Paul Reynaud, président du Conseil, tient un discours devant le Sénat en ce mardi 21 mai 1940 où il cherche à se dédouaner de la percée allemande en visant le général de la IXe armée, Corap : « Vous comprenez maintenant le désastre, la totale désorganisation de l’armée Corap. C’est ainsi que sauta la charnière de l’armée française »[1]. Alors que la France n’a pas encore rendu les armes, les hommes politiques cherchent une raison à la débâcle.
Depuis 1940, l’historiographie a connu une importante évolution sur la question. Au cours de la guerre, l’historien et militaire Marc Bloch écrit L’étrange défaite où il dresse un témoignage et une vision particulière des événements[2]. Si l’ère pétainiste utilisait des causes de la défaite comme un outil de propagande[3], la IVe République et l’ère gaullienne mettent de côté ces mêmes causes pour se concentrer sur la victoire et la Résistance française. Un consensus est cependant trouvé à la fin de la guerre sur la responsabilité des officiers[4]. Cette question complexe des causes de la défaite ressurgit depuis une dizaine d’années, comme avec l’ouvrage sur Corap de Max Schiavon ou les thèses d’Annie Lacroix-Riz.
En octobre 2018, les éditions Sutton ont publié 1940 dans l’œil du vainqueur, contribuant, de fait, à l’enrichissement du débat historiographique sur la complexe année 1940 et la bataille de France, mais cette fois depuis le regard de l’ennemi. Cette étude est cosignée par Éric Labayle et Antoine Bruneau.
Éric Labayle est docteur en histoire contemporaine et spécialiste de l’histoire militaire française et canadienne du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Il a publié sur le soldat de 1870, sur les uniformes de 1870 à l’entre-deux-guerres, ou encore un certain nombre sur la Première Guerre mondiale et les troupes canadiennes.
Antoine Bruneau est tombé dans la marmite de l’Histoire quand il était tout petit. Lors de ses études de notariat, il continue de se consacrer à une passion qui ne le quitte pas. C’est pourquoi il a travaillé pendant une dizaine d’années au musée de Loigny-la-Bataille (28), spécialisée dans la guerre franco-prussienne de 1870 et la bataille de Loigny du 2 décembre 1870, remarquable notamment pour la charge héroïque des zouaves pontificaux sur les troupes prussiennes. Cette proximité avec la guerre de 1870 lui permet de se spécialiser dans l’étude de témoignages historiques des conflits contemporains. Il a publié A demain ma chérie. Lettres de la ligne Maginot (paru en 2018), Journal d’un collabo ordinaire (2018), Adieu Kobé. Un Français à travers le Japon en guerre (2018) ou encore Crimes allemands dans le Loiret (1940-1945) (paru en 2019).
Dans 1940 dans l’œil du vainqueur, ces deux auteurs retracent l’histoire de la campagne de France, mais ne se focalisent pas uniquement sur les deux mois qui ont fait chuter cette dernière. En effet, nous retrouvons une étude sur la reconstitution illégale de l’armée allemande (Reichswehr, puis Wehrmacht en 1935) au cours des années 1930, avec des anecdotes comme celle de l’avion de transport convertible en bombardier. Les auteurs vouent 90 pages (sur un peu plus de 200) à l’armée allemande des années 1920 et 1930. Puis, ils se consacrent à 1939, avec l’invasion en septembre de la Pologne par les Allemands et les Soviétiques. Enfin, ils mettent l’accent sur la campagne de France qui reste le sujet principal de l’ouvrage. La construction de cette étude permet donc d’observer l’évolution de la puissance militaire de l’adversaire sous la République de Weimar et le IIIe Reich afin de comprendre militairement comment 1940 est arrivé.
Cet ouvrage est d’une grande richesse iconographique. À l’aide de centaines de photographies généralement inédites, dont un bon nombre proviennent du photographe de Hitler, Heinrich Hoffmann, cet ouvrage se compose successivement comme un album présentant l’image que les Allemands ont donnée de la Wehrmacht, de sa création à juin 1940. La campagne de 1940 a été le premier conflit intégralement filmé et photographié par les soldats et le ministère de la propagande allemand. Cela a contribué à l’enrichissement iconographique de ce livre qui a très bien utilisé ce corpus. Les auteurs commentent, par ailleurs, la manière dont les Allemands ont utilisé ces clichés à des fins de propagande, comme avec des photos de l’Exil, de soldats allemands travaillant au champ ou aidant un enfant, ou bien de Hitler commandant en chef ses troupes. L’image est un outil utile pour faire passer une idée, un message. 1940 dans l’œil du vainqueur témoigne de cette importance de l’image en temps de guerre.
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Bibliographie :
BLOCH Marc, L’étrange défaite : témoignage écrit en 1940, Paris, Le grand livre du mois, 2000, 326 p.
BRUNEAU Antoine et LABAYLE Éric, 1940 dans l’œil du vainqueur, Tours, Sutton, 2018, 231 p.
SCHIAVON Max, Corap : bouc émissaire de la défaite de 1940, Paris, Perrin, 2017, 398 p.
[1] Cité dans SCHIAVON Max, Corap : bouc émissaire de la défaite de 1940, Paris, Perrin, 2017, 398 p., p. 20
[2] « En un mot, alors que nos chefs ont prétendu renouveler la guerre de 1915-1918, les Allemands faisaient celle de 1940 ». Ainsi, Marc Bloch ,dans L’Étrange défaite, soulève la problématique militaire lors de la défaite de 1940, expliquant cette dernière par la vision déformée de la guerre par les officiers français, vis-à-vis des officiers allemands qui pensaient une guerre bien différente. Cette asymétrie explique une partie de la débâcle subie. BLOCH Marc, L’étrange défaite : témoignage écrit en 1940, Paris, Le grand livre du mois, 2000, 326 p.
[3] Vichy, mais aussi des hommes comme le général de Gaulle, observent dans la dépravation des mœurs, la corruption de la IIIe République et les années du Front populaire les raisons de la défaite.
[4] En 1946, Tony Albord publie Pourquoi cela est arrivé : ou les Responsabilités d’une génération militaire, 1919-1939. La recherche se fait alors dans les cadres de l’armée et non plus seulement sur les mœurs et les valeurs de la société française des années 30. En face nous retrouvons toute une série de biographie exaltant des personnages comme Lattre de Tassigny (P. de Croidys, 1952 ; J. Dinfreville, 1964, etc.) ou bien Leclerc (C.A. Pichon, 1948 ; E. Delage, 1948 ; A. Dansette, 1952, etc.).