Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?

Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial – BRANCHE Raphaëlle

Cette recension a préalablement été publiée dans la lettre n°14 BIS de la Commission Française d’Histoire Militaire en avril 2022. Nous partageons ce texte avec leur autorisation et celle de l’auteur, Alain J. ROUX.

Le sous-titre précise l’objet de livre, mais non son esprit. L’auteur s’est fait connaître en 2001 par un ouvrage, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il était à la fois orienté et ne mettait en exergue que quelques points soigneusement délimités. Depuis, elle a continué ses œuvres sur le même thème et entamé une brillante carrière universitaire.

Le sujet traité est, a priori, très intéressant. En commençant par la transmission des images mémorielles des combattants de la Première Guerre mondiale, puis une génération plus tard celles de la Seconde avec leurs conséquences sur les épouses et les enfants des hommes impliqués directement : mort, blessure handicapante, absence très longue. Ce livre développe des observations souvent occultées, particulièrement les rapports entre époux.

En entrant dans le sujet annoncé, l’auteur indique que durant les évènements qui se déroulent en Algérie entre 1954 et 1962 la vie matérielle en France métropolitaine, que les dernières générations connaissent mal, évolue très rapidement. Les trois grandes parties du livre : la guerre, le retour, l’héritage, sont logiques. Toutefois le lecteur attentif se demande comment les personnes interrogées (soldats appelés en Algérie, membres des familles restées en France métropolitaines, enfants des militaires de carrière ayant servi en Algérie durant la période 1954 à 1962) ont été choisies. D’abord madame Branche évoque souvent un questionnaire envoyé à ses correspondants, mais nulle part ce questionnaire n’est reproduit, ce qui est surprenant lors d’une enquête sociologique ; ensuite comment ces derniers ont-ils été choisis ? Enfin combien ont répondu soit par écrit ou par entretien oral, avec les pourcentages de réponses dans chaque cas ? Après lecture, on a simplement l’impression que l’enquête a été faite principalement auprès des membres de la FNACA ou de leurs familles. Or les spécialistes de ce conflit douloureux savent que la FNACA est dirigée par un groupe politiquement orienté. Ceci évidemment ne donne pas une confiance entière dans la valeur scientifique de l’enquête.

La lecture donne l’impression que les jeunes officiers de réserve appelés souffrent de la conduite de leurs compagnons d’armes qui recherchent des renseignements sur l’ennemi.
Celui-ci est présenté comme ne faisant jamais appel aux tortures et aux massacres, pourtant bien connues comme à Mélouza ou à Oran, ni aux attentats aveugles, sans oublier l’exécution de ceux qui refusent de payer « l’impôt révolutionnaire ». Les habitants d’origine européenne sont ignorés ou, dans quelques cas, cités comme très critiquables, la légende du « verre d’eau » n’étant cependant évoquée qu’une fois. L’OAS, qui a bien existé au travers de nombreux plasticages et d’assassinats ciblés, est montrée sans nuance aucune, alors qu’elle était le fruit d’une année tragique et de la désespérance des pieds noirs et des derniers partisans de l’Algérie française.

Enfin, malgré une bibliographie abondante donnée en fin d’ouvrage,  un lecteur qui a vécu durant cette période, et qui s’intéresse sérieusement à son histoire, relève un grand nombre de points qui devraient être précisés avec toutes les sources disponibles, d’autant plus qu’un certain nombre de témoins vivent encore.

En résumé si le sujet de ce livre est très intéressant, sa lecture ne peut être faite qu’avec la plus grande prudence, et encore par des lecteurs qui tiennent compte de tous les témoignages.                      

Alain J. ROUX., membre de la Commission Française d’Histoire Militaire

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Bibliographie :

BRANCHE Raphaëlle, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, Paris, La Découverte, 2020, 511 p.

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