
Introduction contextuelle
Le 9 juin 68, Néron[1] se suicida, après avoir été déclaré ennemi de l’État par le Sénat[2]. S’ouvrit alors ce que l’on appela « l’année des quatre empereurs », durant laquelle les troubles et la guerre civile divisèrent fortement l’Empire romain.
L’Empire romain était divisé en deux : d’une part, les partisans néroniens, parmi lesquels se trouvaient tous ceux qui avaient bénéficié de la générosité de l’empereur, ainsi que la plèbe ; et, d’autre part, ses opposants, qui comprenaient la noblesse sénatoriale, les chevaliers et toutes les victimes du régime tyrannique de Néron[3]. La crise de succession trouva son origine dans le mécontentement des gouverneurs de provinces[4] et la révolte initiée par le propréteur[5] de Gaule, Vindex[6].
Le premier à succéder à Néron fut Galba[7], qui était alors en poste en Espagne Tarraconaise[8]. Tandis que Néron, dont le pouvoir était contesté, était toujours en vie, Galba revint à Rome à l’automne 68. Il fut acclamé et reconnu empereur par le Sénat, mais il se rendit rapidement impopulaire tant auprès du peuple que du Sénat et de l’armée. Trop âgé pour assurer le pouvoir, il choisit un successeur en la personne de Lucius Calpurnius Pison. Toutefois, c’était sans compter sur l’ambition des autres gouverneurs de provinces. C’est ainsi que le 2 janvier 69, Aulus Vitellius[9], légat de Germanie inférieure, fut acclamé par ses troupes[10], pendant qu’à Rome, Lucius Salvius Othon[11] préparait un complot destiné à renverser Galba. Ayant rallié à sa cause les prétoriens, Othon fit assassiner Galba et Pison et fut rapidement reconnu par le Sénat comme nouvel empereur[12]. Il s’acquit ainsi la fidélité des légions installées dans les provinces du Danube, d’Afrique et d’Orient.

Néanmoins, les deux hommes, Vitellius et Othon, restaient en compétition pour le titre impérial, puisque la reconnaissance d’Othon par le Sénat n’avait pas découragé Vitellius, qui décida de marcher sur Rome[13]. Othon quitta Rome le 14 mars 69 afin de rejoindre la Gaule cispadane[14] et plus précisément la cité de Brixellum. Les troupes othoniennes et vitelliennes se rejoignirent alors au nord de l’Italie, dans la plaine du Pô, non loin du lieu de la bataille de Bedriacum[15].
Déroulement de la première bataille
Le récit détaillé des événements est rapporté par Tacite[16], auteur romain de la fin du Ier siècle. Les troupes de Vitellius étaient notamment composées des soldats de la province de Germanie, comprenant des Bataves et la XXIe légion Rapax. Othon, quant à lui, comptait au sein de son armée des troupes que l’historien Yann le Bohec qualifie de « médiocres », à savoir des gladiateurs et la Ire légion Adiutrix[17].
Ainsi, alors qu’il se trouvait avec son armée à Bedriacum, Othon réunit son conseil (composé de ses meilleurs chefs de guerre). Il écouta et suivit l’avis des plus pressés, qui recommandaient de faire la guerre sans attendre les renforts devant arriver de Moésie. Othon ne tarda pas à retourner à Brixellum une fois ses ordres donnés[18].

La XXIe légion Rapax et la Ire légion Adiutrix s’affrontèrent le long d’une route parallèle au Pô :
« Ses soldats [s. c. ceux d’Othon] culbutèrent les premiers rangs de la vint et unième et lui enlevèrent son aigle ; mais la douleur enflammant son courage, celle-ci repoussa à son tour la première, tua son commandant Orfidius Benignus et prit à l’ennemi un grand nombre d’enseignes et de fanions. »[19]
Les vitelliens reprirent néanmoins rapidement le dessus, ne s’arrêtant que devant le camp ennemi dans lequel s’étaient réfugiés les soldats othoniens[20]. Étant resté durant toute la bataille dans une ville voisine, Brixellum, et apprenant la défaite, Othon se résigna finalement à abandonner le pouvoir à Vitellius[21]. En dépit des exhortations de ses soldats à continuer la lutte, Othon préféra libérer ses hommes de leur serment d’allégeance. Après s’être occupé de la répartition de ses biens et une fois ses adieux faits, il s’enferma dans sa chambre avec deux poignards. Les témoignages rapportent qu’il passa une nuit tranquille, dormant d’un sommeil profond :
« Il ne s’éveilla que vers le point du jour et se perça d’un seul coup au-dessous du sein gauche ; on se précipita dans sa chambre à son premier gémissement et il expira en cachant ou découvrant tour à tour sa blessure ». [22]
Grâce à cette victoire, Vitellius fut acclamé empereur par ses troupes. Son répit fut toutefois de courte durée, puisqu’il eut à affronter un nouvel adversaire, Titus Flavius Vespasianus[23], à l’occasion de la seconde bataille de Bedriacum (24 octobre 69). Sorti vainqueur, Vespasien put ainsi inaugurer la nouvelle dynastie impériale des Flaviens.
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Bibliographie
Cosme Pierre, L’année des quatre empereurs, Paris, Fayard, 2012, 371 p.
France Jérôme et Hurlet Frédéric, Institutions romaines : des origines aux Sévères, Paris, Armand Colin, 2019, 309 p.
Le Bohec Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C. – 410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2017, 606 p.
Pailler Jean-Marie, « Vespasien », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., p. 2260
Petit Paul, Histoire générale de l’Empire romain. Le Haut-Empire (27 avant J.-C. – 161 après J.-C.), Paris, Éditions du Seuil, 1974, 316 p.
Plutarque, Vie d’Othon, Paris, Les Belles Lettres, 1979, 258 p., texte édité et traduit par Chambry Émile et Flacelière Robert
Rivière Yann, Chronologie de la Rome antique, Paris, Points, 2009, 264 p.
Roddaz Jean-Michel, « Néron », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., p. 1520
Suétone, Othon, Paris, Les Belles Lettres, 1957, 141 p., texte édité et traduit par Ailloud Henri
Tacite, Histoires, Paris, Les Belles Lettres, 1959, XX & 212 p., texte édité et traduit par Goelzer Henri
Werner Eck, « Galba », dans Brill’s new Pauly: Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 5, Boston / Leiden, Brill, 2004, 1182 col., col. 652-654
Werner Eck, « Otho », dans Brill’s new Pauly: Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 10, Boston / Leiden, Brill, 2010, LV & 954 col., col. 294-296
Werner Eck, « A. Vitellius », dans Brill’s new Pauly: Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 15, Boston / Leiden, Brill, 2007, LVII & 1050 col., col. 475-476
[1] Empereur julio-claudien ayant régné de 37 à 68, Néron a fait partie des empereurs les moins appréciés de l’histoire romaine. Accusé de l’incendie de Rome en 64, il est décrit par les auteurs antiques comme un monstre, un mégalomane et un ennemi de l’État. Après sa mort, son nom a été retiré de tous les monuments publics et sa personne a été frappée par la damnatio memoriae. Voir Roddaz Jean-Michel, « Néron », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., p. 1520
[2] Rivière Yann, Chronologie de la Rome antique, Paris, Points, 2009, 264 p., pp. 144‑145
[3] Petit Paul, Histoire générale de l’Empire romain. Le Haut-Empire (27 avant J.-C.-161 après J.-C.), Paris, Éditions du Seuil, 1974, 316 p., p. 111
[4] France Jérôme et Hurlet Frédéric, Institutions romaines: des origines aux Sévères, Paris, Armand Colin, 2019, 309 p., p. 185
[5] La prorogation (d’une charge consulaire ou d’une charge prétorienne) est apparue en 326 av. n. è. Elle permet de prolonger d’une année les pouvoirs militaires détenus par un consul ou un préteur, en vertu de son imperium consulaire/prétorien. Le système de prorogation se généralisa au IIe siècle av. n. è. à la suite de l’augmentation du nombre de provinces, dépassant rapidement le nombre de consuls et de prêteurs en charge. Voir France Jérôme et Hurlet Frédéric, op. cit., p. 85
[6] Légat d’Auguste de la province de Gaule Lyonnaise, Caius Julius Vindex fut le premier gouverneur à contester le pouvoir de Néron, en envoyant de nombreuses lettres à d’autres gouverneurs, appelant à renverser l’empereur et à revenir à une forme plus traditionnelle de gouvernement (suivant le modèle augustéen). Voir France Jérôme et Hurlet Frédéric, op. cit., pp. 185-186
[7] Servius Sulpicius Galba a régné pendant moins d’une année. Voir Werner Eck, « Galba », dans Brill’s new Pauly: Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 5, Boston / Leiden, Brill, 2004, 1182 col., col. 652-654
[8] La province d’Espagne Tarraconaise est issue du remaniement et de la réorganisation du système provincial par Auguste. La capitale provinciale était Tarraco.
[9] Proche des empereurs Tibère et Claude, Vitellius a été envoyé en 68 en Germanie inférieure par Galba. Passant en revue les troupes présentes, il se rendit compte de la mauvaise réputation dont bénéficiait Galba. C’est dans ce contexte que Vitellius est acclamé par ses troupes le 2 janvier 69. Voir Werner Eck, « A. Vitellius », dans Brill’s new Pauly: Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 15, Boston / Leiden, Brill, 2007, LVII & col.1050, col. 475-476
[10] Ce qui était nouveau pour l’époque, c’était la façon de choisir et d’acclamer un empereur. En effet, depuis Octave, tous les empereurs étaient acclamés à Rome. Le décès de Néron et la fracture – qui se transforma rapidement en guerre civile – qui en découla ouvrirent de nouvelles perspectives et les Romains se rendirent compte qu’ils pouvaient désormais acclamer un empereur n’importe où dans l’Empire.
[11] Depuis le règne d’Auguste, la famille des Salvii était extrêmement proche du pouvoir impérial. Othon, quant à lui, devint rapidement un confident de Néron. En 68, lorsque Galba s’opposa à Néron, Othon se joignit immédiatement à Galba, espérant de lui qu’il l’adopta, afin de lui assurer la succession impériale. Les évènements prirent toutefois une autre tournure et Galba préféra adopter Pison, ce qui décida finalement Othon à usurper le pouvoir en recourant au meurtre. Voir Werner Eck, « Otho », dans Brill’s new Pauly: Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 10, Boston / Leiden, Brill, 2010, LV & 954 col., col. 294-296
[12] Rivière Yann, op. cit., p. 145 ; France Jérôme et Hurlet Frédéric, op. cit., pp. 186-187
[13] Ibid., p. 187
[14] Partie sud de la province de Gaule cisalpine (annexée par Rome en 42 av. n. è.) et dont l’une des limites territoriales était le Rubicon que franchit César en 49 av. n. è. L’ancienne province était située au nord de la péninsule italique.
[15] Elle est aussi appelée « bataille de Crémone ».
[16] Histoires, II, 39-45.
[17] Le Bohec Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C. – 410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2017, 606 p., p. 545
[18] Plutarque, Vie d’Othon, 10, 1, Paris, Les Belles Lettres, 1979, 258 p., texte édité et traduit par Chambry Émile et Flacelière Robert
[19] Tacite, Histoires, II, 43, 2, Paris, Les Belles Lettres, 1959, XX & 212 p., texte édité et traduit par Goelzer Henri, p. 107 : « Primani stratis unaetuicensimanorum principiis aquilam abstulere ; quo dolore accensa legio et impulit rursus primanos, interfecto Orfidio Benigno legato, et plurima signa vexillaque ex hostibus rapuit. »
[20] Le Bohec Yann, op. cit., p. 546
[21] Pour un récit détaillé de la bataille et de ses conséquences, voir Cosme Pierre, L’année des quatre empereurs, Paris, Fayard, 2012, 371 p., pp. 123-150
[22] , Othon, XI, 3, Paris, Les Belles Lettres, 1957, 141 p., texte édité et traduit par Ailloud Henri, p. 29 : « Et circa lucem demum expergefactus uno se traiecit ictu infra laevam papillam irrumpentibusque ad primum gemitum modo celans modo detegens plagam exanimatus est ». Voir aussi Plutarque, Vie d’Othon, 15-17.
[23] Vespasien fut acclamé empereur après avoir battu Vitellius lors de la deuxième bataille de Bedriacum. Il laissa l’image d’un empereur modéré, prudent, mais aussi ouvert. Il durcit également le régime en renforçant le pouvoir impérial. Son fils Titus lui succéda en 78. Voir Pailler Jean-Marie, « Vespasien », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., p. 2260
[15] Elle est aussi appelée « bataille de Crémone ».
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