Jusqu’à présent, nous avons surtout abordé l’histoire militaire. Ce serait presque oublier que la géographie peut aussi être un sujet d’ordre militaire. Il s’agit d’une branche, plus pratique que théorique, de la discipline mère géographie qui puise dans de nombreux autres cursus afin d’apporter un éclairage neuf et précis sur des problématiques diverses. Jusqu’à la décennie 2010, cette matière était peu mise en avant.
Pour contribuer à la revalorisation de cette discipline, Paul-David Regnier, agrégé de géographie et ancien directeur d’un service de géographie des conflits au ministère des Armées, a rédigé le Dictionnaire de géographie militaire, publié en 2008. Cet outil d’une centaine d’entrées souligne aussi l’état actuel de cette géographie si particulière. Ainsi, d’après son auteur, les deux mondes propres à la géographie militaire, académique d’une part – donc plus orienté vers le théorique – et militaire d’autre part – plus pratique – auraient tout à gagner d’une meilleure synergie, empruntant l’un à l’autre pour mettre au point un corpus des plus utiles.
Car la France, bien que passée maîtresse en géographie militaire entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, reste en retard par rapport aux Anglo-Saxons et tout particulièrement aux éponyme Etats-Unis d’Amérique où cette discipline est institutionnalisée au sein de la National Geospatial-Intelligence Agency, productrice de près de 80 % du volume de cartes au monde. La géographie militaire est, en effet, un atout stratégique mais aussi tactique à ne pas sous-estimer. Utilisée à des fins de renseignement, d’instruction, de planification, d’opération ou simplement à titre informatif, elle apporte des clefs de compréhension non-négligeables.
La révolution technologique des dernières décennies a permis le développement des Systèmes d’Information Géographique (SIG), logiciels compilant de nombreuses informations sous forme de calques afin de synthétiser au mieux une situation, au profit de la compréhension générale. Lire une carte, objet statique, peut en effet être déroutant, surtout si elle n’est plus d’actualité ou incomplète. Un logiciel, outre sa prise en main rapide et parfois même instinctive, peut être mis à jour rapidement, en temps réel par moment, pour coïncider avec – pour reprendre les termes employés par l’auteur – le tempo de l’opération.
La géographie militaire est un sujet vaste. Elle permet de mieux saisir un environnement. Celui-ci est en effet mouvant et présente une certaine réversibilité : ce qui est utile aux uns peut être néfastes à d’autres et inversement. Ainsi, une colline peut gêner le mouvement de la force assaillante en raison de son dénivelé et en même temps avantager le défenseur en lui offrant un couvert efficace. Utiliser cette discipline, c’est mieux saisir certains éléments et ainsi aboutir, par exemple, à une meilleure planification opérative. En fixant des axes de pénétration tenant compte des obstacles, des couverts, de l’effet final recherché, des moyens à disposition et de leurs doctrines, il est possible d’obtenir un avantage conséquent avant même le début de l’opération.
Les données sont multiples et modifiables par les acteurs mêmes : tous n’en ont pas la même conception. Ainsi, les différents systèmes d’armes (infanterie, blindés, aviation…) ont leur propre temporalité et ancrage géospatial. Blindés et infanterie ne verront pas la topographie de la même manière. Ce qui est franchissable aisément pour les uns pourrait réduire ou même stopper la mobilité des autres. La géographie humaine, l’urbanisation et les grands axes routiers aussi sont autant de facteurs essentiels qui peuvent structurer toute planification.
La géographie militaire n’est pas seulement un outil à portée opérationnelle, elle peut aussi être employée à titre préventif. C’est ici tout son avantage dans la planification d’urgence et le renseignement. L’auteur prend de nombreux exemples dont le plus saisissant est celui des ambassades : aussi bien leur forme, leur constitution et leur localisation sont des éléments intéressants permettant de définir les priorités sécuritaires de tels lieux mais aussi de cerner les préoccupations du pays qu’elles représentent ou de celui d’accréditation. Ainsi, une ambassade cernée de hauts murs, traduirait un sentiment d’insécurité relatif au quartier d’emplacement ou à la situation régionale ou internationale.
De même, son emplacement est révélateur de la vision du pays d’accréditation, aussi bien diplomatique (les relations avec le pays que représente l’ambassade) que sécuritaire. L’étude de l’emplacement de certains éléments de ces sites permet aussi de cerner les stratégies mises en place dans certains cas d’urgence comme une zone d’atterrissage pour hélicoptères, pour une éventuelle évacuation du personnel et/ou des ressortissants. En effet, chaque élément a une raison d’être et s’inscrit dans une certaine (ou plusieurs) optique(s) précise(s).
En pratique, la géographie militaire s’incarne notamment dans le renseignement géospatial. En France, les armées développent actuellement les outils qui lui sont nécessaires et/ou affiliés, dans un effort de renforcer leurs capacités dans ce domaine. Un tel ouvrage est donc des plus utiles : que vous soyez néophyte ou confirmé dans cette discipline, l’organisation en entrées alphabétiques complétées de renvois est des plus pratiques pour découvrir ou redécouvrir certaines notions. Comme le rappelait d’ailleurs le géographe Yves Lacoste dans son essai : « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre. »
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