première guerre punique

10 mars 241 av. n. è. : la bataille qui mit un terme à la première guerre punique

Les origines de la première guerre punique

Le déclenchement de la première guerre punique a été provoqué, selon Polybe, qui est notre principale source sur le sujet[1], par l’arrivée de mercenaires, les Mamertins, en Sicile. En effet, l’île, située entre les empires territoriaux romain et carthaginois, représentait un espace stratégique âprement disputé : outre l’accès à une importante production de blé, le contrôle de l’île ouvrait la voie à l’Afrique au sud et au bassin oriental de la Méditerranée à l’est[2]. Néanmoins, en 264 av. n. è., Rome et Carthage étaient liées par un traité de paix (foedus), signé en 278 av. n. è.

La Sicile était à cette période morcelée entre différentes puissances : à l’ouest se trouvaient des cités puniques ; le nord-est était occupé par les Mamertins, installés à Messine, tandis qu’au sud était situé le royaume de Syracuse, gouverné par Hiéron II. Souhaitant étendre son territoire, Hiéron II lança des offensives vers le nord et notamment contre les Mamertins, dont les troupes furent en partie décimées. S’étant rassemblés et se sentant encore menacés, les mercenaires cherchèrent le soutien des Romains, mais ils s’adressèrent également aux Carthaginois. Rome, qui attendait le bon moment et la bonne raison pour déclarer la guerre aux Carthaginois, profita de l’occasion. Le Sénat envoya alors le consul romain Appius Claudius Caudex[3] en Sicile, afin d’apporter un soutien aux Mamertins et placer des troupes romaines. L’ingérence romaine en territoire sicilien fut mal perçue par les Carthaginois, qui considéraient leur souveraineté violée. Par conséquent, le foedus de 278 av. n. è. fut déclaré caduc et les hostilités furent lancées.

Sans revenir sur l’ensemble des combats qui furent menés, nous pouvons noter que, dès les années 259-257 av. n. è., Rome contrôlait la partie centrale de la Sicile.

Répartition des forces en présence de 248 à 241 av. n. è.
Répartition des forces en présence de 248 à 241 av. n. è. : en jaune est représentée la présence carthaginoise ; en vert, les terres sous le contrôle du royaume de Syracuse ; en rose, les zones contrôlées par les Romains. RedTony, 2019, traduit par Augusta 89, Wikimedia Commons

En 249 av. n. è., les Romains furent battus à Drépane, mais leur présence sur le territoire n’était pas menacée. Deux ans plus tard, Hamilcar[4] débarquait en Sicile, tandis que le conflit commençait à s’enliser[5].

La confrontation aux îles égates : la fin d’une guerre

Finalement, le 10 mars 241 av. n. è. eut lieu l’un des derniers affrontements entre les Carthaginois et les Romains. Première défaite maritime pour les troupes carthaginoises, la bataille des îles Égates[6] fut relatée par Polybe :

« Les Carthaginois, à la nouvelle insoupçonnée que les Romains étaient arrivés avec une escadre et leur disputaient à nouveau la mer, se mirent aussitôt à équiper leurs navires […]. Mais Lutatius[7], qui s’était avisé de la présence d’Hannon et avait deviné son plan, prit avec lui les meilleurs soldats du corps d’infanterie et cingla vers l’île d’Égusse, située en face de Lilybée […] »[8]

Carte des principales batailles de la première guerre punique
Carte des principales batailles de la première guerre punique, Hel-hama et Cristiano64, 2013, Wikimedia Commons

Polybe raconte ensuite les causes de la victoire romaine. Alors que les deux parties étaient épuisées, autant physiquement que financièrement, les Romains parvinrent à prendre l’avantage grâce, d’une part, aux améliorations qu’ils avaient apportées à leurs navires et, d’autre part, à l’expérience de leurs soldats[9]. Au terme de la bataille,

« le consul [Lutatius] retourna alors au camp de Lilybée pour prendre en charge les navires conquis et les prisonniers, ce qui était une grande affaire ; car on avait capturé près de dix mille hommes au cours du combat »[10]

Outre le fait de signer la fin d’un conflit entamé une vingtaine d’années plus tôt, cet affrontement a souvent été interprété par les chercheurs modernes comme symbolisant l’apparition d’une force maritime romaine. Sans que cette hypothèse soit discutée ici[11], notons qu’il existait une flotte navale à Rome depuis au moins 311 av. n. è. et qu’elle était placée sous les ordres des duoviri navales (des magistrats « amiraux »)[12]. Cette guerre permit aux Romains de se positionner comme grande puissance navale grâce au développement de sa flotte – les trirèmes furent remplacées par des quinquérèmes – et on estime les effectifs romains à environ deux cents bateaux à la fin de la première guerre punique[13].

Cette dernière fut définitivement actée par la signature d’un traité de paix, dont les conditions[14] furent énoncées par Polybe :

« Amitié est conclue entre Carthage et Rome aux conditions que voici, sous réserve de la ratification du peuple Romain : Carthage évacuera la Sicile tout entière, ne fera pas la guerre à Hiéron et ne prendra pas les armes contre Syracuse ni même contre les alliés de Syracuse ; Carthage rendra tous les prisonniers à Rome sans rançon ; Carthage versera à Rome une indemnité de deux mille cents talents euboïques dans un délai de vingt ans. »[15]

Pour conclure, il est intéressant de noter que Yann Le Bohec considère l’affrontement aux îles Égates comme une embuscade romaine tendue aux Carthaginois et non comme une bataille[16]. Toutefois, les conséquences de ce conflit restent inchangées et la sévérité du traité fut l’une causes de la célèbre deuxième guerre punique, également connue sous le nom de « guerre d’Hannibal », en 218 av. n. è.

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Bibliographie

BRISSON Jean-Paul, Carthage ou Rome ?, Paris, Fayard, 1973, 430 p.

BROUGHTON Thomas Robert Shannon, The magistrates of the Roman Republic. Volume I : 509 B.C.-100 B.C., New-York, American Philological Association, 1951, XIX & 578 p.

BURGEON Christophe, La première guerre punique ou la conquête romaine de la Sicile, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2017, 242 p.

COSME Pierre, L’armée romaine (VIIIe siècle av. J.-C. – Ve siècle ap. J.-C.), Paris, Armand Colin, 2012, 309 p.

LE BOHEC Yann, « Géostratégie de la première guerre punique », dans LE BOHEC Yann (dir.), La première guerre punique : autour de l’œuvre de M. H. Fantar. Actes de la table-ronde de Lyon, mercredi 19 mai 1999, Paris, De Boccard, 2001, 143 p., pp. 107-118

LE BOHEC Yann, « La marine romaine et la première guerre punique », dans Klio, vol. 85, n°1, Berlin, Akademie Verlag, 2003, 281 p., pp. 57-69, [en ligne] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjo9rOQ2sL9AhWXh_0HHcEYAM4QFnoECBQQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.degruyter.com%2Fdocument%2Fdoi%2F10.1524%2Fklio.2003.85.1.57%2Fpdf&usg=AOvVaw10NPrOdeVczAebm_qzdFCp (dernière consultation le 26/02/2023)

LE BOHEC Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C. – 410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2017, 606 p.

Polybe, Histoires, Paris, Les Belles Lettres, 2003, LXX & 255p., édité et traduit par Pédech Paul

Tite-Live, Ab urbe condita libri. Pars I. Libri I-X, Stuttgart, B.G. Teubner, 1932, 626 p., édité par Weissenborn Wilhelm

TUSA Sebastiano, « La bataille des Égades (241 av. J.-C.) et la marine de guerre en Méditerranée antique à travers l’étude des rostres de Sicile », dans Revue Archéologique, n°1, Paris, Presses universitaires de France, 2012, 240 p., pp. 132-140, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/41738181 (dernière consultation le 04/03/2023)


[1] Il existe diverses hypothèses sur les causes de cette guerre (par exemple la volonté impérialiste romaine) et nous renvoyons le lecteur intéressé aux travaux suivants : BRISSON Jean-Paul, Carthage ou Rome ?, Paris, Fayard, 1973, 430 p. ; BURGEON Christophe, La première guerre punique ou la conquête romaine de la Sicile, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2017, 242 p. ; LE BOHEC Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C. – 410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2017, 606 p.

[2] Ibid., p. 138

[3] BROUGHTON Thomas Robert Shannon, The magistrates of the Roman Republic. Volume I : 509 B.C.-100 B.C., New York, American Philological Association, 1951, XIX & 578 p., pp. 202‑203

[4] Père d’Hannibal, Hamilcar a été l’un des généraux carthaginois les plus connus de la période antique.

[5] LE BOHEC Yann, « Géostratégie de la première guerre punique », dans LE BOHEC Yann (dir.), La première guerre punique : autour de l’œuvre de M. H. Fantar. Actes de la table-ronde de Lyon, mercredi 19 mai 1999, Paris, De Boccard, 2001, 143 p., pp. 107-118, p. 115

[6] Archipel situé au nord-ouest de la péninsule sicilienne.

[7] C. Lutatius Catulus exerça le consulat en 242 av. n. è. et mena l’affrontement de 241 av. n. è. en tant que promagistrat. C’est également lui qui s’occupa de la signature du traité de paix. Voir BROUGHTON Thomas Robert Shannon, opcit., pp. 219‑220

[8] Polybe, Histoires, I, 60, 1 et 4, Paris, Les Belles Lettres, 2003, LXX & 255p., édité et traduit par PéDECH Paul : « Οἱ δὲ Καρχηδόνιοι, παρὰ τὴν ὑπόνοιαν προσπεσόντος αὐτοῖς τοῦ πεπλευκέναι στόλῳ τοὺς Ῥωμαίους καὶ πάλιν ἀντιποιεῖσθαι τῆς θαλάττης, παραυτίκα κατήρτιζον τὰς ναῦς […] ὁ δὲ Λυτάτιος συνεὶς τὴν παρουσίαν τῶν περὶ τὸν Ἄννωνα καὶ συλλογισάμενος τὴν ἐπίνοιαν αὐτῶν, ἀναλαβὼν ἀπὸ τοῦ πεζοῦ στρατεύματος τοὺς ἀρίστους ἄνδρας ἔπλευσε πρὸς τὴν Αἰγοῦσσαν νῆσον τὴν πρὸ τοῦ Λιλυβαίου κειμένην ».

[9] Les navires carthaginois envoyés à Lilybée et attaqués en cette journée étaient en effet dirigés par des novices.

[10] Ibid., I, 61, 8 : « Ὁ μὲν οὖν τῶν Ῥωμαίων στρατηγὸς ἀποπλεύσας πρὸς τὸ Λιλύβαιον καὶ τὰ στρατόπεδα περὶ τὴν τῶν αἰχμαλώτων πλοίων καὶ τῶν σωμάτων οἰκονομίαν ἐγίνετο, μεγάλην οὖσαν· οὐ γὰρ πολὺ τῶν μυρίων ἔλειπε σωμάτων τὰ ληφθέντα ζωγρίᾳ κατὰ τὸν κίνδυνον ».

[11] Pour en savoir plus, voir par exemple LE BOHEC Yann, « La marine romaine et la première guerre punique », dans Klio, vol. 85, no1, Berlin, Akademie Verlag, 2003, 281 p., pp. 57‑69

[12] Tite-Live, Ab urbe condita libri. Pars I. Libri I-X, IX, 30, 4, Stuttgart, B.G. Teubner, 1932, 626 p., édité par WEISSENBORN Wilhelm ; COSME Pierre, L’armée romaine (VIIIe siècle av. J.-C. – Ve siècle ap. J.-C.), Paris, Armand Colin, 2012, p. 43 ; LE BOHEC Yann, Histoire des guerres romaines, opcit., p. 141

[13] TUSA Sebastiano, « La bataille des Égades (241 av. J.-C.) et la marine de guerre en Méditerranée antique à travers l’étude des rostres de Sicile », dans Revue Archéologique, n°1, Paris, Presses universitaires de France, 2012, 240 p., p. 132, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/41738181 (dernière consultation le 04/03/2023) ; COSME Pierre, opcit., p. 43

[14] Notons que la première version du traité fut refusée pour ratification par le peuple romain.

[15] Polybe, op. cit., I, 62, 8-9 : « ἐπὶ τοῖσδε φιλίαν εἶναι Καρχηδονίοις καὶ Ῥωμαίοις, ἐὰν καὶ τῷ δήμῳ τῶν Ῥωμαίων συνδοκῇ. ἐκχωρεῖν Σικελίας ἁπάσης Καρχηδονίους καὶ μὴ πολεμεῖν Ἱέρωνι μηδ´ ἐπιφέρειν ὅπλα Συρακοσίοις μηδὲ τῶν Συρακοσίων συμμάχοις. ἀποδοῦναι Καρχηδονίους Ῥωμαίοις χωρὶς λύτρων ἅπαντας τοὺς αἰχμαλώτους. ἀργυρίου κατενεγκεῖν Καρχηδονίους Ῥωμαίοις ἐν ἔτεσιν εἴκοσι δισχίλια καὶ διακόσια τάλαντα Εὐβοϊκά ».

[16] LE BOHEC Yann, « Géostratégie de la première guerre punique », art. cit., p. 116

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