Affiche du film Qu’un sang impur…

Qu’un sang impur…

Traiter de la guerre d’Algérie est un exercice périlleux. Proposer un point de vue objectif sur le conflit se heurte généralement à la question de la mémoire. Plusieurs réalisateurs s’y sont essayés, avec plus ou moins de succès : Florent-Emilio Siri avec L’ennemi intime, René Vautier avec Avoir vingt ans dans les Aurès, Mark Robson avec Les Centurions, Gillo Pontecorvo avec La bataille d’Alger, Yves Boisset avec R.A.S, ou encore Rachid Bouchareb avec Hors-la-loi.

Qu’un sang impur… d’Abdel Raouf Dafri n’échappe pas à cette règle. Nous y suivons les pérégrinations du colonel Andreas Breitner (Johan Heldenbergh), français par le sang versé ; de sa « compagne » et aide de camp Hmong Soua Ly-Yang (Linh-Dan Pham) ; du sergent-chef Senghor (Steve Tientcheu) ; du soldat Martillat (Pierre Lottin) ; et d’Assia Bent Aouda (Lyna Khoudri), ancienne artificière rebelle, capturée et utilisée afin de nettoyer le passage pour le petit groupe. Pour ne pas trop vous dévoiler l’intrigue du film, nous dirons simplement que le scénario est centré sur la recherche d’un colonel disparu (Olivier Gourmet), dont le colonel Breitner doit ramener à la famille certains effets personnels pour l’enterrer dignement. Cela peut être considéré comme peu original, mais le genre du voyage d’un point A à un point B permet d’introduire, au fil de la progression des personnages, plusieurs thèmes qui invitent à la réflexion, tel Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.

Pour les amateurs de réalisme et d’histoire militaire, il peut sembler étrange et improbable qu’une si petite escouade puisse être déployée. Néanmoins, puisque la mission est confiée par la famille du disparu, elle semble donc s’émanciper du cadre militaire : en témoigne la composition de l’escouade, aidée par les amitiés du colonel Breitner. Ce n’est donc pas un film traitant de l’ensemble de la guerre d’Algérie, avec une mise en scène réaliste et un respect total de l’histoire, mais qui s’inscrit plutôt dans son cours, en proposant une aventure fictive, invitant à la réflexion et limitée dans le temps et l’espace.

Dans son contenu et au niveau du traitement du sujet, le film ne cherche pas à trancher entre les deux visions du conflit. Il permet de les présenter et de les confronter. Les exactions des deux camps sont ainsi évoquées : tortures, exécutions de prisonniers, attaques sur des civils… Cependant, Qu’un sang impur… a cet avantage de souligner que la guerre d’Algérie n’est pas un affrontement entre deux blocs monolithiques : rebelles et loyalistes. Chacun des camps subit ses propres dissensions, les maquisards étant souvent partagés sur leur conception de la loyauté à leur cause (parler, mentir, cacher des informations, mourir…), tandis que les Français se retrouvent scindés sur leur compréhension du conflit ou le respect de leur engagement.

Une autre force du film est d’ailleurs d’avoir mis en scène un groupe de personnages issus d’univers différents. Le Colonel Breitner est français par le sang versé, est atteint de stress post-traumatique et a fait l’Indochine au sein des commandos Nord Viet-Nam. Son assistante, Soua Ly-Yang, est une ancienne maquisarde Hmong, ce qui permet d’introduire la question des troupes supplétives et de leur sort dans l’après-guerre : à l’image des Harkis, les Hmong furent abandonnés à leur sort. Le sergent-chef Senghor, condamné à mort pour le meurtre de son officier, est le fils d’un tirailleur sénégalais vétéran de la Première Guerre mondiale. Tandis qu’Alexis Martillat est le fils d’un combattant tombé en Indochine, volontaire en Algérie pour descendre du « basané ». Tous deux ne peuvent ignorer l’héritage familial et ce traitement permet d’évoquer les raisons de leur engagement et leur compréhension du conflit. Enfin, la jeune Assia Bent Aouda, prisonnière, apporte le point de vue rebelle, la manière dont ceux-ci perçoivent le conflit pour leur indépendance, mais aussi leur vision de l’armée française et de ses auxiliaires, comme les Harkis.

Plan du film Qu'un sang impur...
Plan du film Qu’un sang impur…, DAFRI Abdel Raouf, Qu’un sang impur…, France, Bellini Films / France 2 Cinéma / Moana Films, 2020, 109 min

La guerre d’Algérie est représentée de manière crue, avec beaucoup de violences psychologiques et physiques. Notons une chose : le film se déroule en 1960, un an après le début du plan Challe qui réduit drastiquement les capacités militaires de l’Armée de libération nationale, bras armé du Front de libération national. Il ne faut donc pas s’attendre à des affrontements d’ampleur, mais à la présence de quelques maquisards, dont le groupe principal ne dépasse pas la vingtaine de combattants.

L’opposition entre les deux camps principaux (avec toutes leurs failles) n’est, par ailleurs, pas le seul affrontement mis en avant. Le film présente aussi les profiteurs de guerre, les pillards qui tuent et volent pour survivre ou s’enrichir, au cours d’une scène très intéressante : les Français sont intrigués par les motivations de ces individus, en somme proches ethniquement des rebelles, alors que ces derniers se distinguent clairement d’eux, les déshumanisant même en les comparant à des chiens. Car c’est aussi la représentation que peut se faire un individu lambda d’un camp donné dans une situation précise qui est évoquée : le rapport au groupe et à la cause, mais aussi à l’autre, à l’ennemi.

Enfin, le contexte et les enjeux de cette guerre sont aussi présentés : la présence française, l’indépendance, mais également l’issue. Senghor et Martillat ont ainsi une courte discussion particulièrement intéressante sur leur engagement, dont la conclusion est claire (quoique versant dans la téléologie). En raison du nombre de victimes et de l’implication de chacun des camps sur ce territoire et durant le conflit, cette guerre pourrait ne jamais réellement finir puisque ses cicatrices demeureraient ouvertes longtemps.

Plan du film Qu'un sang impur...
Plan du film Qu’un sang impur…, DAFRI Abdel Raouf, Qu’un sang impur…, France, Bellini Films / France 2 Cinéma / Moana Films, 2020, 109 min

Ainsi, Abdel Raouf Dafri tente d’apporter un regard objectif sur un conflit sale et violent, où l’indépendance d’un peuple s’est jouée. Qu’un sang impur… vaut le détour, même s’il ne plaît peut-être pas à tout le monde. En refusant de prendre parti et en proposant une via media entre les deux camps, notamment en montrant leurs exactions respectives, il ne permet pas toujours de s’identifier ou de s’attacher à un personnage ou un groupe. Cela peut être un défaut pour l’immersion, mais peut aussi représenter une grande qualité pour l’objectivité recherchée. En résumé, Qu’un sang impur… est un film sans concessions, prenant et intéressant. N’hésitez pas à le voir pour vous forger votre propre avis !

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Filmographie :

DAFRI Abdel Raouf, Qu’un sang impur…, France, Bellini Films / France 2 Cinéma / Moana Films, 2020, 109 min

Une réflexion sur “Qu’un sang impur…

  1. Excellent présentation du film et du conflit fratricide que fut l’Algérie a bien des égards ! Merci Cyril ! José

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