L'Europe de la défense : une histoire militaire

L’Europe de la défense : une histoire militaire

Introduction : les enjeux d’une définition

Depuis l’année 2014, et a fortiori depuis l’année 2022, les discours appelant à une concrétisation d’une « Europe de la défense » se sont multipliés dans les sphères politiques et médiatiques. Les actions hostiles de la fédération de Russie à l’encontre de l’Ukraine, s’étant traduites par une annexion, non reconnue par la communauté internationale, de la Crimée, puis par une invasion à grande échelle du pays, ont mis sur le devant de la scène la nécessité impérieuse d’une défense du territoire et de la souveraineté de l’Union Européenne. En 2017, le président français Emmanuel Macron parlait déjà d’une force d’intervention commune dotée d’une doctrine et d’un budget commun[1]. En 2022, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union Européenne, il insistait davantage sur l’importance d’une industrie de défense pour se préparer aux nouvelles menaces[2]. Le concept n’est pourtant pas si récent et apparaît dès les années 1950 avec des projets comme la CED[3]. On en trouve même des occurrences au cœur de la Seconde Guerre mondiale, servant ici à décrire un rempart, incarné par l’Allemagne, face au bolchevisme.

Le concept est donc extrêmement large, voire plutôt vague, et a pu servir à évoquer des projets très différents. Mais alors, de quoi parle-t-on précisément lorsque que l’on évoque « l’Europe de la défense » ?

L’expression peut déjà évoquer une armée européenne. Il convient alors de définir les missions et prérogatives qu’aurait une telle armée. Et surtout, à qui cette armée obéirait-elle ? En effet, elle serait nécessairement inféodée à un pouvoir politique. Pouvoir qui, à travers la création d’une institution propre ou par le rattachement à une préexistante, s’inscrirait, pour reprendre la terminologie chère au droit européen, dans une logique de coopération ou d’intégration. L’Union est, d’ailleurs, par ses institutions, à mi-chemin entre ces dynamiques. La première part d’une convergence d’intérêts entre les États membres. Concrètement, cela se traduit par des institutions où chaque État dispose d’une voix égale, comme au Conseil de l’Europe. La deuxième dynamique reflète, elle, le souhait de voir se concrétiser une Europe souveraine, indépendante des États qui la composent ; les institutions relevant de cette logique sont, par exemple, la Commission et le Parlement européen. Transposé sur le thème d’une armée européenne, le débat entre coopération et intégration reviendrait à se demander si l’armée européenne devrait obéir à l’UE ou aux États qui l’ont fondée.

On peut aussi évoquer une simple alliance entre les pays européens. Dans ce cas, quelle différence avec l’OTAN ? On sait que c’est cette dualité vis-à-vis de l’Alliance atlantique qui avait empêché les projets strictement européens, comme l’UEO[4], dissoute en 2011. Certains mobilisent ce concept uniquement pour parler d’une industrie de défense incarnée par des accords franco-allemands de développement.

Il convient également de se demander ce qu’est une « défense européenne ». S’agit-il d’une défense classique du territoire européen ? À moins qu’il s’agisse d’une défense des intérêts de l’Europe, intérêts qu’il n’est pas toujours aisé de saisir (Parlons-nous de ceux de l’UE ou de ceux des pays membres ?), ce qu’ont plus ou moins tenté de faire les acteurs responsables de l’édition des nombreuses boussoles stratégiques qui se sont succédées.

Toutes ces questions soulevées dans les paragraphes précédents montrent bien que « l’Europe de la Défense » est un concept utilisable dans de très nombreuses situations. Certains commentateurs affirment en ce sens qu’il s’agit alors d’un signifiant vide, une expression sans définition claire que n’importe qui pourrait mobiliser en s’attirant la sympathie d’un public qui choisirait alors nécessairement la signification qui lui convient le mieux. Nous citerons, par exemple, un rapport de 2013 du Sénat indiquant que l’expression « Europe de la défense » serait « séduisante parce qu’ambiguë »[5]. Elle ne renverrait, en effet, ni à une défense du continent, alors assurée par l’OTAN, ni à une idée de défense européenne qui devrait être assurée « par l’Europe, pour l’Europe »[6]. Le concept est donc sujet à polémique : selon que l’on mobilise une définition ou une autre, on peut chercher à mettre en évidence certains succès et certains échecs pour faire avancer son propos.

Puisqu’une définition se doit d’être claire pour aborder un concept, nous entendrons par « Europe de la défense » les traductions stratégiques et opératives ayant été mises en place afin de défendre le Vieux Continent. Nous entendons par là faire un tour d’horizon des réalisations et des plans dessinés pour accomplir l’idée d’une défense de l’Europe. Une Europe qu’il conviendra de définir, car la stricte réalité géographique ne correspondra jamais aux conceptions géopolitiques des contemporains. Il ne faudra pas oublier non plus de définir les cibles de ladite défense.

L’Europe dans la guerre froide

La Seconde Guerre mondiale terminée, de nouvelles tensions apparaissent très rapidement en Europe : le continent entre dans la guerre froide. Alors que la reddition de l’Allemagne est consacrée et que le pays est divisé en quatre zones d’occupation, des plans de guerre sont déjà dressés pour préparer un affrontement avec l’Union soviétique[7]. L’opération « Impensable » (Unthinkable), imaginée par les généraux britanniques, se voulait être une attaque surprise menée sur le sol européen à l’encontre des divisions soviétiques présentes sur place. L’objectif était d’« imposer la volonté de l’Ouest » dans le cadre des négociations des zones d’influence entre les vainqueurs. Un autre plan est édité, cette fois-ci pour préparer une défense face à une éventuelle attaque soviétique.

Document déclassifié de l’opération Unthinkable – 1998 (1945) – history.neu

Le nom de l’opération à lui seul montre bien que ce scénario relevait pratiquement de la fiction et que les contemporains des événements en avaient conscience. Le danger soviétique au sortir de leur Grande Guerre patriotique[8] est difficilement concevable avec une Armée rouge rendue complètement exsangue après cinq années de guerre.

Répondre au danger : la pactomanie européenne de l’immédiat après-guerre

Pourtant les événements se multiplient pour accréditer la thèse d’une menace et influencer la perception des contemporains. Le coup de Prague en 1948[9], le blocus de Berlin la même année[10], la soviétisation générale des régimes d’Europe de l’Est : la peur du rouge s’installe.

Conscients de leur position centrale dans le conflit qui se profile, des pays d’Europe de l’Ouest signent des premiers traités de défense. Moins d’un mois après le coup de Prague, le traité de Bruxelles est signé le 17 mars 1948 entre la France, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas. Le texte sanctifie une alliance purement défensive, l’Union occidentale, et prévoit une clause de défense mutuelle[11]. Il est ainsi intéressant de noter qu’une telle formation précède la naissance de l’OTAN et se réalise sans le concours des États-Unis. Plus tard, en 1954, le texte est réformé pour inclure la République fédérale allemande et l’Italie. Mais cette organisation arrive trop tardivement et se retrouve, dans les faits, inféodée à l’OTAN (créée en 1959).

Pourtant, à côté des alliances se dessine un vrai projet de défense européenne : la Communauté Européenne de Défense (CED), un projet qui débute en 1950, mais qui est avorté quatre ans plus tard après le refus de ratification par le Parlement français. C’est pourtant bien la France, avec le gouvernement Pleven[12], qui est à l’origine de ce projet : « Une armée européenne unifiée au point de vue de son commandement, de son organisation, de son équipement et de son financement, et placée sous la direction d’une autorité supranationale unique »[13]. Un projet ambitieux qui avait aussi pour but de fortifier le potentiel front « Centre Europe » en « réarmant les Allemands sans réarmer l’Allemagne »[14]. Ladite armée européenne aurait été constituée de divisions nationales (13 000 hommes) implémentées dans les corps d’armée multinationaux. En tout, ce sont 40 divisions qui sont prévues : quatorze françaises, douze allemandes, onze italiennes et trois du Benelux[15].

Le commandement aurait ensuite été assuré, au niveau opératif[16], par un « commissaire européen à la défense » tandis que le commandement stratégique serait resté dans le giron de l’OTAN avec SACEUR (Supreme Allied Commander Europe). Il demeurait néanmoins une difficulté centrale : le soutien (la logistique, le ravitaillement, etc.)[17]. En effet, les clauses de la CED prévoyaient un soutien multinational, ce qui impliquait nécessairement un budget commun ambitieux et un impératif de fixation des dépenses. À titre de comparaison, même l’OTAN prévoit un système national : chaque nation est chargée du soutien de ses propres forces.

C’est véritablement ce dernier point qui aurait empêché, à terme, le projet de se réaliser[18]. Quoi qu’il en soit, la CED ne verra jamais le jour après le refus français de 1954. Les causes d’un tel refus sont nombreuses : crainte d’un réarmement allemand, volonté nationale, bourbier indochinois qui empêche la France de fournir les quatorze divisions demandées[19]. On pourrait également citer une clause interdisant à l’Allemagne de produire plus de 500 grammes de plutonium, qui, selon le principe de réciprocité en droit international, aurait pu empêcher la France d’obtenir l’arme atomique[20]. Les débats internes sont néanmoins virulents et dépassent les clivages politiques traditionnels, au sein même de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière)[21] et du Parti Radical : le débat sur la ratification avait été repoussé « à des jours meilleurs », mais cela n’aura pas été suffisant.

L’échec de la CED marque plusieurs tournants dans la construction européenne et la défense de cette dernière. Tout d’abord, l’idée d’une Europe politique devient un strict tabou et la construction ne se fera plus que selon des logiques économiques. Ensuite, l’Allemagne est tout de même autorisée à se réarmer, à condition que ses troupes soient placées sous le commandement de l’OTAN. L’Alliance atlantique obtient ainsi le monopole de la défense du Vieux Continent.

Les chars russes à 1000 km de Paris : la perception d’un danger soviétique et la réponse atlantique

Toutes ces premières réalisations pour une défense de l’Europe se basaient sur la perception (erronée ?) d’une menace soviétique. Penchons-nous donc sur les réelles capacités militaires de l’URSS de cette époque et sur ces estimations qu’ont pu en avoir le bloc de l’Ouest qui commençait tout juste à se former.

Après consultation des archives soviétiques de l’époque, il apparaît que les forces soviétiques connurent plusieurs phases de démobilisation et de remobilisation[22]. Au sortir de la guerre, le nombre de soldats mobilisés, d’abord de 4,5 millions en 1945, tomba à 2,8 millions en 1948, suivant ainsi les promesses de Staline de réduire son armée au tiers de sa puissance. À partir de cette date, la montée des tensions, notamment avec la crise berlinoise, justifia une nouvelle augmentation des effectifs jusqu’en 1955 : passant de 2,8 millions à 5,7 millions. Ces chiffres seront d’ailleurs corroborés par différentes déclarations ultérieures de Khrouchtchev[23].

Les services de renseignement occidentaux suivirent relativement bien cette évolution du nombre d’effectifs : le surestimant au moins aussi souvent qu’ils ne le sous-estimaient[24]. Mais, à partir de 1947, ils changèrent de méthodologie pour estimer ces chiffres. Dans un premier temps, ils calculaient le nombre de divisions à partir de la quantité de soldats mobilisés (en partant du principe qu’une division soviétique comprenait 15 000 hommes). Après 1947, c’est l’exact inverse qui était appliqué : on évaluait le nombre de soldats mobilisés à partir du nombre de divisions connues.

Sauf qu’un tel changement de méthode ne prend pas en compte le fait que des divisions puissent fonctionner sans être à 100 % de leur capacité. En réalité, les divisions soviétiques, en temps de paix, ne fonctionnaient qu’à 70 % de leur effectif (mais 100 % de leur matériel, ce qui explique une rapide mécanisation des divisions existantes : les divisions supprimées envoyaient leur matériel aux divisions encore actives). On considère aujourd’hui que « chaque division était amputée d’un bataillon, chaque bataillon d’une compagnie et chaque compagnie d’une escouade »[25].

Ces premières estimations sont intéressantes pour évaluer le potentiel soviétique en temps de paix. Mais qu’en est-il des plans de guerre ? Les renseignements essayèrent de répondre à cette question à partir de 1948. Assurément, les divisions pouvaient être amenées à plein potentiel au bout de cinq jours (M5)[26]. Au bout de 30 jours, ce sont entre 120 et 145 « divisions clones » (moins bien équipées) qui seraient prêtes à entrer sur le champ de bataille. Le camp occidental, quant à lui, n’avait que 50 divisions (certes plus grandes) en Europe, suivies sans doute de 50 autres au bout de 30 jours (M30).

À partir de 1954, on commence à éditer des plans de défense conventionnelle[27]. Mais même en prévoyant un ratio de trois contre quatre, un tel plan était économiquement et politiquement irréalisable[28]. Économiquement, car les moyens industriels à déployer seraient incroyablement coûteux ; politiquement car, avec le retrait français du commandement intégré de l’OTAN, de tels plans de défense manquaient cruellement de troupes à aligner sur une potentielle ligne de front en Europe centrale.

Tableau montrant les effectifs prévus en cas d’attaque soviétique. Les plans de bataille ne prévoyaient pas que les 175 divisions précédemment mentionnées soient toutes lancées dans la bataille (pour des raisons de logistique). – Romain Devaux, selon les données recueillies par COMBS Jerald et KARBER Philip, op. cit., p. 420 – Jstor

Au milieu des années 1950, malgré les volontés des stratèges, il est établi que la défense conventionnelle de l’Europe est irréalisable. C’est à la même époque que le président Eisenhower affirme, en réponse, sa position avec la doctrine nucléaire de riposte immédiate[29]. Une telle doctrine prévoit que l’arme nucléaire soit employée sans avertissement en cas d’affrontement : la dissuasion nucléaire remplace la dissuasion conventionnelle.

Il convient de soulever plusieurs critiques émises par des États-uniens vis-à-vis de ces plans de défense. Nous citerons par exemple George Kennan[30] qui, tout en préférant une dissuasion conventionnelle pour éviter une escalade atomique, souhaite axer ses évaluations sur les intentions soviétiques plutôt que sur leurs capacités[31]. De la même manière, Paul Nitze[32] était partisan de la dissuasion nucléaire, mais soulignait l’importance de la construction d’une défense conventionnelle pour gérer les affrontements qui pourraient éclater par accident[33]. Il n’est, par ailleurs, pas même certain que le nucléaire soit suffisant pour stopper une invasion. Le plan de guerre TROJAN[34], prévoyant le bombardement atomique de 70 villes soviétiques, n’était pas considéré comme efficace[35] : si l’URSS avait réussi à vaincre l’Allemagne malgré 27 millions de pertes humaines, ce ne seraient pas les quelque 2,7 millions de victimes d’une telle attaque qui auraient stoppé une invasion.

La qualité plutôt que la quantité : les choix d’une doctrine de défense

À partir des années 1960, la période de détente et la réduction des effectifs soviétiques à quelque 120 divisions[36] rendent la défense conventionnelle de l’Europe à nouveau possible. Par ailleurs, il est même plutôt courant d’affirmer qu’il s’agit en réalité de la seule défense valable : les armes nucléaires, utilisées de manière défensive et donc directement sur le sol européen, feraient trop de dégâts et occasionneraient des pertes catastrophiques au sein des populations que l’on est censés protéger[37]. L’Alliance atlantique se retrouve donc au cœur d’un dilemme de défense : elle doit contrebalancer l’écrasante supériorité conventionnelle soviétique, mais n’a pas la possibilité d’utiliser l’arme atomique pour se défendre. De manière générale, l’utilisation d’armes nucléaires tactiques[38] risque également d’être trop tardive : « Le rapport des forces du pacte de Varsovie et de l’Alliance atlantique permettrait au camp soviétique de conquérir le centre de l’Europe avant l’intervention des armes atomiques tactiques »[39].

Des chiffres datant des années 1980 permettent de rendre compte de la difficulté d’une telle mission. On estime alors que les forces du pacte de Varsovie disposent de 26 000 chars de combat, contre 11 000 pour l’OTAN[40]. L’écart est également présent en faveur de l’Est pour les avions et missiles tactiques : respectivement 5000 et 1000 contre 3000 et 200. Cette image des chars russes marque profondément les choix d’armement de l’époque.

Tout en restant dans le domaine nucléaire, on imagine ainsi l’utilisation d’armes à effet de radiation renforcée : des bombes à neutrons[41]. On ne chercherait plus alors à tirer parti des kilotonnes générés par l’explosion (l’idée étant même de les diminuer), mais plutôt des radiations très efficaces pour arrêter des blindés. Il est intéressant de noter que ce sont bien les chars de combat qui sont visés par cet armement : on conçoit la défense de l’Europe contre une attaque de chars, car on n’imagine pas les Soviétiques fournir un effort de guerre principal à travers une utilisation de leur infanterie.

Cette volonté de défense face à une invasion blindée va également guider les investissements ainsi que la recherche et développement : les années 1980 voient se développer les premières precision-guided munitions[42]. Ces missiles sont, en effet, conçus pour atteindre des cibles très précises, comme des blindés, à l’aide de certaines méthodes de guidage. Alain Joxe[43] pointe en ce sens les nombreux exports de ce type de systèmes des États-Unis vers l’Europe durant cette période[44].

C’est également durant les années 1980 que se développent de nouvelles réflexions pour défendre plus efficacement le continent. Jusque-là, les solutions évoquées, même si on peut légitimement affirmer qu’elles auraient été en mesure de garantir une bonne défense au continent, relevaient davantage d’une doctrine militaire offensive. Une doctrine qui a ses avantages, et qui était tout à fait pertinente pour doter l’Europe d’une dissuasion efficace, mais qui risquait de plonger le continent dans un piège de Thucydide[45]. En effet, en se dotant d’armements de la sorte, l’Europe (et l’Alliance) apparaissait nécessairement menaçante aux yeux des Soviétiques qui auraient alors pu prendre des mesures pour davantage s’armer, lançant une course aux armements tandis que les communications devenaient de plus en plus difficiles.

Pour éviter de tomber dans une telle situation, des auteurs proposent d’ériger une défense qui ne puisse pas apparaître comme relevant d’une doctrine offensive, mais bien d’une doctrine défensive. En d’autres termes, on imagine pour l’Europe une défense non offensive. Cette idée de doctrine défensive doit surtout se matérialiser par l’équipement de manière à ce qu’il soit structurellement impossible pour la défense européenne d’apparaître comme une armée d’invasion[46].

Tableau résumé des différences et des implications des doctrines offensive et défensive - Johan Galtung
Tableau résumé des différences et des implications des doctrines offensive et défensive – Johan Galtung – p. 627 – érudit.org

La défense non offensive est un concept qui peut ensuite se décliner en de nombreux projets : techno-guérilla, défense non militaire, etc. En reprenant les facteurs clé de choix de doctrine, explicités par Johan Galtung[47], il apparaît que l’Europe a tout intérêt à adopter une telle doctrine. Le continent peut, en effet, être sous le coup d’une invasion par des voisins belliqueux[48] ; or, ses propres forces armées sont trop peu nombreuses pour se permettre d’envahir (et d’occuper) qui que ce soit. Il est secoué par des troubles internes difficilement soutenables avec une doctrine offensive, mais c’est surtout sa situation économique qui représente un obstacle majeur : les armements fonctionnant à longue portée coûtent extrêmement cher.

Les nouveaux enjeux contemporains

L’Europe avec ou sans l’OTAN ?

La guerre froide terminée, la défense de l’Europe avait-elle encore un sens ? La remarque pourrait, par ailleurs, s’étendre à tout l’OTAN qui monopolisait cette défense. C’est également cette monopolisation qui fait dire à certains commentateurs que la mainmise atlantique a empêché l’avènement d’une Europe puissance. On pourrait, par exemple, citer Alain Joxe qui appuie son propos sur l’inféodation, dès ses débuts, de la CED à l’Alliance[49], ou encore la politologue Nicole Gnesotto (membre du think tank Notre Europe) : « l’OTAN a joué un rôle dans la déresponsabilisation stratégique des Européens »[50].

Dès 1992, la construction européenne marque une accélération avec le traité de Maastricht. Le deuxième pilier de celui-ci met en place une coopération en matière de diplomatie : on crée la Politique Européenne de Sécurité Commune (PESC). C’est un glissement sémantique non négligeable qui est à l’œuvre : on parle de sécurité et non plus de défense. Si les deux expressions semblent ramener aux mêmes projets, il n’en est rien : l’idée de « sécurité » est beaucoup plus large, en évoquant toutes les politiques qui permettent de diminuer les menaces pesant sur des choses considérées comme importantes, tandis que la « défense » ne désigne que les politiques militaires et la protection du territoire.

En 1992, avec la disparition du danger soviétique, la défense du continent ne fait plus vraiment sens. Cela n’empêche pas, pour autant, des menaces pour la stabilité du continent d’apparaître. Cette transformation est, par ailleurs, parallèle à une transformation de l’OTAN qui doit se réinventer : l’Alliance passe, elle aussi, d’une idée de défense collective à une idée de sécurité collective[51]. Elle multiplie ainsi les opérations extérieures : Bosnie en 1994, Kosovo en 1999, Afghanistan en 2003. Mais alors, quelle place pour la PESC ? En théorie, elle devrait permettre à l’Europe de se préparer à des situations où l’OTAN ne serait pas pleinement engagée[52]. Cela pourrait instaurer une certaine division des tâches, notamment pour des opérations de maintien de la paix. La PESC se caractérise néanmoins par de nombreux échecs, par exemple dans les Balkans, et reste un mécanisme de second rang par rapport à l’OTAN qui dispose déjà d’infrastructures pour mener ce type d’opérations.

C’est ainsi que la PESC est remodelée en Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) en 1999 à l’occasion des accords d’Helsinki, puis en Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) avec les accords de Nice de 2001 et Lisbonne en 2007. Cela se traduit par une prolifération d’institutions associées : incorporation de l’Union Européenne Occidentale (UEO), mise en place du Comité Politique et de Sécurité (COPS), du Comité militaire (CMUE), d’un état-major (EMUE), ainsi que d’un corps de réaction rapide : l’Eurocorps. On crée également l’Agence européenne de défense en 2004 afin de renforcer les capacités des États membres.

L’Europe commence ainsi à s’engager dans des opérations de maintien de la paix où l’Alliance n’intervient pas (ou s’est désengagée) : MPUE[53] en Bosnie Herzégovine, Proxima[54] en Macédoine, Artémis[55] au Congo. L’OTAN et l’UE interagissent ainsi selon des logiques de substitution, mais il n’est jamais question de mission conjointe. Il convient tout de fois de noter que des accords ont été signés, notamment en 2000 à Nice, pour que l’UE ait accès aux structures de commandement otanienne[56].

Missions et opérations de la PSDC en 2019 – SEAE – https://www.senat.fr/rap/r18-626/r18-6264.html

Il serait néanmoins difficile de qualifier la PSDC d’ « Europe de la défense ». Même si le terme réapparaît, il renvoie davantage à des partenariats industriels. En effet, ces politiques et ces interventions militaires ne se font jamais sur le territoire des États membres, mais à l’extérieur de ces derniers. Ce n’est pas une politique de défense, mais de sécurité. En un sens, la multiplication d’actions extérieures permet de stabiliser des régions et de sécuriser l’Europe en empêchant l’apparition de menaces (terrorisme, instabilité migratoire, pénurie de ressources, etc.).

La relation entre l’UE et l’OTAN est donc extrêmement ambiguë. On insiste sur la complémentarité de leurs opérations, même si l’Alliance conserve en général le monopole des opérations offensives tandis que la PSDC n’est reléguée qu’à du simple maintien de la paix. Cette ambiguïté certaine se retrouve par exemple dans la déclaration franco-britannique de Saint-Malo en 1998. D’un côté, la France souhaite souligner l’autonomie stratégique du continent et va jusqu’à mentionner une capacité d’action autonome[57]. De l’autre, le Royaume-Uni préfère mettre en avant une réduction de l’écart entre l’UE et l’OTAN afin de renforcer le pilier européen de la défense atlantique. Jolyon Howorth[58] résume ainsi la déclaration : « Pour le Royaume-Uni, la PESD est essentiellement un projet de l’OTAN avec des instruments européens ; pour la France, il s’agit d’un projet européen avec des instruments atlantiques »[59].

La question nucléaire : une dissuasion française à vocation européenne ?

Depuis 1945, les différentes puissances de ce monde ont mis un point d’honneur à définir une dissuasion par l’arme nucléaire. Même s’il est absolument hors de question de donner l’arme à l’UE, la défense européenne pourrait s’appuyer dessus grâce aux deux puissances nucléaires que sont le Royaume-Uni et la France (bien que cette dernière soit la seule encore membre de l’UE). L’idée d’une dissuasion nucléaire européenne permettrait néanmoins de s’émanciper sérieusement de la tutelle américaine. Tutelle qui a de fortes raisons de se détourner suite au « pivot asiatique » initié par l’administration Obama[60].

Depuis la fin des années 1990, les discours se multiplient pour élargir le champ d’action de la dissuasion française. Les différents gouvernements soulignent à cette période l’idée d’une communauté de destin en matière de défense, ainsi qu’une interconnexion des intérêts vitaux entre les États membres. À titre d’exemple, la déclaration franco-britannique de 1995 affirme : « Nous n’imaginons pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un de nos pays pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne le soient aussi »[61]. Un premier cap est ainsi franchi : l’arme atomique quitte la logique de sanctuarisation du territoire pour éventuellement couvrir les intérêts français nécessairement liés aux intérêts britanniques. Des déclarations similaires sont ensuite formulées en lien avec l’Allemagne[62].

Ce n’est que bien plus tard, dans les années 2000, qu’est formulée cette idée d’élargissement des intérêts vitaux français[63] à l’ensemble de l’Union. Le président Jacques Chirac déclare ainsi en 2006 que « la dissuasion nucléaire française, par sa seule existence, devient un élément incontournable de la sécurité du continent »[64]. Vient ensuite la déclaration de François Hollande en 2015 : « Qui pourrait donc croire qu’une agression qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ? »[65]. Ces déclarations sont importantes et confirment en réalité un état de fait : un État qui chercherait à nuire gravement aux intérêts de l’Europe, au point de mettre en danger sa survie, devrait nécessairement prendre en compte une potentielle réaction française ; une prise en compte teintée d’incertitude : nous sommes là au cœur même d’un phénomène de dissuasion effectif.

Il convient cependant de formuler une précision cruciale : ce qui a été décrit plus tôt n’est pas une dissuasion européenne, mais une dissuasion française à échelle européenne. On commence ainsi à voir apparaître l’idée d’une « sanctuarisation élargie » : la bombe ne défend pas l’Europe, mais bien les intérêts français en Europe[66]. Un tel projet est-il pourtant réalisable ? Nombreux sont les pays européens, particulièrement à l’est, qui préfèrent encore se reposer sur le parapluie américain, plutôt que sur un hypothétique parapluie français.

Conclusion

L’Europe de la défense, entendue comme la volonté de « protection de la souveraineté du territoire de l’Union et de ses habitants »[67], s’est matérialisée par un grand nombre de projets tous différents. Pendant la guerre froide, la notion est indissociable de la défense du continent face à un potentiel péril soviétique. Mais l’Europe n’est alors qu’un champ de bataille et non pas une entité politique consciente cherchant à se protéger de l’Alliance atlantique, qui monopolise alors sa protection. Ainsi, l’idée d’une Europe de la défense ne peut véritablement émerger qu’à partir des années 1990, même si l’UE peine à se substituer à l’OTAN malgré des efforts notables.

Le projet d’une Europe puissance est-il seulement possible ? Difficilement, car les obstacles sont nombreux[68]. Il a été dépeint, par exemple, un manque de vision stratégique commune (malgré une boussole, hélas trop large, éditée à plusieurs reprises) : les pays de l’ouest étant davantage préoccupés par le terrorisme, tandis que ceux plus à l’est manifestent leurs craintes vis-à-vis de la Russie. Ce manque de vision est aussi intimement lié à la nature même de l’Union Européenne : entité économique, commerciale et diplomatique, sa raison d’être se matérialise par la nécessité de trouver des partenaires (Chine, Russie, etc.), un comportement incompatible avec la nécessité de définir une menace. De même, la diplomatie européenne n’est pas unifiée et les désaccords entre États membres sont légion.

L’Europe puissance est difficile à atteindre, au moins autant que l’idée d’Europe fédérale à laquelle elle est intimement liée. Des voix s’élèvent pourtant pour essayer de redéfinir ce projet en une Europe « des puissances »[69] ne reposant pas sur l’UE, mais sur ses États membres renforcés par des partenariats (notamment industriels). Dans un processus de construction européenne, la défense semble se diriger vers de meilleurs jours à condition de se faire selon une logique de coopération, et non pas d’intégration.

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TODMAN Daniel, Britain’s War: a new world, 1942-1947, Londres, Penguin Books, 2020, 953 p.


[1] MACRON Emmanuel, « Discours pour une Europe souveraine, unie, démocratique », dans elysee.fr, Paris, Présidence de la République, 2017, [en ligne] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique (dernière consultation le 12/09/2022)

[2] MACRON Emmanuel, « Discours à l’occasion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe », dans Présidence française du conseil de l’Union européenne, Paris, Secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, 2022, [en ligne] https://presidence-francaise.consilium.europa.eu/fr/actualites/discours-du-president-de-la-republique-a-l-occasion-de-la-conference-sur-l-avenir-de-l-europe/ (dernière consultation le 12/09/2022)

[3] Communauté Européenne de Défense, une institution qui prévoyait la création d’une armée européenne, supranationale, placée sous le commandement en chef de l’OTAN. Le projet a finalement été abandonné après un refus de ratification par le Parlement français.

[4] L’Union de l’Europe Occidentale était une organisation de défense regroupant plusieurs pays d’Europe de l’Ouest fondée par les accords de Paris en 1954. Elle eut un rôle relativement limité puisque la plupart des pays membres privilégièrent l’OTAN pour leur défense collective.

[5] GAUTIER Jacques, PINTAT Xavier, REINER Daniel et VALLINI André, « Pour en finir avec l’Europe de la défense, vers une défense européenne », dans Rapport d’information de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, n°713, Paris, Sénat, 2013, 5 p., [en ligne] https://www.senat.fr/rap/r12-713/r12-713-syn.pdf (dernière consultation le 25/09/2022)

[6] Ibid., p. 1

[7] TODMAN Daniel, Britain’s War: a new world, 1942-1947, Londres, Penguin Books, 2020, 953 p.

[8] C’est ainsi que l’Union soviétique (et la Russie après elle) désigne l’affrontement avec l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.

[9] Le coup de Prague désigne la prise de pouvoir par le Parti communiste en Tchécoslovaquie alors que le président subit des pressions de l’Union soviétique après la démission de son précédent gouvernement. L’événement est un choc international en ceci que ledit « coup » a été réalisé sans aucune intervention militaire et au sein d’un État considéré comme le bastion de la démocratie en Europe centrale.

[10] Le blocus de Berlin est une crise du début de la guerre froide. Alors que la capitale, elle-même divisée en deux, est située au milieu de la zone d’occupation soviétique, Staline fait pression sur la partie occidentale de la ville afin d’en obtenir le contrôle.

[11] MINISTÈRE DES ARMÉES, « L’histoire de l’Europe de la défense », dans Defense.gouv, Paris, Ministère des Armées, 2022, [en ligne] https://www.defense.gouv.fr/lhistoire-leurope-defense-0 (dernière consultation le 30/09/2022)

[12] René Pleven (1901-1993) était président du Conseil des ministres (chef du gouvernement sous la IVe République) à la tête d’un gouvernement de coalition formé par les socialistes (SFIO), les radicaux et les chrétiens démocrates (MRP).

[13] FRANC Claude, « Histoire militaire – l’échec de la Communauté européenne de défense (1951-1954), ou l’impossible Europe de la défense », dans La Revue Défense Nationale, n°784, Paris, Comité d’étude de Défense Nationale, 2015, 136 p., pp. 121-123, [en ligne] https://doi.org/10.3917/rdna.784.0121 (dernière consultation le 29/09/2022)

[14] Citation de Jean Monnet. Ibid., p. 121

[15] L’expression Benelux désigne le regroupement des trois pays : Belgique, Pays-Bas (Netherland) et Luxembourg.

[16] Le terme « opératif » désigne un niveau d’organisation chargé des opérations entre le niveau stratégique et le niveau tactique.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] La France est, en effet, engagée dans sa première guerre de décolonisation en Indochine (1946 – 1954) qui se solda par la défaite de Dien Bien Phû et l’indépendance des trois pays que sont le Vietnam, le Cambodge et le Laos.

[20] La France avait déjà lancé le plan Gaillard qui prévoyait l’extraction de 50 kg de plutonium. Or, l’interdiction à l’Allemagne de produire son plutonium aurait limité de tels projets : en droit international, les deux parties sont nécessairement soumises aux mêmes clauses. Une solution juridique est finalement négociée : seuls les pays militairement limités par faits de guerre seront concernés, mais cette renégociation ne sauva pas le traité. DEVAUX Romain, « La dissuasion nucléaire française », travail réalisé pour Sciences Po Lille, Lille, Sciences Po Lille, 2021, 16 p., p. 5

[21] Ancêtre du Parti socialiste.

[22] COMBS Jerald et KARBER Phillip, « The United States, NATO, and the Soviet Threat to Western Europe: Military Estimates and Policy Options, 1945-1963 », dans Diplomatic History, vol. 22, n°3, Oxford, Oxford University Press, 1998, 668 p., pp. 399-429, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/24913704 (dernière consultation le 23/09/2022)

[23] Ibid., p. 399

[24] Ibid., p. 413

[25] Ibid., p. 406

[26] Ibid., p. 411

[27] Le field marshal Montgomery, de la British Army, proposa par exemple un plan de défense à partir du Rhin. Ibid., p. 418

[28] Ibid., p. 421

[29] Ibid.

[30] George F. Kennan (1904-2005) est un historien et diplomate américain. Durant la guerre froide, il s’est fait l’avocat de la doctrine américaine du containment, soit la volonté d’empêcher une expansion communiste dans le monde. Sa conception de la chose différait néanmoins des aspects strictement militaires et il était davantage partisan de l’utilisation de politiques économiques et de développement pour arriver à cette fin.

[31] COMBS Jerald, « The Compromise That Never Was: George Kennan, Paul Nitze, and the Issue of Conventional Deterrence in Europe, 1949–1952 », dans Diplomatic History, Oxford, Oxford University Press, 1991, 630 p., pp. 361-386, p. 363, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/24912120 (dernière consultation le 24/09/2022)

[32] Paul Nitze (1907-2004) est un ancien secrétaire à la Défense américaine. Il est l’un des principaux architectes de la défense étasunienne lors de la guerre froide.

[33] Ibid., p. 373

[34] Un plan de guerre prévoyant le largage de 130 bombes atomiques sur l’URSS à l’aide de bombardiers stratégiques. Les estimations parlent alors de 2,7 millions de victimes potentielles et d’une réduction de la capacité industrielle soviétique de 30 à 40 %. Il a été édité en 1949 par la Défense américaine, sur la base d’autres plans similaires, pour prendre en compte de nouvelles forces alliées.

[35] Ibid., p. 369

[36] La moitié prête au combat, le reste faisant office de divisions cadres.

[37] BIDWELL Shelford, « Les objectifs et la stratégie », dans BIDWELL Shelford et al., La puissance militaire soviétique, Paris, Bordas, 1984, 247 p., pp. 40-49

[38] La différence entre les armes nucléaires tactiques et stratégiques reposent sur leur utilisation. Les armes stratégiques ont vocation à être utilisées sur des villes et sont explicitement « antidémographiques », tandis que les armes tactiques sont conçues pour être utilisées sur des regroupements de troupes, au même titre que n’importe quel explosif. Cette différence d’utilisation se traduit en une différence de puissance : les armes stratégiques délivrent beaucoup plus de kilotonnes que les armes tactiques (même si l’évolution des armements a sans doute rendu les armes tactiques contemporaines plus puissantes que les armes stratégiques de l’époque).

[39] Ibid., p. 46

[40] Ibid., p. 43

[41] Ibid., p. 45

[42]JOXE Alain, « Défense Européenne ou champ de bataille européen ? », dans Hérodote : stratégies, géographies, idéologies, n°15, Paris, La Découverte, 1979, 240 p., pp. 123-152, [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56227446/f125.item.r=%22d%C3%A9fense%20europ%C3%A9enne%20%22 (dernière consultation le 13/09/2022)

[43] Alain Joxe (1931-) est président du Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Paix et les Études Stratégiques (CIRPES). Ses travaux portent majoritairement sur la sociologie de la défense : les connexions entre les affaires militaires et les acteurs sociaux, économiques, culturels et politiques.

[44] Ibid.

[45] Le piège de Thucydide, nommé ainsi en référence à un épisode de la guerre du Péloponnèse, est un concept en étude des relations internationales. Il désigne un cas de figure où une nation entre en guerre avec une autre, ayant interprété sa montée en puissance comme une menace pour sa propre survie.

[46] Une doctrine offensive se caractérise par des armements massifs et de longue portée (SNLE, bombardier stratégique, missiles de croisière), tandis qu’une doctrine défensive sera de plus courte portée avec des impacts limités car ne servant qu’à défendre le territoire. GALTUNG, Johan, « Les formes alternatives de défense : l’exemple européen », dans Études internationales, vol. 20, n°3, Québec, École supérieure d’études internationales de l’Université Laval, 1989, 970 p., pp. 625–645, [en ligne] https://doi.org/10.7202/702545ar (dernière consultation le 21/09/2022)

[47] Politologue norvégien spécialiste en irénologie (science de la paix). Ibid.

[48] Il est question ici de la possibilité matérielle et pas de l’intention ou de la plausibilité d’un tel scénario. À titre de contre-exemple, les États-Unis, géographiquement très isolés et entourés de nations pacifistes, ne peuvent matériellement pas se faire envahir.

[49] JOXE Alain, op. cit., pp. 130-131

[50] Cité à 8 minutes 35 secondes par Hervé Gardette dans RADIO FRANCE CULTURE, « Une défense européenne est-elle enfin possible ? », Bruxelles, Radiofrance, 2016, 41 minutes, [en ligne] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/du-grain-a-moudre/une-defense-europeenne-est-elle-enfin-possible-6162530 (dernière consultation le 03/10/2022)

[51] SCHEECK Laurent, « Les interprètes de l’ambivalence. La relation UE-Otan et les nouveaux acteurs de la PESD », dans Les Champs de Mars, n°16, Paris, La Documentation française, 2004, 240 p., pp. 29-55, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2004-2-page-29.htm (dernière consultation le 20/09/2022)

[52] HUNTER Robert E., The European Security and Defence Policy: Nato’s Companion or Competitor?, Santa Monica, RAND National Defense Research Institute, 2002, 179 p., [en ligne] https://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR1463.html (dernière consultation le 13/09/2022)

[53] Mission de Police de l’Union Européenne. Initiée en 2003, elle succède à une mission similaire de l’ONU afin de garantir la sécurité et d’aider à la construction d’un État de Droit en Bosnie-Herzégovine.

[54] L’opération Proxima est une opération de maintien de la paix de 2003 à 2005 en Macédoine. Il s’agit là aussi d’une opération de police et d’une aide au maintien de l’ordre.

[55] L’opération Artémis (2003) est considérée comme la première mission véritablement militaire menée par l’Union Européenne sous l’égide de l’ONU. Elle s’inscrit dans le cadre d’une intervention multinationale afin de protéger les populations d’une guerre civile entre groupes ethniques locaux.

[56] SCHEECK Laurent, op. cit.

[57] PASSERA Paul, « La défense européenne, vers plus d’indépendance et une stratégie ambitieuse commune ? », Paris, Institut d’études de géopolitique appliquée, 2022, 15 p., [en ligne] https://www.institut-ega.org/l/la-defense-europeenne-vers-plus-d-independance-et-une-strategie-ambitieuse-commune/ (dernière consultation le 17/09/2022)

[58] Jolyon Howorth (né en 1945) est un chercheur spécialiste des politiques de défense. Il a notamment écrit sur la sécurité européenne et sur les relations entre l’OTAN et l’Europe.

[59] SCHEECK Laurent, op. cit.

[60] Le « pivot asiatique » est une expression qui désigne la tendance des États-Unis à se chercher de nouveaux partenaires en Asie et à y contrer d’éventuelles menaces à leurs intérêts, notamment de la Chine.

[61] FORGET Michel, « La dissuasion nucléaire française : continuité et changement », dans Cahiers de la Revue Défense Nationale, n°83, Paris, Comité d’étude de Défense Nationale, 2021 (1re éd. 1994, dans le n°597), 103 p., pp. 75-82, [en ligne] https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=319&cidcahier=1246 (dernière consultation le 03/10/2022)

[62] DEVAUX Romain, op. cit., p. 14

[63] Intérêts vitaux qui n’ont d’ailleurs jamais été clairement définis. Pour une très bonne raison : une limitation claire de ces intérêts offriraient d’autres intérêts, explicitement non-couverts par le seuil nucléaire, sur un plateau d’argent à quiconque voudrait y nuire.

[64] Ibid.

[65] Ibid.

[66] Ibid.

[67] ALOMAR Bruno, « Réflexions sur la défense de l’Europe, la défense européenne et les États-Unis », dans La Revue Défense Nationale, n°799, Paris, Comité d’étude de Défense Nationale, 2017, 140 p., pp. 107-113, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-4-page-107.htm (dernière consultation le 23/09/2022)

[68] Ibid., p. 110

[69] MALIS Christian, « “L’Europe de la défense”, alibi du déclin », dans La Revue des Deux Mondes, Paris, Société éditrice de la Revue des Deux Mondes, 2015, 194 p., pp. 65-75, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/44437516 (dernière consultation le 25/09/2022)

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