Enluminure représentant la bataille de Montiel

La bataille de Montiel et la fin de la guerre civile castillane

Deux coalitions s’opposent lors de la guerre civile en Castille (sous teinte de guerre de Cent Ans) : les Franco-castillans (partisans d’Enrique de Trastamare) aux Anglo-castillans (partisans du pouvoir légitime de Pedro Ier (1350-1369), dit Le Cruel). À ces coalitions s’ajoutent des forces portugaises et navarraises. Montiel est une bourgade d’Espagne, de la province de Ciudad-Real dans la communauté autonome de Castilla-La Manche, située à 300 km au sud-est de Madrid. Elle est dominée par deux collines, dont l’une abrite le Castello de la Estrella (château de l’Étoile). Cette bataille est décisive car elle règle le compte du parti anglo-castillan fidèle à Pedro Ier, qui meurt à la suite de sa défaite. Revenons alors à cet épisode de la guerre civile dans un premier temps, afin de comprendre l’enjeu de la bataille de Montiel dans un second.

Le Castello de La Estrella, sous la neige, Montiel
Le Castello de La Estrella, sous la neige, Montiel, Francisco Pérez, Wikimedia Commons

Prémices d’une guerre civile

Pedro Ier succède à son père, Alfonso XI (1312-1350), qui avait réussi à établir un pouvoir très fort dans le royaume de Castille. Mais Pedro ne parvient pas à stabiliser ce pouvoir absolutiste et s’attire l’opposition de la grande noblesse. En réaction à cette fronde nobiliaire, Pedro opte pour la répression, faisant naître son surnom de « Cruel ». Cependant, il ne faut pas se fier au surnom donné par ses ennemis, comme des historiens l’ont fait (à l’image de l’étude de François Piétri), car les sources populaires ou de la petite noblesse sont beaucoup plus mesurées à l’égard du souverain castillan.

Dès le début de son règne, la situation se tend en Castille. Pedro décide de s’impliquer dans le conflit franco-anglais – que nous appellerons alors la guerre de Cent Ans – en s’alliant avec la France. L’Angleterre d’Edouard III réagit en bloquant les ports de Cantabria et en battant la flotte castillane sous le commandement de Carlos de La Cerda le 29 août 1350, au large de Winchelsea (Sussex).

Pedro décide alors de faire la paix avec l’Angleterre. Si cet épisode est bref, il n’est pas sans conséquence. La haute aristocratie en a profité pour faire naître dans le royaume de Castille des foyers de rébellion. Ces derniers touchent personnellement le roi puisque sa favorite, Leonor de Guzmán, est assassinée. Mais Pedro essaye d’éteindre l’incendie avant qu’il ne se propage à l’automne 1351 en refusant de nommer dans les villes hostiles des corregidores (institution créée en 1348, désignant des fonctionnaires royaux, les premiers magistrats de l’ordre administratif).

Alfonso XI a eu de nombreux bâtards, dont Enrique de Trastamare et son frère Tello. Ces derniers utilisent la rébellion pour faire naître un contre-pouvoir à celui de Pedro Ier, leur demi-frère. Tello se réfugie auprès du roi d’Aragon, Pedro IV. Afin d’étouffer la révolte, attisée surtout par les bâtards, Pedro Ier de Castille se dirige en Aragon avec son armée. Enrique et Pedro IV vont alors pratiquer un double-jeu. Le traité de paix de Tarazona d’octobre 1352 met fin à la guerre, mais le roi d’Aragon appuie et finance Enrique afin de maintenir les troubles en Castille. La haute noblesse castillane et l’aristocratie aragonaise soutiennent alors Trastamare afin de fragiliser au maximum le pouvoir de Pedro Ier. La guerre civile se dessine.

C’est entre 1352 et 1354 que le bouleversement a lieu. Pedro devait se marier avec Blanche de Bourbon afin de consolider l’alliance avec le royaume de France. Or, il aimait une certaine María Díaz de Padilla, et abandonna alors Blanche. En parallèle, il révoqua Albuquerque de son gouvernement, car il jouait un double jeu entre lui et les rebelles. En 1354, Pedro se met la papauté à dos en annulant son mariage avec María afin d’épouser sa nouvelle favorite, Juana de Castro.

Les nobles décident donc à l’automne 1354 d’intervenir directement en formulant une liste d’attente : la réconciliation entre Blanche de Bourbon et Pedro, le retour d’Albuquerque (qui était favorable à la noblesse) et l’accès direct au pouvoir. Le roi de Castille pardonne et semble accepter les attentes nobiliaires. Mais, il n’en veut pas au pouvoir. C’est pourquoi la noblesse le capture et l’emprisonne à Toro (province de Zamora en Castilla y León). Ils prennent les grands offices de la couronne castillane, dont deux ont été octroyés aux infants d’Aragon. Or, Pedro sort rapidement de ses geôles, en 1355, car les rebelles ne parviennent pas à s’unifier.

D’une guerre civile castillane à un conflit international

Entre 1355 et 1359, Pedro durcit sa politique en multipliant les exécutions et les confiscations. Face à l’affront qu’il a subi, il penche pour la répression. Certains aristocrates et bâtards royaux s’exilent en France ou en Aragon, mais ils sont peu. En effet, cette violence rassemble autour d’Enrique de Trastamare un foyer de résistance nobiliaire encore plus fort qu’au début des années 1350.

En 1356, l’alliance entre Pedro IV d’Aragon et Enrique de Trastamare permet à ce dernier de se réfugier dans le royaume de Pedro IV, puis de devenir son vassal en novembre de la même année, lui laissant l’usage de ses troupes. Pedro IV réussit son coup en quelques années : il divise le royaume de Castille en s’appuyant sur les oppositions internes, et en finançant des troupes rebelles. L’Aragon devient une base-arrière de la guerre civile : les nobles antipétristes s’y réfugient et en font leur base de départ pour envahir la Castille en été 1359.

Le manque de coordination des troupes castillanes légitimes, causé surtout par l’effet de surprise provoqué par l’invasion, permet à Enrique de Trastamare d’obtenir une victoire importante le 22 septembre 1359 à Araviana (province de Soria en Castilla y León). Fernández de Hinestrosa, l’oncle de María de Padilla, y trouve la mort, ainsi qu’un des principaux conseillers de Pedro Ier.

Cette victoire renforce le pouvoir d’Enrique, mais l’année 1360 est beaucoup plus problématique pour ce dernier. Il est obligé de s’enfuir en France. En parallèle, Pedro Ier renforce ses liens avec l’Angleterre grâce au travail de Charles II de Navarre. Ce dernier permet qu’une alliance soit scellée en juin 1362. Enrique de Trastamare et Pedro IV, eux, concluent une alliance avec la France la même année. Cette coalition modifie la nature de la guerre civile. En effet, selon Margarita Cabrera Sánchez, « la guerre à toutes les caractéristiques d’un conflit international, à cause des alliances conclues par chacun des adversaires »[1].

De cette date jusqu’en 1366, Pedro Ier parvient à garder le dessus. Ses victoires de 1363 (Teruel et Segorbe) lui permettent, le 2 juillet 1363, d’imposer la paix de Murviedro. Mais en 1366, un nouveau chef arrive en Espagne du côté du Trastamare : Bertrand Du Guesclin, accompagné des Grandes compagnies. Ces dernières sont redoutables : elles ne vivent que pour la guerre et par la guerre. Généralement sans pitié, les Grandes compagnies et leur chef Bertrand commettent des exactions importantes, comme des pogroms et des pillages. À compter de 1366, et jusqu’en 1369, la guerre civile atteint son paroxysme.

Entre mars 1366 et avril 1367, malgré la perte progressive du soutien de Pedro IV, Enrique de Trastamare s’empare de la Castille. Cette avancée contraint Pedro Ier de s’exiler dans le royaume de France, plus précisément en Aquitaine, sous domination anglaise à l’époque. Il y signe, le 26 septembre 1366, un traité militaire avec les Anglais du Prince noir, à Libourne. À nouveau, Charles II de Navarre assure son appui dans ce traité.

Carte de la péninsule ibérique en 1369 durant la « guerre des Pierre » et de la guerre civile entre Pedro le Cruel et Henri de Trastamare
Carte de la péninsule ibérique en 1369 durant la « guerre des Pierre » et de la guerre civile entre Pedro le Cruel et Henri de Trastamare, Elryck, 2020, Wikimedia Commons

Le traité de Libourne permet de renforcer les liens militaires dans l’alliance anglo-castillane. Cela débouche le 3 avril 1367 sur la deuxième bataille de Nájera (région de La Rioja). Les archers anglais assurent la victoire anglo-castillane. C’est une déconfiture totale pour les troupes d’Enrique de Trastamare et de Bertrand Du Guesclin. Ce dernier est même capturé avec ses lieutenants par les troupes de Pedro Ier, du Prince noir, de Jean de Grailly, de Gaston Fébus comte de Foix-Béarn et de Jean Ier d’Armagnac.

Malgré cette lourde défaite, Enrique parvient à reprendre la Castille à l’automne 1367 grâce à l’appui de Charles V, roi de France. Ce dernier s’implique dans les guerres de Castille car il souhaite en tirer des accords commerciaux et maritimes. Enrique parvient à garder son pouvoir dix-sept mois.

De la bataille de Montiel à la chute de Pedro Ier de Castille

Il faut attendre un affrontement décisif pour sceller le sort du trône de Castille. Il aura lieu le 14 mars 1369 à Montiel, au sud dudit royaume.

Le 10 mars, Bertrand Du Guesclin (qui a été libéré par les Anglais contre une lourde rançon payée par Charles V) rejoint avec ses hommes ceux d’Enrique de Trastamare à Orgaz, à 30 km de Tolède.

Par suite d’une marche de nuit, l’armée d’Enrique surprend celle de Pedro, qui est alors démobilisée, dispersée et non-préparée. Comme en 1359, l’effet de surprise fait le plus gros du travail pour les anti-pétristes. Le matin du 14 mars, le combat s’engage réellement entre « 3 000 lances trastamares, dont 600 lances de soldats étrangers conduits par Du Guesclin, affrontés à quelques 3 000 lances fidèles à Pierre et 1 500 cavaliers légers du roi de Grenade »[2].

Les troupes trastamares ont reçu une consigne que celles de Pedro Ier ignorent : pas de quartier, pas de rançonnage. Ce n’est pas dans la logique des batailles champelles au Moyen Âge : la noblesse évitait de s’entretuer afin de faire des prisonniers et donc du butin. Ici, Bertrand Du Guesclin, ses hommes et Enrique sont sans pitié pour une armée qui comprend dans ses rangs des Maures. Ces derniers sont rapidement défaits et très peu arrivent à fuir. Une aile anglo-castillane est donc bancale.

Vraisemblablement au centre du dispositif, Pedro Ier guerroie avec bravoure, faisant tournoyer sa hache sans arrêt. Mais son ardeur ne parvient pas à sauver ses troupes. Il est contraint de battre en retraite avec le reste de ses hommes sur une hauteur de Montiel, le Castello de La Estrella. Les troupes d’Enrique décident alors d’assiéger le château.

Enluminure représentant la bataille de Montiel
Enluminure représentant la bataille de Montiel, dans les Chroniques de Froissart. Nous pouvons y voir au fond à droite Pedro le Cruel montant avec le reste de ses troupes vers le château de l’Étoile. L’enlumineur a placé au premier plan un soldat français qui occis un Maure, montrant l’aspect de guerre juste pour cette bataille, Wikimedia Commons

Les vivres manquent très rapidement, et Pedro Ier est capturé quelques jours après la bataille. À propos de cette capture, les nombreuses sources avancent plusieurs hypothèses que les historiens ne parviennent pas à clarifier : traîtrise, inconscience de la part du roi de Castille ? Quoi qu’il en soit, Pedro le Cruel est capturé par les troupes trastamares.

Emmené dans la tente des chefs, il est entouré par Bertrand Du Guesclin, son demi-frère et ennemi Enrique et le bâtard d’Amiens, un lieutenant de Bertrand. Alors qu’Enrique essaye de le tuer par la torture, Pedro se défend en le frappant, le mettant au sol. Il est tout de suite immobilisé puis sorti de la tente. Le bâtard d’Amiens, sous l’ordre de Bertrand Du Guesclin, immobilise Pedro, qui se fait alors trancher la tête sous l’ordre d’Enrique de Trastamare. Celle-ci est alors exhibée sur une pique, et finit sur les remparts de Séville.

Enluminure représentant la mort de Pedro le Cruel
Enluminure représentant la mort de Pedro le Cruel, également des Chroniques de Froissart. Nous pouvons y lire en rouge « Comment le roy don Pierre [Pedro] fut priz et mis a mort, et le roy Henry de demoura Roy de Castille », Wikimedia Commons

À la suite de cette exécution et cette victoire, le parti de Pedro Ier de Castille se dissout progressivement. Les Trastamares s’emparent pour plusieurs générations de la couronne castillane, menant une politique favorable à la noblesse. Quant à Bertrand Du Guesclin, malgré ses exactions qui noircissent partiellement sa réputation, il est fait l’année suivante connétable de France, et le reste jusqu’à son décès en 1380.

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Bibliographie :

ÁLVAREZ PALENZUELA Vicente Ángel, Historia de España de la Edad Media, Barcelone, Ariel, 2011 (1re éd. 2002), 915 p.

LASSABATÈRE Thierry, Du Guesclin, vie et fabrique d’un héros médiéval, Paris, Perrin, 542 p.


[1] Traduction de l’espagnol par l’auteur depuis ÁLVAREZ PALENZUELA Vicente Ángel, Historia de España de la Edad Media, Barcelone, Ariel, 2011 (1re éd. 2002), 915 p., p. 660

[2] LASSABATÈRE Thierry, Du Guesclin, vie et fabrique d’un héros médiéval, Paris, Perrin, 542 p., p. 328

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