Louis IX débarquant en Égypte

La bataille de Mansourah, 1250 : Saint Louis est piégé par les Mamelouks d’Égypte

C’est en ces termes que le téméraire roi de France Louis IX, 35 ans, s’adresse, début juin 1249, au sultan du Caire Ayyoub, 42 ans : « Je t’ai déjà fait parvenir de nombreux avertissements dont tu n’as pas tenu compte. Désormais, ma décision est prise : je vais attaquer ton territoire, et même si tu faisais acte d’allégeance à la Croix, je ne changerais pas d’avis. Les armées qui m’obéissent couvrent les monts et les plaines, nombreuses comme les cailloux de la terre, et elles marchent vers toi avec les épées du destin ». Ayyoub, déjà à moitié mort à cause de la tuberculose, ne peut rien faire et bientôt les chevaliers croisés du roi de France débarquent en Égypte s’emparant de l’importante ville de Damiette à 200 km au nord du Caire, que les Égyptiens ne cherchent même pas à défendre.

Louis IX débarquant en Égypte
Louis IX débarquant en Égypte, gravure de Jacques-Alphonse Testard, XIXe siècle, Rijksmuseum-Amsterdam

Le succès pour Louis IX, arrivé avec la plus belle noblesse de France et d’Europe, est total : aussi regarde-t-il, maintenant, vers la capitale du sultanat d’Égypte, prélude à la reconquête de Jérusalem et de la Terre sainte. Cette septième croisade, pensée depuis 1247 par le roi de France, contre l’avis de l’empereur du Saint-Empire et certaines réticences européennes, trouve ainsi là son premier succès d’importance. Après l’échec de la sixième croisade en 1228-1229 et celle des barons franco-anglais en 1239-1240, le monde chrétien se reprend à espérer.

Le roi de France Louis IX, 1214-1270
Le roi de France Louis IX, 1214-1270, New York Library Digital Collection

Louis IX, ayant cherché pendant des mois l’alliance avec les Mongols pour se garantir des alliés contre les Musulmans, voit finalement son entreprise réussir sans l’aide de ces derniers qui louvoient et méprisent une alliance avec les Francs. Qu’à cela ne tienne, tout le crédit de la victoire sera pour lui ! Affolé par la nouvelle, Ayyoub tente, malgré son état, d’aller affronter les croisés et se porte à Mansourah, point de passage obligé de l’un des bras du Nil à 120 km au nord du Caire et à 65 km au sud de Damiette. L’affrontement devant Mansourah doit régler le sort de l’Égypte.

Mais Louis IX hésite, il attend des renforts. Ils arrivent bientôt en la personne du frère préféré du roi, Alphonse de Poitiers, qui amène de nombreux chevaliers de ses terres du Languedoc et du Poitou. Mais le roi hésite encore. Pourtant, l’Égypte s’effrite : Ayyoub meurt le 23 novembre, vaincu par la maladie, plongeant le sultanat dans une grave crise.

Une figure s’impose : l’épouse favorite de Ayyoub, Shajarat-ad-dorr [L’Arbre aux Joyaux], une esclave arménienne qui réunit autour d’elle les fidèles du défunt sultan et qui décide de cacher sa mort pour préparer sa succession. Elle lance alors l’appel au jihad. Elle rappelle aussi le vieil émir Fakhreddin, figure sage et respectée, pour qu’il remette de l’ordre dans le gouvernement ayyoubide : il s’installe avec ses troupes à Mansourah même.

Position de Mansourah en Égypte
Position de Mansourah en Égypte, Google Maps

Le roi de France, de son côté, espère toujours l’alliance avec les Mongols avant d’aller plus loin. Il laisse passer les semaines. Cependant, durant le mois de janvier 1250, il lui apparaît deux choses : les Mongols ne l’aideront jamais et la résistance des Musulmans semble s’être affaiblie. C’est le moment de faire sauter le verrou de Mansourah et de passer le Nil. Direction le Caire !

Le siège, assez peu efficace, de Mansourah traînant en longueur, on décide de brusquer les choses le 7 février lors d’un conseil de guerre. Robert comte d’Artois, 33 ans, bouillant et téméraire frère du roi, se propose de mener la première vague accompagné des meilleurs chevaliers de l’armée : Templiers et Hospitaliers. Les autres, Français, Anglais, Gascons, etc., suivront et le roi les soutiendra en arrière. Le 8 février au matin, Robert d’Artois, malgré les recommandations de son frère Louis, s’élance à la tête des 300 chevaliers de l’avant-garde et, méprisant tous les dangers de s’aventurer ainsi sans attendre le reste de l’armée, passe le Nil, disperse les cavaliers égyptiens, pénètre dans Mansourah à l’improviste y répandant la mort au nom du Christ.

Chevalier français en croisade
Chevalier français en croisade, New York Library Digital Collection

Le vieux Fakhreddin, alerté alors qu’il prend son bain, n’a pas le temps d’enfiler son armure et se jette à la rencontre des Francs, mais il est piteusement mis à mort dans une rue de Mansourah. Le flot des chevaliers francs se déverse dans la ville, le palais de l’émir est mis à sac, les civils molestés, les soldats égyptiens massacrés sans pitié… Bientôt, la seconde vague de chevaliers, enthousiasmée par le succès, suit Robert : ce sont plus d’un millier de cavaliers qui arrivent ! Les 200 chevaliers anglais de Guillaume II de Salisbury, grand noble de la famille royale des Plantagenêt, rejoignent vite Robert d’Artois et chevauchent même jusqu’au camp de l’armée égyptienne le mettant au pillage… C’est un triomphe.

Chevaliers de l'ordre du Temple
Chevaliers de l’ordre du Temple, New York Library Digital Collection

Alors que tout semble perdu pour les Musulmans, paraît Baybars : un arbalétrier, ancien esclave de la mer Noire, devenu à 27 ans à peine, le chef incontesté de la garde des sultans d’Égypte, les redoutés cavaliers Mamelouks. Avec sa grande taille et son regard perçant à travers des yeux légèrement bridés d’homme moitié caucasien, moitié asiatique, Baybars a tout de suite compris l’erreur terrible commise par l’imprudent Robert d’Artois. Seul le grand maître des Templiers, Guillaume Sonnac, un vieux briscard, considère l’affaire avec anxiété, priant Robert d’attendre le roi avec l’armée principale… Rien n’y fait et, en quelques minutes, les plus de 4000 guerriers mamelouks de Baybars submergent la ville, cernent toutes les sorties et font un carnage des lourds chevaliers européens qui se défendent désespérément avant de succomber sous le nombre, les flèches et les coups de sabres.

Baybars
Portrait d’artiste de Baybars, inconnu, Pinterest

La seconde vague des chevaliers peut se retirer, mais pas les 300 et quelques de l’avant-garde de Robert d’Artois. Raoul II de Coucy et Guillaume de Salisbury disparaissent héroïquement, massacrés tandis que Robert d’Artois, acculé dans une maison par la masse, est le dernier à tomber malgré les efforts terribles des Templiers pour le sauver : le grand maître perd dans cette affaire un œil et plus d’une centaine de ses chevaliers… Seuls cinq chevaliers de l’avant-garde s’en sortent. C’est un désastre absolu, tandis que les Mamelouks de Baybars sont fêtés comme les sauveurs de l’Égypte.

Un chroniqueur égyptien dit ainsi : « Au début de la journée, les pigeons avaient porté au Caire un message qui annonçait l’attaque des Franj sans souffler mot de l’issue de la bataille, aussi étions-nous dans l’angoisse. Tout le monde demeura triste jusqu’au lendemain, lorsque de nouveaux messages nous apprirent la victoire des lions turcs. Ce fut la fête dans les rues du Caire ».

La suite de la croisade n’est qu’une longue descente aux enfers pour Louis IX. Ayant perdu l’élite de son armée, il doit mener une nouvelle bataille très sanglante contre Baybars dès le 11 février. Son autre frère, Charles, manque de périr ; tandis que le grand maître des Templiers et Jean de Rosnay, chef des Hospitaliers, sont tués.

Chevalier croisé au XIIIe siècle
Chevalier croisé au XIIIe siècle, New York Library Digital Collection

La croisade se délite… Louis IX essaye de négocier, mais c’est trop tard : on ne veut plus l’entendre. Mi-mars, sa flotte est coulée par les navires ayyoubides en mer Méditerranée, le laissant prisonnier de l’Égypte avec une armée épuisée et amoindrie. Tentant l’impossible en retraitant vers Damiette, Louis est rattrapé par Baybars le 6 avril et son armée écrasée à Fariskur sur le Nil. Le roi, fait prisonnier avec ses frères et la majeure partie de ses chevaliers, est conduit enchaîné au Caire, les malades et blessés sont exécutés. Exigeant une rançon astronomique, les Mamelouks libèrent finalement Louis le 6 mai suivant contre le versement d’une partie déjà équivalente à plus de 1 800 000 grammes d’or. La septième croisade est morte et Louis IX part alors pour un pèlerinage en Terre Sainte dans le but d’expier ses fautes…

Quant à Baybars, sa carrière ne fait que décoller : renversant le nouveau sultan par un coup d’État, il consacre son pouvoir personnel par ses nombreuses victoires, notamment en 1260 quand il sauve le monde musulman de l’invasion mongole. Régnant sur l’Égypte jusqu’à sa mort en 1277, il laisse derrière lui l’image d’un prince guerrier, certes violent, mais également d’un général génial, d’un politique avisé et d’un administrateur très efficace.

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Bibliographie :

Les Grandes Chroniques de France, t. VII, Paris, Honoré Champion, 1932, 296 p., texte établi par VIARD Jules, [en ligne] https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Grandes_Chroniques_de_France/VII (dernière consultation le 14/07/2022)

Le Nain de Tillemont Louis-Sébastien, Vie de Saint Louis, roi de France, vol. 3, Paris, Jules Renouard et Cie, 1847-1851, 500 p., texte édité par DE GAULLE Julien Philippe, [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k118197p.texteImage (dernière consultation le 14/07/2022)

MAALOUF Amin, Les Croisades vues par les Arabes, Paris, J’ai lu, 2001 (1re éd. 1983), 317 p.

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