Maître du Haut Château

L’Histoire, à la croisée des chemins – Le Maître du Haut Château – Philip Dick – 1962

Étape naturelle dans les cursus d’Histoire dans l’enseignement supérieur, c’est logiquement que les conséquences de l’année 1947 sur la Seconde Guerre mondiale sont exposées aux élèves. Ainsi, tel que défini par le programme officiel, c’est bien le bombardement de Washington et la capitulation étasunienne qui permirent la paix et le partage du monde entre le Reich et l’empire du Japon, les deux superpuissances alliées. Ainsi, le continent européen et la côte est du continent américain vivent en paix sous le règne du « Grand Reich allemand » et de son Führer bien aimé…

Si l’œuvre ne vous est pas familière, une légère confusion historique est à prévoir. S’engageant dans une réécriture uchronique, Dick, que l’on ne présente plus, imagine le monde des années 1960 dans lequel les empires germanique et nippon contrôlent le monde. Les deux puissances se sont partagées les territoires et les populations. Suivis par quelques états supplétifs, majoritairement fantoches, les empires occidentaux sont tombés et ont été intégrés dans la grande Allemagne.

Désormais aux commandes et sans ennemis, les autorités nazies ont logiquement poursuivi leurs objectifs : « purification » de la race humaine, étendant les programmes d’extermination sur toute la surface de leur empire ; drainage de la Méditerranée pour irriguer l’Afrique ou encore colonisation spatiale, toujours dans cet objectif d’étendre leur espace vital. En face d’eux, leur seul rival et allié, l’empire du Japon qui contrôle la zone pacifique et les côtés ouest du continent américain. Ces alliés ne cesseront d’entretenir la paix tout en se regardant en chiens de faïence. Il semble évident que le rapport de force est largement déséquilibré tant les nazis ont l’avantage mais l’équilibre en place est assuré par le vœu du Führer de ne pas provoquer la guerre entre les deux empires.            

Carte du monde partagé entre le Japon et l’Allemagne, Gouvernath, Wikimedia Commons

Malgré une révision de l’Histoire, Dick a tout de même souhaité conserver cette idée de deux superpuissances concentrant l’autorité politique et militaire, à la manière de la guerre froide que l’on connait bien : deux blocs, refusant l’affrontement direct mais bien décidés à prévoir quelques missiles nucléaires dans la bonne direction au cas où… Et comme dans la « réalité », ce sont les citoyens des territoires occupés qui payent les pots cassés. Certains faits sont immuables. Et c’est sur une poignée de citoyens vivant à San Francisco sous administration nippone que se concentre la narration.

On y suit Childan, qui comme de nombreux sujets des « États-Pacifiques d’Amérique », est devenu antiquaire à destination d’une clientèle occupante japonaise très friande de savoir-faire occidentaux. Comme de nombreux citoyens occupés, il développe une relation ambiguë avec son occupant. À la fois fataliste et résigné, il méprise autant qu’il admire les colons japonais qui administrent toute la côte ouest de ce qui fut autrefois les États-Unis d’Amérique. Parallèlement à son parcours, on suit aussi la destinée de Frink, artisan qui doit cacher ses origines juives. On apprend d’ailleurs que les Japonais ont adopté la même attitude et les mêmes lois anti-juives que leurs homologues nazis. Moins par adhésion que par pragmatisme diplomatique.

Finalement, tous ces individus, occupés, occupants, alliés ou ennemis, vont poursuivre une quête commune : la recherche d’informations à propos d’un livre qui circule à travers le marché noir. Ce livre présenterait en effet un monde dans lequel les forces nazies et japonaises ont été défaites… Perçu légitimement comme une menace culturelle et sociale, ses copies et son auteur sont activement recherchés par les autorités. Auteur qui utilise le pseudonyme de « Maître du Haut Château »…

Le roman est relativement court et transporte le lecteur directement dans la vie d’un citoyen de la côte ouest sous occupation. Les différents événements qui ont façonné ce monde sont racontés en parallèle de l’action qui se passe en 1960 quand les différents personnages se remémorent les différentes étapes historiques. Il a ce côté frustrant dans la mesure où le lecteur n’obtient pas plus de détail sur les tenants et les aboutissants de cette seconde moitié de siècle bien différente de ce que l’on sait de notre histoire. Il y a vraiment dans ce roman un effet loupe sur quelques semaines dans la vie de quelques personnages. Les grands enjeux sont mis de côté et les rapports de force mondiaux ne sont que très rapidement évoqués.

Il appartient bien sûr à chacun d’apprécier ou non les choix opérés par Dick. Les qualités littéraires et historiques sont, quant à elles, indéniables. Dick propose ici une version imagée et crédible d’un monde sous influence nazie dans lequel la recherche de perfections humaine et génétique est mise en avant. Et tandis que tout un chacun cherche à survivre sous des régimes totalitaires, un grain de sable apparaît et semble gripper la propagande des deux empires.

Finalement, ce que l’on pourra retenir de cette révision historique dans ce roman dystopique, c’est bien que l’information est une arme redoutable. La connaissance d’un monde potentiel où la vie serait probablement plus sereine couplé à l’espoir d’un changement pour le meilleur rend tout possible. Il est même dit que cela peut faire chuter un empire…

Photo du livre original, GALSTER Robert, 1962, Wikimedia Commons

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Bibliographie :

DICK Philippe Kindred, Le maître du Haut Château, Paris, J’ai Lu, 2013 (1re éd. en langue originale 1962), 379 p., traduit par CHARRIER Michèle

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