Détail de la bataille de Lépante, Juan Luna

L’odyssée du San Pedro, une approche du combat naval au début du XVIIe siècle – Alexandre Jubelin

Détail de la bataille de Lépante, Juan Luna
Détail de la bataille de Lépante, Juan Luna (1857-1899), vers 1880, Wikimedia Commons

De la guerre est un mook[1] édité chez Perrin, maison d’édition habituée à la publication de nombreuses biographies de personnages historiques. Publication d’histoire militaire, ce support d’un nouveau genre, à mi-chemin entre livre et magazine, présente les avantages de pouvoir faire bénéficier aux auteurs de larges pages d’illustration, leur permettant d’appuyer leurs articles – pour le plus grand confort ainsi que le plaisir des lecteurs. Plus précisément, De la guerre se présente comme un complément au magazine bimestriel Guerres & Histoire, publié depuis mars 2011 aux éditions Science & Vie. Preuve s’il en est que cette formule a su conquérir le cœur des lecteurs, il s’agit ici de leur deuxième numéro.

En le parcourant, nous nous sommes penchés sur un article signé par Alexandre Jubelin et intitulé « L’odyssée du San Pedro, une approche du combat naval au début du XVIIe siècle »[2]. Ce dernier nous a interpellés par son caractère fictif, mais aussi très incarné en raison de la manière dont son auteur décrit le combat en mer que se livrent Hollandais et Espagnols au début du XVIIe siècle.  Il se focalise sur une analyse micro-historique de l’équipage espagnol et du navire sur lequel celui-ci navigue, depuis son port d’attache au Sud de l’Espagne, en empruntant la route transatlantique afin d’escorter les navires chargés de rallier les Indes Occidentales pour y faire le plein de « produits exotiques ».

Cependant, ce récit passe peut-être trop rapidement, nous semble-t-il, sur les éléments de contexte essentiels à la compréhension du cadre historique, tels que les événements qui ont conduit les Provinces-Unies[3] à devenir un État indépendant en se séparant des provinces du Sud, restées sous autorité espagnole. Dès lors, le lecteur comprend tout juste que Hollandais et Espagnols se sont opposés, puis ont conclu une trêve signée en 1609 pour douze ans, arrivée à sa fin en 1621. Cette dernière année est ainsi celle qui est choisie par l’auteur pour introduire son histoire.

Ce qui fait, par contre, la grande force de ce texte, c’est que le lecteur est rapidement immergé dans ce que pouvait réellement être un combat naval au début du XVIIe siècle. En effet et comme énoncé plus haut, chaque étape précédant l’affrontement, et même celles qui contribuent à le mettre en place, est remarquablement décrite. Le lecteur est saisi par la ferveur des Espagnols au cours de la messe qui les exhorte au combat contre les « hérétiques »[4], sans parler du rôle de leur capitaine, qui agit comme un « père de famille » à bord, voire cherche à se mettre à leur place[5]. Ce texte est également mis en valeur par la qualité des illustrations et de la documentation exceptionnelle réunie.

Ici, Alexandre Jubelin ne fait que reprendre des axes de recherche sur lesquels il s’est spécialisé depuis sa thèse de doctorat. De la sorte, cet historien est un spécialiste du travail sur le cadre mental, ainsi que sur le contexte technique et le déroulement d’un combat naval à l’époque moderne[6]. Par ailleurs, ce souci de réalisme s’entremêle avec le besoin de fiction, inclus dans le récit. Cela est, semble-t-il, notamment dû à l’état des sources pour construire un tel récit. Rares sont, en effet, les sources du XVIe et du début du XVIIe siècle, à être en bon état. Il lui a fallu croiser les archives et effectuer des recoupements d’informations contenues dans plusieurs documents de natures différentes (récits de capitaines de vaisseaux, sources normatives etc.)[7]. Ceci a été plus particulièrement nécessaire, comme le souligne l’auteur, « afin d’éliminer ou d’atténuer les angles morts que présente toute source narrative »[8]. Dès lors, les récits que font les capitaines de leurs odyssées ne sont jamais véritablement objectifs, mais présentent toujours une vérité « arrangée », qui passe peut-être sous silence les souffrances des membres de leur équipage.

Il faut ensuite se figurer que capitaines et hommes d’équipages ne sont pas toujours issus du même milieu social et que beaucoup de ces officiers n’ont « […] pas toujours gagné [leur] position du fait de [leur] expérience »[9]. Cela peut donc expliquer une certaine distance entre ces deux types d’acteurs qui, pour autant, n’hésitent pas à tisser des liens étroits lorsqu’il s’agit de se préparer à livrer bataille. Ce qui fait l’union de l’équipage est bien la religion et le capitaine n’hésite pas à revêtir les atours d’un véritable chapelain pour motiver ses troupes comme l’écrit justement Alexandre Jubelin[10]. « Véritables maîtres à bord »[11], leur éducation leur a sans doute permis d’avoir accès à une culture de l’écrit dont témoignent les sources écrites dont ils ont été eux-mêmes les écrivains[12].

Pour conclure cette recension, nous pouvons dire que l’auteur a réussi à nous tenir en haleine du début à la fin de son article en décrivant avec exhaustivité les conditions dans lesquelles se déroulait un combat en mer sur un navire de guerre espagnol, au début du XVIIe siècle. Alexandre Jubelin a réussi un pari : celui de mener de front un récit à la fois précis historiquement, tout en proposant une véritable expérience du vécu des combattants de cette période, jetés sur les eaux où, à tout instant, peut surgir la menace d’un navire ennemi.

Bibliographie :

JUBELIN Alexandre, « L’odyssée du San Pedro, une approche du combat naval au début du XVIIe siècle », dans LOPEZ Jean (dir.), De la guerre, vol. 2, Paris, Perrin, 2022, 214 p., pp. 7-17

JUBELIN Alexandre, « Mener au combat. Le capitaine et son équipage dans l’Atlantique de l’époque moderne (XVIe-XVIIe siècles) », dans CHAUNU David (dir.) et DUC Séverin (dir.), La domination européenne et américaine à l’époque moderne, Bruxelles, Peter Lang, 2019, 294 p., pp. 227-237

JUBELIN Alexandre, « “Par le fer et par le feu”. Pratiques de l’abordage et du combat rapproché dans l’Atlantique du début de l’époque moderne (début XVIe siècle – 1653) », position de thèse pour le doctorat en histoire, sous la direction de CHALINE Olivier, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2019, 7 p.

ROYER Philippe, « Les Provinces unies au XVIe et XVIIe siècle : l’opulence pour stratégie », dans Conflits. Revue de Géopolitique, Paris, Société d’Édition et de Presse Antéios, 2020, [en ligne], https://www.revueconflits.com/provinces-unies-pays-bas-grande-strategie-thalassocratie/ (dernière consultation le 04/10/2022).

[1] Publication hybride entre le livre, le magazine et la revue.

[2] JUBELIN Alexandre, « L’odyssée du San Pedro. Une approche du combat naval au début du XVIIe siècle » , dans LOPEZ Jean (dir.), De la guerre, vol. 2, Paris, Perrin, 2022, 214 p., pp. 7-17

[3] Faisant autrefois partie des Pays-Bas, rattachés à la monarchie hispanique sous le règne de Charles Quint, ces États (correspondant approximativement aux territoires actuels de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg) sont déchirés par des querelles religieuses au milieu du XVIe siècle qui précipitent l’indépendance des provinces du Nord, ralliées au protestantisme. Le 23 janvier 1579, la signature de l’union d’Utrecht consacre leur sécession par rapport à la Couronne hispanique. Cette union est alors une réponse à celle d’Arras, formée par les provinces du Sud décidées à rester catholiques et fidèles à la monarchie de Philippe II, roi d’Espagne. Cependant, leur indépendance véritable n’est acquise de manière unilatérale qu’à partir du moment où ces États votent la déchéance de Philippe II et décident de se rassembler en « République des Provinces-Unies » en 1588. Voir ROYER Philippe, « Les Provinces unies au XVIe et XVIIe siècle : l’opulence pour stratégie », dans Conflits. Revue de Géopolitique, Paris, Société d’Édition et de Presse Antéios, 2020, [en ligne] https://www.revueconflits.com/provinces-unies-pays-bas-grande-strategie-thalassocratie/ (dernière consultation le 04/10/2022)

[4] Travaillant sur des sources espagnoles, Alexandre Jubelin a pu retranscrire le terme d’ « infieles » qu’il faut comprendre au sens religieux car Hollandais et Espagnols s’opposent, dès le départ, pour des questions religieuses. Ce terme peut donc se traduire par « hérétiques » ou encore « infidèles ». Voir JUBELIN Alexandre, « L’odyssée du San Pedro. Une approche du combat naval au début du XVIIe siècle », art. cit., p. 11

[5] Ibid., pp. 11-12

[6] Alexandre Jubelin est l’auteur d’une thèse qu’il a soutenu en 2019 intitulée « Par le fer et par le feu ». Pratiques de l’abordage et du combat rapproché dans l’Atlantique du début de l’époque moderne (début XVIe siècle – 1653). Il a, en outre, publié d’autres articles consacrés au combat naval en se focalisant notamment sur l’artillerie embarquée à bord avec «  Incorporation et hybridation dans les combats navals de l’Atlantique du début de l’époque moderne », dans Revue d’histoire maritime, n°27, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2020, pp. 73-85

[7] JUBELIN Alexandre, « L’odyssée du San Pedro. Une approche du combat naval au début du XVIIe siècle », art. cit., p. 17

[8] Ibid.

[9] JUBELIN Alexandre, « Mener au combat. Le capitaine et son équipage dans l’Atlantique de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles) », dans CHAUNU David (dir.) et DUC Séverin (dir.), La domination comme expérience européenne et américaine à l’époque moderne, Bruxelles, Peter Lang, 2019, 294 p., p. 228

[10] JUBELIN Alexandre, « L’odyssée du San Pedro. Une approche du combat naval au début du XVIIe siècle », art. cit.

[11] JUBELIN Alexandre « Mener au combat. Le capitaine et son équipage dans l’Atlantique de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles) », art. cit., p. 227

[12] JUBELIN Alexandre, « L’odyssée du San Pedro. Une approche du combat naval au début du XVIIe siècle », art. cit., p. 17

Une réflexion sur “L’odyssée du San Pedro, une approche du combat naval au début du XVIIe siècle – Alexandre Jubelin

  1. Bonjour. Afin de compléter votre recension, il existe plusieurs ouvrages récents en français sur l’histoire des Provinces-Unies et notamment un dictionnaire paru au CNRS sous la direction de Catherine Secretan et Wilhelm Frijhoff. S’agissant de l’histoire militaire des Pays-Bas, les ouvrages sont essentiellement en néerlandais et anglais. Il existe quelques travaux en français sur les officiers de marine cependant pour la période évoquée.

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