Kinmen Taïwan Chine

Kinmen, l’île sur la ligne de front entre Taïwan et la Chine

En août 2022, la venue de Nancy Pelosi à Taïwan a suscité une attention internationale. Dans cette fièvre médiatique, de nombreux articles ont cité le cas de Kinmen 金門, île taïwanaise située à seulement 6 km au large de la Chine et qui s’est retrouvée au cœur des affrontements entre la République populaire de Chine (RPC) et la République de Chine (ROC) lors des deux crises du détroit de Taïwan (1954-1955 puis 1958).

L’île de 150 km2, par sa position géographique et son histoire, est devenue un véritable symbole du conflit entre la Chine et Taïwan. Certains ont même pu parler du « mur de Berlin » asiatique. Toutefois, si les populations ont subi de violents bombardements pendant la seconde moitié du XXe siècle, l’île est aujourd’hui presque quasiment démilitarisée. Les touristes viennent surtout pour visiter les constructions militaires et frissonner de la proximité géographique avec la Chine de cette petite île taïwanaise, depuis laquelle on peut apercevoir les tours de Xiamen se profiler au loin.

Du fait de sa petite superficie, son éloignement géographique par rapport à Taïwan et son parcours historique particulier, Kinmen a longtemps été perçue comme une île à part de Taïwan, périphérique, voire incompatible, avec la construction d’une nation taïwanaise indépendante. Ce n’est que récemment que des chercheurs en sciences sociales se sont réellement appropriés Kinmen comme objet d’étude légitime de l’histoire de Taïwan[1].

Cet article entend s’intéresser ici principalement à l’histoire locale de Kinmen, telle qu’elle a pu être vécue par ses habitants pris à leur insu dans un conflit d’échelle internationale de 1949 à la fin de la loi martiale en 1992, qui marque officiellement la fin de la militarisation de l’île. Il s’appuie sur des témoignages de civils et de soldats présents à Kinmen pendant cette période et collectés dans un rapport du Parc national de Kinmen publié en 2018[2]. Nous retenons ici trois moments majeurs de l’histoire de Kinmen : la bataille de Guningtou en 1949, la première crise du détroit de Taïwan (1954-1955), connue dans la mémoire de Taïwan comme la bataille du 3 septembre, jiu san pao zhan,九三砲戰, puis la deuxième crise du détroit de Taïwan (1958), dite la bataille du 23 août, ba er san pao zhan,八二三砲戰. Il s’ensuit une période de relative détente puis de démilitarisation de l’île dès 1992 avec la levée de la loi martiale.

Kinmen, lieu de cristallisation du front entre la Chine et Taïwan (1949-1954)

La bataille de Guningtou, l’assaut raté des troupes communistes sur Kinmen

En 1945, la guerre civile opposant les communistes et les nationalistes chinois, interrompue par l’occupation japonaise, reprend de plus belle[3]. Si les forces nationalistes sont en supériorité numérique par rapport aux communistes, ces derniers mettent à profit le soutien des populations rurales. Aussi, les troupes communistes placent rapidement en déroute les nationalistes[4]. En pleine débâcle, Tchang Kaï-Chek 蔣介石 prépare la retraite des troupes et des institutions nationales sur l’île de Taïwan. En 1949, il dépêche 20 000 soldats sur l’île de Kinmen[5], perçue comme un avant-poste stratégique majeur permettant de défendre Taïwan de potentiels assauts des communistes, et de préparer la reconquête nationaliste de la Chine.

Carte des territoires de République populaire de Chine et de République de Chine (Taïwan) entre 1949 et 1954. Suzanne Duroy, La Revue d’Histoire Militaire, 2023
Carte des territoires de République populaire de Chine et de République de Chine (Taïwan) entre 1949 et 1954. Suzanne Duroy, La Revue d’Histoire Militaire, 2023

À cette époque, Kinmen est une île pauvre, dépourvue d’industries et de cultures diversifiées. Une survivante se rappelle surtout la faim qui rongeait les habitants :

« Il n’y avait pas de patate douce à manger, on mangeait des cacahuètes pour les trois repas, on était affamé, on prenait quelques cacahuètes, on faisait bouillir un peu d’eau, on mélangeait le tout, au dîner on mangeait un peu, mais comment être repu le soir ? […] il n’y avait pas de légumes, les radis étaient secs. C’était dur à Kinmen. Il n’y avait nulle part où gagner de l’argent. Il n’y avait pas d’usine. »

地瓜都沒有得吃了!三餐吃花生啦,肚子餓,抓一點花生,弄一點開水,配一 配這樣過去了,晚餐吃一點飯,晚上你吃那個怎麼飽?一個晚上? […] 菜都沒有。蘿蔔乾啦。什麼菜,沒有。金門 很苦。沒有地方賺錢啦,沒有工廠[6]

Dès 1948, Kinmen voit affluer les troupes de soldats nationalistes sur son territoire. Les récits oraux des habitants témoignent d’une armée dans un état misérable : des soldats sont six à partager un seul fusil, certains ont perdu leurs uniformes tandis que d’autres portent des chaussures faites d’herbes[7]. Dépêché sur l’île comme soldat de l’armée nationaliste, Bu Gongzhi 卜功治, témoigne de l’état de dénuement total de l’armée en 1949 :

« À ce moment-là, à Kinmen, il n’y avait pas de casernes, l’armée vivait avec les civils, les civils étaient écartés. La plupart des maisons étaient réquisitionnées pour l’armée […] Que ce soit les portes des maisons des civils, les pierres tombales, tout était autant que possible utilisé. Car à Kinmen il n’y avait aucun arbre à couper, alors on utilisait les portes des habitants »

金門那個時候,沒有營房,軍隊都跟老百姓在一塊住啊,把老百姓支到ㄧ邊去, 大部分的房子都讓給軍隊 […] 還不是老百姓的門板,這個墳墓的墓碑啊,什麼都盡量利用啊。因為 金門沒有什麼樹可以砍啊,就利用老百姓的門板嘛 »[8]

Le 25 octobre 1949, les communistes lancent l’assaut sur Kinmen. Non mieux lotis que les nationalistes, ces derniers tentent de débarquer à l’aide de bateaux de pêcheurs[9]. Pour les habitants de Kinmen, à peine sortis de l’occupation japonaise et de la guerre civile, la bataille de Guningtou 古寧頭戰役 marque une nouvelle plongée dans l’horreur. Âgé de 12 ans l’année 1949, Yan Zhongcheng 顏忠誠 se rappelle :

« Depuis que je suis né, j’ai grandi dans un environnement de guerre. En effet, je suis né en [1937], le Japon occupait alors Kinmen. Quand les Alliés ont bombardé Kinmen, nous nous sommes cachés des avions, des bombardements. [En 1945,] nous avons remporté la guerre, nous aurions pu vivre des jours paisibles, nous ne nous attendions pas à ce qu’en [1949] l’armée nationaliste débarque à Kinmen, et qu’ensuite avec la bataille de Guningtou du 25 octobre 1949, les combats reprennent […]. À ce moment, je ne comprenais pas quelle bataille se produisait, je me souviens que lors de la bataille de Guningtou […] nous sommes montés sur le toit regarder du côté de Guningtou. Il y avait du feu partout dans le ciel, je trouvais cela joli. Nos parents nous ont fait descendre du toit. Je me souviens qu’à l’aube – parce que ma sœur était mariée à un homme de Guningtou – j’ai vu mon beau-frère […] s’enfuir jusqu’à chez nous, pour se cacher de la bataille. »

從我出生,就是在一個烽火連天的環境之下長大。因為我出生是民國 26 年, 日本佔領金門,在盟軍轟炸金門,躲過飛機,躲過炸彈,到了 34 年, 我們抗戰勝利,應該可以過比較安定的生活啦,沒想到,38 年國軍轉戰到金門,然後接下來 38 年 10 月 25 日古寧頭戰役,又打起來啦 […] 那個時候也不懂得發生什麼戰爭啦,我記得古寧頭在打仗的時候啊 […] 我們還爬到屋頂上面去看咧,看到那邊,古寧頭那邊滿天都是火光,感覺到很好看,我們的父母就從屋頂上把我們抓下來。我記得天快亮的時候,因為我的姊姊是嫁給古寧頭人,看到我姐夫用一個擔子挑兩個籮筐,把小孩子挑到,跑到我們家裡來,來躲避這個戰爭, 我的印象大概就那個樣子。[10]

Carte d’invasion de l’armée communiste contre Kinmen, 1949
Carte d’invasion de l’armée communiste contre Kinmen, 1949, Administration des archives nationales 國家發展委員會檔案管理局

La bataille de Guningtou est un fiasco total : la flotte communiste est entièrement détruite par les nationalistes qui remportent la bataille en deux jours. Sur les 9086 soldats de l’Armée populaire de libération (APL), environ 5000 périssent, tandis que le reste est fait prisonnier[11].

Soldats communistes capturés suite à la bataille de Guningtou par les troupes nationalistes, 1949
Soldats communistes capturés suite à la bataille de Guningtou par les troupes nationalistes, 1949. Administration des archives nationales 國家發展委員會檔案管理局

Certains habitants de Kinmen se souviennent encore du charnier humain qu’était Guningtou après la bataille.

« Après les morts, ça sentait mauvais, on ne pouvait plus emprunter les routes […] on n’osait plus y aller, tellement ça sentait mauvais. Ensuite, on a réagi, on a discuté : les morts doivent avoir un lieu, il leur faut une fosse, il faut les couvrir discrètement, il ne faut pas que cela sente mauvais, qu’il y ait des insectes. Cette odeur était insupportable. Ils ont été enterrés tels des chiots, un trou, un peu de terre pour les couvrir »

那個死了以後啊,太臭了,路都不能走了, […] 就不敢過啦,很臭啊,後來就反應,就講,死人一定要 一個地方放,要一個坑啊,放蓋密了,不要有臭味,蒼蠅,什麼蚊子,什麼,那個 味道受不了。像埋小狗一樣,一個洞,一點泥巴蓋一蓋。[12]

Plusieurs civils sont chargés de nettoyer le champ de bataille. Tel est le cas de la famille de Yan Zhongcheng :

« Lors de la bataille de Guningtou, alors que j’étais encore petit, je n’étais qu’en troisième année quand j’ai vu nos pères et nos frères nettoyer le champ de bataille. Après être revenus ils disaient qu’il y avait des cadavres partout, pendant trois jours on n’a pas pu avaler un repas. »

比如說在古寧頭大捷的這個戰爭當中,當時我還小,那時我才小學 三年級,看到我們父兄去清理戰場的時候,回來以後說屍體遍野,三天吃不下飯。[13]

L’internationalisation du conflit

La bataille n’est pas une prouesse de stratégie militaire, mais elle est déterminante dans la mesure où la ligne de front entre les deux républiques de Chine s’immobilise à Kinmen. Elle démontre à la Chine et aux puissances étrangères que l’invasion de Taïwan risquerait d’être plus ardue qu’elle ne le semblait. Or, jusqu’en 1950, les États-Unis sont persuadés que la défense de Taïwan est une cause perdue et l’invasion des troupes communistes, inéluctable[14].

D’autre part, la guerre de Corée, qui éclate en 1950, change radicalement la position des États-Unis. Inquiets de l’avancée communiste, ces derniers s’engagent alors à protéger Taïwan. En juillet 1950, ils envoient leur septième flotte dans le détroit de Taïwan et assurent une aide économique et militaire pour défendre l’île[15]. Le conflit entre la RPC et la ROC change d’échelle : il devient une préoccupation d’envergure mondiale dans laquelle les États-Unis tiennent un rôle clé et dont Kinmen occupe l’avant-poste.

Cette internationalisation du conflit peut se lire à travers sa portée médiatique. En France, de nombreux articles sont publiés. Dans Le Monde, le 26 juillet 1950, on rapporte par exemple :

« De source américaine on rapporte qu’une armée d’invasion forte de 700 000 hommes est assemblée le long de la côte chinoise en face de Formose, dans les provinces du Fukien et du Chekiang ; elle est sous le commandement du général Tchen Yi, qui prit Changhaï il y a un an. Des aérodromes auraient été établis à Amoy [Xiamen] , à Foutchéou [Fuzhou], à Yusan. à Tchoutcheou (Chuchow) [Chaozhou] et à Kingsau[16] […]. Cette menace pose un problème d’une grande importance. Si les communistes décident d’attaquer malgré la présence de la septième flotte américaine, qui doit interdire l’invasion de Formose, les États-Unis ne vont-ils pas se trouver en guerre contre la Chine communiste ? »[17]

Cette internationalisation du conflit est en même temps une opportunité pour le régime de Tchang Kaï-Chek, qui peut ainsi s’appuyer sur un allié de taille – les États-Unis – et ambitionner une reconquête de la Chine continentale. Ce soutien se consolide en 1954, suite à la défaite française en Indochine. Les États-Unis, craignant une propagation du communisme, créent l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) en septembre 1954, lors de la conférence de Manille[18].

Au même moment, en réponse à la ratification du pacte de Manille, la RPC lance, le 3 septembre 1954, une attaque d’envergure : 150 000 soldats de l’APL sont déployés à Xiamen 廈門, dans la province du Fujian 福建, en face de Kinmen. L’île subit des bombardements sans précédents. Cette attaque restera dans les mémoires taïwanaises comme « la bataille du 3 septembre », la première crise du détroit de Taïwan.

La première crise du détroit de Taïwan (1954-1955)

L’ambiguïté de l’engagement des États-Unis dans la crise du détroit

Les événements s’enchaînent et précipitent les États dans une escalade de crise sans précédent : le 6 septembre, deux officiers américains décèdent sur l’île dans les bombardements[19], tandis que quatorze autres en sont évacués. À Taipei 臺北, le 7 septembre 1954, on entend pour la première fois une sirène d’alerte aérienne alors que des avions de reconnaissance communistes survolent la ville[20]. Le même jour, les nationalistes ripostent en bombardant Xiamen.

Pris à partie dans la crise, les États-Unis ne se sont pas préparés à une réponse en cas d’affrontement avec la RPC. Cela résulte d’une absence de consensus au sein du gouvernement américain. Kinmen n’est pas considéré par tous comme un enjeu stratégique majeur[21]. Aussi, quelques jours après le bombardement de Kinmen, aucun mouvement des troupes américaines n’est observé dans le détroit de Taïwan. Par ailleurs, la menace d’une invasion communiste semble peu probable, l’enjeu étant surtout pour la RPC de manifester son mécontentement à l’égard de la politique internationale. En outre, les États-Unis craignent qu’une intervention de l’armée américaine entraîne un second Dien Bien Phu[22].

La position des États-Unis à l’égard de Taïwan est redéfinie le 1er décembre 1954, dans le traité de mutuelle défense entre les États-Unis et la ROC. Si le pacte inclut la défense de Taïwan et des îles Pescadores, il en exclut Kinmen où l’engagement américain demeure ainsi très vague. Par ailleurs, le traité déclenche la colère de la RPC qui riposte le 20 janvier 1955 par la conquête des îles nationalistes de Tachen 大陈. Celles-ci sont à peine défendues par les nationalistes qui évacuent les populations sur place.

La crise du détroit s’achève en avril 1955, alors que le ministre des Affaires étrangères de la RPC, Zhou Enlai 周恩來, annonce un cessez-le-feu lors de la conférence de Bandung. Cette crise a mis à l’épreuve la position des États-Unis, dont l’engagement à l’égard de la ROC se révèle ambigu. Pour Tchang Kaï-Chek, ce sont les rêves d’une reconquête de la Chine qui se délitent : « La vérité c’est que Tchiang n’a plus la permission de passer à l’offensive. Son rêve de reconquête est mort : ce sont les États-Unis qui lui ont donné le coup de grâce », écrit le journaliste français Robert Guillain dans Le Monde le 1er avril 1955[23]. Kinmen et Matsu demeurent les dernières îles nationalistes situées au large de la Chine. Non comprises dans le traité de défense mutuelle signé par les États-Unis, elles sont ainsi, selon les termes du journaliste du même article, « les deux derniers pétards chargés de dynamite dans ce secteur »[24].

Fortification et militarisation intense de Kinmen

à Kinmen, des soldats nationalistes se terrent dans des trous de renards surplombant la rive alors que les communistes bombardent la baie depuis plusieurs jours
à Kinmen, des soldats nationalistes se terrent dans des trous de renards surplombant la rive alors que les communistes bombardent la baie depuis plusieurs jours, Howard Sochurek, 1954, Life magazine digital Archive

À l’échelle de Kinmen, la bataille du 3 septembre entraîne une militarisation importante de l’île qui atteint dans les années 1950 le nombre de 100 000 soldats, soit le double de la population locale[25]. En janvier 1955, le journaliste français Fernand Gigon parti en reportage à Kinmen, note ainsi :

« Ceux de Quemoy[26] se cachent dans la barre de rochers qui traverse l’île. Ils sont admirablement camouflés et soutiennent l’ardeur des vingt-cinq à trente mille hommes de Tchiang Kaï-Chek, qui creusent des tranchées dans le sable, s’enfoncent dans l’argile, élèvent des fortins de ciment »[27]

Les troupes nationalistes se sont lancées depuis septembre 1954 dans une course effrénée à la fortification de l’île que dépeint ainsi Hu Dingyuan 胡定遠 un soldat nationaliste présent sur l’île de Petit Kinmen[28] :

 « Le travail, c’était de construire des bunkers, creuser des tranchées, ce genre de choses […] Chaque troupe devait construire en une nuit un bunker. Il n’y avait vraiment pas le temps de dormir. Le jour où on creusait nos propres abris, il fallait se protéger soi-même, on avait peur que les ennemis puissent tirer ici […]. Ces deux mois, je n’ai pas changé d’habits, on ne pouvait pas se laver, il n’y avait pas le temps de se laver, on voulait juste se reposer »

工事就是築碉堡啦,挖外壕啦, 這些東西 […] 一個連的一個晚上強制性的要趕一個碉堡。根本就沒有睡覺的時間啊!白天了,白天挖自己的防空洞啊,要防著自己呀,恐怕這裡敵人打砲[…] 那兩個多月, 我跟你講,我沒換過衣服,沒洗過澡,不要說洗澡,洗臉的時間都找沒有。都想休 息一下。[29]

La bataille est aussi une guerre psychologique et idéologique. Des messages de propagande du continent sont en permanence diffusés vers Kinmen. Huang Zhengliang 黃振良,, habitant de l’île, se rappelle alors :

« Tous les jours que l’on travaille ou que l’on dorme, on pouvait entendre la radio continentale »

每一天在工作或者晚上在睡覺,都可以聽到大陸的廣播[30]

Le soldat Hu Dingyuan est chargé d’envoyer en retour les mêmes messages de propagande à destination de la Chine continentale. Il se rappelle diffuser des phrases telles que :

« Compatriotes du continent ! Ici nous vivons très bien et vous, tout va bien ? Venez ! Ici c’est pareil. C’est à peu près comme cela que l’on criait des côtés du détroit »

大陸同胞們!欸!我們現在在這邊生活過得很好,你們那邊好不好?你過來吧!到我們這邊也是一樣的!就是喊的,兩邊都是差不多!就是這樣啊。[31]

Les messages de propagande sont aussi tractés par la voie d’obus, qui ne sont que rarement mortels. Dans ce cas-là, les habitants ont interdiction de lire le contenu et doivent immédiatement les remettre aux autorités[32]. Les nationalistes rétorquent également en envoyant des obus de propagande qui se font la promotion du régime de Tchang Kaï-chek tels que le montrent les deux tracts suivants :

Tracts de propagande nationaliste
Tracts de propagande nationaliste, Administration des archives nationales

Dans le tract de droite, les nationalistes prônent un retour à la paix et à l’ordre social : « pour permettre au peuple de se rétablir et de prospérer. Sauvez-vous et sauvez les autres. L’armée communiste doit sérieusement réfléchir. Cessez le trouble social. Rétablissez les transports. Rétablissez l’ordre social, pour passer des jours paisibles et heureux. » 為取得人民休養生息的機會。自救救人。共軍官兵要切實反省。停止內亂。恢復交通,安定社會,來過和平安樂的日子。

Ce retour à la paix est garanti par les nationalistes eux-mêmes. Le tract de droite se veut résolument rassurant en proposant un accueil chaleureux des communistes repentis. On peut ainsi lire « pour sauver la patrie, pour la stabilité, la paix, la réunification, la construction, nous accueillons les communistes pour se réformer ! » 為求國家,安定,和平,統一,建設,我們歡迎共產黨黨員自新!

Vers une militarisation de la vie civile

Dès les années 1950, les habitants sont pleinement pris à partie dans la défense de l’île. Si, dès 1949, ces derniers avaient déjà été contraints de partager leurs habitations avec les soldats, la bataille d’artillerie de 1954-1955 officialise le contrôle militaire de la population : avec la création en 1956 des War zone admnistration (WZA) ou zhandi zhengwu 戰地政務, le gouvernement civil de l’île est remplacé par un commandement militaire qui octroie les pleins pouvoirs au commandant[33]. Les civils sont soumis à un contrôle militaire strict. Le couvre-feu est fixé à 10 h. Les habitants sont encouragés à porter des vêtements sombres. Rares sont ceux qui osent porter des vêtements rouges, car ils évoquent la couleur du communisme[34]. Il est également interdit de posséder des radios : elles sont susceptibles de capter les ondes du continent[35]. Huang Zhengliang résume ainsi sa vie quotidienne des civils sur l’île en temps de guerre froide :

« Nous, les civils, on ne peut pas aller à la mer, il y a beaucoup de jeunes de mon âge qui comme moi sont nés lors de la scission des deux rives ; ainsi, les civils de Kinmen ne pouvaient pas aller à la mer, car [les nationalistes] avaient peur, ils voulaient t’empêcher de profiter de cette occasion de te rendre à la mer pour nager jusqu’au continent »

我們百姓不能下海,很多像我這個年齡的, 我們 一出生接著就是兩岸的分隔,那麼金門的百姓不能下海,因為,因為怕你,預防你 藉著下海的機會游泳到大陸去。[36]

Seuls les pêcheurs ont le droit de se rendre sur la plage sur présentation d’un certificat. Ils doivent en outre suivre une formation militaire spécifique pour apprendre à répondre aux Chinois du continent en cas de contact, et ne pas dévoiler d’informations clés sur la défense de l’île[37].

Pêcheurs affrétant les cargaisons, encadrés par des militaires à Kinmen
Pêcheurs affrétant les cargaisons, encadrés par des militaires à Kinmen, Administration des archives nationales 國家發展委員會檔案管理局

Chaque village possède des forces populaires d’autodéfense minzhong ziweidui 民眾自衛隊 composées d’hommes et de femmes équipés par l’armée de fusils et de balles pour se défendre au même titre que les soldats. Ils suivent également des entraînements. À chaque entrée de village se trouvent une sentinelle, un bunker, des tunnels souterrains pour protéger les personnes fragiles[38].

Kinmen est une île fermée au monde extérieur : il est impossible pour les habitants de Taïwan de se rendre à Kinmen. Aussi, l’île se présente comme un petit microcosme[39], évoluant en marge de Taïwan.

La bataille du 23 août 1958, la deuxième crise du détroit de Taïwan

Un bombardement d’une violence inédite

Le 19 août 1958, un article du Monde s’inquiète de la situation de Kinmen :

« Le cliquetis d’armes qui a résonné depuis le début du mois dans le détroit de Formose a soulevé la question des intentions belliqueuses nourries à Pékin contre le bastion de Tchiang Kaï-Chek. On a même vu avancer l’opinion que M. Khrouchtchev s’était rendu tout spécialement en Chine pour freiner les dirigeants chinois qui étaient prêts à se lancer dans l’aventure. »[40]

Quatre jours plus tard, le 23 août 1958, Kinmen subit un bombardement d’une intensité supérieure à celle de 1954. Le bombardement dure près de deux mois. C’est un véritable déluge de feu. Lin Hengxiong 林恆雄 rapporte :

« Tout d’un coup, de 6 h à 8 h 30, plus de 40 000 obus ont été lancés. Dans cette troupe, il y avait 100 soldats, aucun n’avait entendu un bruit de bombardement aussi puissant, bien sûr, tout le monde autant que nous étions un peu terrifiés […]. D’après le département des statistiques de la Défense, les communistes ont largué sur les deux mois 474 000 obus […]. Autant dire que parmi toutes les guerres qui ont lieu sur cette Terre, il n’y pas eu l’équivalent de Kinmen en termes de superficie. »

一下子從 6 點半 到 8 點半就打了,四萬多發的砲彈。這個連隊有 100 多位的官兵,都沒有聽過這麼轟烈的砲彈聲,當然啊,每個人的心裡多少都有點害怕。[…]兩個月下來,國防部統計中共打過來砲彈 47 萬 4 千發 […] 這麼可 以說是這個全世界所有的戰爭,以面積的比例,沒有像金門這樣 [41]

À l’issue de ces deux mois de bombardements intensifs, 544 soldats et 80 civils périssent[42]. La bataille du 23 août est un souvenir encore plus traumatisant que la première crise. Les habitants, mal équipés, ne disposent pas d’abris pour se protéger au début du conflit. Hong Zhihe 洪志合 est un habitant de Petit Kinmen. Il est alors âgé de 15 ans lors du bombardement :

« À la maison, à ce moment, personne n’osait dormir, tout le monde était serré les uns contre les autres sous le lit, on dormait sous le lit. Sur le lit, on mettait des couettes et des sacs de sable. »

我們在家裡,那個時候我們就把那個,大家不敢睡,都擠在床下睡,睡在床底下,床上把它什麼棉被,有沙包都 疊上去嘛。[43]

Huang Zhengliang, habitant à Kinmen, se souvient également :

« Lorsque le bombardement a commencé, la puissance de tir n’était pas grande, et bien que le gouvernement a toujours souligné qu’il fallait faire urgemment des abris anti-bombes, en fait, dès que le bombardement a commencé, tout le monde s’est caché sous les lits. Mais après, le bombardement s’intensifiant, sa puissance s’accroissant, il n’y avait plus le choix, alors tout le monde a vraiment construit un abri. Les abris étaient faits de sacs de sable, de coquilles d’huîtres […]. Ensuite, il est devenu indispensable de creuser vraiment sous la terre pour faire des abris. Cependant, mon impression a été qu’après avoir creusé les abris, pour nous les villageois, les victimes ont été plus nombreuses […] les abris de l’armée sont faits en béton armé. Ceux des civils, c’était du sable. Donc dès que [l’obus] tombait, il explosait. Dans notre village, je me cachais dans un abri situé à environ 100 mètres d’un autre abri. C’est comme ça qu’un obus est entré et a explosé. Dedans, c’était un charnier. Neuf personnes au total sont mortes : une vielle femme qui portait d’une main un enfant, tandis que son autre main avait été arrachée. À la maison il ne restait plus qu’elle, tenant de sa main l’enfant, tandis que son mari, son grand fils, tous avaient disparu. »

剛開始的砲,這個砲擊呢,因為其實那個砲威力不大,很多百姓,雖然政 府一直強調說你們要趕快做防空洞,其實很簡單,大家呢,一有砲擊開始了,就躲在家裡面的床鋪底下。[…] 但是後來隨著這個砲彈越來越,威力越來越大,砲彈越 來越大,威力越來越強,沒辦法啦,所以大家就真正的做一個防空洞。那個防空洞 又是什麼呢,就是用一些這個沙包啦,海蚵殼啦,就把它墊高起來,那麼人就躲在 裡面。 […] 再後來不得不挖防空洞,就真正挖地下的防空洞,但是我的印象裡面是,挖了地下防空洞以後,在我們那個村莊,反而是被打到的人是最多的 […] 那麼我們的防空洞呢,軍人的防空洞是鋼筋水泥的,碉堡是鋼筋水泥的。 百姓的防空洞呢,是泥土的,所以一鑽下去呢,就開始爆開了,我們村莊,在我躲的防空洞,大概有 100 公尺距離的另外一個防空洞,就是被這樣的一個砲彈打下去, 爆開了,裡面血肉模糊的,九個半,九個人全死,一個老婦人一手抱著他的孩子, 另外一手被打掉了,家裡面只剩下她跟手上抱著的這個人,其他的丈夫,其他大的兒子都沒了。所以反而是這段時間,這個人員傷亡的反而更多。[44]

Des enfants sortent d’une tranchée qui protége des bombardements, dans le village de Kwung Li à Kinmen. Au cours du mois d’octobre, ce village a été touché par cent obus par jour environ. John Dominis, 1958
Des enfants sortent d’une tranchée qui protége des bombardements, dans le village de Kwung Li à Kinmen. Au cours du mois d’octobre, ce village a été touché par cent obus par jour environ. John Dominis, 1958, Life magazine digital Archive

La vie des habitants et des soldats se plie au rythme des bombardements. Les inspections militaires se font dans la plus grande discrétion. Le soir, les phares des voitures, les lampes de poche doivent être le moins lumineux possibles. Lin Hengxiong, soldat, témoigne :

« Si c’était trop lumineux, l’armée communiste d’en face pouvait tirer, donc même les lampes de poche devaient être recouvertes d’un étui noir »

太亮對面的這個中共砲兵會打過來, 所以連手電筒都要弄個這個套子,黑的,黑的套子。[45]

Soumis à un blocus par les airs et les mers, les vivres sont parachutés sur les plages de Kinmen. Les avions doivent voler le plus bas possible afin de ne pas casser les colis largués[46].

Les bombardements ont généralement lieu l’après-midi. Aussi les civils ne travaillent-ils que le matin. Huang Zhengliang raconte :

« Le matin nous travaillions toujours sur la montagne […] après avoir déjeuné, on commençait à se préparer à entrer dans l’abri dès qu’il y avait du bruit »

上午的時 間我們照樣上山工作,照樣工作。[…] 那麼吃過中午飯,就開始準備了,準備等一下有聲音 就進防空洞。[47]

Une foule d’étudiants venus de différents villages de Kinmen sont évacués vers Taïwan, John Dominis, 1958
Une foule d’étudiants venus de différents villages de Kinmen sont évacués vers Taïwan, John Dominis, 1958, Life magazine digital Archive

Le bombardement de Kinmen : un retentissement mondial aux dépens de la Chine

Comment expliquer la décision des communistes de déclencher une telle offensive ? La politique de Mao n’est pas en réalité de débarquer à Kinmen, mais d’appuyer un message politique, celui d’une seule Chine[48]. En interne, Mao a lancé le Grand bond en avant en 1958, dont l’objectif est de dépasser l’Angleterre en quinze ans. Par ailleurs, le bombardement de Kinmen pourrait être perçu comme une forme d’encouragement populaire[49]. Le déluge d’acier qui tombe sur Kinmen en 1958 serait aussi une façon de montrer au monde que la RPC est une puissance militaire et industrielle.

Cependant, la réaction des États-Unis prend de court Mao Zedong : Eisenhower affirme le soutien des États-Unis à l’égard de la ROC et envisage même l’emploi de la bombe atomique[50]. En septembre 1958, des renforts américains sont envoyés pour soutenir Kinmen. D’après un article du Monde daté du 18 septembre 1958, la présence d’avions de transport américain laisserait même à penser que « les États-Unis et la Chine nationaliste pourraient tenter d’établir un pont aérien semblable à celui qui fut institué à Berlin »[51].

De même, le conflit est relayé dans les médias du monde entier et tend à ternir considérablement l’image de la RPC. Le grand reporter John Dominis, qui a couvert la guerre de Corée, est envoyé à Kinmen par le magazine Life. Le New York Times publie un article sur les conditions de vie des civils lors des bombardements. L’article fait part de 5700 civils dont 1500 enfants de Petit Kinmen vivant dans des caves, alors que les vivres commencent à manquer et que l’hiver approche[52].

Un enfant de Kinmen a perdu son bras droit et a été blessé à la main gauche le premier jour du bombardement
Un enfant de Kinmen a perdu son bras droit et a été blessé à la main gauche le premier jour du bombardement, John Dominis, 1958, archives digitales du magazine Life, New York Public Library

En France, un reportage vidéo (que nous pouvons retrouver sur le site de l’Ina) daté de 1958 montre des scènes de villages détruits, de populations blessées – dont un enfant amputé – sur fond de musique dramatique.

Kinmen, de la fin d’un enjeu géostratégique majeur à la construction d’un symbole politique

Détente dans le détroit de Taïwan

Dans une violence inédite, la bataille du 23 août clôt une période de tensions entre la RPC et la ROC et laisse place à une relative détente. Dans les années 1960-1970, alors que la Chine traverse une crise interne majeure consécutive au Grand bond en avant, Taïwan connaît une période de prospérité économique aidée par les aides américaines. Les menaces diminuent radicalement au tournant des années 1980, alors que Deng Xiao Ping 鄧小平, arrivé au pouvoir en RPC, met en place la politique de réforme et d’ouverture.

Paradoxalement, alors même que les tensions s’atténuent et qu’il devient clair pour la ROC que la reconquête de la Chine continentale est impossible, la militarisation de Kinmen est portée à son apogée. L’enjeu n’est pas de répondre à une menace réelle, mais bien de faire de Kinmen un symbole qui puisse rappeler la menace que représente la RPC dans un contexte de rapprochement avec les États-Unis. En 1971, elle prend officiellement la place de la ROC comme représentante de la Chine et, sept ans plus tard, en 1978, les États-Unis reconnaissent officiellement la RPC comme la seule et unique Chine[53].

C’est dans cette perspective que sont développés les villages de combat zhandou cun 戰鬥村 : plus de 10 000 km de tunnels sont creusés sous les villages et des centaines de bunkers sont construits. Les nouvelles habitations de Kinmen sont dotées d’abri et les civils sont formés à se défendre eux-mêmes en cas d’attaque[54].

L’essentiel de la vie des militaires se déroule ainsi dans ce vaste réseau de tunnels souterrains où se trouvent cuisines, bureaux, dortoirs[55]. Elle est rythmée par les exercices militaires et les bombardements dits « pairs et impairs » 單打雙不打, c’est-à-dire des bombardements ayant lieu uniquement en jours impairs. Pour la plupart, ce sont des obus de propagande dispersant des tracts, causant peu de dommages[56]. Soldat à Kinmen dans les années 1970, Zhuang Qian Liang 莊謙亮 raconte :

« Généralement, les bombardements commençaient à 18 h, tous les jours avant 18h il fallait donc fermer le poste, cela signifie que personne ne peut entrer ou sortir, à moins que ce soient des services d’urgence ou médicaux, dans ce cas seulement il était autorisé de sortir. Sinon, toutes les activités avaient lieu dans le poste. Généralement, le soir, s’il y avait la télé, on regardait la télé. S’il n’y avait pas la télé, on faisait un peu d’exercice physique. On s’aérait l’esprit. Sinon, à Kinmen, à dire vrai, cet environnement était difficile, pourquoi ? Parce que nous dormions dans le même tunnel où se trouvaient nos chars. À côté de nos chars, c’est pas comme s’il y avait une chambre avec une porte, une fenêtre, donc en hiver il faisait très froid. »

這個部分呢,因為就是通常砲擊的這個時間,一般來講是下午 6 點以後開始, 所以,所以金門的那一段時間就是 6 點,每天下午這個 6 點以前就要關閉陣地,所謂關閉陣地就是陣地通通不准,不准進出,所有人都不准進出,除了,除了有一些 什麼緊急的任務,或者有什麼醫療等等,才允許外出,不然的話全部都在,在陣地 裡面。我們一般晚上如果說有電視就看電視,沒有電視的晚上又做一些這個康樂的 活動,調劑一下這個,這個身心。不然在金門,金門這個地方老實說,這個環境還 是蠻苦的,為什麼,我剛剛講像坑道,坑道裡面我們戰車,戰車擺在坑道裡面,我 們就睡在旁邊,戰車的這個,這個旁邊。那不像我們那個房間有門、有窗,這沒有 門窗的,所以冬天是很冷的。[57]

En 1979, les bombardements cessent totalement. Alors même que les tensions s’atténuent dans le détroit de Taïwan, un vent de libertés et de démocratisation souffle dans le pays. Le régime politique s’assouplit : le fils de Tchang Kaï-chek, Tchang Ching-kuo, qui a succédé au pouvoir, proclame en 1987 la levée de la loi martiale à Taïwan, suivie, cinq années plus tard, par celle de Kinmen. C’est un changement drastique pour la population qui a vécu plus de trente ans en vase clos, coupée du monde et plongée dans un environnement de guerre permanent :

« Le soir, tu ne pouvais pas sortir, si tu voulais sortir le soir, tu devais avoir un laissez-passer. Si le soir tu devais aller à l’hôpital, mais que tu n’avais pas de laissez-passer, tu ne passais pas. Donc la liberté de mouvements des civils était étroitement contrôlée. Lorsque l’administration de guerre a été supprimée, les choses sont devenues plus libres pour les civils, plus démocratiques. Cela a été un très grand changement pour le développement de la vie des habitants. »

你晚上都不能出來,晚上要出來的話要 有通行證耶。晚上要上醫院,沒有通行證過不去的,所以老百姓的這個行動自由是 受到很大的限制。戰地政務終止以後就解除了,老百姓一切事情就比較自由,比較 民主,往老百姓的民生去發展,所以這就有很大的轉變。[58]

La suppression de l’administration de guerre est suivie par l’entrée de Kinmen dans le système économique taïwanais. Cela se traduit notamment par le passage d’une monnaie locale – la monnaie de Kinmen – au dollar taïwanais[59]. La transition économique est d’autant plus compliquée que l’île s’est développée en marge de Taïwan et s’est entièrement dévouée à l’armée. Plusieurs villages qui s’étaient développés autour des bases militaires, deviennent des villes fantômes avec le retrait des troupes[60].

Si Kinmen demeure encore aujourd’hui en décalage par rapport à l’économie taïwanaise, elle a su développer des spécialités locales qui jouissent désormais d’une reconnaissance régionale : tel est le cas du kaoliang 高粱 [61], dont la culture de sorgho a été encouragée pendant la guerre par le commandant Hu Lian 胡璉 – et les couteaux, qui sont au départ produits à partir de l’acier des obus tombés sur l’île.

L’essentiel de l’économie de Kinmen se fonde surtout sur le tourisme militaire depuis que les tunnels, forts et bunkers sont ouverts à la visite. L’attractivité de cette île sur le plan touristique démontre à quel point Kinmen a une portée symbolique importante.

Kinmen dans la culture populaire taïwanaise

À Taïwan, de nombreux films sont sortis dans les années 1980 à la gloire des batailles de Kinmen tel que La bataille de Guningtou Guningtou dazhan 古寧頭大戰 réalisé par Chang Tseng-Chai 張曾澤, qui représente la victoire remportée en deux jours de l’île par les forces nationalistes contre les communistes. On y voit notamment une scène mythique de soldats communistes débarquant sur l’île en bateaux à voile.

Un autre exemple est celui du film Les femmes soldats de Jinmen Jinmen nu bing 金門女兵 de Yang Chia-yun 楊家雲, sorti en 1983, qui mobilise une figure militaire féminine, souvent instrumentalisée par l’armée taïwanaise comme outil de promotion à l’internationale[62].

On peut aussi citer la figure de l’homme grenouille, aussi appelé fantôme des eaux shui gui 水鬼, qui incarne une sorte de James Bond nationaliste qui s’infiltre de l’autre côté du détroit à la nage. Cet ensemble de référents – dont la liste n’est pas exhaustive – dépeignent un tableau épique de l’histoire de Kinmen, bien éloigné de la réalité que nous avons décrite plus haut, à travers les témoignages des habitants.

Cependant, il existe également une autre littérature, moins épique, parmi laquelle on peut citer le célèbre poème surréaliste « La mort dans une chambre de pierre » shishi zhi siwang 石室之死亡, écrit en 1949 par Luo Fu 落夫, alors qu’il était mobilisé à Kinmen :

« On a bâti toutes les tombes au milieu d’oreilles, afin de mieux entendre

Marcher vos bottes après que vous soyez partis en expédition militaire

Toutes les roses se sont flétries pendant la nuit, tout comme vos noms

Sont devenus un tas de numéros pendant la guerre, tout comme votre fatigue

Ne s’est plus souvenue que cette cité-là s’était effondrée au fond de, mon coeur »

築一切墳墓於耳間,只想聽清楚 你們出征以後的靴聲 所有的玫瑰在一夜萎落,如同你們的名字 在戰爭中成為一堆號碼,如同你們的疲倦 不復記憶那一座城曾在我心中崩潰 [63]

Si cette littérature autour de Kinmen participe à la construction d’un patriotisme national, l’île a aussi une signification ambiguë aux yeux des Taïwanais qui, depuis les années 1980, ont adopté des valeurs démocratiques et se sont éloignés de l’idéologie prônée par Tchang Kaï-Chek. Ainsi, Kinmen semble symboliquement incompatible avec la construction d’une identité taïwanaise, indépendante et déliée de la Chine. Porte-étendard de l’idéologie de Tchang Kaï-Chek, c’est un symbole problématique dans la mesure où il enferme l’identité taïwanaise dans une perspective de Grande Chine et, par là même, empêche la création d’une République de Taïwan indépendante[64].

Notons également que, pour les habitants de Kinmen, l’identité taïwanaise n’est pas toujours allée de soi : non considérés comme Taïwanais, eux-mêmes ont eu du mal à s’identifier comme tels[65]. Toutefois, avec la fin de la loi martiale, la succession des générations et la dégradation des relations sino-taïwanaises, les habitants de Kinmen développent aujourd’hui un réel sentiment d’appartenance à Taïwan.

Aujourd’hui si Kinmen est en grande partie démilitarisée, son identité reste toutefois scellée aux tensions géopolitiques dans le monde. Depuis 2022, elle a trouvé un écho particulier à l’international depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, au point d’être comparée dans les médias à une « Crimée » asiatique. La venue de Nancy Pelosi la même année a suscité une importante médiatisation de Kinmen, devenue un symbole de lutte contre la menace chinoise. Cependant, ils convient d’être très prudent avec ce type de comparaison car, comme le souligne Alexandre Gandil dans Le Monde diplomatique de mars 2023[66], le risque d’invasion est aujourd’hui le même à Kinmen et à Taïwan. Dans le plan d’invasion de Taïwan par la Chine, le débarquement sur les îles de Kinmen et Matsu au large de la Chine, ne figure d’ailleurs pas dans la phase principale[67].

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Bibliographie

Articles et monographies

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Rapports

Parc national de Kinmen, Jinmen guojia gongyuan zhanyi sheji baocun weihu jihua – koushu lishi fangtan ji wenwu diancang jihua chengguo baodao shu金門國家公園戰役史蹟保存維護計畫- 口述歷史訪談及文物典藏計畫成果報告書 « Projet de préservation et d’entretien historiques – Rapport sur les résultats du projet d’entrevues d’histoire orale et de collection de reliques culturelles », Kinmen, 2018, 402 p.


[1] Dans un podcast diffusé sur Radio Taïwan International (RTI) en 2023, le chercheur français Alexandre Gandil montre qu’il a préexisté, jusqu’à récemment, une forme d’évidence dans la communauté académique en études taïwanaises à « mettre de côté Kinmen et Matsu » en raison de leur trajectoire historiques distinctes, leur éloignement géographique de Taïwan, et de leur faible superficie. « Comprendre Kinmen, ce comté taiwanais à quelques kilomètres des côtes chinoises », dans RTF Relations Taïwan-France, Taipei, Radio Taiwan International, 2023, 24 min 30 s, [en ligne] https://fr.rti.org.tw/radio/programMessagePlayer/programId/1580/id/108692 (dernière consultation 01/08/2023)

[2] Parc national de Kinmen, Jinmen guojia gongyuan zhanyi sheji baocun weihu jihua – koushu lishi fangtan ji wenwu diancang jihua chengguo baodao shu金門國家公園戰役史蹟保存維護計畫- 口述歷史訪談及文物典藏計畫成果報告書 « Projet de préservation et d’entretien historiques – Rapport sur les résultats du projet d’entrevues d’histoire orale et de collection de reliques culturelles », Kinmen, 2018, 402 p.

[3] La guerre civile chinoise a opposé les communistes et les nationalistes (KMT) sous le commandement de Tchang Kaï-Chek. Commencé en 1927, le conflit a été interrompu lors de l’occupation japonaise de 1937 à 1945.

[4] FAIRBANK John, Histoire de la Chine : des origines à nos jours, Paris, Tallandier, 2010, 750 p.

[5] YU Maochun Miles, « The battle of Quemoy : The amphibious assault that held the postwar military balance in the Taiwan Strait », dans Naval War College Review, vol. 69, no2, Newport, Naval War College, 2016, pp. 91-107, [en ligne] https://digital-commons.usnwc.edu/nwc-review/vol69/iss2/8/ (dernière consultation le 18/07/2023)

[6] Parc national de Kinmen, op. cit., p.39

[7] SZONYI Michael, op. cit.

[8] Parc national de Kinmen, op. cit., pp. 34-41

[9] Ibid.

[10] Ibid., pp. 34-41

[11] YU Maochun Miles, art. cit.

[12] Parc national de Kinmen, op. cit., p. 41

[13] Ibid., p. 103

[14] HUEI Pang Yang, Strait Rituals: China, Taiwan, and the United States in the Taiwan Strait Crises, 1954–1958, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2019, 336 p.

[15] MATSUMOTO, Haruka, « The First Taiwan Strait Crisis and China’s » Border » Dispute Around Taiwan », dans Eurasia Border Review, vol. 3, Sapporo, Slavic Research Center, 2012, pp. 75-91

[16] Villes situées dans la province du Fujian en Chine, en face de Kinmen.

[17] R.G, « La flotte américaine tirera-t-elle sur les jonques d’invasion chinoise ? », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1950, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1950/07/26/la-flotte-americaine-tirera-t-elle-sur-les-jonques-d-invasion-chinoises_2041574_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[18] JOURNOUD Pierre, « De la naissance de l’OTASE à l’accord de paix sur le Cambodge : la France, la Grande-Bretagne et la sécurité en Asie du Sud-Est pendant la Guerre froide », dans Relations internationales, n°168, Paris, Presses universitaires de France, 2016, pp. 29-46, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2016-4-page-29.htm?ref=doi (dernière consultation le 18/07/2023)

[19] « Taïpeh, capitale de Formose, a connu pour la première fois la sirène d’alerte aérienne. Un ou plusieurs avions non identifiés, probablement des appareils de reconnaissance communistes, ont survolé la ville et l’île à l’aube, et la D.C.A. est entrée bruyamment en action », Le Monde, « Nouveaux duels d’artillerie entre communistes et nationalistes, deux officiers américains tués », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1954, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1954/09/07/nouveaux-duels-d-artillerie-entre-communistes-et-nationalistes-deux-officiers-americains-tues_2023700_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[20] Le Monde, « L’aviation et la marine de Formose ripostent contre les batteries communistes », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1954, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1954/09/08/l-aviation-et-la-marine-de-formose-ripostent-contre-les-batteries-communistes_2023766_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[22] MATSUMOTO Haruka, art. cit.

[22] HUEI Pang Yang, op. cit.

[23] GUILLAIN Robert, « Le président Eisenhower a re-neutralisé Tchang Kaï-Chek », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1955 [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1955/04/01/le-president-eisenhower-a-re-neutralise-tchiang-kai-chek_3029412_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[24] Ibid.

[25] SZONYI Michael, op. cit.

[26] Autre nom de Kinmen.

[27] GIGON Fernand, « Entre les deux Chines voici venu le temps de la guerre tiède », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1955 [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1955/01/19/i-entre-les-deux-chines-voici-venu-le-temps-de-la-guerre-tiede_1950772_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[28] Kinmen est composée d’une île principale dite « Grand Kinmen» da Jinmen 大金門 » et d’une autre, le « Petit Kinmen » xiao Jinmen 小金門.

[29] Parc national de Kinmen, op. cit., pp. 57-61

[30] Ibid., p. 244

[31] Hu Dingyuan, ibid., p. 56

[32] « Lorsque tu ramassais un tract, tu ne devais pas le regarder, tu devais le ramener au bureau du village ou au commissariat » 宣傳單的管制,這個是從早就有,也就是說當你撿到宣傳單以後不能看, 必須拿到村里公所,或者警察所去交。Ibid., p. 245

[33] SZONYI Michael, op. cit.

[34] « les couleurs que tu devais porter étaient sombres, les couleurs n’étaient pas très criantes […] à cette époque on n’osait pas même porter du rouge, beaucoup de gens n’osaient pas, dès que l’on mettait cette couleur, il y avait un problème. » 你要穿的顏色比較黑一點啊,顏色不是很亮的啊[…] 我們當時連紅色的都不敢用,很多人不敢用,一用出去的話會出問題。Parc national de Kinmen, op. cit., p. 250

[35] D’une manière générale, les appareils photos, les radios car Kinmen reçoit facilement les ondes du continent. 般這個照相,欸收音機啊,因為金門收大陸的訊號很容易 Ibid., p. 252

[36] Ibid., p. 253

[37] « [Les soldats] leur apprenaient comment défendre l’anti-espionnage, parce que tu peux rentrer en contact avec des pêcheurs de Chine continentale, et, lorsque tu discutes avec eux, tu pourrais l’air de rien dévoiler les secrets de l’armée, c’est pourquoi il fallait que cela leur soit enseigné par l’armée, comment vous devez répondre s’ils te demandent cela, comment tu leurs réponds » 他還要教他,你怎樣保密防諜,因為你會跟大陸的漁民接觸,要跟他們談話的時候,無形中就把我們的軍事機密透露出去了。所以要這個由軍中來教他們,你們要怎麼回答,如果他問你什麼,你要怎麼樣回答 Ibid., p. 248

[38] D’après Yan Zhongcheng, la défense civile des villages se fait à partir de 16 ou 18 ans pour les garçons et les filles. Fusils et balles sont fournis par l’armée. Ils coopèrent avec l’armée et peuvent tirer en cas de combats simples.

[39] GANDIL Alexandre, Kinmen l’insoumise, Asialyst, 2015, [en ligne] https://asialyst.com/fr/2015/10/19/taiwan-kinmen-insoumise/ (dernière consultation le 14/07/23)

[40] Le Monde, « Mao Tsé-Toung et Formose », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1958, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/08/19/mao-tse-toung-et-formose_2301044_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[41] Parc national de Kinmen, op. cit., pp. 85-91

[42] Ibid., p. 84

[43] Ibid., p. 215

[44] Ibid., pp. 244-245

[45] Ibid., p. 84

[46] « Les communistes voulaient juste bloquer nos navires de Liao Luo Wan – nos navires d’approvisionnement – et ils voulaient dans le même temps bloquer les airs, même si c’était impossible, ils tiraient quand même. Les avions ne pouvaient pas voler haut pour parachuter les colis auquel cas les choses ça se serait cassé, ainsi tout cela se passait de nuit. » 中共就是要封鎖你料羅灣艦艇,運補的艦艇,同時你空中他也要,他沒辦法封鎖,但是他也要打。飛機也不能飛得太高來空投,東西這下來都摔壞了, 所以這個都是利用晚上。Ibid., p. 82

[47] Ibid., p. 245

[48] GANDIL Alexandre, art. cit.

[49] SZONYI Michael, op. cit.

[50] PIERRE Henri, « Aux avertissements communistes, Washington riposterait par la menace de l’emploi de bombes atomiques, Entretien Einsenhower-Dulles jeudi à Newport », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 1958, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/09/04/aux-avertissements-communistes-washington-riposterait-par-la-menace-de-l-emploi-de-bombes-atomiques-entretien-eisenhower-dulles-jeudi-a-newport_3126455_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[51] Le Monde, « Un pont aérien pourrait être établi pour ravitailler Quemoy », Paris, Société éditrice du Monde, 1958, [en ligne] https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/09/18/un-pont-aerien-pourrait-etre-etabli-pour-ravitailler-quemoy_2311462_1819218.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[52] « More than 2,000 children on Quemoy and Little Quemoy are living in caves and underground shelters as winter approaches with threats of influenza, smallpox and exposure. “Our greatest fear is an influenza epidemic” said Dr.Lin Chin-Chaing, head of the Quemoy Medical Center for Civilians. “Children and aged people are living in caves and underground shelters that will be damp and cold this winter. “They need blankets, clothing and some safe way to heat their shelters. Even if the Communists stop their artillery attacks, many hundreds will have no surface homes”. Earlier, the civilian administration of Little Quemoy said all that island’s 5700 civilians, including 1500 children, were living underground. Food is running low and virtually no medical supplies are available. » The New York Times, « Children live in caves », dans The New York Times, The New York Times Company, New York, 1958, [en ligne] https://www.nytimes.com/1958/10/01/archives/children-live-in-caves-quemoy-officials-say-many-have-no-surface.html (dernière consultation le 18/07/2023)

[53] SZONYI Michael, op. cit.

[54] Parc national de Kinmen, op. cit., p. 106

[55] La surface du tunnel était grande (…) je me souviens qu’il était profond de 50 mètres, à 50 mètres de profondeur, il y avait même une cuisine, un bureau, tout se trouvait dans le tunnel. » 那個坑道的範圍非常的大 […] 我記得他的深度是將近有,有 50 公尺這麼深 […] 50 公尺這麼深。連我們的餐廳,辦公的地方,通通都在石頭裡面. Ibid., p. 158

[56] D’après Zhuang Qian Liang « Il y avait encore des bombardements en face, c’étaient des bombardements impairs et pairs, et en 1976 en ROC à ce moment-là on avait déjà commencé les bombardements d’obus de propagande. » 這個對岸還是有砲擊,他那個砲擊就是單打雙不打 , 而且在民國 65 年(西元 1976 年)的時候,那個時候的那個砲擊已 經開始打的是宣傳彈 ibid., p. 123

[57] Ibid., p. 124

[58] Ibid., p. 109

[59] Ibid., p. 108

[60] SZONYI Michael, op. cit.

[61] Le kaoliang est un alcool fort obtenu à partir du sorgho. Il est très populaire en Chine et à Taïwan.

[62] Ibid.

[63] Luo Fu, « La mort dans une chambre de pierre », dans TAO Hanwei, Symbolisme et surréalisme français comme défi aux lettres chinoises, Paris, Université Paris-Sorbonne Nouvelle, 2009, 404 p., thèse de doctorat en littérature générale et comparée

[64] GANDIL Alexandre, L’identité taïwanaise à l’épreuve de ses marges : le cas des archipels de Kinmen et Matsu, Paris, Université Paris 8, 2015, 144 p., mémoire de master 2

[65] Ibid.

[66] GANDIL Alexandre, « Fantasme d’une Crimée asiatique », dans Le Monde diplomatique, Paris, Le Monde diplomatique SA, 2023, [en ligne] https://www.monde-diplomatique.fr/2023/03/GANDIL/65602#:~:text=D%C3%A8s%201949%2C%20les%20%C3%AEles%20de,deux%20rives%20se%20sont%20d%C3%A9velopp%C3%A9s. (dernière consultation le 18/07/2023)

[67] GUIBERT Nathalie, « Taïwan : comme l’armée chinoise planifie l’invasion », dans Le Monde, Paris, Société éditrice du Monde, 2022, [en ligne] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/26/taiwan-comment-l-armee-chinoise-planifie-l-invasion_6151704_3210.html (dernière consultation le 18/07/2023)