Demain la Chine : guerre ou paix ? – Jean-Pierre CABESTAN

Cette recension a préalablement été publiée dans la lettre n°14 BIS de la Commission Française d’Histoire Militaire en avril 2022. Nous partageons ce texte avec leur autorisation et celle de l’auteur, Michel LOUSTAU.

Le point de départ de l’auteur est l’ouvrage du Pr. Graham Allison Vers la guerre : la Chine et l’Amérique dans le Piège de Thucydide ? (2019)[1], dont nous avons rendu compte dès sa parution ; inutile de dire qu’il a été abondamment commenté en Chine.[2] Dans ce schéma, Pékin endosse le rôle du perturbateur continental dévolu au IIe Reich de 1890 à 1914, comme l’a bien vu l’économiste Daniel Cohen. Le nationalisme et la volonté de revanche des Han sur le siècle des humiliations (1840-1945) avaient déjà été signalés par Lucien Bodard en 1968. D’où une montée en puissance régulière sous les présidences de Hu Jintao (2003) et de Xi Jinping (2013). Avec 320 ogives nucléaires stratégiques, contre 5 800 américaines et 6 375 russes, sa stratégie est celle du faible au fort. L’arsenal de missiles classiques balistiques ou de croisière est le premier du monde ; la RPC dispose aussi de missiles hypersoniques, d’armes antisatellites ou électromagnétiques, et maîtrise la cyberguerre. La marine chinoise compte 350 bâtiments contre 293 pour l’US Navy et son aéronavale devrait passer de deux porte-avions à trois (2024), puis quatre, et enfin six. S’y ajoutent 255 navires garde-côtes. Les forces aériennes sont fortes de plus de 2 700 appareils dont 2 000 avions de combat (1 500 chasseurs et 450 bombardiers), quand l’US Air Force en aligne 3 400. De plus, la RPC produit de nombreux drones. Xi Jinping a remplacé les sept régions militaires par cinq zones de combat interarmes.

à Washington, depuis Donald Trump, la riposte s’organise, avec le Quad (états–Unis, Japon, Australie, Inde) et les « opérations de liberté de navigation » en mer de Chine méridionale mises en œuvre par l’INDOPACOM (Indo-Pacific Command, basé à Hawaï). Pour Tokyo, la Chine est à la fois le premier partenaire commercial et une menace qui nécessite la modernisation des Forces d’autodéfense, compte tenu du vieillissement de la population civile qui réduit le nombre des recrues potentielles. La Chine poursuit ses manœuvres d’intimidation autour des îles Senkaku (Diaoyu), au Nord-Est de Formose (Taïwan), nipponnes depuis 1895.

L’Inde, qui a acheté 36 Rafale à la France en 2016, est aux prises avec les Chinois sur sa frontière himalayenne (plateau de Doklam en 2017, vallée de Galwan au Ladakh-Aksai Chin en 2020) et sa marine coopère avec les Occidentaux et les Japonais dans l’Océan Indien. Quant à l’Australie, elle renforce ses moyens militaires tout en maintenant des liens commerciaux avec Pékin. Cependant, la question la plus épineuse reste celle de Taïwan, car la présidente, Mme Tsai Ing wen, et son parti – majoritaire – sont hostiles à la réunification. Les responsables de la RPC eux-mêmes ne sont pas tous d’accord sur les bénéfices que pourrait retirer leur pays d’une invasion de l’île au risque d’un conflit nucléaire avec Washington, tel que l’a décrit Christian Saint-Etienne en 2018. Dans l’immédiat, Pékin continue à privilégier la tactique des coups d’épingle dans les « zones grises » du « paix impossible, guerre improbable ». Seulement, un dérapage est toujours possible, comme en 1914…

Michel LOUSTAU secrétaire général de la Commission Française d’Histoire Militaire

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Bibliographie :

CABESTAN JeanPierre, Demain la Chine : guerre ou paix ?, Gallimard, 2021, 278 p.


[1] Graham Allison, Vers la guerre : la Chine et l’Amérique dans le piège de Thucydide ? Paris, Odile Jacob, 2019, 408 p., traduit par HERSANT Patrick et Kleiman-Lafon Sylvie

[2] CABESTAN JeanPierre, Demain la Chine : guerre ou paix ?, Gallimard, 2021, 278 p., p. 75 

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