Cette recension a préalablement été publiée dans la lettre n°14 BIS de la Commission Française d’Histoire Militaire en avril 2022. Nous partageons ce texte avec leur autorisation et celle de l’auteur, Vincent ARBARÉTIER.
Ce livre de Rémy Porte, que l’on ne présente plus à nos lecteurs, a le mérite de faire le point 80 ans après la plus terrible défaite de nos armées par suite d’une succession d’événements tous plus dramatiques les uns que les autres en moins d’une année. Pour ce faire, l’auteur choisit de répondre à trente questions qui font encore l’objet sinon de controverses, du moins de nombreux jugements et parfois de réflexions sur ce qui a prévalu en si peu de temps à une si terrible défaite. Ainsi, la défaite française était-elle due au retrait prématuré des Britanniques ou bien alors à un complot de nos élites favorables à la victoire nazie plutôt qu’à une France bolchevisée ?
Nous allons ainsi reprendre, une par une, l’ensemble des questions posées par le Colonel Porte.
La France a-t-elle surestimé le réarmement de l’Allemagne ?
En fait, l’auteur estime que chacun estime en France à ses juste mesure le danger en 1936 du réarmement allemand et de la remilitarisation de la Rhénanie, mais personne au Gouvernement ni au Parlement ne sait vraiment comment réagir, d’autant que l’armée française dès cette époque n’avait plus les moyens d’intervenir massivement de l’autre côté du Rhin. À ce sujet, on se rappelle qu’il y a une vingtaine d’années le livre de Jean Doise et de Maurice Vaïsse soulignait que la France ne disposait plus alors d’un outil militaire adapté à sa politique de puissance d’après la Première Guerre mondiale. Donc sur ce point, on ne peut être que d’accord avec l’auteur : il ne suffit pas d’une volonté politique pour agir face à un stratège comme Hitler, il faut bien sûr des moyens terrestres et aériens notamment… ce dont la France ne disposait plus alors…
La France de 40 était-elle pacifiste ?
Refaire une deuxième guerre contre l’Allemagne en une génération, personne alors n’y était prêt. L’auteur nous montre bien la diversité à gauche comme à droite du courant pacifiste en France, dans une démocratie où chacun peut laisser libre cours à son expression politique. Et donc, l’enthousiasme qui prévalait en 1870 ou en 1914 lors de la mobilisation, ne pouvait de nouveau avoir lieu dans un pays où chacun ressentait encore en 1939 le poids de l’absence de ses proches tombés au champ d’honneur vingt ans plus tôt. Rémy Porte nous montre bien que si personne ne pouvait être enthousiaste à prendre les armes, chacun était néanmoins prêt à accomplir son devoir.
Le Front populaire a-t-il désarmé la France ?
Comme dans la question précédente, l’auteur nous montre qu’il s’agit là d’une légende bien commode orchestrée après-coup par Vichy. Ce furent bien au contraire des régimes notamment issus de la droite de l’après-première guerre mondiale qui prirent des mesures budgétaires drastiques visant à permettre à la France de mieux résister aux crises économiques successives depuis 1919 jusqu’à celle de 1929. Le Front populaire procéda certes à la nationalisation de quelques groupes industriels de l’armement, mais ce fut en premier lieu la dispersion des compagnies et des unités de production qui prévalurent au manque d’homogénéité des armements de l’Armée française (de terre) et de la toute nouvelle Armée de l’air en 1940. Seule la Marine nationale était prête à affronter l’ennemi car son équipement avait bénéficié d’une régularité dans l’effort de ses constructions. L’auteur fait très justement référence aux travaux de Robert Frank qui ont montré que le Front populaire avait été le gouvernement qui avait fait le plus d’efforts dans le réarmement, certes tardifs, mais pour cause, bien plus que d’autres gouvernements, notamment de droite.
La France manquait-elle d’enfants ?
L’auteur montre parfaitement que la France n’a démographiquement, après les hécatombes de la Première Guerre mondiale, plus les moyens humains d’entretenir une armée de masse suffisamment entraînée et jeune « sur laquelle elle prétend fonder sa défense »[1].
La ligne Maginot était-elle une bonne idée ?
Si le béton permettait d’économiser des vies humaines, il permettait surtout, d’après nos chefs militaires, d’économiser du temps pour permettre une levée en masse de l’outil militaire français mal équipé et mal entraîné. Or les nouvelles unités mises sur pied pour armer cette nouvelle « ceinture de fer » ne furent pas capables de ralentir la Wehrmacht le temps nécessaire pour rassembler sur le territoire métropolitain les forces nécessaires (en provenance d’outremer ou de pays alliés) en vue de la mettre en échec. L’auteur montre bien les différents aspects, notamment budgétaires et militaires, mais liés aussi à des travaux plus ou moins bien exécutés dans des secteurs sensibles, comme sur la frontière avec la Belgique, mais finalement n’insiste pas suffisamment sur l’aspect dissuasif de ces installations défensives. Efficaces sur le principe, elles se révèreront inefficaces face aux bombardements d’assaut des Stukas et des largués de parachutistes derrière leurs lignes. Cette réalisation pharaonique n’a pas pu jouer le rôle qu’on lui avait fixé, faute d’adaptation aux évolutions récentes de la guerre aéroterrestre.
L’armée allemande était la plus moderne du monde.
L’auteur montre bien que la modernisation de l’outil aéroterrestre allemand ne concerne qu’une très faible partie de son potentiel, à peine une petite dizaine de divisions, et encore équipées pour la plupart de chars légers récupérés en Tchécoslovaquie et en Pologne. Ce fut l’adaptation de cet outil à des tactiques interarmes, devenues interarmées après la Première Guerre mondiale, qui contribuèrent aux succès de la Wehrmacht au début de la guerre, bien davantage qu’une modernisation d’unités dont beaucoup étaient encore hippomobiles. Ce fut son commandement et sa conception de la guerre -hâtivement baptisée Blitzkrieg par les journalistes- qui furent les plus modernes du monde.
L’armée française était-elle prête ?
L’auteur montre bien que ni les équipements, ni le niveau opérationnel de l’armée française n’étaient au rendez-vous de l’offensive allemande de mai 40. Elle avait en plus gaspillé son temps, octroyé par la « drôle de guerre », en travaux de terrassement et en spectacles de music-hall qui avaient contribué à miner son moral, et donc sa combativité.
Le parti communiste a-t-il fait le jeu du Reich ?
Après le pacte germano-soviétique du 23 août 1939, l’Humanité, le journal du parti communiste français, salue la bonne nouvelle de « ces négociations qui servent la cause de la paix ». Une semaine plus tard, après la déclaration de guerre à l’Allemagne de la France et de la Grande-Bretagne, ce parti devient hors-la-loi en France et les préfets sont chargés un mois plus tard, par le ministre de l’Intérieur, de surveiller les agissements des cellules. En octobre 39 Maurice Thorez, son secrétaire général mobilisé, fuit en URSS. En mars 1940, il a été procédé en métropole à 11 000 perquisitions, 3400 arrestations et 1500 condamnations dans les milieux communistes. Après l’armistice, l’auteur souligne bien que le parti est divisé entre ceux qui sont hostiles à Vichy, et ceux qui soutiennent les Allemands. L’Humanité devenue clandestine, comme le mentionne l’auteur, « au nom de la solidarité des peuples »[2] n’hésite pas à écrire le 4 juillet 1940 : « Il est particulièrement réconfortant en ces temps de malheur de voir de nombreux Parisiens s’entretenir amicalement avec les soldats allemands, soit dans la rue, soit dans le bistrot du coin. Bravo camarades, continuez, même si cela ne plaît pas à certains bourgeois, aussi stupides que malfaisants ». Sans commentaire. L’auteur a eu parfaitement raison de citer ces exemples et ces chiffres qui ont été occultés après la guerre par d’autres…
Les Alliés pesaient-ils militairement ?
En 1940, l’auteur montre qu’évidemment non ! Même si Gamelin et nos hommes politiques cherchent désespérément à dresser la « liste de nos alliés potentiels », la France est seule. Sans doute l’auteur aurait-il pu investiguer dans nos relations avec les États-Unis et la Grande-Bretagne juste avant le début des opérations, mais il est vrai qu’à ce moment la partie n’est pas encore perdue, et que les Américains, comme les Britanniques, sont encore confiants dans les capacités de la « meilleure armée du monde ».
La France a-t-elle abandonné ses alliés tchèques et polonais ?
En réalité, la France en 1938, et a fortiori en 1939, n’avait plus les moyens militaires d’intervenir nulle part pour des raisons essentiellement logistiques au sens large, un peu comme son aînée de 1870. L’auteur montre à l’aide de témoignages de soldats et de cadres qui ont franchi la frontière allemande en septembre 39 qu’il n’y avait aucune opération d’envergure possible.
La France manquait-elle de chars et d’avions ?
Au-delà de l’aspect quantitatif, c’est l’aspect qualitatif, traité également par l’auteur, qui montre que trop peu de chars et d’avions étaient équipés de transmissions capables de faire face dans un environnement interarmées (DCA pour les avions et avions en piqué pour les chars).
Le général Gamelin était-il coupé des réalités ?
L’auteur montre que Gamelin s’est volontairement coupé des réalités de la guerre et s’est mis dans une situation qui lui interdisait d’exercer une quelconque influence sur la bataille. Vincennes ressemblait à un « « monastère » à l’instar des PC qu’il avait connus avec Joffre en 1914.
Le haut-commandement français était-il à la hauteur ?
Malgré les qualités individuelles de certains grands chefs, l’auteur montre bien que le résultat global est très décevant car « personne au sommet n’est capable de se faire obéir »[3].
Fallait-il ouvrir un front en Scandinavie ?
Cette belle victoire éphémère de certaines de nos meilleures troupes – chasseurs alpins et légionnaires – ne servit à rien, car une victoire tactique symbolique dans une campagne perdue n’apporte rien sur le moment.
Peut-on reprocher la défaite aux Belges ?
L’auteur montre bien que l’impréparation belge n’a pas beaucoup aidé les troupes françaises venues à leur secours.

Un front dans les Balkans ou le Caucase était-il concevable ?
Non bien sûr ! Et ce pour des raisons déjà expliquées plus haut, par manque d’un outil militaire adapté et d’une volonté politique et militaire réelle.
Le plan Dyle-Breda était-il réaliste ?
Non comme l’a montré l’attaque allemande dans les Ardennes. Un plan séduisant sur le papier doit être confronté aux réalités supposées, notamment de l’ennemi et du terrain et pas seulement en 2D.
Peut-on parler d’une surprise de Sedan ?
Non sauf pour « ceux qui ont voulu se faire surprendre »[4].
L’armée française disposait-elle de réserves ?
Les formations créées après la percée allemande ne suffirent pas à faire la différence, par manque de matériel et surtout d’entraînement, un peu comme en 1870.
Des succès éphémères pouvaient-ils faire une victoire ?
Certaines unités ont courageusement et localement mis l’ennemi en échec, mais pas suffisamment au point de renverser le cours de la défaite en victoire opérative. L’auteur le souligne bien notamment en citant le cas de plusieurs unités d’artillerie qui jouèrent un rôle important, mais malheureusement pas décisif dans certaines batailles au niveau tactique.
Les Britanniques ont-ils abandonné les Français à Dunkerque ?
Face à la défaite française, certains chefs britanniques ont eu la clairvoyance de conserver pour la bataille d’après leurs propres forces. On ne peut pas appeler cela de l’abandon, mais la volonté de continuer ailleurs le combat commun.
Les chars ont-ils été mal utilisés ?
Oui bien sûr comme le montre l’auteur, pour des raisons de doctrine, mais aussi de liaisons et de logistique insuffisante. Souvent aussi les équipages n’étaient pas suffisamment entraînés.
Weygand pouvait-il mieux faire que Gamelin ?
Malgré ses qualités et contrairement à ce qu’avancent certains, Weygand n’aurait sans doute pas réussi à faire mieux que son infortuné prédécesseur, pour les raisons invoquées plus haut liées à l’impréparation de l’outil militaire français mal coordonné, mal organisé et souvent aussi mal équipé.
L’armée française a-t-elle été invaincue dans les Alpes ?
Oui contre les Italiens, comme le montre l’auteur, qui était un ennemi à sa pointure, mais pas contre les Allemands à la fin.
Fallait-il déclarer Paris ville ouverte ?
Non pour l’auteur, mais nous persistons à penser que vis-à-vis du monde extérieur, et notamment de nos alliés, c’eût été montrer la vraie volonté de résistance de la nation française de vouloir résister, comme en 1870, dans sa capitale.
Les Français se sont-ils bien battus ?
L’auteur, comme d’autres avant lui, montre que le soldat français s’est effectivement bien battu partout où il a été bien commandé.
Un gouvernement nomade pouvait-il gouverner ?
L’auteur montre bien qu’en 1940, contrairement à 1870 ou 1914, Tours ou Bordeaux où se sont réfugiés administrateurs, gouvernants et parlementaires ne suffisaient pas à assurer une profondeur stratégique à la France. C’étaient sans doute les hommes du gouvernement, d’un autre temps, qu’il fallait changer, car avec une vision plus moderniste ils seraient partis plus loin, hors de portée des nazis.
La guerre pouvait-elle être poursuivie en Bretagne ou en Afrique du Nord ?
Sans doute aucun homme politique en charge n’avait-il la volonté de le faire ? Là aussi, nous restons sur notre faim. Une simulation[5] avait été faite à l’École militaire sur le cas de l’Afrique du Nord et avait montré qu’il n’était pas stupide de penser y rapatrier une partie de nos forces malgré des difficultés logistiques, notamment pour les avions.
L’appel à Pétain était-il un complot contre la République ?
Pour l’auteur, cette idée relève de la « politique- fiction »[6], mais nous pensons, que cette « prise de pouvoir légale » fut pour la droite la plus ultra une aubaine pour régler son compte avec ses ennemis d’hier : les juifs, les francs-maçons, etc.
L’appel du 18 juin a-t-il été entendu ?
On sait aujourd’hui que non, sauf par une petite minorité, et que les Britanniques ne voulurent pas le renouveler avant la fin des combats, de peur que les soldats français qui étaient toujours en train de se battre, n’arrêtassent le combat.
En conclusion, ce livre bienvenu 80 ans après l’humiliante défaite militaire de 1940, a le mérite de poser les bonnes questions que se posent nombre de Français qui s’intéressent à cette période, et de faire le point d’après les sources consultées et consultables. La tentation de certains (historiens ou non) de refaire l’histoire sur un mode confinant souvent au fantasme est habilement contrebattue ici, car tout est à remettre dans son contexte politique, économique et social, y compris l’armée française qui n’était finalement que le « reflet de son époque ».
Lieutenant-Colonel Vincent ARBARÉTIER, administrateur de la Commission Française d’Histoire Militaire
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Bibliographie :
MAHÉ Loïc (dir.), SAPIR Jacques (dir.) et STORA Frank (dir.), 1940 : et si la France avait continué la guerre…, Paris, Tallandier, 2010, 587 p.
PORTE Rémy, 1940 : vérités et légendes, Paris, Perrin, 2020, 284 p.
[1] PORTE Rémy, 1940 : vérités et légendes, Paris, Perrin, 2020, 284 p., p. 38
[2] Ibid., p. 72
[3] Ibid., p. 122
[4] Ibid., p. 164
[5] MAHÉ Loïc (dir.), SAPIR Jacques (dir.) et STORA Frank (dir.), 1940 : et si la France avait continué la guerre…, Paris, Tallandier, 2010, 587 p.
[6] PORTE Rémy, op. cit., p. 251