Gillo Pontecorvo et Yacef Saâdi, ensemble, au 27e Festival international de Venise en 1966. Le réalisateur remporte le Lion d’Or pour son film La Bataille d’Alger dans lequel Yacef Saâdi joue son propre rôle

La Bataille d’Alger – Gillo Pontecorvo (1966)

Gillo Pontecorvo et Yacef Saâdi, ensemble, au 27e Festival international de Venise en 1966. Le réalisateur remporte le Lion d’Or pour son film La Bataille d’Alger dans lequel Yacef Saâdi joue son propre rôle, Wikimedia Commons

1957. La Bataille d’Alger. Huis clos dans la Casbah. Le ton est donné au son des tambours qui résonne dès le début du film qui retrace un épisode historique devenu mythique de la guerre d’Algérie. La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo est un de ces films que seuls quelques mots pourraient décrire. Quelques mots et pourtant, le film algéro-italien jouit d’un destin presque singulier, entre silence et gloire.

« Casbah-Film présente La première grande production Algérienne » sont les premiers mots qui s’inscrivent à l’écran lorsque commence le film. L’histoire mise en scène en noir et blanc par le réalisateur communiste italien Gillo Pontecorvo s’écrit de l’Algérie à l’Italie. La Battaglia di Algeri reconstitue un épisode éponyme marquant de la guerre d’indépendance algérienne, qui s’étend de janvier à octobre 1957. Toutefois, le récit du film se déroule entre 1954 et 1962, reprenant ainsi les bornes chronologiques du conflit algérien, ancrant la bataille d’Alger dans les huit années de lutte qui se jouent entre les protagonistes.

Alger, 1954. La cité européenne. Après s’être ouvert sur une scène de torture d’un présumé militant du FLN (Front de libération nationale) par l’armée française en 1957, le film rembobine trois ans en arrière au moment où éclate la guerre d’Algérie. On suit Ali Ammar, plus connu sous le surnom d’Ali la Pointe, qui n’est alors qu’un homme ordinaire qui se retrouve en prison à la suite d’une bagarre qui dégénère. La vue de l’exécution d’un homme à la guillotine derrière les barreaux de sa cellule le change à tout jamais. Les premiers « Tahia El Djazaïr ! » (Vive l’Algérie !) résonnent déjà alors que celui qui se bat pour l’indépendance de sa patrie meurt. Ali Ammar devient alors Ali la Pointe lorsqu’il entre dans le nouvellement créé FLN.

Portrait d’Ali la Pointe, de son vrai nom Ali Ammar
Portrait d’Ali la Pointe, de son vrai nom Ali Ammar, Wikimedia Commons

À force de missions pour le compte du FLN, Ali rencontre rapidement le chef de la zone autonome d’Alger, Jaffar El-hadi. L’homme est interprété par l’ancien combattant du FLN, Yacef Saâdi, qui tenait ce rôle éponyme pendant la guerre d’Algérie. En effet, le scénario du film s’inspire des souvenirs de la bataille d’Alger vécue par Yacef Sâadi[1], qui co-produit le film.

Gillo Pontecorvo fait le choix de tourner avec des non-professionnels, à l’exception de l’acteur Jean Martin, qui interprète le colonel Mathieu Philippe (lui-même inspiré de la figure du colonel Bigeard). L’artiste est engagé puisqu’il a fait partie des signataires du Manifeste des 121 durant la guerre d’Algérie[2]. L’acteur principal Brahim Hadjadj, qui joue Ali la Pointe, a été repéré dans la rue par le réalisateur. L’expérience historique a été préférée à l’expérience professionnelle dans le cadre de ce film. Ainsi, des militants du FLN qui ont combattu lors de la bataille d’Alger ont été des conseillers techniques pour le film.

Dès l’été 1956, de nombreux attentats commis par le FLN visent des policiers. L’insécurité règne dans la ville d’Alger qui y remédie par l’installation de barrages filtrants qui bloquent l’entrée et la sortie des quartiers arabes. Le 10 août 1956, une bombe de l’Organisation de la résistance de l’Algérie française[3] explose dans la rue de Thèbes, dans la Casbah d’Alger. 80 personnes, des Algériens musulmans, y trouvent la mort.

En réponse à cet attentat sanglant, le FLN ruse pour contrer les barrages. Il fait habiller des femmes à l’européenne afin qu’elles puissent passer les contrôles sans être fouillées, puis leur fait déposer des bombes dans des lieux fréquentés par les Européens d’Algérie. Le 30 septembre 1956, trois attentats simultanés sont perpétrés par le FLN, un au Milk-Bar, un glacier du centre-ville, un dans une cafétéria de la rue Michelet et la dernière bombe qui n’explose pas à l’hôtel Maurétania. Le film reproduit quasiment à l’identique cet évènement, si ce n’est que la cafétéria est un dancing et l’hôtel une agence Air France. Les trois actrices interprètent ainsi Djamila Bouhired, Hassiba Bent-Bouali et Zohra Drif qui appartiennent au « réseau bombe ».

« Les poseuses de bombes » vers 1956. La photo montre de gauche à droite, derrière : Djamila Bouhired, Yacef Saâdi et Hassiba Bent-Bouali et devant : Samia Lakhdari, Omar, le neveu de Yacef Saâdi, Ali la Pointe et Zohra Drif. Cette photo apparaît dans le livre du colonel Jacques Massu qui revient sur son expérience de la bataille d’Alger
« Les poseuses de bombes » vers 1956. La photo montre de gauche à droite, derrière : Djamila Bouhired, Yacef Saâdi et Hassiba Bent-Bouali et devant : Samia Lakhdari, Omar, le neveu de Yacef Saâdi, Ali la Pointe et Zohra Drif. Cette photo apparaît dans le livre du colonel Jacques Massu qui revient sur son expérience de la bataille d’Alger[4], Wikimedia Commons
« Les poseuses de bombes » vers 1956. De gauche à droite : Samia Lakhdari, Zohra Drif, Djamila Bouhired, Hassiba Bent-Bouali. Cette photo apparaît dans le livre du colonel Jacques Massu qui revient sur son expérience de la bataille d’Alger
« Les poseuses de bombes » vers 1956. De gauche à droite : Samia Lakhdari, Zohra Drif, Djamila Bouhired, Hassiba Bent-Bouali. Cette photo apparaît dans le livre du colonel Jacques Massu qui revient sur son expérience de la bataille d’Alger[5], Wikimedia Commons

La situation devient critique à Alger alors que les attentats se répondent d’un côté et de l’autre. La 10e division parachutiste est appelée afin d’endiguer le terrorisme du FLN et mettre fin au réseau complexe qui s’est tissé dans les ruelles de la Casbah. Dans une scène, le colonel des parachutistes explique à ses hommes l’organisation des réseaux du FLN. Chaque homme connaît au maximum trois personnes, celle qui l’a recruté et deux autres qu’il recrute à son tour.

Ainsi, une fois arrêté, il est impossible de remonter jusqu’à l’état-major du FLN. Le colonel Mathieu Philippe dit donc : « Voilà pourquoi nous ne connaissons pas nos adversaires, parce qu’en réalité ils ne se connaissent pas entre eux ». Selon lui, la base de ce travail de décryptage du réseau FLN est le renseignement qui a pour méthode l’interrogatoire. Lui seul, en ses mots, permet de remonter la pyramide car il permet d’obtenir une réponse. Par interrogatoire, la question de la torture est sous-entendue.

Le colonel Godard, qui s’occupe du renseignement pour le colonel Massu lors de la bataille d’Alger, présente aux journalistes des bombes récupérées à la Casbah d’Alger, le 27 juin 1957. Cette action s’inscrit dans le cadre du démantèlement du « réseau bombe » mis en place par Yacef Saâdi
Le colonel Godard, qui s’occupe du renseignement pour le colonel Massu lors de la bataille d’Alger, présente aux journalistes des bombes récupérées à la Casbah d’Alger, le 27 juin 1957. Cette action s’inscrit dans le cadre du démantèlement du « réseau bombe » mis en place par Yacef Saâdi, Wikimedia Commons

Cette scène d’anthologie où le colonel explique à ses officiers comment vaincre la guerre subversive a eu un retentissement très important au-delà du film. La projection de la Bataille d’Alger est courante chez les militaires pour étudier la guerre révolutionnaire. Selon Le Monde du 8 septembre 2003, le film est visionné par les officiers de l’état-major de l’armée américaine après le début de l’intervention en Irak. Sur le carton d’invitation à la projection au Pentagone était noté : « Comment gagner la bataille contre le terrorisme et perdre la guerre des idées ? Des enfants tirent sur des soldats à bout portant, des femmes mettent des bombes dans des cafés et bientôt toute la population arabe communie dans une ferveur folle. Les Français ont un plan, ils obtiennent un succès tactique, mais ils subissent un échec stratégique, cela vous rappelle quelque chose ? Pour comprendre pourquoi, venez à cette projection rare »[6].

Quand la fiction rejoint l’histoire ou plutôt quand l’histoire rejoint l’histoire. Le film sert tout autant à des armées pour apprendre les techniques de la guerre contre-révolutionnaire qu’à des mouvements de libération qui s’inspirent de la guerre révolutionnaire. Il a pu ainsi inspirer des mouvements étudiants et ouvriers anti-impérialistes au moment de sa sortie en 1966 qui correspond à la période de la décolonisation.

Il est interdit dans plusieurs pays, tout d’abord en France où il est censuré jusqu’en 2004, mais aussi en Uruguay, en Iran ou en Afrique du Sud. À la présentation officielle du film au Festival international de Venise en 1966, la délégation française n’assiste pas à la projection. La distinction du Lion d’Or remportée par le film est teintée de la désapprobation de la France. Censuré des écrans de cinéma dès 1966, La Bataille d’Alger sort en France en 1971 avant d’être rapidement retiré sous la pression des mémoires passionnées de la guerre d’Algérie et des menaces d’attentats à la bombe. Plusieurs tentatives d’attentats, qui font quelques blessés, visent des cinémas qui osent projeter le film.

Caméra à l’épaule, les scènes de confrontation entre les paras et le FLN s’enchaînent pour le contrôle du quartier de la Casbah. Le FLN a l’avantage de connaître par cœur ce quartier entrelacé de ruelles, la vieille-ville arabe, et d’avoir la population à ses côtés. Grâce aux interrogatoires, l’armée réussit à remonter jusqu’à l’état-major et Jaffar est arrêté. Il ne reste plus qu’Ali la Pointe accompagné du petit Omar, un garçon de 13 ans. Omar Yacef est le neveu de Yacef Saadi et un agent de liaison entre les combattants et l’état-major du FLN durant la bataille d’Alger. Il vit au 5 rue des Abderrames dans la Casbah d’Alger, maison familiale que l’armée dans le film arrive à retracer. Le 8 octobre 1957, il meurt aux côtés d’Ali la Pointe et Hassiba Bent-Bouali dans cette même maison après avoir refusé de sortir pour se rendre.

Ruelle de la Casbah d’Alger en 1900
Ruelle de la Casbah d’Alger en 1900, Wikimedia Commons

L’explosion et la mort d’Ali la Pointe marquent la fin de la bataille d’Alger qui est remportée par l’armée. La voix-off du film annonce que le FLN a été décapité à Alger. L’image se coupe et l’action reprend trois ans plus tard, le 11 décembre 1960, moment d’une révolte populaire en faveur de l’Algérie indépendante à Alger. Des drapeaux algériens flottent dans les rues. Gillo Pontecorvo illustre la continuité de la fidélité au FLN dans la population musulmane d’Alger. Alors que celui-ci est mort en 1957 dans la capitale, il refait surface en 1960. « Deux années de lutte devaient encore passer et le 2 juillet 1962 avec l’indépendance naquit la nation algérienne ».

Quand la fiction rejoint l’histoire, quand l’histoire rejoint la fiction. Le premier Président de la République algérienne indépendante Ahmed Ben Bella est renversé au travers d’un coup d’État par Houari Boumédiène, alors Vice-Président de la République et Ministre de la Défense. Le 19 juin 1965, les chars de l’armée menée par Boumédiène envahissent Alger et Ben Bella est arrêté. Le tournage de La Bataille d’Alger a lieu au même moment dans la capitale. La population n’est donc plus surprise de voir des chars dans les rues de sa ville. Pourtant, ce jour-là, les faux chars du tournage masquent les vrais chars du coup d’État, la fiction rejoignant l’histoire.

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Bibliographie :

PONTECORVO Gillo, La Bataille d’Alger, Italie-Algérie, Igor film-Casbah film, 1966, 121 min.

DAULATZAI Sohail, « How The Battle of Algiers Influenced Rage Against the Machine and L.A.’s Chicano Artist Community », dans L.A. Weekly, Los Angeles, Village Voice Media, 2016, [en ligne] https://www.laweekly.com/how-the-battle-of-algiers-influenced-rage-against-the-machine-and-l-a-s-chicano-artist-community/ (dernière consultation le 2 février 2022)

MASSU Jacques, La Vraie bataille d’Alger, Paris, Plon, 1971, 391 p.

SAÂDI Yacef, Souvenirs de la bataille d’Alger, décembre 1956 – septembre 1957, Paris, Julliard, 1962, 122 p.


[1]SAÂDI Yacef, Souvenirs de la bataille d’Alger, décembre 1956 – septembre 1957, Paris, Julliard, 1962, 122 p.

[2]Le Manifeste des 121, titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », est signé par autant d’intellectuels que d’artistes et publié en 1960 dans le magazine Vérité-Liberté.

[3]L’Organisation de la résistance de l’Algérie française (ORAF) est un réseau clandestin anti-indépendantiste qui lutte contre le FLN. Il ne faut pas confondre ce réseau avec l’organisation politico-militaire OAS (Organisation de l’armée secrète), créée en 1961.

[4]MASSU Jacques, La Vraie bataille d’Alger, Paris, Plon, 1971, 391 p.

[5]Ibid.

[6]DAULATZAI Sohail, « How The Battle of Algiers Influenced Rage Against the Machine and L.A.’s Chicano Artist Community », dans L.A. Weekly, Los Angeles, Village Voice Media, 2016, [en ligne] https://www.laweekly.com/how-the-battle-of-algiers-influenced-rage-against-the-machine-and-l-a-s-chicano-artist-community/ (dernière consultation le 2 février 2022)

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