« C’est trop long-temps laisser nos flèches inutiles dans leurs carquois ; allons, dit-il, allons combattre ; c’est le seul repos qui convienne aux Mandchous. Nos montagnes & nos forêts nous offrent une nouvelle espèce d’ennemis ; que la chasse soit pour nous une image de la guerre »[1]. écrit l’empereur Qianlong 乾隆 (1711-1799) dans son ouvrage Éloge de la Ville de Moukden.
Cette citation nous plonge instantanément au cœur du XVIIIe siècle et témoigne de la grande peur qui pèse sur les épaules de l’empereur de Chine, dépeint ici chassant un cerf, dans un moment de grande tension. Sa crainte était que les Mandchous, qui dominaient déjà la Chine depuis un siècle, s’habituent à la vie sédentaire des Chinois et, en adoptant leurs coutumes, perdent la vigueur et la force guerrière des peuples nomades.
L’histoire de la Chine nous apprend que le sentiment de Qianlong était justifié, car la raison principale de la chute des dynasties non-Han (Jin, Yuan) fut l’affaiblissement de leurs qualités martiales à cause du train de vie aisé dont ils bénéficiaient sur le territoire chinois. Pour cette raison, Qianlong perpétua la coutume de son grand-père Kangxi de quitter l’opulence de la capitale pour séjourner pendant deux à quatre mois dans la réserve de chasse de Mulan (aujourd’hui dans la province de Hebei) afin de renouer avec ses origines et pratiquer la chasse.
Le nom « Mulan » évoque probablement pour la plupart des personnes l’héroïne éponyme, inspirée d’une ballade du VIe siècle et devenue notoire grâce au film d’animation Disney. Pourtant, il n’existe aucun lien entre cette dernière et la réserve de chasse impériale de la dynastie Qing. Bien que du point de vue phonétique et graphique les deux noms coïncident, 木兰 (mulan, « orchidée de bois »), désignant le magnolia, ils diffèrent du point de vue de leur emploi. Dans le cas du personnage féminin, « Mulan » est choisi pour son sens symbolique riche dans la culture chinoise : beauté, pureté, vertu. Alors que le nom de la réserve de chasse est une transcription phonétique en chinois du mongol muran « bramement de cerf », qui désigne l’action de leurrer le cerf lorsqu’on le chasse, référence à une technique où les chasseurs portent des têtes de cerf et imitent leur bramement pour les attirer[2].
La série Chasses d’automne de l’empereur Qianlong à Mulan comprend au total quatre rouleaux immortalisant le séjour de l’Empereur Qianlong : le voyage depuis le départ de la capitale (rouleau 1), l’arrivée et le campement à Mulan (rouleau 2), le banquet (rouleau 3) et la chasse par encerclement (rouleau 4).

La technique de chasse par encerclement, xingwei 行位, qui donne son nom au quatrième rouleau, est connue par les peuples mongols sous le nom d’aba. Cette forme de chasse ancienne est aussi un exercice militaire qui demande beaucoup de prouesse technique et de courage, car dans cette épreuve, l’homme fait face à l’imprévisibilité de la nature sauvage. Le principe est d’encercler un territoire (la réserve de Mulan s’étend sur 15 à 40 km) et ensuite resserrer progressivement le cercle afin de ramener tout le gibier dans un espace d’un kilomètre. Pour que le gibier ne s’échappe pas, un deuxième cercle se forme autour du premier. À Mulan, le petit cercle d’un kilomètre et demi se forme au camp d’observation kancheng 看城 où l’empereur attend pour tirer sur le gibier sous les applaudissements des nobles[3].

Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :
Bibliographie :
ELLIOTT Mark, Emperor Qianlong: Son of Heaven, Man of the World, Londres, Pearson, 2009, 208 p.
ELLIOTT Mark, The Manchu way : The Eight Banners and ethnic identity in Late imperial China, Stanford, Stanford University Press, 2001, 608 p.
HOU Ching-Lang 侯錦郎 et PIRAZZOLI Michèle, « Les chasses d’automne de l’empereur Qianlong à Mulan », dans T’oung Pao, vol. 65, n°1/3, Leyde, Brill, 1979, 142 p., pp. 13-50, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/4528156 (dernière consultation le 26/03/2020)
QING Gaozong, Éloge de la ville de Moukden et de ses environs, Paris, Nicolas-Martin Tilliard, 1770, 381 p., édité par DE GUIGNES Joseph et traduit par AMIOT Josephe-Marie, [en ligne] https://www.google.fr/books/edition/Eloge_de_la_ville_de_Moukden_et_de_ses_e/odIWAAAAQAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=inauthor:%22Qianlong+(Emperador+de+China)%22&printsec=frontcover (dernière consultation le 07/03/2023)
Crédits iconographiques :
1-
2- Ibid., détail sur l’empereur Qianlong
[1] QING Gaozong, Éloge de la ville de Moukden et de ses environs, Paris, Nicolas-Martin Tilliard, 1770, 381 p., pp. 72-73, édité par DE GUIGNES Joseph et traduit par AMIOT Josephe-Marie, [en ligne] https://www.google.fr/books/edition/Eloge_de_la_ville_de_Moukden_et_de_ses_e/odIWAAAAQAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=inauthor:%22Qianlong+(Emperador+de+China)%22&printsec=frontcover (dernière consultation le 07/03/2023)
[2] HOU Ching-Lang 侯錦郎 et PIRAZZOLI Michèle, « Les chasses d’automne de l’empereur Qianlong à Mulan », dans T’oung Pao, vol. 65, n°1/3, Leyde, Brill, 1979, 142 p., pp. 13-50, p. 15, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/4528156 (dernière consultation le 26/03/2020)
[3] Ibid., pp. 34-35