Parmi tous les mystères populaires dont la France a le secret, la Bête du Gévaudan occupe une place à part. Plus de 250 ans après les faits, cette énigmatique créature qui terrifia plusieurs années durant une province reculée et montagneuse du royaume de Louis XV, laissant derrière elle une centaine de morts, n’a pas fini de susciter essais historiques, enquêtes et divers travaux, ni d’inspirer romans, films et autres chansons. Le mythe, qui naquit à l’été 1764, n’a jamais pris fin, et s’est largement cristallisé autour d’une question qui continue de déchaîner les passions : qu’était « la Bête » ?
Tout et son contraire a été écrit, dit ou montré sur ce sujet précis, et il ne s’agit pas ici d’essayer, à notre tour, de trancher la question, bien qu’il nous soit impossible de faire l’impasse sur celle-ci. Notre démarche consistera à aborder les faits au prisme de l’histoire militaire.

Plusieurs aspects du phénomène concourent à justifier une telle approche. En effet, la chasse à la Bête fut rapidement confiée, entre autres, à des militaires, qui mirent leurs armes au service de cette traque. De fait, sous l’Ancien Régime, chasse et guerre entretiennent des liens étroits. Dans les textes normatifs de l’époque, l’un sert à définir l’autre : « On appelle chasses toutes les sortes de guerre que l’on fait aux animaux, tant dans l’air que sur la terre et dans l’eau »[1], écrit Goury de Champgrand dans un Almanach des chasseurs publié en 1773, quelques années après que le Gévaudan a été débarrassé de sa Bête.
Une décennie plus tôt, le chevalier de Folard recommandait l’exercice de la chasse comme école du « coup d’œil militaire »[2] car, « outre qu’il nous met au fait du pays et de ses différentes sortes de situations, qui sont infinies et jamais les mêmes, on apprend encore, dans ce bel exercice, mille ruses et mille choses qui ont rapport à la guerre : mais la principale est la connoissance des lieux, qui nous forme le coup d’œil, sans que nous y prenions garde ». Dans la foulée, le comte de Guibert, officier reconnu pour ses qualités, inspirateur de réformes des armées françaises au lendemain de la guerre de Sept Ans (1756-1763), conseille aux fusiliers, dans son Essai général de tactique, d’apprendre des chasseurs la vitesse de rechargement des armes[3]. Rappelons que guerre et chasse sont toutes deux, classiquement – mais de moins en moins dans les faits -, des attributs de la noblesse.
La chasse peut servir à la guerre, car la chasse est une guerre, écrivent en substance certains penseurs dans les années qui entourent l’apparition de la Bête du Gévaudan – province correspondant peu ou prou à l’actuel département de la Lozère, augmenté de quelques franges de l’Auvergne -, dans la seconde moitié du siècle des Lumières. Plus récemment, certains historiens ont envisagé non seulement une histoire de la chasse, mais aussi des études sur la guerre comme chasse, la guerre menée comme une chasse[4]. Il en ressort notamment que les opérations menées dans les années 1680 et 1690 par les troupes de Louis XIV contre les Barbets des vallées vaudoises ont assez largement obéi à un modèle cynégétique de la guerre, conduite en partie comme une chasse aux fauves, contre un ennemi assimilé à un gibier, dans un environnement montagneux[5]. À ce titre, il n’est que peu étonnant que, quelques décennies plus tard, militaires et chasseurs œuvrent tantôt collaborant, tantôt rivalisant, à la traque de la Bête. Plutôt qu’unilatérale, la relation entre ces deux activités à la teneur physique, menées les armes à la main, pourrait avoir été, pour partie, réciproque.
Notre approche militaire du sujet s’inscrit donc dans cette optique, plutôt que dans celle de certains auteurs qui virent dans les crimes prêtés à la Bête une association entre l’animal et un ou plusieurs hommes portant éventuellement l’habit militaire, comme un noble gévaudanais déchu décidé à se venger, voire le déguisement de combattants traumatisés de la guerre de Sept Ans. Toutefois, nous ne nous limiterons pas ici à saisir les transmissions de savoirs et de savoir-faire entre guerre et chasse : le phénomène « Bête du Gévaudan », qui ne s’achève qu’en 1767 avec la fin des tueries dans la région, sera tout entier étudié à l’aune de l’histoire militaire.
De fait, on l’a dit, les premières tueries attribuées à cette créature remontent à 1764, donc juste après la fin de la guerre de Sept Ans (1756-1763), conflit entre puissances européennes s’étant étendu à l’échelle mondiale et notamment en Amérique du Nord. La France de la dynastie des Bourbons, alliée non seulement à l’Empire russe, mais aussi à celui, autrichien, des Habsbourg, en sort vaincue par une coalition réunissant entre autres le royaume de Grande-Bretagne et celui de Prusse. Dans ce contexte de défaites françaises, Louis XV nomme en 1758, comme son principal ministre, Étienne-François de Choiseul, ancien officier et accessoirement cousin de Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, évêque de Mende et comte du Gévaudan.
En 1764, la France est affaiblie et la presse écrite, qui connaît depuis le début du siècle une démultiplication de ses titres en circulation[6], doit trouver un second souffle auprès du public lettré, qui tend à la délaisser depuis la fin de la guerre[7]. Alors, lorsque se font jour, dans une région reculée et montagneuse du royaume de France, des meurtres attribués à une créature mal identifiée, l’occasion est toute trouvée de les couvrir à grand bruit. Depuis l’invention de l’imprimerie, la presse occasionnelle ou périodique se saisit régulièrement de sujets intrigants voire surnaturels, qu’ils reposent ou non sur des faits réels : ainsi naît, dans la première modernité, le fait divers[8]. La Bête du Gévaudan est la manifestation parfaite de la persistance, à travers les siècles, de ce filon journalistique, bien que parvenant rapidement à dépasser ce statut.
En effet, en plein siècle des Lumières, l’irruption d’une telle bête anthropophage constitue un événement « à contre-courant de la modernité »[9], représentant un « choc culturel ». C’est ainsi que, alors même que d’autres régions connaissent, avant, pendant et après ce siècle, leurs propres « bêtes », celle du Gévaudan s’impose comme la plus médiatisée de toutes, dépassant largement les frontières de sa province d’origine et même du royaume de France. Les armées du roi, vaincues par les puissances ennemies, jouent à nouveau, dans une certaine mesure, leur réputation dans la chasse qui doit être faite à la Bête. À elles, désormais, de redorer leur blason.
Été 1764 : une « bette féroce » ravage le Gévaudan

« L’an 1764 et le 1er juillet a été anterrée Jeane Boulet sans sacremens, ayant été tuée par la bette féroce présans Joseph Vigi(er) et Jean Rebour »[10]. Ainsi se lit, sur le registre mortuaire de Saint-Etienne-de-Lugdarès tenu par son curé, un dénommé Soucher, le premier d’une longue série de décès. La veille, la bergère, qui allait sur ses quatorze ans[11], a perdu la vie à la suite de l’attaque, non pas d’« une » créature quelconque, mais de « la bette féroce », une détermination laissant entendre que celle-ci est déjà connue.
De fait, cet agresseur animal a de quoi surprendre. Alors que les paysans du Gévaudan, comme de toutes les provinces de France, ont parfois affaire à des loups qui s’en prennent à leurs troupeaux, bien en peine de se défendre face à pareil prédateur, cette créature s’est attaquée directement à une humaine[12]. Elle ne semble pas décidée à s’arrêter là.
Dans les temps qui suivent, d’autres morts d’enfants, « dévorés », sont relevées, en particulier parmi ceux qui gardent ovins ou bovins : encore une jeune fille, le 6 août, au hameau du Cellier, et une nouvelle le surlendemain. Suit un garçon à la fin du mois, puis une femme âgée de 35 ans[13]. On lui prête également une habitude morbide, celle de séparer de ses dents la tête du corps de ses victimes, un acte assimilé à une décapitation comme la justice de l’époque en ordonne parfois. Les registres paroissiaux[14] font état de nombreuses morts, proches dans l’espace et le temps, si bien qu’en septembre, le subdélégué du diocèse Étienne Lafont écrit qu’« une bête féroce qui rôde dans nos montagnes du Vivarais, voisines de celles du Gévaudan, a fait éprouver aux habitants de ce canton l’effet de sa voracité »[15] et ce, « depuis plus de six mois ».
Les faits ont donc gagné en ampleur au point que, à la fin de l’été, ce représentant de l’autorité royale attribue à une « bête » unique un certain nombre de morts, dont celle de Jeanne Boulet, survenue à peine trois mois plus tôt, semble ne pas avoir été la première. D’où viennent cette certitude et cette dénomination ? Sans doute de témoins. La « bête » ne s’attaque pas toujours à des personnes isolées, elle ne parvient pas systématiquement à tuer sa proie et est parfois aperçue par d’autres que cette dernière, aussi les témoignages ne manquent-ils pas. Visiblement, ils sont suffisamment concordants pour qu’on y voie l’œuvre d’un seul animal.
Il va de soi que tout éleveur sait alors reconnaître un loup lorsqu’il en voit un, a fortiori dans une région montagneuse et forestière[16] comme le Gévaudan. Or, c’est d’une « bête » qu’il est question, sans plus de précision. L’hypothèse d’un « loup carnassier », terme alors employé pour désigner les rares spécimens au comportement anthropophage chez ces canidés, n’est pas employée avant l’été 1765, un an après le début des attaques : elle apparaît sur l’acte de sépulture d’un enfant, dont la mort est attribuée à « ladite bête ou loup carnassier »[17]. Par ailleurs, personne parmi les survivants des attaques qu’on lui attribue ne semble avoir développé de symptômes de la rage, ce qui écarte donc l’hypothèse d’un animal enragé[18]. Qu’est-ce donc que cette bête ?
En effet, entretemps, de nouveaux ravages se sont fait jour, cette fois plus à l’ouest. Le 5 octobre 1764, « la bête féroce » est aperçue par des chasseurs à la lisière d’un bois à Marvejols, guettant à nouveau un jeune berger dont le troupeau à cornes la fait fuir[19]. Le prédateur au comportement atypique a déplacé son terrain de chasse, ce qui se confirme dans les jours suivants, une victime étant signalée à Apcher deux jours plus tard[20]. Les agressions se poursuivent sur un périmètre qui va en s’élargissant, suffisamment pour que le Courrier d’Avignon, gazette bon marché publiée à plus de 100 kilomètres de là, en ait vent. Ainsi paraît, le 16 novembre 1764, le premier article d’une centaine, pour ce seul journal, consacrés aux événements en cours dans le Gévaudan[21]. C’est le début, écrit l’historien moderniste Jay M. Smith, de la « fabrication de la Bête »[22], de la construction par les médias de ce mystère, dont les fondements bien réels, attestés par la concordance de nombreuses autres sources, semblent progressivement dépassés.
En effet, nombreux sont les titres de presse à s’intéresser au sujet, bien au-delà du Gévaudan : dès la fin du mois, la Gazette de France, très proche du pouvoir, s’en saisit, ainsi que d’autres journaux d’envergure nationale et des publications de langue française à l’étranger, grâce à un réseau actif de correspondants à travers l’Europe[23]. L’année suivante, le Boston Evening Post et la Gazette du Québec en assurent la couverture depuis l’autre côté de l’Atlantique.
Un tel fait divers a d’autant plus de quoi intéresser, notamment depuis l’étranger, qu’il semble confirmer, à mesure qu’il dure, l’impression que la France, sévèrement défaite lors de la guerre de Sept Ans, est incapable de venir à bout d’un ennemi. Qui plus est, l’environnement forestier et accidenté du Gévaudan, qui se prête à la chasse et à la petite guerre, au sens des affrontements loin des codes traditionnels de la bataille rangée, rappelle le récent conflit, mené en grande partie par des troupes légères disposées en tirailleurs dans les espaces boisés du continent américain [24]. Néanmoins, cette fois, c’est sur son propre sol que la France est désormais malmenée, par un ennemi frappant rapidement, mais sans la rationalité des êtres humains : du pain bénit pour la presse des pays hostiles.
Les conjectures y disputent au plagiat, si bien que tout et n’importe quoi est écrit sur la nature de la Bête. Puisque le comportement de celle-ci semble différent de celui du loup, nombreuses sont les dénominations qui, entre rationalité et fantaisie, y renvoient : « ours »[25], « singe », « diable », « léopard »[26], « panthère » ou, plus souvent, « hyène ». En ce siècle où certains aristocrates aiment exposer des animaux exotiques dans leurs ménageries, l’imagination, conjuguée au peu de connaissances chez les profanes, fait la part belle à ce genre d’hypothèses.
Le 31 décembre 1764, l’évêque de Mende, Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, par ailleurs comte du Gévaudan, semble s’y rallier dans le mandement qu’il incite l’ensemble des prêtres du diocèse à lire à leurs ouailles : la « bête féroce »[27], envoyée par Dieu, serait « inconnue sous nos climats ». La dénomination de « Bête », et plus précisément de « la Bête », qui s’impose comme la plus courante puisqu’elle ne statue pas en elle-même sur la nature de la créature, renvoie d’ailleurs à un registre démoniaque, celui de la Bête de l’Apocalypse de Jean, dernier livre du Nouveau Testament.

Une autre idée fait florès : la Bête serait un « monstre »[28], autrement dit, selon la signification de ce terme à l’époque, une chimère, le résultat d’un croisement contraire à la nature. Chez d’autres, le substantif de « métis », c’est-à-dire d’hybride, y est préféré. À mi-chemin entre l’affabulation mythologique ou eschatologique et l’hypothèse scientifiquement vraisemblable, cette interprétation laisse un large champ interprétatif : progéniture d’un loup et d’une chienne, d’un chien et d’une louve, d’une louve et d’un ours, d’un ours et d’un sanglier, voire d’un lion et d’une bête inconnue ? En quatre ans de manifestations de la Bête, bien des dessinateurs s’y donnent à cœur joie, montrant une infinité de « figures » de la Bête, s’appuyant pour certains d’entre eux – mais pas tous – sur des témoignages oraux ou écrits.
Enfin, le caractère apparemment insaisissable de la Bête réveille des croyances populaires, relevées et déplorées notamment par les gens d’Église : il s’agirait d’un « sorcier »[29], voire d’un loup-garou. Cette dernière rumeur est lancée par des femmes allées à la messe un dimanche de février 1765, où elles disent avoir remarqué l’impressionnante pilosité d’un homme qui aurait brusquement déguerpi, alors que la présence de la Bête aurait été signalée le matin même[30]…
Au-delà de sa créativité, ce bestiaire met en évidence la difficulté de toute réaction de la part des autorités et de ceux qui doivent chasser la Bête : comment traquer, trouver et abattre une créature dont on ignore jusqu’à la nature ?
Guerre à la Bête ! Militariser la lutte
« Guerre » à la Bête : dès 1764, année de l’apparition de la Bête, cette expression figure dans des sources[31]. Au-delà de la proximité entre la guerre et la chasse que nous avons relevée plus haut, son usage témoigne de ce qu’implique, en termes de moyens et d’acteurs, la lutte contre cette créature. Alors que l’emploi de la force armée paraît une réaction logique à l’irruption d’une créature dangereuse, la large mosaïque des acteurs sollicités complique l’entreprise.

Des dragons contre la Bête
Face à la multiplicité, au périmètre et à la dangerosité des attaques, il apparaît rapidement que les paysans ne sont pas en mesure de lutter seuls contre la Bête. Cette dernière semble procéder à des attaques impossibles à prévoir ou à prévenir, sur un espace assez large, en choisissant bien ses cibles parmi les personnes les plus faibles physiquement. Dès la mi-septembre, Jean-Baptiste Marin du Moncan, maréchal des armées du roi et suppléant du gouverneur de Languedoc, chargé du commandement des troupes stationnant dans la province en l’absence de ce dernier, a vent des faits et décide de l’envoi de certaines d’entre elles.
C’est ainsi que sont dépêchés à Langogne 57 militaires. Il s’agit de dragons sélectionnés dans le premier régiment des volontaires de Clermont-Prince, « unité légère, facilement mobile et multi-opérationnelle »[32]. Le détachement ainsi constitué est composé des meilleurs éléments des quatre compagnies, à la fois bons tireurs, aguerris et décidés. C’est donc une unité « spéciale »[33] en principe toute indiquée pour une telle mission. Leur commandement est assuré par un dénommé Jean-Baptiste Boulanger, sieur Duhamel, aide-major de 32 ans, convaincu de leur bonne volonté. En novembre 1764, le roi fait part de son soutien officiel à ce dernier[34].
Les dragons sont des troupes légères relevant de l’infanterie montée, se déplaçant à cheval et combattant à pied – en l’occurrence, 17 d’entre eux viennent à cheval. C’est en grande partie à de telles forces, « spécialistes de la petite guerre »[35], que fut confiée au printemps 1686 la guerre contre les Barbets des vallées vaudoises, évoquées plus haut. Les opérations que menaient alors ces militaires étaient largement influencées par « l’horizon de la chasse ». Dans les années 1760, à l’inverse, il semble qu’une telle expérience d’emploi des techniques cynégétiques contre un ennemi humain ait vocation à être réinvestie dans la chasse à l’animal. Bien entendu, ceux qui combattirent à la fin du XVIIe siècle ne portent plus les armes en 1760, mais l’emploi à huit décennies d’intervalle du même type de troupes, parmi lesquelles un transfert d’expérience a pu être effectué, pour de telles opérations en milieu montagnard, semble témoigner d’une même logique chez les autorités militaires.
L’arrivée des dragons parmi les paysans du Gévaudan ne va pas sans heurts. Les militaires logent encore chez l’habitant et, bien que leurs exactions ne soient pas du même ordre qu’au siècle précédent[36], leur présence suscite tout de même une certaine gêne chez les locaux.
Chasseurs, militaires et locaux : des difficultés qui empêchent une coordination
Les chasseurs dépêchés par Lafont dans le Vivarais voisin puis, à compter de la fin octobre, dans le Gévaudan, sont placés sous les ordres d’un membre local de la noblesse d’épée, Jean-François Charles de la Molette, comte de Morangiès, ancien des guerres de Succession d’Autriche et de Sept Ans, devenu maréchal de camp à la fin de cette dernière, mais frappé par la disgrâce à la suite de la reddition de la ville de Minden en 1759 et de la défaite en rase campagne de Rossbach contre Frédéric II deux ans plus tôt[37]. À l’heure où sa région est ravagée par une bête féroce, Morangiès ne peut rêver meilleure occasion de réhabilitation. Cependant, tout ne va pas si simplement.
En effet, l’armement des chasseurs est une affaire complexe : outre quelques résistances nobiliaires, le monopole seigneurial de la chasse étant ancré dans la société[38], la quantité d’armes à feu disponibles sur place est limitée pour les mêmes raisons et ceux qui en possèdent une illégalement ne s’en vantent, par conséquent, que peu[39]. De plus, « le souvenir des camisards », protestants révoltés contre Louis XIV au début du siècle dans les Cévennes, à proximité du Gévaudan, et dont le soulèvement donna lieu à une véritable guerre, reste trop proche pour consentir à laisser les habitants porter les armes.
La traque de la Bête, qui mobilise déjà beaucoup d’acteurs, rencontre donc, d’emblée, des difficultés logistiques qui ne sont pas sans rapport avec les modalités de la conduite ordinaire de la guerre. Ainsi, lorsque, au mois de décembre, le périmètre de la chasse à la Bête s’étend à une partie de l’Auvergne, les consulats locaux appellent l’intendant de la région à laisser les gens du pays faire la police eux-mêmes, arguant de la présence de « particuliers en état de conduire cette chasse »[40]. Cela donne alors lieu à des mobilisations à géométrie variable, en termes de personnes comme de matériel.
Les choses ne tendent pas à s’arranger avec le temps. Début 1765, L’Averdy, contrôleur général des finances du royaume de France, envoie dans le Gévaudan deux Normands réputés être les meilleurs chasseurs de loups du royaume, Jean-Charles Vaumesle d’Enneval et son fils, Jean-François, qui obtient grâce au duc de Choiseul un congé de ses fonctions de capitaine au régiment de Bresse[41]. Arrivés le 17 février à Saint-Flour, les deux gentilshommes ne commencent toutefois à chasser que fin avril, une fois qu’ils ont obtenu le départ de Duhamel et de ses dragons[42]. En effet, ils entretenaient avec ces derniers une véritable rivalité pour la gloire et les récompenses[43], en plus de désaccords sur la manière de donner la chasse à la Bête sur lesquels nous reviendrons. L’historien Jean-Marc Moriceau, spécialiste d’histoire rurale et particulièrement des rapports avec le loup, y perçoit « la position conflictuelle qu’on voit sourdre de toutes parts, sous l’Ancien Régime, entre les officiers des juridictions concurrentes dans la chasse au loup »[44], une opposition qui a pu favoriser « la fuite de bien des prédateurs ». Qui plus est, les deux peuvent se targuer d’avoir été adoubés par la cour, précieux sésame à l’heure de l’absolutisme.
Le 23 avril 1765, alors qu’une jeune louve est abattue et que son corps est soumis à l’autopsie, Jean-François d’Enneval soupçonne les paysans qui en ont rapporté la dépouille, « avides de meilleures récompenses », d’avoir fait ingurgiter à l’animal des morceaux de chiffon pour faire croire à la présence de vêtements humains dans son estomac et ainsi faire passer cette créature pour la Bête[45]. La noblesse locale – dont Morangiès fait partie -, jalouse de leur prestige, a également des griefs à leur encontre[46]. Les d’Enneval suscitent, à l’évidence, des tensions.
L’été suivant, le roi envoie finalement sur place son propre porte-arquebuse, François Antoine, militaire de carrière parvenu au grade de sous-lieutenant des chasses de la Capitainerie royale. Âgé de 65 ans, le marquis, qui prend conseil auprès du père et du fils d’Enneval avant leur départ ordonné par le roi le 28 juillet[47], paraît un homme courtois, calme et méthodique[48]. Pourtant, un incident se fait jour, le 16 août 1765, entre certains des compagnons d’Antoine, portant respectivement la bandoulière du roi et celle du duc de Penthièvre, avec un certain Jean Chastel, chasseur gévaudanais, et ses deux fils, qui semblent les avoir délibérément guidés vers un terrain marécageux où ils s’embourbent sous la pluie et se gausser d’eux. Le porte-arquebuse du roi, lorsqu’il a vent de l’affaire, n’hésite pas à les envoyer en prison pour l’exemple. Cet épisode révèle la « xénophobie »[49] durable, qui s’est manifestée dès l’ère Duhamel, des locaux envers les chasseurs étrangers au pays.
En bref, la succession des acteurs et leur nécessaire collaboration avec les paysans n’est pas allée sans heurts. Pourtant, elle eût été nécessaire.
Une attitude commune : encourager les paysans à prendre les armes contre la Bête

La mobilisation de militaires et de chasseurs n’a pas conduit à écarter complètement les paysans, dont le concours est nécessaire pour couvrir le terrain arpenté par la Bête. Au contraire, ceux-ci, pour qui abandonner le travail des champs quelque temps peut représenter un coût important, sont vivement incités à participer à la « guerre » faite à la Bête, au moyen de primes promises à quiconque rapporterait sa dépouille. De manière générale, dans les diverses provinces du royaume de France, la chasse au loup est encouragée par les autorités, à raisons d’environ six livres par loup adulte abattu en temps ordinaire et dix à douze en temps de crise[50] – le salaire quotidien d’un journalier gévaudanais étant d’environ une livre en moyenne[51]. Concernant la Bête du Gévaudan, qui semble être plus difficile à tuer qu’un loup, la récompense affichée par les différentes autorités est bien plus élevée.
En effet, dès novembre 1764, les subdélégués des diocèses civils de Mende et de Viviers promettent 200 livres chacun, quand l’évêque de Mende et comte de Gévaudan s’engage à verser 1000 livres, auxquels s’ajoutent les 2000 des États du Languedoc puis, à l’hiver, 600 de la part de l’intendant d’Auvergne et 1200 de celle du comte de Saint-Florentin ; le 4 février suivant, le roi fait promettre pas moins de 6000 livres pour la destruction de « ce cruel animal »[52]. Un total de 9400 livres voire, après majoration, de 10 600 livres[53], du jamais vu pour une telle quête.
Il y aurait là, semble-t-il, de quoi acheter une centaine de chevaux pour équiper des chasseurs[54]. À la place, le choix est fait d’ainsi inciter chasseurs professionnels et particuliers, originaires de n’importe quelle région du royaume, à venir tenter leur chance.
L’année suivante, lorsque François Antoine est dépêché dans le Gévaudan, des primes sont à nouveau accordées pour toute prise de loup, à raison de douze livres par le subdélégué Lafont et de six par l’envoyé du roi[55]. Même lorsque l’élite des chasseurs est chargée de la guerre à la bête, les paysans sont vivement incités à participer.
Pourquoi les différentes autorités sont-elles prêtes à un tel effort financier hypothétique plutôt qu’à un investissement consistant à déployer des troupes en plus grand nombre ? Peut-être faut-il y lire un calcul lié au fait que les premières chasses des dragons ne sont pas parvenues à leurs fins et que, par conséquent, le placement d’autres militaires risque de coûter cher sans certitude de résultat. D’autre part, de telles récompenses présentent l’intérêt de n’être dues que si quelqu’un parvient effectivement à abattre la Bête, au risque pour lui d’organiser sa venue et ses chasses à ses propres frais sans nécessaire retour sur investissement.
Le roi, les administrateurs du royaume, la noblesse et les officiers savent à quel point la guerre coûte cher[56], ce que celle de Sept Ans a récemment rappelé. Cette dernière, étant une défaite, a représenté également, en termes économiques, une dépense sans retour – géopolitique et diplomatique en l’occurrence – sur investissement. De même, l’emploi de troupes supplémentaires dans le Gévaudan, dans une guerre contre une Bête qui semble, après plusieurs mois, échapper à tout chasseur, présenterait le risque d’être sans effet. La promesse de récompense a pour elle l’avantage non seulement de susciter la compétition, mais aussi d’être le prix de la seule victoire, sans avoir eu à financer, pour la victoire finale d’un seul, l’équipement, la monture, le voyage et le logement de tous.
Un tel raisonnement, s’il devait se vérifier, rappellerait, dans une certaine mesure, le système de la vénalité des charges. Dans les armées françaises, comme dans d’autres armées européennes, les charges – c’est-à-dire les titres – d’officiers sont au cœur d’un véritable marché et sont alors sujettes à l’échange. Devenir officier implique d’acheter l’une de ces charges et, par la suite, de veiller par soi-même, sur fonds propres, au recrutement et à l’entretien de l’unité, ce qui permet à l’État, qui ne finance que peu les officiers, de se défausser d’une grande partie des coûts sur ces derniers[57]. Les primes aux paysans viseraient-elles à un même encouragement à la prise de risque sans trop grand financement étatique préalable ?
Peut-être faut-il aussi voir dans ce choix une volonté d’éviter qu’un éventuel échec, malgré le déploiement de plus grands effectifs militaires, ne suscite encore davantage l’attention amusée de la presse étrangère – en particulier de celle des pays vainqueurs de la récente guerre de Sept Ans…
Un trait commun à la stratégie des différentes autorités, temporelles comme spirituelles, est donc le recours à l’incitation plutôt qu’à l’emploi organisé des armes. Cela ne signifie toutefois pas que les unes ou les autres resteraient à l’écart de la chasse à la Bête. Le clergé se fait, en effet, rapidement l’allié, voire l’auxiliaire, des militaires et des chasseurs. Dès son mandement du 31 décembre 1764, l’évêque de Mende et comte du Gévaudan appelle, entre autres, à participer à l’effort de guerre :
« Entrons dans le dessein de Dieu qui ne nous frappe que pour nous guérir ; si nous cessons de l’offenser, ses vengeances cesseront aussi ; sa colère fera place à ses anciennes miséricordes. Le monstre redoutable qui exerce sa fureur contre nous ou sera exterminé, ou Dieu le fera disparaître pour n’y plus revenir.
Loin de vous cette pensée folle que ce monstre est invulérable, que les pasteurs et tous ceux qui sont chargés du sort des âmes s’appliquent à dissiper par de solides instructions ces contes fabuleux dont le peuple grossier aime à se repaître, et à bannir de son esprit tout ce qui ressent l’ignorance et la superstition.
Cet animal, tout terrible qu’il est, n’est pas plus que les autres animaux à l’épreuve du fer et du feu. Il est sujet aux mêmes accidents, et à périr comme eux, il tombera infailliblement sous les coups qu’on lui portera dès que les moments de la miséricorde de Dieu sur nous seront arrivés…»[58]
Si la venue de la Bête dans le Gévaudan est évidemment comprise par l’évêque comme une réponse aux péchés des hommes, l’homme d’Église incite les fidèles à ne pas céder à la résignation et au fatalisme[59], rappelant la mortalité de l’animal. Ce discours à double tranchant invite donc, d’une part, à un regain de ferveur religieuse. La prière et à la stricte observance des préceptes des saintes écritures sont d’autant plus nécessaires que la mort soudainement provoquée par la Bête ne laisse pas toujours la possibilité de l’application des derniers sacrements. D’autre part, il faut participer à la lutte armée contre cette créature. Des historiens relèvent toutefois que la teneur générale du discours, qui cite la Bible, a pu, involontairement, renforcer les superstitions populaires, la croyance en un « monstre redoutable »[60]. Pour autant, la participation de certains prêtres, les armes à la main, aux battues, ne doit pas être minimisée[61] : peut-être l’évêque, par ses mots – et la prime qu’il promet – persuade-t-il certains des siens.
Quand le roi s’en mêle : militariser l’héroïsme ?
Louis XV, qui reste longtemps attentif à l’affaire, n’intervient pas uniquement en envoyant des militaires ou des chasseurs dans le Gévaudan. Le roi, rapidement informé des méfaits de la Bête au moyen des rapports des inspecteurs et des mouches – c’est-à-dire des espions -, des gazettes lues à la Cour voire, indirectement, par l’intermédiaire de son ministre le duc de Choiseul, cousin de l’évêque-comte du Gévaudan[62], valorise également les actes héroïques qui se font plus d’une fois jour pendant la traque.
En effet, le 12 janvier 1765, plus de six mois après les premiers décès dus à la Bête, s’observe un épisode glorieux : dans un pâturage en altitude, sept enfants gardant du bétail ont affaire à la Bête, qui surgit et s’attaque à l’un des plus petits, un dénommé Panafieu, dont elle parvient à arracher une partie de la joue, mais pas à l’égorger. Elle s’empare ensuite d’un autre petit garçon, Jean Veyrier, qu’elle emporte dans sa gueule. L’un des enfants restant invite les autres à s’enfuir. Toutefois, le plus grand d’entre eux, Jacques André Portefaix, âgé de douze ans et haut d’1,32 mètre, qui a disposé toute la troupe selon un dispositif ingénieux – les filles à l’arrière, les deux garçons plus jeunes au second rang et les trois plus forts à l’avant -, s’élance à la poursuite de l’animal, hallebarde rudimentaire à la main. Parvenue dans un marais où elle s’enfonce, la Bête doit faire face aux jeunes gens, qui semblent ne pas réussir à la blesser, mais qui lui font lâcher sa proie[63].
La confrontation, relatée dans la littérature de colportage, a de quoi galvaniser bien des paysans, surtout au vu de l’âge des enfants faisant face à la Bête[64]. Le capitaine improvisé, Jacques Portefaix, apparaît comme particulièrement exemplaire, à la fois courageux, charismatique et fin tacticien.

Le roi, qui semble avoir eu vent de ce combat par l’un de ses conseillers, le marquis François de L’Averdy, octroie au jeune garçon 300 livres[65] et décide de payer son éducation : il rejoint les Frères de la Doctrine Chrétienne à Montpellier avant d’entrer au corps royal de l’artillerie des colonies dont il devient par la suite lieutenant. Les qualités dont Portefaix a spontanément fait la preuve en se mesurant à la Bête paraissent utiles au royaume et le roi ne s’y est pas trompé. Il semble d’ailleurs avoir insisté pour mettre le jeune homme sous les drapeaux, alors que l’évêque avait d’autres projets pour lui[66]. Ces qualités sont, en quelque sorte, validées par Louis XV – et par lui seul, au détriment du clergé – et mises au service de la force publique. L’héroïsme est militarisé par le monarque, à la tête des armées.
Un autre affrontement avec la Bête suscite la reconnaissance royale. Deux mois après l’exploit de Portefaix, c’est une mère de famille, Jeanne Chastang, qui fait ses preuves. Alors que sa petite fille, tenant son frère cadet dans ses bras, est agressée par la Bête, la mère s’attaque à mains nues à celle-ci, à deux reprises. Puis, accourent les deux fils aînés qui, munis d’une hallebarde et accompagnés de leur chien, font fuir la créature[67]. À nouveau, les médias glorifient l’attitude de cette paysanne hargneuse, dont le petit dernier n’a toutefois pas survécu. Le roi lui accorde 300 livres[68], pour « les marques surnaturelles de courage qu’elle a données malgré sa faible complexion pour défendre ses enfants en bas âge »[69]. Gratification assurément, mais point de militarisation ici, au sens où cette femme ne se voit pas proposer d’éducation ou de charge militaire. C’est une mère protectrice qui est ici mise en valeur, pas un espoir pour les armées, où – à l’exception de quelques personnes travesties passant sous les radars – l’engagement reste l’apanage des hommes.
Le 11 août de la même année, une autre femme se mesure avec succès à la Bête. Marie-Jeanne Valet, servante du curé de la paroisse de Paulhac, âgée de 19 ou 20 ans, est attaquée par l’animal alors qu’elle est sur une petite île. Elle parvient à blesser la Bête en lui enfonçant une baïonnette au poitrail, la faisant fuir, poursuivie par des chiens de berger[70]. François Antoine, porte-arquebuse du roi, accompagné du comte de Tournon qui chasse la Bête avec lui, arrive plus tard et reconnaît formellement les empreintes laissées par la créature dans le sol. Antoine cherche à faire obtenir à la jeune femme, qu’il qualifie dans une lettre de « Pucelle du Gévaudan »[71], en référence à Jeanne d’Arc, une récompense. Outre son prénom, cette servante a ceci de commun avec la « Pucelle d’Orléans » qu’elle est d’origine modeste et a peu ou prou le même âge. Par cette comparaison, l’épisode de Marie-Jeanne Valet est à coup sûr militarisé, mais par le porte-arquebuse du roi seul et non par le roi lui-même – alors que la figure de Jeanne d’Arc est indissociable du roi Charles VII -, et ne fait finalement pas l’objet d’une quelconque gratification.

Bien qu’à géométrie variable et parfois indirecte, la reconnaissance royale de la bravoure dont font preuve certains doit se comprendre, d’une part, comme une réelle valorisation de l’exploit individuel. De fait, à cette époque, la guerre est essentiellement menée avec des armes à feu et en dispositifs serrés où chacun est censé tenir sa place dans le rang plutôt que de chercher à accomplir un coup d’éclat individuel[72], qui serait susceptible de désagréger le dispositif. Dans ce contexte, ces personnes qui font face, seules ou en petit nombre et sans armes à feu, à une créature difficile à identifier et chargée d’une certaine teneur eschatologique par l’Église et les médias, semblent, a contrario, renouer avec une forme d’héroïsme mythologique.
D’autre part, sans parvenir à abattre la Bête, elles apparaissent au moins capables de la repousser et de la blesser, quand les militaires chargés de lui donner la chasse, obéissant à leur roi et bien ancrés dans l’art de la guerre de leur siècle, échouent depuis un certain temps dans leur entreprise. En manifestant par le haut son approbation pour ces individus, voire en mettant leurs qualités martiales au service de la force armée, le roi de guerre[73] redore rétroactivement le blason de celle-ci – et, par la même occasion, le sien propre -, à l’heure où la traque ne rencontre pas le succès.
Trouver et tuer la Bête : entre chasse et guerre, la traque

« Il se donna beaucoup de peine et ne fit rien »[74]. Difficile de mieux résumer les difficultés rencontrées dans les chasses à la Bête que par ces mots du curé d’Aumont au sujet du capitaine Duhamel. L’homme d’Église, qui participe à la traque aux côtés de l’homme de guerre, prononce là des paroles implacables mais non dénuées de fondements. Néanmoins, pour rendre justice à Duhamel, il n’est pas le seul à ainsi rencontrer l’échec.
Quels sont donc les efforts, en termes de moyens comme de méthodes, consentis dans la traque de la Bête pendant les quatre années où celle-ci ravage le Gévaudan, et comment expliquer leur échec durable ? Comment, concrètement, fait-on la « guerre » à la Bête ?
Mobiliser, armer et discipliner les paysans
En septembre 1764, l’arrivée des dragons dans le Gévaudan vise d’abord à mettre les locaux sur le pied de guerre, à leur donner les moyens de combattre, sur les plans matériel, humain et disciplinaire. Les militaires doivent, avant tout, mobiliser et encadrer les habitants. En un mot, les militariser.
Étienne Lafont, à qui revient la responsabilité de l’entretien des troupes en tant que subdélégué du diocèse du Gévaudan, fait également appel à des bergers pour lutter contre la Bête, à l’aide notamment de leurs chiens. Il s’adresse également à des chasseurs, obtenant pour cela un assouplissement temporaire du droit au port d’armes pour les habitants des environs. Ces armes ne doivent, toutefois, n’être employées que pour abattre « les loups ou la Bête », non pour tenter d’attraper un autre gibier, insistent les nobles, qui gardent jalousement leur privilège de chasse[75]. Sur le terrain, Duhamel encourage les paysans à s’équiper avec les moyens du bord : chaque personne susceptible de se déplacer est tenue de se munir d’une lance, constituée d’une lame tranchante au bout d’un manche de bois d’un mètre de long[76], afin d’être en mesure de se défendre. Nombreux sont les bergers qui s’équipent déjà avec les moyens rudimentaires qui sont les leurs[77], mais Duhamel semble systématiser la chose.

Toutefois, la plus-value que peuvent apporter des gens de guerre à ces paysans confrontés à un danger animal est d’abord disciplinaire. En effet, dans sa lettre du 26 octobre 1764 à Lafont, Morangiès juge nécessaire l’emploi de troupes à cette fin, et à celle-là seule : « non pas » parce que « des soldats tirent mieux que de bons chasseurs, mais uniquement parce que la discipline militaire fournit des ressources infaillibles par l’exécution la plus précise des ordres donnés et l’intelligence des officiers »[78], écrit le comte, lui-même membre de la noblesse d’épée. Un mois plus tard, les consuls de certaines paroisses signalent des « mutins » parmi les paysans mobilisés par Duhamel pour les battues[79]. La discipline n’est pas aisée à faire respecter dans les rangs de l’armée, aussi l’est-elle encore moins en dehors de celle-ci.
De fait, tout au long des quatre années de traque de la Bête, Duhamel puis les d’Enneval et François Antoine se plaignent régulièrement de l’indiscipline, de l’incompétence, des préjugés et des superstitions des paysans. Un regret qui n’est pas sans lien avec une certaine idée de la population montagnarde, perçue comme sauvage ou rebelle[80]. Les paysans semblent notamment réfractaires aux conseils donnés dès le début par Lafont, qui recommande de ne plus envoyer les femmes et les enfants, considérés comme des proies faciles pour la Bête, avec les animaux de la ferme, et de les remplacer par des binômes d’hommes armés. L’organisation du travail pastoral, façonné par les décennies, voire par les siècles, ne se bouscule pas du jour au lendemain[81].
Au-delà des lieux communs, sans doute l’insubordination d’une partie des paysans est-elle l’une des raisons de l’échec de la traque, mais ce n’est pas la seule.
De battue en battue : les raisons d’un échec
La méthode la plus employée dans la chasse à la Bête est la battue. Ce type de chasse, très courant à l’époque, implique la séparation des chasseurs en deux rôles. Les uns, nommés traqueurs ou batteurs, sont tenus de battre collectivement les bois et autres éléments naturels de manière, si la cible s’y cache, à l’en faire sortir pour la forcer à se diriger vers les positions des seconds, nommés tireurs, qui doivent l’abattre avec leurs armes à feu. La battue est la tactique essentielle de la guerre à la Bête ; même les d’Enneval, après avoir formulé bien des critiques contre son emploi par Duhamel, finissent par en mener eux-mêmes à compter de la fin avril 1764[82]. La coordination des différentes battues dans l’espace et le temps en représente l’échelon stratégique.
Tactiquement, le principe de la battue est adopté par Duhamel peu après son arrivée sur le terrain, à l’automne 1764. Aux chasses restreintes, menées par les seuls militaires, s’ajoutent rapidement, les dimanches et jours de fête, des battues mobilisant les populations locales, conformément aux ordres donnés par François de L’Averdy, contrôleur général des finances nommé l’année précédente. Les consuls doivent prendre la tête des paysans pour « battre exactement tous les bois, buissons et rochers » et ainsi repousser, à l’aide de chiens, les animaux vers les tireurs, les dragons de Duhamel[83].
Ces premières battues échouent. Simple incident de parcours ? On pourrait le croire : en cette fin novembre, la neige tombe déjà drue sur le Gévaudan, compliquant les déplacements et, par là, l’agencement des battues, et faisant perdre un temps précieux pendant lequel la Bête a tout loisir de décamper. Il arrive donc que celle-ci se manifeste en un endroit éloigné de la zone de chasse prévue et que l’information parvienne trop tard à Duhamel, obligeant à organiser une nouvelle battue[84]. Or la multiplication de ces chasses ne va pas sans effets pervers.
En effet, durant la deuxième quinzaine de décembre 1764, des attaques de la Bête sont signalées bien plus au sud qu’auparavant. Il semble s’avérer que les battues ont eu ceci de contre-productif qu’elles ont conduit à déplacer l’animal – ou, s’il devait s’avérer qu’il y en avait plus d’un, à disperser les animaux[85]. De fait, les attaques se multiplient, en peu de temps, sur une grande distance. Ainsi, dès novembre, des rapports évoquent la possible implication de deux spécimens[86]. Le 2 janvier 1765, Barthélemy de Vigier, consul de Saint-Flour, émet explicitement l’hypothèse d’une multiplicité des agresseurs : « Nous sommes fondés à croire qu’il y a plusieurs animaux de cette espèce vu[e] la date de ces différents événements »[87]. À l’évidence, les battues ont chassé la – les ? – bête de son terrain initial au lieu de la chasser tout court, mettant en évidence la nécessité de penser les opérations à un plus haut niveau encore.
Dès lors, il arrive par la suite qu’une coordination à un échelon supérieur, celui de la stratégie, soit envisagée. Même si, dès le début, Étienne Lafont avait cherché à coordonner les premières battues commandées par Duhamel[88], l’entreprise aboutit véritablement au début de l’année 1765. Le 7 février, la « première chasse générale », battue d’une ampleur sans précédent dans le royaume de France, est supervisée par Ballainvilliers, intendant d’Auvergne, étant donné que Duhamel opère sur cette province, où la Bête s’est parfois manifestée, en plus de celle du Gévaudan. Des nobles de Rouergue – correspondant approximativement à l’actuel Aveyron – sont également de la partie, avec leur subdélégué Sauveplane[89]. Un tel rassemblement pour une même opération est un fait unique dans la France d’Ancien Régime, d’autant plus qu’un itinéraire précis est mis au point pour chacune des 46 paroisses impliquées.
Un grand plan de chasse a été établi : Jean-Marc Moriceau émet l’hypothèse qu’il ait été dressé à la suite de cette dense journée, dont les manœuvres, ayant échoué, auraient eu à se répéter le 11 février. Pas moins de 150 tireurs et 4 500 traqueurs sont de la partie pour cette opération « digne d’une campagne militaire »[90]. Toutefois, pour cette chasse comme pour bien d’autres avant elle – celle-ci s’étend sur une centaine de kilomètres carrés -, les différents seigneurs sont censés suivre les ordres de Duhamel mais, une fois de plus, tout ne se passe pas si simplement.

Déjà difficile de manière générale sur un terrain relativement grand, le commandement d’un dispositif militarisé est encore plus compliqué sur un espace aussi vaste. À l’époque, il n’est évidemment pas aisé de communiquer entre un point d’un si large dispositif et un autre, compromettant la capacité pour une fraction de celui-ci de prendre en chasse la Bête lorsqu’elle échapperait à un autre groupe. Toutefois, ce n’est pas la seule cause de l’inefficacité répétée des battues.
La topographie représente, de fait, un autre obstacle de poids à la traque. À son arrivée en 1765, le porte-arquebuse du roi François Antoine décrit ainsi la Margeride, qui représente une très grande partie du terrain de chasse de la Bête :
« Pays de montagnes, la plupart très élevées, séparées les unes des autres par des gorges ou des vallées profondes, dans lesquelles coulent des petites rivières ou ruisseaux. Les revers de ces montagnes sont très rudes et très escarpés, coupés par des ravins et occupés par des rochers ou couverts de bois bien fourrés et remplis eux-mêmes de rochers, dans lesquels il y a des cavernes ou tanières profondes et inaccessibles, qui servent de retraite aux loups et autres bêtes féroces. L’on grime des vallées sur les montagnes par des sentiers en faisant des longs détours, la plupart des parties étant impraticables aux hommes et aux bêtes de somme, à cause des précipices qui s’y rencontrent. »[91]
Le relief de la Margeride comprend bien des recoins accessibles à l’animal sauvage et non à l’homme, aussi est-il possible que la Bête échappe plus d’une fois à ses poursuivants en y battant en retraite.
S’y ajoute l’évidente imperfection du ratissage du périmètre par la cohue que représente l’ensemble des personnes mobilisées pour une battue – un effectif qui atteint parfois, à ce stade, les 10 000 hommes -, laissant à la Bête l’opportunité de fuir[92]. Il faut comprendre que, outre l’indiscipline qui peut parfois se manifester chez des personnes n’ayant pas l’habitude de la guerre et de la chasse, l’atmosphère est à la concurrence pour les primes plutôt qu’à la nécessaire coopération[93], ce qui peut conduire certains traqueurs et tireurs ayant aperçu la Bête à cacher à d’autres l’endroit où elle aurait été vue pour la dernière fois.
Toujours concernant le facteur humain, la grande chasse du 7 février 1765 voit à nouveau certains paysans déroger à leurs obligations en désertant la battue pour gagner un cabaret du village de La Garde. Ils y sont retrouvés par le capitaine Duhamel lui-même qui assène à l’un d’eux un coup de plat de sabre sur le dos[94]. Quelques mois plus tard, son successeur, François Antoine, visiblement plus lucide sur les défaillances humaines des paysans, souligne le problème de la faim qui fait parfois tomber d’inanition les traqueurs[95]. En plus de l’ordinaire misère paysanne, les travaux aux champs sont potentiellement perturbés, dans le Gévaudan, par ces opérations de chasse, en dépit de l’interdiction faite aux chasseurs – mais pas toujours observée par eux – d’entrer dans les champs de blé.
Dans l’hypothèse – certainement réalisée plus d’une fois – où la Bête passerait bien dans le champ de vision de quelque chasseur, quelle efficacité aurait l’action de celui-ci ? Au vu de l’atmosphère de peur qui règne alors dans le Gévaudan, ravagé des années durant, un tireur se trouvant en face de la Bête anthropophage supposée, à l’attitude potentiellement agressive, pourrait se décourager et lâcher son arme, voire fuir. Quand bien même il parviendrait à tirer, « l’imperfection des armes de cette époque, le saisissement et le manque d’assurance ou la trop grande distance du tireur rendaient la plupart des coups inutiles, quand le feu lui-même ne ratait pas »[96], écrit au XIXe siècle François Fabre, abbé et premier historien de la Bête du Gévaudan. S’y ajoute le mauvais temps fréquent, qui mouille la poudre[97].
De plus, la chasse à la Bête est marquée par une nécessaire confusion : puisqu’on ignore la race, l’espèce et plus généralement la nature de celle-ci – au vu de la réputation de la Bête, bien des traqueurs et tireurs peuvent être sujets à une certaine superstition -, il est bien difficile de savoir à quel genre de créature s’attendre. La multiplicité des descriptions et des dénominations qui lui sont attribuées peuvent donner lieu à une certaine perplexité. On peut bien s’imaginer qu’un chasseur ou un militaire ayant entendu parler d’un « lynx », d’un « léopard » ou d’un « ours », voire d’un « diable », puisse hésiter en voyant surgir un simple loup ou autre animal y ressemblant, laissant par là passer la chance d’abattre l’un des spécimens potentiellement impliqués collectivement dans les tueries – bien que certaines primes soient promises pour la mise à mort de loups ordinaires.
À l’inverse, tout au long des différentes battues, bien des loups sont tués, ce qui laisse parfois croire à la fin des troubles, notamment lorsqu’une accalmie de quelques jours s’observe par la suite, et conduit donc certains à lever le pied entretemps. En fonction des récits entendus par les uns et par les autres, souvent de manière contradictoire, il est possible que des animaux aient échappé aux balles, à la faveur de quelques secondes d’hésitation du tireur. Militairement parlant, le flou quant à la nature de la Bête, entretenu par la presse et la littérature de colportage, peut avoir sur le chasseur l’effet de la désinformation et, ainsi, contrevenir à l’objectif de la battue.
À cet égard, il est éclairant de lire la démoralisation finalement manifestée par Duhamel : « Vu les difficultés qu’il y a de joindre le monstre après lequel je cours depuis si longtemps, je serais tenté d’imaginer que c’est un sorcier ou le diable en personne, si je pouvais y croire »[98], écrit-il. Ce capitaine exerçant le commandement des chasses, on imagine l’influence qui peut être celle d’une telle pensée venant de lui, donnant potentiellement à croire à ses hommes que la Bête est, en effet, tout autre chose qu’un loup, voire un être surnaturel[99], ou, plus généralement, les décourager.
Une autre dimension de la désinformation autour de la Bête peut d’ailleurs entrer en ligne de compte. Fin avril 1765, le Courrier d’Avignon fait état d’une rumeur circulant dans la presse étrangère :
« Les journalistes anglais s’égaient à nos dépens ; mais à l’anglaise au sujet de la Bête du Gévaudan. On lit dans une de leurs feuilles du 29 mars, qu’une armée française de 120 000 hommes a été défaite par cet animal qui, après avoir dévoré 25 000 hommes et avalé tout le train de l’artillerie, s’est trouvé le lendemain vaincu par une chatte dont il avait dévoré les chatons. »[100]
Cette couverture étrangère des événements du Gévaudan fait parler d’elle jusqu’à la cour du roi de France[101]. Bien que chacun, à la cour comme dans le Gévaudan, sache à quel point elle est mensongère, une telle tournée en dérision des forces armées sur le terrain, présentées comme doublement inférieures à un animal, peut elle aussi les démoraliser.
Enfin, une raison – et non des moindres – de la difficulté à abattre la Bête tient au fait que celle-ci, apparemment unique, fait régulièrement des apparitions ici et là, dévorant quelqu’un en un lieu où l’on ne soupçonnait pas sa présence. Le temps que les militaires, chasseurs et paysans en soient informés et accourent, la Bête est déjà loin[102]. Au vu de sa vitesse naturelle et du fait qu’elle s’attaque par surprise à des humains avant qu’on ne parvienne à l’encercler – au contraire d’un animal qui ne serait pas prédateur de l’homme, comme de nombreuses chasses en prennent pour cible -, la Bête a toujours un coup d’avance sur ceux qui lui donnent la chasse.
Stratagèmes de chasse et ruses de guerre
Plus d’une fois sont envisagés, par les uns ou les autres, des stratagèmes plus subtils que les seules battues, avec plus ou moins de succès.
Puisque la Bête a un coup d’avance, il faut tâcher en permanence de connaître sa dernière localisation. L’importance du renseignement humain s’impose une première fois, par hasard : le 14 novembre 1764, deux jours après la troisième grande battue dans le haut Gévaudan, un grenadier en congé semestriel à Saint-Chély rencontre la Bête à Pont-Archat et vient le raconter aux militaires déployés exprès. La première réaction de Duhamel est d’organiser une nouvelle battue le lendemain dans les environs. Face au nouvel échec, le capitaine change de tactique. L’animal étant dans le secteur, il affecte ses troupes à un ratissage systématique des bois en commençant par sa dernière position connue, le sud-est, plusieurs jours durant, avec des gîtes d’étape à différents postes situés à l’extrémité de la zone[103], en prenant le grenadier pour guide[104]. C’est un échec, mais la méthode est plus prometteuse.
Ainsi, le 21 décembre, le capitaine apprend le décès d’une fille de douze ans sur la paroisse de Fau-de-Peyre, survenu la veille. L’officier ayant donné des consignes quant aux corps retrouvés, le curé informe Duhamel des faits avant de l’enterrer. Cela s’inscrit dans une tactique mise en oeuvre depuis peu, consistant à exposer le cadavre de la dernière victime de la Bête à l’endroit même où la tuerie s’est produite, dans l’espoir que l’animal revienne sur les lieux du crime, où l’attendent des dragons embusqués[105]. Une telle ruse relève de l’affût, une technique de chasse consistant à attendre discrètement, en un point fixe, le gibier[106]. Cette méthode s’oppose à la battue ; à ce titre, elle est dévalorisée par certains auteurs normatifs sur la chasse, qui y voient une pratique digne du seul braconnage[107]. Cependant, l’heure n’est pas à la noblesse de la chasse mais au pragmatisme : il faut en finir avec la Bête. Toutefois, en l’occurrence, elle est employée de manière complémentaire à une battue effectivement organisée les 22 et 23 décembre dans les environs : une douzaine de dragons restent cachés à proximité du cadavre, aux aguets.
Il s’en faut, cette fois, de très peu : Duhamel raconte que, caché, il a vu la Bête venir « droit »[108] à lui et que « trois de [s]es dragons » courant vers elle l’ont fait fuir, sans quoi, dit-il, elle eût été « tiré[e] à quatre pas ». La furtivité a son importance : si celle du capitaine semblait assurée, celle de ses hommes ne l’était pas et, faute de possibilité de se coordonner à distance, ni le premier ni les seconds n’ont pu abattre l’animal. Non loin de là, un officier subalterne, à cheval, manque à son tour la Bête, qui parvient à un marais impraticable pour le militaire. Lorsque l’animal se rapproche du lieu où le cadavre est resté exposé et des dragons postés, des paysans maladroits le détournent[109]. Même un stratagème élaboré, résultat d’une certaine persévérance, a fini par échouer : on imagine la démoralisation ressentie par la suite !
Une autre ruse est mise en œuvre, plus sophistiquée encore. On a cru observer que la Bête s’attaque préférentiellement à des femmes et à des enfants. Les décomptes de l’auteur Alain Bonet vont toutefois dans un autre sens que la plupart des autres, établissant que, si la Bête prend en effet majoritairement pour cibles des enfants de 16 ans ou moins, elle agresse en réalité légèrement plus d’hommes (53 %) que de femmes (47 %)[110]. Cette croyance, qui témoigne sans doute d’un préjugé quant à une vulnérabilité du sexe féminin, motive, en janvier 1765, une tactique nouvelle, soumise par Duhamel au comte de Moncan : déguiser des dragons en femmes, au moyen « des coiffes et des jupes » des habitants, pour attirer la Bête ou pour escorter des enfants gardant des bestiaux[111].
La ruse, suggérée par « des esprits subtils – tous citadins, vivant loin des événements »[112], appuie l’historien Michel Pastoureau, est reprise, semble-t-il, par des chasseurs venus de loin pour tenter leur chance dans le Gévaudan. Dans tous les cas, ni les uns ni les autres ne parviennent ainsi à piéger la Bête, ni le moindre loup.

L’arrivée du père et du fils d’Enneval à la tête des opérations dans les mois qui suivent donne lieu à quelques éphémères nouveautés. La technique de l’affût près des corps des victimes est modifiée : les cadavres sont recouverts de poison, de manière à ce que, si la Bête vient à retourner sur ses pas et à poursuivre son festin, elle en meure. La technique échoue, « ou que la Bête ne revint pas, ou le poison absorbé par elle fut sans effet »[113], précise François Fabre.
Qui plus est, on opère désormais, plutôt qu’à des battues, à des « frappes chirurgicales »[114], mobilisant une trentaine de bons tireurs. L’emploi de ce terme par l’historien Jean-Marc Moriceau renvoie, une fois de plus, à la déclinaison cynégétique, dans la traque de la Bête du Gévaudan, de méthodes de guerre. Aux grands moyens sur des périmètres gigantesques, qui ont échoué, succèdent de nouveaux procédés – à voir, cependant, s’ils sont réfléchis ou si, au vu des rivalités des d’Enneval avec Duhamel, ils n’ont pas simplement visé à prendre le contrepied des méthodes de ce dernier. De fait, une frappe chirurgicale est, dans le vocabulaire militaire contemporain, une attaque de précision, souvent aérienne ou confiée à un commando au sol, sur une cible délimitée. Une telle frappe suppose une connaissance préalable de l’objectif et de sa localisation, au moyen du renseignement.
Jean-Charles d’Enneval ordonne donc aux paroisses de l’avertir dès que l’animal est aperçu afin de le tracer avec ses six limiers dressés à la chasse au loup. Cependant, les chiens ne parviennent pas – ou rechignent – à suivre sa piste. Il tente notamment, mais sans succès, d’amener la Bête dans des gorges où ses tireurs prennent position[115]. Une telle mise à profit d’un terrain qui a posé problème à ses prédécesseurs est ingénieuse ; néanmoins, la Bête ne semble pas décidée à se laisser mener quelque part. Ainsi, ces « opérations limitées »[116] échouent-elles à leur tour – peut-être les chasseurs normands arrivent-ils trop tard, sur un périmètre excessivement élargi par les précédentes battues, pour espérer acculer la Bête ?
Après les chasseurs normands vient, en juin 1765, le porte-arquebuse du roi, François Antoine, dont l’arrivée sonne comme un ultima ratio regum[117]. Il est chargé de « travailler par les ordres du roi à la destruction de la Bête féroce qui depuis longtemps fait des ravages sur les deux généralités »[118] du Gévaudan et d’Auvergne, mais également d’éradiquer « tous les loups qui pourront être aussi détruits ». En effet, le 11 juillet, après de nouvelles tueries, Antoine rapporte au roi ne pas savoir si les victimes ont été dévorées par « une seule bête ou par les loups »[119]. La possibilité que la créature qui terrifie le Gévaudan soit plurielle n’est pas exclue pour lui.
Les méthodes de cet homme, à la fois militaire et chasseur[120], ont-elles quelque chose d’innovant ? Un peu, sans doute. S’il participe aux battues encore organisées par les d’Enneval proches du départ, c’est surtout l’occasion pour lui de reconnaître le terrain avant de disposer les seize louvetiers qui l’accompagnent en position d’affût, qu’il fait placer par deux, dos à dos, pendant les nuits de pleine lune[121]. Ceux-là sont répartis au flanc des collines, entre la lisière des forêts et les fonds de vallée, les prairies et les champs où la Bête est susceptible de frapper : chasseur hors pair, Antoine met en place un dispositif de surveillance jouant de la topographie[122] – rappelons la description écrite qu’il donne du pays, citée plus haut.
Les tireurs sont répartis en petits groupes dans différents points du secteur compris entre Venteuges et La Besseyre-Saint-Mary, tenus de faire « journellement » leur rapport à Antoine et son fils. Ces derniers adoptent d’abord une position centrale dans le dispositif, au Sauzet, avant de se déplacer à quelques kilomètres des dernières attaques, en compagnie des valets des limiers au meilleur odorat[123], jouant ainsi sur le renseignement humain comme sur les capacités canines.
De manière générale, le porte-arquebuse préfère les chiens aux traqueurs levés parmi les gens du pays, dont les bras sont plus utiles à travailler aux champs, l’animal pouvant aisément, avec l’été, avancer dissimulé dans les blés non récoltés[124]. Cependant, n’ayant que trois bons limiers avec lui, il doit, pour cela, demander à Lafont cinq ou six chiens « mâtins » du pays, qui se sont pour certains déjà frottés à la Bête ; il en réclame également, par la suite, de ses connaissances à la cour[125]. Il procède aussi à des tirs de pétards près des forêts pour en débusquer la Bête. Dans une logique d’affût, il continue toutefois les empoisonnements de cadavres à proximité desquels ses tireurs se cachent[126]. Néanmoins, François Antoine et les siens organisent encore plus d’une fois des battues classiques, dont la nouveauté réside surtout dans les moyens, désormais réunis, en termes de humain – non seulement le nombre mais la qualité des chasseurs – comme canin.
Tout en apportant des idées et des moyens nouveaux dans la traque à la Bête, liés à son propre apprentissage dans la louveterie royale, le porte-arquebuse du roi profite également du travail et de la pratique qui le précèdent dans le Gévaudan ravagé depuis une année entière. Comme toute guerre longue, la guerre à la Bête s’appuie en partie sur l’expérience forgée petit à petit sur le terrain et transmise d’un acteur à l’autre.
Épilogue : qui a vaincu la Bête ?
Le 28 août 1765, une battue effectuée par François Antoine et sa suite dans le massif du Bois Noir aboutit à la découverte d’un « très gros loup » guettant de jeunes vachers. Rinchard, garde-chasse du duc d’Orléans, tire sur l’animal qui s’enfuit. Poursuivi par les chiens, le canidé n’expire que deux lieues plus loin et sa tête est coupée et rapportée à Saint-Flour par un paysan qui veut toucher la prime[127]. Sa carcasse, finalement retrouvée, révèle qu’il était bien mangeur d’hommes. Pour le fils d’Antoine, qui se réfère aux « connaissances » qu’on a de la Bête, « c’était le même loup qui a déjà fait plusieurs carnages humains »[128]. Le comte de Tournon, à ses côtés, considère l’affaire conclue et quitte le Gévaudan, tout en signalant que ce loup était accompagné d’une louve et de louveteaux, qui n’ont pas été tués. De fait, les tueries – d’hommes, de femmes et d’enfants – reprennent dès le 2 septembre. Le 17 du même mois, un chien mâtin qui gardait des bestiaux est vu dévorant les restes d’une fillette abattue quelques jours auparavant par la Bête : à l’évidence, le loup n’est pas seul prédateur potentiel de l’homme[129], aussi peut-on douter de la responsabilité du seul loup dans les morts.
Le 20 septembre 1765, après des rapports faisant état de loups ravageant les bois de l’abbaye royale des Chazes, une battue y est organisée par François Antoine. Alors qu’il est savamment positionné, un grand loup le charge. Le porte-arquebuse le touche d’un coup de fusil de gros calibre, chargé d’au moins 180 grammes de plomb : l’animal s’effondre avant de repartir de plus belle vers le chasseur, sans lui laisser le temps de remplir à nouveau son canon. Le loup, parvenu à dix pas de lui, est touché in extremis par un coup de carabine de Rinchard, qui se trouve à proximité.
Le lendemain, un procès-verbal est établi au moyen de la confrontation de témoins, puis une autopsie : c’est bien un loup mangeur d’hommes, aux dimensions monstrueuses – 63 kilos, une bonne vingtaine de plus que la moyenne de cette espèce, et du jamais vu pour le grand chasseur qu’est Antoine[130]. Les victimes de quatre séries d’attaques semblent le reconnaître. L’animal est examiné, embaumé et présenté au roi avant d’être exposé aux Parisiens près du Pont-Neuf.
Le message est clair : officiellement, l’envoyé du roi a eu raison de la Bête qui a tant terrifié et dont il faut montrer la monstruosité. Celle-ci ne frappe pas tout le monde : deux Anglais, William Cole et Horace Walpole, écrivent dans une lettre que « la Bête n’était pas plus grosse qu’un chien dogue ! »[131]. L’affaire, dont la presse internationale s’est bien gaussée, trouve là un point final : le roi, qui le veut triomphal, et la presse, dont le sujet favori paraît désormais clos, semblent au moins d’accord là-dessus. Les doutes formulés par Choiseul quant au fait que le loup des Chazes soit bien la Bête semblent ne plus être écoutés une fois que sa femelle et ses louveteaux sont abattus[132], le dernier l’étant le 19 octobre[133]. Toutefois, à l’automne, de nouvelles attaques surviennent dans le Gévaudan. Elles durent, cette fois, plus d’un an et demi, excepté une accalmie à l’hiver 1766.

Le 19 juin 1767, lors d’une battue organisée par le marquis d’Apcher, noble gévaudanais de 19 ans qui avait participé, plus de deux ans plus tôt, aux battues de Duhamel, la Bête est aperçue, ainsi qu’un animal plus petit, peut-être sa femelle. Le marquis lâche les chiens à leur poursuite Un seul se décide à lui donner la chasse, tandis qu’un coup de fusil part et abat le mâle, qui pèse plus de 53 kilos[134]. L’auteur du tir n’est autre que Jean Chastel, un bon chasseur paysan ; il semble bien s’agir de l’un des locaux incarcérés à l’été 1765 par François Antoine à la suite d’une altercation avec ses chasseurs. Un curé des environs rapporte qu’il aurait, avant la chasse, fait bénir son fusil et ses balles par la Vierge[135], mais aucune autre source n’en atteste.
Le cadavre est examiné par un chirurgien, et un notaire local, nommé Marin, rédige à l’attention de l’intendant d’Auvergne un rapport très précis sur le corps de l’animal, tout en citant 26 témoins qui disent reconnaître la Bête[136]. Cet « animal, qui nous a paru être un loup, mais extraordinaire et bien différent par sa figure et ses proportions des loups que l’on voit dans ce pays »[137], est toutefois, clairement, un grand canidé au comportement déviant – peut-être un hybride de chien errant et de louve[138]. On relève notamment que « ceux qui l’avaient vue par-derrière […] disaient que c’était un loup, ceux qui l’avaient vu par devant assuraient que c’était un animal inconnu »[139]. Il est à son tour exposé par le marquis au château de Besque. La femelle supposée de l’animal est bientôt abattue elle aussi, par un dénommé Terrisse. Lui et Chastel touchent une prime importante, mais pas les 6000 livres promises par le roi, qui semble ne pas souhaiter voir la nouvelle dépouille. Cette dernière finit enterrée. Début juillet, Marin approuve une lettre imprimée proclamant « Le monstre du Gévaudan n’est plus »[140]. De fait, les tueries cessent enfin.



Le rapport Marin, 20 juin 1767, Archives nationales, Wikimedia Commons – https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Proc%C3%A8s_verbal_d%E2%80%99examen_du_corps_de_la_%E2%80%9Cb%C3%AAte_du_Gevaudan%E2%80%9D_1_-_Archives_Nationales_-_AE-II-2927.jpg ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Proc%C3%A8s_verbal_d%E2%80%99examen_du_corps_de_la_%E2%80%9Cb%C3%AAte_du_Gevaudan%E2%80%9D_2_-_Archives_Nationales_-_AE-II-2927.jpg ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Proc%C3%A8s_verbal_d%E2%80%99examen_du_corps_de_la_%E2%80%9Cb%C3%AAte_du_Gevaudan%E2%80%9D_3_-_Archives_Nationales_-_AE-II-2927.jpg
Qui donc a tué la Bête ? Le porte-arquebuse du roi et sa suite ? Un paysan bon tireur, mobilisé par un noble local ? La Vierge, qui n’attendait qu’un peu de piété que le clergé n’a eu de cesse de quémander aux Gévaudanais ? Excepté peut-être pour cette dernière, au sujet de laquelle on peut émettre quelques doutes fondés, tous ces acteurs semblent avoir contribué à abattre cette créature. Référée essentiellement au singulier, celle-ci paraît pourtant bien, à moins d’imaginer une résurrection qui accréditerait la croyance en une créature démoniaque, consister, en réalité, en plusieurs petites meutes dont quelques individus auraient eu un comportement particulièrement agressif. Certains de ces derniers, peut-être hybrides de chiens et de loups, pourraient être, par ailleurs, de proportions massives ; comme le relevait déjà une étude d’éthologie menée en 1911, l’hypothèse d’un « processus d’imprégnation », de transmission d’un animal à un autre, dans une même meute, pourrait avoir perpétué parmi eux l’anthropophagie, rare chez le loup[141]. La Bête du Gévaudan semble avoir d’abord été un concours de circonstances observé dans la région, des circonstances d’ordre biologique, éthologique, météorologique ou encore religieux et, non des moindres, militaire.
En effet, la Bête est, avant tout, le produit de ce qui a été fait d’elle en temps réel : un perturbateur de la vie paysanne du Gévaudan, un instrument pour une Église désireuse de raviver la ferveur religieuse, un casse-tête pour bien des chasseurs dans un espace accidenté. Aussi bien entendu, l’occasion pour les puissances récemment vainqueures de la France de se rire d’un royaume non seulement incapable de leur tenir tête sur le champ de bataille, mais aussi mis en difficulté par une créature sauvage apparemment unique. À nouveau, les armées françaises, dont des éléments sont dépêchés dès les premiers mois sur les lieux, donnent une impression d’incompétence.
Les rivalités entre chasseurs et militaires, entre locaux et étrangers, entre envoyés du roi et connaisseurs des environs, ou encore entre nobles et paysans, ont empêché la bonne collaboration dans la « guerre » à la Bête, dont la survie contre vents et marées quatre années durant ne tient donc pas seulement à la multiplicité des individus qu’elle constituait probablement en réalité.
Néanmoins, les différents acteurs humains ont tous, à coup sûr, contribué à abattre certains de ceux-là : les trois vraies-fausses fins de l’affaire ne sont sans doute que des victoires parmi les dernières remportées sur les spécimens anthropophages de la région. En somme, la partie émergée de l’iceberg des chasses. Sans doute l’animal tué par Jean Chastel eut-il le mérite d’être le dernier de ceux-là, ignoré par un Louis XV qui souhaitait tourner la page. Tous ont, volontairement ou non, également préparé le terrain – au sens propre comme au sens figuré – à leurs successeurs. Le point final, à savoir l’émission du rapport Marin, qui semble ramener l’affaire à la rationalité du siècle des Lumières, est le résultat tant de l’accumulation des mises à mort d’animaux que de quatre années où bien des tentatives et des méthodes se sont succédées. Le maëlstrom d’actions civilo-militaires, coûteuses et incertaines, a finalement débouché sur l’anéantissement des prédateurs.

Si le drame a duré quatre années entières, c’est justement, sans doute, à cause de ces tâtonnements. Au fur et à mesure des battues, bien d’autres animaux ont dû être abattus sans que leur morphologie, trop banale, ne les fasse apparaître comme « la » Bête si recherchée, alors que certains devaient bien figurer parmi les responsables des carnages humains. Les opérations ont été sans cesse complexifiées, en un cercle vicieux, par la désinformation diffuse, les rivalités dans le contexte de la course aux primes et la pression liée à l’exposition internationale, inversement proportionnelle à l’accessibilité et à la renommée du pays. Par ailleurs, ce dernier, montagneux et boisé, et donc propice à la fuite d’animaux pris en chasse, n’a pas aidé.
Malgré tout, des mystères persistent – et probablement sont-ce eux qui ont incité l’auteur de ces lignes à se livrer à une telle lecture militaire de la question. Nous espérons, à défaut d’avoir donné le fin mot de l’histoire – une tâche impossible -, avoir donné à réfléchir au sujet dans cette optique et fait comprendre, d’un point de vue militaire, les difficultés rencontrées par les différents acteurs en chasse à la Bête comme les raisons du modeste succès final de cette guerre. Car cet affrontement prolongé entre l’homme et l’animal fut bien une guerre, quoiqu’une petite guerre. S’entend par là à la fois une guerre restée petite au vu des moyens employés par rapport à celle de Sept Ans, terminée depuis peu de temps, et un conflit non symétrique livré en terrain boisé, en dehors des codes de la bataille rangée. Petite guerre certes, mais guerre tout de même, qui fit couler le sang quatre années durant et l’encre jusqu’à aujourd’hui.
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[1]SALVADORI Philippe, La chasse sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 462 p., p. 76
[2]Cité par SALVADORI Philippe, ibid., pp. 170-171
[3]Ibid., p. 170
[4]VO-HA Paul, « Les opérations contre les Barbets, un modèle cynégétique de la guerre ? (1686-1697) », dans Revue historique des Armées, n° 298, Vincennes, Service historique de la Défense, 2020, 144 p., pp. 101-114 ; VO-HA Paul, Rendre les armes : le sort des vaincus XVIe-XVIIe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, 429 p., pp. 345-349 ; INGRAO Christian, Les chasseurs noirs : la brigade Dirlewanger, Paris, Perrin, 2006, 292 p., pp. 145-175
[5]VO-HA Paul, « Les opérations contre les Barbets… », art. cit., pp. 101-114
[6]Voir BRUGGER Thomas, « Informer et désinformer en temps de guerre : l’exemple de la presse de langue française pendant la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) », dans La Revue d’Histoire militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire militaire, 2023, [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2023/03/28/informer-et-desinformer-en-temps-de-guerre-lexemple-de-la-presse-de-langue-francaise-pendant-la-guerre-de-succession-dautriche-1740-1748/ (dernière consultation le 06/08/2023)
[7]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan, 1764-1767 : mythe et réalités, Paris, Tallandier, 2021, 478 p. ; CHABROL Jean-Paul, La bête des Cévennes et la bête du Gévaudan en 50 questions, Nîmes, Alcide Éditions, 2018, 122 p.
[8]LEVER Maurice, Canards sanglants : naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993, 528 p. ; SEGUIN Jean-Pierre, L’information en France avant le périodique : 517 canards imprimés entre 1529 et 1631, Paris, G.-P. Maisonneuve & Larose, 1964, 132 p.
[9]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 14
[10]« Acte mortuaire de Jeanne BOULET », St Étienne-de-Lugdarès, Archives départementales de l’Ardèche, 1764, non paginé, [en ligne] https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Acte_de_s%C3%A9pulture_de_Jeanne_Boulet_%C3%A0_St_%C3%89tienne-de-Lugdar%C3%A8s_(Ard%C3%A8che)_-1er_juillet_1764.pdf?uselang=fr (dernière consultation le 28/08/2023)
[11]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 24
[12]PASTOUREAU Michel, Le loup : une histoire culturelle, Paris, Seuil, 2018, 162 p., p. 117
[13]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., pp. 28-29
[14]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 30
[15]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 27
[16]L’altitude moyenne de la région est d’environ 1000 m, et quelques massifs y dépassent les 1500 m de haut.
[17]Ibid., p. 224
[18]Ibid., p. 50, p. 159
[19]Ibid., p. 36
[20]Ibid., p. 37
[21]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 46
[22]Cité par CHABROL, ibid., p. 43
[23]MORICEAU, op. cit., p. 65
[24]REINA Matthias, « La “petite guerre” en Amérique du Nord durant la Guerre de Sept Ans (1756-1763) », dans La Revue d’Histoire militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire militaire, 2020, [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2020/10/14/la-petite-guerre-en-amerique-du-nord-durant-la-guerre-de-sept-ans-1756-1763/ (dernière consultation le 13/08/2023)
[25]FABRE François et RICHARD Jean, La Bête du Gévaudan, Sayat, De Borée, 1999, 207 p., p. 174
[26]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 43
[27]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., p. 13
[28]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 88
[29]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 134
[30]Ibid., pp. 137-138
[31]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 39
[32]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 31
[33]Ibid., p. 31
[34]Ibid., p. 58
[35]VO-HA Paul, « Les opérations contre les Barbets… », art. cit., p. 113
[36]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 56 ; voir WILFERT Alban, « La chair et le sang – La violence sexuelle dans les conflits du XVIIe siècle [1/2] Maux et mots du viol », dans La Revue d’Histoire Militaire, Les Lilas, 2022, 42 p., [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2022/11/30/la-chair-et-le-sang-la-violence-sexuelle-dans-les-conflits-du-xviie-siecle-1-2-maux-et-mots-du-viol/ (dernière consultation le 13/08/2023)
[37]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 45
[38]Ibid., pp. 59-60
[39]Ibid., p. 46
[40]Ibid., p. 71
[41]Ibid., pp. 168-169
[42]VIAL Charles-Éloi, « La bête du Gévaudan et ses archives », dans Revue de la Bibliothèque Nationale de France, Paris, Bibliothèque nationale de France, n° 56, 2018, 184 p., pp. 22-29, p. 24, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2018-1-page-22.htm (dernière consultation le 06/08/2023)
[43]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 176
[44]Ibid., p. 177
[45]Ibid., pp. 198-199
[46]PASTOUREAU Michel, op. cit., p. 124 ; CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 58
[47]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., p. 75
[48]PASTOUREAU Michel, op. cit., p. 124
[49]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 234
[50]Ibid., p. 88
[51]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 42
[52]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., pp. 90-91
[53]Ibid., p. 42
[54]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 91
[55]Ibid., p. 217
[56]Voir BÉGUIN Katia, Financer la guerre au XVIIe siècle : la dette publique et les rentiers de l’absolutisme, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2012, 396 p.
[57]CHAGNIOT Jean, Guerre et société à l’époque moderne, Paris, Presses universitaires de France, 2001, 394 p., pp. 105-109
[58]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., pp. 14-16
[59]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 40
[60]Ibid., p. 41 ; MORICEAU, op. cit., pp. 99-100
[61]Ibid., p. 100 ; CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 41
[62]Ibid., p. 39
[63]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., pp. 104-108
[64]Ibid., pp. 107-108
[65]VIAL Charles-Éloi, art. cit., p. 25
[66]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., p. 110
[67]Ibid., p. 159
[68]Ibid., p. 160
[69]VIAL Charles-Éloi, art. cit., p. 25
[70]MORICEAU Jean-Marc, op. cit., pp. 232-233
[71]Ibid., p. 233
[72]DRÉVILLON Hervé, L’Individu et la Guerre : du chevalier Bayard au soldat inconnu, Paris, Belin, 2013, 306 p.
[73]CORNETTE Joël, Le roi de guerre : essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 2000 (1re éd. 1993), 486 p.
[74]MORICEAU Jean-Marc, Histoire du méchant loup : 3000 attaques sur l’homme en France, XVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 2007, 623 p., p. 188
[75]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., pp. 32-33 et p. 64
[76]BOYAC Hervé, La Bête du Gévaudan : le loup réhabilité, Paris, De Borée, 2013, 430 p., p. 50
[77]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 49
[78]BOYAC Hervé, op. cit., p. 46
[79]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 64
[80]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 59 ; MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 226
[81]Ibid., p. 43
[82]Ibid., pp. 196-197
[83]Ibid., p. 59
[84]Ibid., p. 60
[85]Ibid., pp. 78-79
[86]Ibid., p. 57
[87]Ibid., p. 81
[88]Ibid., p. 32
[89]Ibid., pp. 145-146
[90]Ibid., p. 146
[91]MORICEAU Jean-Marc, Histoire du méchant loup…, op. cit., p. 173
[92]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., p. 56
[93]Ibid., p. 56
[94]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 149
[95]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 59
[96]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., p. 56
[97]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 76
[98]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 92
[99]Ibid., pp. 92-93
[100]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 154
[101]Ibid., p. 154
[102]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., pp. 56-58
[103]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., pp. 57-58
[104]BOYAC Hervé, op. cit., p. 50
[105]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., pp. 62-63 et pp. 74-75
[106]SALVADORI Philippe, op. cit., p. 121
[107]Ibid., p. 122
[108]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 75
[109]Ibid., pp. 75-76
[110]CHABROL Jean-Paul, op. cit., p. 33
[111]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., pp. 141-145
[112]PASTOUREAU Michel, op. cit., p. 124
[113]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., p. 55
[114]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 197
[115]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., p. 52
[116]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 197
[117]Littéralement « le dernier argument des rois », cette formule, adoptée par Richelieu, puis par Louis XIV, figure sur les canons de ce dernier. Elle renvoie à l’usage de la force, en dernier recours, par un chef d’État.
[118]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 212
[119]Ibid., p. 221
[120]Il a commencé sa carrière dans un régiment de dragons avant de devenir lieutenant des chasses du roi, la louveterie royale remontant à Charlemagne.
[121]Ibid., p. 218
[122]VIAL Charles-Éloi, art. cit., p. 26
[123]Ibid., p. 26
[124]Ibid., p. 26 ; MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., pp. 217-218
[125]Ibid., p. 219 et p. 226
[126]VIAL Charles-Éloi, art. cit., pp. 26-27
[127]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 237. Nombreux sont ceux qui rapportent, de la sorte, les restes d’animaux qu’ils n’ont pas tués.
[128]Ibid., p. 238
[129]Ibid., p. 243
[130]Ibid., pp. 245-246 et p. 249
[131]Ibid., pp. 253-254
[132]Ibid., pp. 254-256
[133]FABRE François et RICHARD Jean, op. cit., pp. 111-116
[134]MORICEAU Jean-Marc, La Bête du Gévaudan…, op. cit., p. 328
[135]Ibid., p. 324
[136]Ibid., pp. 328-339
[137]Ibid., p. 329
[138]Ibid., pp. 339-340
[139]Ibid., p. 340
[140]Ibid., p. 344
[141]Ibid., pp. 370-371