. cit., p. 451-455

[42] Sennachérib fut assassiné par un de ses fils à cause de querelles à propos de la désignation de son héritier. Sennachérib avait changé plusieurs fois d’avis à ce sujet, privilégiant d’abord Assarhaddon puis se ravisant ; ce qui porte alors à croire qu’il put être assassiné par ce dernier.

[43]« Esarhaddon 001 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 183 p., p. 1, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap4/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[44] Voir « Predicting the Fall of Mannea ; Intrigues Against the King », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 389 p., p. 112, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa10/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023) et « The Substitute King Enters Akkad », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 389 p., p. 351, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa10/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[45] Dans les documents hors inscriptions royales, cet événement n’est pas évoqué sur un ton triomphant. Bien qu’il s’agisse d’une victoire d’Assarhaddon, la reproduction d’une situation similaire semblait plutôt crainte que souhaitée, notamment du fait qu’elle impliquait l’échec des tentatives de collaborations avec les vassaux.

[46] La date conventionnellement retenue est celle de 676 av. J.-C. (voir FALES Frederick Mario,art. cit., p. 241).

[47] « Esarhaddon’s Treaty with Baal, King of Tyre », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 15 p., p. 5, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa02/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[48] Les tournures employées semblent faire allusion à la rétroactivité de ce type de traité, qui semblait déjà avoir été établi par le passé avec Sidon, elle-même mentionnée dans un passage du traité. Ainsi, cette entente entre Baal Ier de Tyr et Assarhaddon n’était pas un fait exceptionnel dans les relations entre la Phénicie et l’Assyrie. Assarhaddon ne faisait que reprendre les conditions d’ententes passées avec d’autres cités, ce qui met en exergue la politique des Sargonides concernant la favorisation d’une cité-État au profit d’une autre, selon le contexte diplomatique et les rapports avec celles-ci.

[49] Ces suspicions apparaissent dans les multiples textes divinatoires où le roi assyrien consulte Šamaš pour lui demander conseil. Voir notamment « Fragment Similar to No. 139 », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 353 p., p. 144, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa04/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Assarhaddon s’inquiétait particulièrement des velléités de révoltes au Levant : une grande partie des populations intégrées à l’empire semblaient suspectes aux yeux du roi assyrien.

[50] Taharqa régna de 690 à 665 av. J.-C. et était donc déjà au pouvoir lorsque Assarhaddon accéda au trône. Ce roi kushite consolida sa puissance en Basse-Égypte, ce qui consistait aux yeux des Assyriens une menace de premier ordre concernant leurs intérêts au Levant. L’agitation dans les cités phénicienne put ainsi être attribuée à l’influence égyptienne. Voir SPALINGER Anthony, « Esarhaddon and Egypt: An Analysis of the First Invasion of Egypt. », dans Orientalia, vol. 43, Rome, GBPress-Gregorian Biblical Press, 1974, pp. 295-326, pp. 298-299

[51] La Philistie se trouve au Sud de la Phénicie et désigne, comme son nom l’indique, les territoires contrôlés par les Philistins sur la côte méditerranéenne. Les cinq centres majeurs étaient Ekron, Ashdod, Ashkelon, Gath et Gaza.

[52] SPALINGER Anthony, op. cit.,pp. 298-299 ; Assarhaddon changea de politique par rapport à Sennachérib concernant la Philistie, où il s’attela à renforcer le contrôle assyrien, craignant l’influence de l’Égypte. Voir KAHN Dan’el, « Taharqa, King of Kush and the Assyrians », dans Journal of the Society for the Study of Egyptian Antiquities,vol. 31, Toronto, The Society for the Study of Egyptian Antiquities, 2004, 162 p., pp. 109-128, p. 110

[53] Grâce au roi assyrien, Tyr avait notamment pu récupérer les territoires situés au nord du Litani (NA’AMAN Nadav, Ancient Israel and Its Neighbors: Interaction and Counteraction, University Park, Penn State University Press, 2006, 448 p., pp. 193-199). Dans le document cité en note 43, il est question des rois phéniciens et chypriotes qui ont fourni le roi assyrien en bois, en vue de construire son palais. Baal figure en tête de liste, ce qui laisse présumer de son importance.

[54] « Esarhaddon 034 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 183 p., p. 34, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap4/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023). Cet extrait concerne la dixième année de règne d’Assarhaddon, soit 671-670 av. J.-C.

[55] Cette déroute n’est évidemment jamais mentionnée dans les sources assyriennes (KAHN Dan’el, op. cit., p. 111), mais elle l’est dans la Chronique babylonienne. PORTER Barbara, « Assyrian Propaganda for the West: Esarhaddon’s Stelae for Til Barsip and Samʼal. », dans BUNNENS Guy (éd.), Essays on Syria in the Iron Age, Louvain, Peeters Publishers, 2000, 557 p., pp. 143-176, pp. 157-158

[56] KAHN Dan’el, art. cit., p. 112

[57] Ibid., p. 122

[58] Les velléités de révolte tyriennes étaient bien souvent accompagnées d’un sentiment d’immunité prodigué par cette position insulaire qui mettait en difficulté les Assyriens (ELAYI Josette, art. cit., p. 111). Lulî avait déjà su en tirer profit pour échapper à Sennachérib.

[59] Il ne semblait pas s’agir d’un enlèvement, mais bien d’une décision de Baal d’envoyer sa fille au roi assyrien. Le versement d’un tribut est habituel lorsqu’un vassal désobéit au roi. L’envoi de membres de la famille – ici, des filles de Baal, avec de riches dots – est en revanche un événement plus rare. Il s’agissait d’un moyen de s’assurer le pardon d’Assarhaddon en lui envoyant des membres proches, lorsqu’une faute particulièrement grave avait été commise à l’égard du roi assyrien.

[60] Les inscriptions d’Assarhaddon laissent entendre que le roi assyrien révoqua sa décision de 676 av. J.-C. et priva Tyr de ses possessions continentales (FALES Frederick Mario, art. cit., p. 244). Toutefois, cela ne semble pas concorder avec les informations dont nous disposons concernant le règne d’Aššurbanipal, où Tyr paraît disposer de territoires continentaux, sur lesquels le roi assyrien fit aussi pression. En outre, cette intervention à Tyr n’était qu’une étape dans la campagne égyptienne d’Assarhaddon, qui visait à assurer les arrières de l’Assyrie. Assarhaddon semble donc avoir épargné Tyr et ne pas avoir saisi les possessions continentales de Baal Ier. SANO Katsuji, « Die Unterwerfung Ba’alus im Jahre 671 v. Chr » (La soumission de Baal en 671 av. J.-C.), Nouvelles Assyriologiques Brèves et Utilitaires, n° 22, Paris, Société pour l’étude du Proche-Orient ancien, 2015, 30 p., pp. 25-26

[61] PORTER Barbara, « Language, Audience and Impact in Imperial Assyria », dans DRORY Rina et IZRE’EL Shlomo, Language and Culture in the Near East, Israel Oriental Studies, vol. 15,Leyde, Brill, 1997, 279 p., pp. 51-72, p. 60

[62] SPALINGER Anthony, art. cit., pp. 303-304

[63] FALES Frederick Mario, art. cit., p. 245

[64]« Ashurbanipal 009 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 346 p., p. 9, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap5/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[65] La répression d’Aššurbanipal est tantôt mentionnée comme relevant de sa deuxième campagne, tantôt de la troisième, mais il s’agit surtout d’un souci de réarrangement des événements par les rédacteurs des annales. En prenant en compte le contexte, nous pouvons affirmer sans trop de réserve que cet événement prit place autour de 662 av. J.-C.

[66] Aššurbanipal mena de nouvelles offensives contre l’Égypte entre 665 et 664 av. J.-C., lorsque Tanoutamon succéda à Taharqa. Les vassaux levantins, y compris Tyr, durent participer. Dans le cas de Tyr, il est probable que cette participation ne fut pas désirée, en particulier du fait des relations de Baal avec l’Égypte, qui demeuraient plutôt bonnes.

[67]« Ashurbanipal 003 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 346 p., p. 3, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap5/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[68]« Words of Encouragement to Assurbanipal », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 11 p., p. 9, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa09/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[69] Depuis le IIe millénaire av. J.-C., les Assyriens utilisaient traditionnellement le système de datation de l’éponymie, où chaque année était associée au nom d’un notable assyrien.

[70]ASTER Shawn Zelig, « Ashdod in the Assyrian Period: Territorial Extent and Political History », dans Journal of Near Eastern Studies, vol, 80, n° 2, Chicago, The University of Chicago Press, 2021, 381 p., pp. 323-340, p. 329 ; dans cet article, l’auteur évoque l’exemple d’Ashdod qui emprunta la voie de la rébellion, ayant notamment observé la préservation de Gaza sous Tiglath-Phalazar III malgré ses deux révoltes. Cet exemple philistin demeure assez proche de celui de Baal de Tyr, qui estimait probablement que les risques restaient encore limités, bien qu’il se soit agi de sa deuxième révolte.

[71] Ibid., p. 327

[72] Une campagne de Sargon II dans la région est relatée dans les inscriptions du roi, (COGAN Mordechai « Restoring the Empire: Sargon’s Campaign to the West in 720/19 BCE. », dans Israel Exploration Journal,vol. 67, n°2, Jérusalem, Israel Exploration Society, 2017, 246 p., pp. 151-167, p. 157) mais, outre cela, la province de Ṣimirra semblait sujette à relativement peu de troubles jusqu’au règne d’Assarhaddon.

[73] LUUKKO Mikko et VAN BUYLAERE Greta, « Petitions and denunciations », The Political Correspondence of Esarhaddon, dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa16/petitionsanddenunciations/index.html (dernière consultation le 13/11/2023)

[74] « Ikkilu of Arwad Steals the King’s Boats », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 264 p., p. 127, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa16/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[75] LUUKKO Mikko et VAN BUYLAERE Greta, art. cit., dans State Archives of Assyria Online

[76] « Should Prince Assurbanipal Send a Message to Arwad ? », dans State Archives of Assyria Online, Philadelphia, Oracc, 353 p., p. 89, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/saao/saa04/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[77] D’un point de vue formel, il n’est pas impossible que les lettres d’Itti-Šamaš-balaṭu portaient atteinte à la crédibilité de ce dernier, le présentant comme quelqu’un de faible ou d’incapable. Le caractère hyperbolique de ses lamentations pouvait porter à croire que ce qu’il racontait était exagéré.

[78] Son intervention fut peut-être concomitante à celle qu’il engagea contre Tyr, mais aucune certitude n’entoure la date de sa répression contre Arwad.

[79] « Ashurbanipal 003 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 346 p., p. 3, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap5/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[80] Yakin-Lû envoya ses fils rendre hommage au roi assyrien en signe de soumission.

[81]Ibid. En choisissant le successeur de Yakin-Lû, le roi assyrien s’impliquait directement dans les affaires internes du royaume d’Arwad. Nous pouvons alors nous demander s’il s’agissait effectivement d’une nouvelle intrusion assyrienne dans la politique arwadite ou s’il s’agissait d’une action demandée par les fils de l’ancien roi phénicien. En effet, il se peut qu’Aššurbanipal ait été consulté dans le cadre d’un arbitrage, dans le cas d’une querelle de succession. En revanche, nous ne pouvons en être certain puisque nous ne disposons d’aucune information à ce sujet.

[82]« Ashurbanipal 011 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 346 p., p. 11, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap5/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[83] La guerre civile l’opposant à son frère figure parmi les premières causes de cette fragilisation. Voir MACGINNIS John, art. cit., p. 276

[84] NA’AMAN Nadav, op. cit., pp. 193-199

[85]« Ashurbanipal 011 », dans Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period, Philadelphia, The Royal Inscriptions of the Neo-Assyrian Period (RINAP) Project, 346 p., p. 11, [en ligne] http://oracc.museum.upenn.edu/rinap/rinap5/corpus/ (dernière consultation le 13/11/2023)

[86] Du moins, cela n’était pas possible sans former une coalition avec d’autres royaumes. Ce fut le cas d’Hiram II de Tyr, qui s’allia en occurrence à Raçon d’Aram-Damas ; ce qui constitue aussi une forme de conflit irrégulier. Cependant, pour le VIIe siècle, aucune situation analogue ne fut observée ; les rapprochements avec le roi de Kush demeurant de nature différente de celle avec le royaume araméen de Damas au VIIIe siècle av. J.-C.

[87] KLEBER Kristin et VAN DER BRUGGE Caroline, art. cit., p. 197

[88] Ibid., p. 199

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