Le massacre de Nankin – Une cicatrice à jamais

« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. » — Vie de Raison (1905) de George Santayana

Toute souffrance s’efface et même s’oublie avec le temps. Afin de ne pas être oubliée, elle doit être commémorée, remise en avant dans les esprits. La signification de son souvenir n’est pas d’enregistrer la douleur, mais de réfléchir à ses effets et d’être ensuite expiée.

Photographie de Chinois en train d’être enterrés vivants par les soldats impériaux japonais lors du massacre de Nankin
Photographie de Chinois en train d’être enterrés vivants par les soldats impériaux japonais lors du massacre de Nankin, Wikimedia Commons

Du 13 décembre 1937 au mois de février 1938, les Japonais ont commis en Chine le « massacre de Nankin », qui a choqué le monde entier et causé la mort de près de 300 000 personnes. Cette catastrophe n’est pas une histoire traumatisante appartenant uniquement aux Chinois, mais au monde entier. Face à cet horrible massacre, on ne peut s’empêcher de penser à sa cause profonde qui ne peut être éliminée. Dans une civilisation moderne basée sur la science et la technologie, pourquoi l’humanité s’est-elle livrée à une telle ignominie ? La civilisation moderne est-elle vraiment un progrès ?

La réflexion est basée sur la présentation continue de faits historiques. Lorsqu’ils sont confrontés à des documents directs qui expriment la vérité historique, tels que des journaux intimes, des dossiers judiciaires et des mémoires, l’attitude et le comportement des gens varient en fonction de divers facteurs. En Chine, le massacre de Nankin est une matière discursive importante pour façonner la mémoire nationale collective, voire mondiale. Au Japon, c’est un stigmate sensible que l’on souhaite effacer. Pour le monde occidental, c’est une histoire qui est peu connue et peu étudiée. Intervient alors le cinéma. Grâce à sa nature narrative et artistique, le film peut atteindre le double effet de présenter la vérité historique et de diffuser la réflexion, il peut promouvoir la connaissance et la réflexion des gens sur l’histoire plus que les mots

En s’appuyant sur l’article de Yan Qianhai 严前海, professeur à l’université de la communication de Chine, intitulé Les récits post-massacre dans le cinéma européen, américain et chinois 欧美与中国电影中的“后屠杀”叙事 et la thèse de doctorat de Ji Jing 季静 à l’université des arts de Nankin, intitulé Mémoire nationale et récit du massacre de Nanjing 国家记忆与南京大屠杀叙事, l’’article compare les films et documentaires sur le massacre de Nanjing en Chine, au Japon, en Europe et en Amérique, en analysant à la fois les formes de présentation des scènes du massacre par l’art cinématographique et l’enregistrement de la vérité historique, afin d’explorer les différentes représentations et réflexions de personnes ayant des positions différentes sur le massacre ainsi que les motifs et les objectifs de leur création.

Formes de présentation artistique cinématographique de scènes de massacres et l’exemple de Nankin

Après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie cinématographique occidentale n’a cessé d’explorer et de développer les thèmes du massacre, en se concentrant principalement sur l’Holocauste nazi. En conséquence, un style mature de récit de l’Holocauste s’est progressivement formé. « La reproduction artistique du massacre est assez restreinte en Occident. Aucun film n’a encore porté directement à l’écran les scènes brutales de l’Holocauste » 关于大屠杀的“艺术再现”在西方是相当节制的。迄今为止还没有一部电影将纳粹大屠杀 的残酷场景直接搬上银幕[1], ou tout du moins pas autant qu’en Asie. « John Rabe, le juste de Nankin » (2009) est l’un des rares films occidentaux à mettre en scène le massacre de Nankin.

Il hérite de la tradition narrative occidentale et évite les scènes sanglantes du massacre. Il se concentre sur Rabe, le chef de la zone de sécurité de Nankin à l’époque. Cet officier allemand nazi, connu sous le nom de « Schindler chinois », a fait preuve d’un grand sens humanitaire lors de la chute de Nankin. Il a mené une campagne active pour le sauvetage des réfugiés chinois et a assuré une médiation constante avec l’armée et l’ambassade japonaises.

Le film évite le thème narratif traditionnel de la réflexion sur la guerre et se concentre plutôt sur les émotions entre Rabe, Wilson, Dupré, Rosen, Dora et les autres personnages, ce qui apporte une touche de réconfort dans ces moments difficiles. Bien que le film hérite du thème de base de la promotion de l’humanitarisme désintéressé, les Chinois deviennent secondaires dans ce film, et le seul personnage chinois important, Lang Shu 琅书, « est présent uniquement pour pimenter le film à travers quelques scènes de suspense et d’amour » 只是为影片加些惊险戏码及爱情戏码的调味品[2]. La souffrance des victimes n’est pas mise en avant. Dans un film, il est facile de minimiser ou d’éluder délibérément les scènes d’un massacre.

Affiche de la version allemande du film John Rabe, le juste de Nankin (2009)
Affiche de la version allemande du film John Rabe, le juste de Nankin (2009), Wikimedia Commons

Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde occidental s’est engagé dans une profonde réflexion sur l’Holocauste, ce qui a donné lieu à une production cinématographique et télévisuelle importante et sophistiquée. Après 1949, les efforts déployés par la Chine pour restaurer la production nationale et le quotidien du peuple, ainsi que pour apaiser les tensions dans les relations internationales, ont conduit à une période d’effacement de la mémoire publique, « ce que James Reilly a appelé l’oubli bénin » 被 James Reilly 称为“善意的遗忘”[3]. La réflexion peut être tardive, mais elle n’est jamais absente.

Depuis le début de la réforme et de l’ouverture (1978), elle s’est accompagnée d’une situation d’ouverture globale dans les domaines politique, économique et culturel. Les gens se sont aussi peu à peu intéressés à cet important sujet historique, et les discussions universitaires sur des sujets connexes, de même que les créations cinématographiques et télévisuelles ne se sont développées que progressivement. En ce qui concerne le massacre de Nankin, outre le premier documentaire du même nom en 1982, à ce jour, seuls dix films lui ont été consacrés.

Le premier d’entre eux, Massacre in Nanjing 屠城血证, sort en 1987. Il fut suivi de films comme Black Sun: The Nanking Massacre 黑太阳:南京大屠杀 (1995), Ne pleure pas Nanjing 南京1937 (1995) ou encore May & August 五月八月(2002). Dans l’ensemble, ces films ne sont pas aussi tabous que les films occidentaux, ils montrent les scènes de massacre de manière plus directe et plus gore. Par exemple, dans le film Black Sun: The Nanking Massacre (1995), des scènes sanglantes montrent des bébés abattus et décapités, et dans le film City of Life and Death 南京!南京! (2009), des scènes montrent le personnage de Tang Xiaomei 唐小妹 abattu et des femmes de réconfort nues transportées.

Ces images « réelles » donnent au public chinois, qui n’a pas vécu la catastrophe, l’occasion de vivre l’histoire de première main, ce qui lui permet d’exprimer son chagrin et sa colère pendant le film. Cela contribue, dans une certaine mesure, à atténuer l’amnésie collective des Chinois concernant le massacre de Nankin après 1949. Cependant, ces images choquantes mettent à l’épreuve la tolérance psychologique du public et provoquent certaines difficultés de visionnage. Et cela peut amener le public à être trop immergé dans les émotions de chagrin et de colère, incapable de comprendre les thèmes plus profonds liés à l’anti-guerre, à la recherche de la paix et à la réflexion sur la nature humaine que le film cherche à exprimer.

En revanche, au Japon, la sensibilité politique du sujet du massacre de Nankin n’a pas conduit à la création de nombreuses œuvres cinématographiques et télévisuelles sur le sujet. Seul un petit nombre de documentaires a été réalisé, tandis que les films sont dans un état de dissonance silencieuse. La raison pour laquelle la représentation du massacre diverge dans des films traitant du même sujet selon les régions, est l’influence des objectifs poursuivis, notamment en termes de communication et des diverses idéologies.

De 1987 à aujourd’hui, tous les films chinois sur le thème du massacre de Nankin n’ont pas échappé à une structure narrative de base, à savoir « les auteurs + les victimes + les résistants + les sauveurs (dénonciateurs) » 罪犯+受难者+反抗者+拯救者 (揭露者)[4]. Leur objectif principal est de présenter des preuves, d’exposer la vérité historique, de s’attaquer aux atrocités fascistes japonaises en Chine et de présenter les souffrances des soldats et des civils chinois. Bien que City of Life and Death et The flowers of war 金陵十三钗 (2011) déplacent la perspective du destin collectif des Chinois vers les individus qui ont vécu la dévastation, les réalisateurs espèrent accroître le thème de la réflexion sur la nature humaine par la présentation du destin des individus. Les images brutales du massacre sont relativement réduites, mais celles qui subsistent sont toujours présentées de manière directe, pas vraiment exemptes de l’intention fondamentale d’accusation. 

Affiche de la version chinoise du film City of life and death (2009)
Affiche de la version chinoise du film City of life and death (2009), Wikimedia Commons

L’existence de différents objectifs d’expression est principalement due à des influences idéologiques. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne s’est repentie de l’Holocauste et le monde occidental s’est réconcilié, il est donc plus rationnel face à de telles questions historiques. Mais, la Chine et le Japon ne sont jamais parvenus à un résultat parfait de communication bilatérale sur ces questions. D’une part, la Chine n’ayant pas réussi à obtenir des excuses estimées comme suffisantes du Japon au niveau international[5], a porté une accusation à travers la production de films.

D’autre part, le Japon essayait déjà d’effacer cette histoire déplaisante, il a donc choisi d’éviter d’en parler et a même produit des films inexacts pour la nier afin d’essayer d’effacer ses crimes. Le massacre de Nankin est donc devenu une bombe à retardement dans les relations sino-japonaises et dans les émotions des peuples chinois et japonais. Une grande partie des frictions diplomatiques entre ces deux pays durant ces dernières années est liée à ce problème.

Véritables témoignages de l’histoire

Le cinéma exprime de manière abstraite l’histoire, ce qu’il poursuit est une véracité plus artistique. En tant que support spécifique de la mémoire collective, le documentaire, quant à lui, tend à présenter la vérité au public. Avec ses caractéristiques visuelles, il le guide, lui fait imaginer et se souvenir de l’histoire : ce qu’il poursuit est la véracité historique. Cependant, dans des périodes historiques différentes, influencées par des idéologies spécifiques et le déploiement du pouvoir culturel, les thèmes et les modes d’expression des documentaires présentent également des visages complexes et divers[6].

Le massacre de Nankin est rarement évoqué en Occident en raison de son éloignement géographique. Le court laps de temps de 70 ans n’a pas pu effacer cette lourde vérité, d’où la « peur » du gouvernement japonais et l’oubli sélectif volontaire. Mais en tant qu’expérience chinoise de la souffrance, ni le temps ni l’espace ne permettent l’omission. Les documentaires sur le sujet montrent également des différences créatives régionales similaires.

Et en Chine, les documentaires sur le massacre de Nankin ont varié selon les périodes historiques. En général, depuis la fondation de la République populaire de Chine en 1949, les documentaires sur le massacre de Nankin peuvent être divisés en trois étapes de création : la première étape a été le silence de 1949 à 1981 ; la deuxième étape a été le retour aux yeux du public de 1982 à 2013, au cours de laquelle les thèmes principaux ont été « l’accusation des crimes » et « la recherche de preuves de l’histoire ». La troisième étape a été l’instauration de la Journée nationale du sacrifice pour les victimes du massacre de Nankin en 2014, qui a entraîné un changement dans la création de documentaires chinois sur le sujet, passant de l’exposition du traumatisme national à la mise en forme de la mémoire humaine[7].

Par coïncidence, bien que l’Occident et le Japon n’aient pas produit autant de documentaires sur le massacre de Nankin que la Chine, ils ont suivi un rythme créatif similaire. Dans cette section, l’évolution de l’écriture de l’histoire d’après-guerre sur le massacre de Nankin sera présentée avec la Chine comme fil conducteur.

En fait, des documents visuels relatifs au massacre de Nankin ont été produits directement sur place. Les atrocités ont été discrètement filmées par un pasteur américain nommé John Magee (1884-1953) avec une caméra domestique. Son enregistrement a ensuite fait l’objet d’un documentaire intitulé « Chronique des atrocités de Nankin » 南京暴行纪实 (1938). Comme ce dernier a été entièrement produit par ce missionnaire occidental de manière objective, sans traitement artistique ni embellissement, il contient de nombreuses images sanglantes et horribles, et présente de grandes difficultés de visualisation. Elles sont également devenues des preuves solides lors du procès de l’invasion de la Chine par le Japon devant le Tribunal international pour l’Extrême-Orient en septembre 1946[8].

De 1949 à 1981, le monde a, par coïncidence, oublié l’histoire du massacre de Nankin au même moment. Après la guerre, la Chine était trop occupée à résoudre divers problèmes nationaux et internationaux pour s’en soucier et l’a temporairement mise de côté. Le Japon, quant à lui, a pris l’initiative d’adopter une stratégie d’ « amnésie sélective » pour cette période de l’histoire.

Grâce aux « reportages des médias nationaux, aux productions littéraires et artistiques et aux divers événements commémoratifs – l’anniversaire du bombardement atomique de Hiroshima et l’anniversaire de la défaite et de la capitulation du Japon – la mémoire de guerre du peuple japonais a été attirée par la guerre du Pacifique, renforçant ainsi la mémoire du Japon en tant que victime de la Seconde Guerre mondiale, tandis que le souvenir de la guerre d’agression contre la Chine – en particulier le massacre de Nankin – a été progressivement dilué, voire oublié » 国内的媒体报道、文艺作品生产以及各类纪念活动——广岛原子弹爆炸纪念日、日本战败投降纪念日——都将日本民众的战争记忆引向太平洋战争,强化了日本作为二战受害者的记忆,而对侵华战争——特别是南京大屠杀——的记忆则被逐渐淡化甚至忘却[9].

Membres du groupe révisionniste Société japonaise pour une réforme des manuels d'histoires en train d'installer une bannière où est inscrit « (Enseignez) la vraie histoire aux enfants » en face du sanctuaire Yasukuni 靖国神社
Membres du groupe révisionniste Société japonaise pour une réforme des manuels d’histoires en train d’installer une bannière où est inscrit « (Enseignez) la vraie histoire aux enfants » en face du sanctuaire Yasukuni 靖国神社, Wikimedia Commons

En 1982, le premier film documentaire réalisé en Chine, « Le massacre de Nankin » 南京大屠杀, est sorti. Il est intéressant de noter que cette première production n’était pas une initiative chinoise, mais le produit du « stimulus » de l’ « incident du manuel scolaire » 教科书事件 japonais. En juin 1982, le Ministère de l’Éducation japonais a adopté une série de manuels scolaires pour l’enseignement secondaire qui falsifient et déforment une grande partie de l’histoire de l’invasion de la Chine et d’autres pays d’Asie-Pacifique par le Japon.

Par exemple, l’armée japonaise a été décrite comme « entrant dans le nord de la Chine » 華北へ『進出』 plutôt que comme « envahissant le nord de la Chine » 華北に『侵略』, et le massacre de Nanjing a été décrit comme une bataille normale entre deux armées « en raison de la résistance obstinée de l’armée chinoise » 由于中国军队的顽强抵抗[10]. Cette décision a provoqué une forte onde de choc dans la société chinoise. Sous l’impulsion du gouvernement chinois, une série de campagnes d’opinion publique ont été lancées en Chine pour reprocher au Japon de falsifier l’histoire de son invasion impérialiste.

Une série d’activités visant à « construire un musée et ériger un monument pour compiler l’histoire » 建馆、立碑、编史[11] autour du massacre de Nankin a été officiellement lancée. En réponse à cette tendance, un documentaire intitulé « le massacre de Nankin » a été produit. Les atrocités reviennent sur le devant de la scène, elles sont considérées comme scandaleuses par l’opinion publique. Le documentaire les places sous les feux de la rampe, montrant les cicatrices du massacre à travers des informations historiques et des images réelles, et accusant les envahisseurs japonais de leurs horreurs à l’aide d’une narration et d’une musique de fond convaincantes, qui font que les gens se sentent émus. La fin du film est un avertissement au monde (principalement au gouvernement japonais de l’époque) afin qu’il se souvienne des leçons de l’histoire et ne répète pas les erreurs du passé.

Photo du monument situé devant la salle commémorative du massacre de Nanjing
Photo du monument situé devant la salle commémorative du massacre de Nanjing, Wikimedia Commons

Si la « guerre des Manuels » a été la bombe qui a déclenché l’attention portée au massacre en Chine après la guerre, le livre d’Iris Zhang 张纯如 (1968-2004) intitulé The Rape of Nanking: The Forgotten Holocaust of World War II, publié en 1997, a été un feu d’artifice qui a réussi à attirer l’attention du monde occidental. En 2007, Bill Guttentag (1958-) et Dan Sturman ont produit le documentaire « Nanking », qui utilise comme fil conducteur les journaux intimes et les lettres de 22 occidentaux présents lors de la chute de Nankin, et fait largement appel à des « récits oraux alternatifs » 替代性口述[12] pour ramener le spectateur dans cette époque et cet espace sombres, afin qu’il puisse comprendre la vérité avec de réelles émotions. 

Lorsque l’actrice jouant le rôle de Minnie Wetterling regarde le public avec des yeux rouges, impuissants et blessés et dit : « Ce soir, un camion est passé et une douzaine de filles étaient dedans et criaient Au secours ! Au secours ! » L’impuissance et le chagrin d’amour de Weitling à cette époque sont transmis au public sur un intervalle de soixante-dix ans, ce qui lui permet de non seulement voir, mais aussi de ressentir, les vies et les cris d’impuissance qui volaient en éclats dans ce bain de sang

当扮演明妮·魏特琳的演员用布满红血丝的、透露着无助与伤痛的眼睛望着观众并说道:“今晚一辆卡车开过,十来个女孩在车上大喊‘救命!救命!’”,魏特琳此时的无奈与心痛跨越了七十年的时间间隔被传递给观众,使观众不仅看到并感受到那场血雨腥风中飘摇的生命与无助的呼喊[13]

La même année, Anne Pick et Bill Spahic ont produit « Iris Zhang : The Rape of Nanking », un film documentaire sur l’expérience créative d’Iris Zhang, afin de restituer la vérité historique au public .

 Le succès de ces deux documentaires a suscité des inquiétudes au Japon, et, en 2008, la droite japonaise a réagi en produisant le documentaire « La vérité sur Nankin » 南京の真実. Dans le film, le réalisateur Mizushima Satoru 水島総 (1949-) « présente les dernières 24 heures des dirigeants japonais, criminels de la Seconde Guerre mondiale, avant leur pendaison, décrivant les envahisseurs japonais comme Jésus crucifié uniquement pour porter les péchés du monde » 作为二战战犯的日本战时领导人, 在接受绞刑前最后24小时的情形,将日本侵略者形容为钉上十字架的耶稣,只是为承载世界的罪恶[14]. Le film est tellement enjolivé et sophiste qu’il ne convainc pas. Au contraire, il nous montre la peur et la lâcheté de la droite japonaise qui ne peut pas prendre ses responsabilités, afin que nous sachions clairement quelle doit être la vérité historique. 

Photographie de la version chinoise de l'ouvrage The Rape of Nanking d'Iris Chang prise par nous-même
Photographie de la version chinoise de l’ouvrage The Rape of Nanking d’Iris Chang prise par nous-même

En 2009, un des rares documentaires japonais qui ose reconnaître l’histoire et « donner une voix » aux victimes du massacre de Nankin a été produit : « Souvenirs déchirés de Nanjing » 南京引き裂かれた記憶. Cette production s’appuie sur plus de 20 ans de recherches menées par l’activiste Matsuoka Tamaki 松岡環 (1947-) – centrées sur des témoignages d’anciens combattants japonais et de survivants chinois du massacre de Nankin – pour montrer au monde la vérité sur cette période de l’histoire. Presque tous les personnages du documentaire ont été filmés avec leur vrai nom et il n’y a pas de narration inutile, car ce sont les personnes qui l’ont vécu qui racontent l’histoire de 1937.

Après avoir visité le Mémorial du massacre de Nankin pour la première fois en 1988, Matsuoka Tamaki a été choquée et étonnée de constater que le Japon avait délibérément enterré cette période de l’histoire. Professeur d’histoire en école primaire, elle ne voulait pas que ses élèves « ne sachent pas ce que sont la guerre et la paix réelles » 不知道真正的战争与和平是什么[15]. Elle s’est donc lancée dans un long voyage à la recherche de preuves du massacre de Nankin. Elle a fréquemment voyagé entre la Chine et le Japon, interrogeant les survivants et recherchant les vétérans de l’invasion japonaise pour recueillir leurs témoignages. Elle a finalement produit un documentaire ainsi que deux livres à partir de ces précieux matériaux oraux et les a publiés. Son travail a été presque « méconnu » en raison de la pression sociale au Japon, sa persévérance et son dévouement à la recherche de la vérité n’ont malheureusement pas suffi.

En février 2014, la Chine a officiellement établi le 13 décembre de chaque année comme étant la « Journée nationale du sacrifice public pour les victimes du massacre de Nankin » 南京大屠杀死难者国家公祭日. La première cérémonie publique a eu lieu à Nankin le 13 décembre de la même année. Le président chinois Xi Jinping 习近平 (1953-)a prononcé un discours important lors de la cérémonie, qui a été diffusée en direct dans le monde entier.

Depuis lors, la « reconstruction du récit de la Seconde Guerre mondiale en Chine » 重建中国的二战叙事 est officiellement devenue « un cadre narratif médiatique de niveau national dirigé par le gouvernement chinois » 一个由中国政府主导的、国家层面上的媒介叙事框架[16]. Et la création de documentaires sur le massacre de Nankin en Chine est entrée dans une période de production maximale, avec douze œuvres sorties au cours des quatre années entre 2014 et 2018.

La troisième étape de la production de documentaires sur le massacre de Nankin s’est éloignée de l’ancienne façon de pleurer et de siffler, et utilise plutôt une attitude pacifique pour construire une mémoire commune pour toute l’humanité. « Saisir l’équilibre narratif entre le nationalisme et le cosmopolitisme, affaiblir le traumatisme et la haine nationaux dans la création de documentaires, et mettre en avant les thèmes de la paix mondiale et de l’anti-guerre » 把握民族主义和世界主义的叙事平衡,在纪录片创作中弱化民族创伤和民族仇恨,突出世界和平和反战主题[17], sont les principaux objectifs des créateurs chinois de cette période. L’internationalisation est également une caractéristique majeure des documentaires chinois de cette période, qui se traduit par le contenu créatif ainsi que par la façon de distribuer.

Par exemple, Memories of the Massacre, Nanjing 1937 1937南京记忆, qui a été diffusé mondialement en six langues le 13 décembre 2014, ainsi que A Foreign Perspective of Nanjing Massacre 外国人眼中的南京大屠杀 (2015) et Dark Time : We Were in Nanjing 黑暗时刻:我们在南京 (2018), qui sont des récits du massacre de Nankin du point de vue de témoins oculaires de nationalités étrangères, confirment tous ce changement. 

Photographie du mémorial du massacre de Nankin (2017) - Janson Yang 杨珺
Photographie du mémorial du massacre de Nankin (2017) – Janson Yang 杨珺

Conclusion

L’instauration par la Chine d’une Journée nationale du sacrifice public pour le massacre de Nanjing a trois implications « positives » : elle peut attaquer vigoureusement les forces de droite japonaises ; elle peut inspirer la confiance en soi et la conscience de soi du peuple chinois et consolider sa mémoire collective ; elle peut déclarer au monde la détermination de la Chine à maintenir la paix et la justice. Mais un geste aussi important donnera inévitablement aux gens l’impression qu’il s’agit d’une propagande idéologique officielle, ce qui semble être trop unilatéral. Car du point de vue du destin individuel, le massacre de Nankin est l’expérience de ceux qui l’ont vécu, et il ne peut pas être oublié.

Pour la nation chinoise, il est la souffrance commune, et il est destiné à être inscrit dans les pages de l’histoire. Aux yeux de l’humanité, le massacre de Nankin est une catastrophe, c’est un miroir qui permet de réfléchir au développement collectif mondial. Une histoire qui n’a pas été réconciliée et qui est constamment déformée ne peut atteindre l’objectif de révéler la vérité que par des moyens simples et brutaux. Après tout, si la vérité est brutale, la révéler est inévitablement douloureux. Qu’il s’agisse de cérémonies, d’anniversaires, de films ou de documentaires, ce ne sont que des moyens de préserver et de renforcer les souvenirs et ils ne sont finalement que peu importants. Ce qui compte le plus, c’est la vérité de l’histoire, et l’esprit de la recherche constante de la vérité. 

Que la paix règne dans le monde et qu’il n’y ait plus de souffrance.

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Bibliographie

GAI Qi 盖琪, Chongjian zhongguo de er zhan xushi: xin de meijie xushi kuangjia yu duo yi xing kunjing “重建中国的二战叙事”:新的媒介叙事框架与多义性困境 (« Reconstruire le récit de la Seconde Guerre mondiale en Chine : les cadres narratifs des nouveaux médias et le dilemme de la polysémie »), China Book Review, 2016, pp. 55-65

HUANG Shunming 黄顺铭 et LI Hongtao 李洪涛, Jiyi de wenli : meijie, chuangshang yu nanjing da tusha 记忆的纹理:媒介、创伤与南京大屠杀 (« La texture de la mémoire : les médias, le traumatisme et le massacre de Nankin »), China Renmin University Press, 2017, 342 p.

JI Jing 季静, Guojia jiyi yu nanjing da tusha xushi 国家记忆与南京大屠杀叙事 (« Mémoire nationale et récit du massacre de Nanjing »), Université des arts de Nankin, 2020, 121 p.

TAN Qiuwen 檀秋文, Cong jiti jiyi jiaodu kaocha guochan nanjing da tusha yingpian 从集体记忆角度考察国产南京大屠杀影片 (« Étude des films nationaux sur le massacre de Nankin du point de vue de la mémoire collective »), Journal de l’Université de Guizhou (Edition d’art), 2016, pp. 5-12

WU Ting 吴婷, Nanjing da tusha ticai dianying yanjiu 南京大屠杀题材电影研究 (« la recherche des films sur le massacre de Nankin »), Université normale de Fujian, 2012, 54 p.

YAN Qianhai 严前海, Ou mei yu zhongguo dianying zhong de hou tusha xushi 欧美与中国电影中的“后屠杀”叙事 (« Les récits post-massacre dans le cinéma européen, américain et chinois »), Literature and Art Studies, 2010, pp. 100-108

Filmographie

Films :

1987- Massacre in Nanjing 屠城血证, Luo Guanqun 罗冠群

1995- Black Sun: The Nanking Massacre 黑太阳:南京大屠杀, Mou Dunfei 牟敦芾

1995Ne pleure pas Nanjing 南京1937, Wu Ziniu 吴子牛

2002May & August 五月八月, Du Guowei 杜国威

2009- John Rabe, Le juste de Nankin, Florian Gallenberger, Deutscher Filmpreis, 2009 

2009- City of Life and Death 南京!南京!, Lu Chuan 陆川, Coquille d’or dufestival Internacional de Cine de San Sebastián, 2009 ; Meilleure cinématographie et meilleurs effets visuels du 46th Golden Horse Awards, 2011; 

2011– The flowers of war 金陵十三钗, Zhang Yimou 张艺谋, Nomination dans la catégorie « Meilleur film en langue étrangère » lors de la 69e cérémonie des Golden Globes 2012

Documentaires :

1938- Chronique des atrocités de Nankin 南京暴行纪实, John Magee

1982- Le massacre de Nankin 南京大屠杀, Gao Zhongming 高仲明 et Liu Yufeng, 刘玉峰

2007- Nanking, Bill Guttentag, Dan Sturman, Sundance Film Festival, 2007

2008- La vérité sur Nankin 南京の真実, Mizushima Satoru 水島総

2009- Souvenirs déchirés de Nanjing 南京 引き裂かれた記憶, Takeda Tomokazu 武田倫和

2014- Memories of the Massacre, Nanjing 1937 1937南京记忆, Yan Dong 闫东

2015- A Foreign Perspective of Nanjing Massacre 外国人眼中的南京大屠杀, Cao Haibin曹海滨

2018- Dark Time : We Were in Nanjing 黑暗时刻:我们在南京, Yu Wen 余雯

Notes

[1] YAN Qianhai 严前海, Ou mei yu zhongguo dianying zhong de hou tusha xushi 欧美与中国电影中的“后屠杀”叙事 (« Les récits post-massacre dans le cinéma européen, américain et chinois »), Literature and Art Studies, 2010, p. 102

[2] WU Ting 吴婷, Nanjing da tusha ticai dianying yanjiu 南京大屠杀题材电影研究 (« la recherche des films sur le massacre de Nankin »), Université normale de Fujian, 2012, p. 5

[3] HUANG Shunming 黄顺铭 et LI Hongtao 李洪涛, Jiyi de wenli : meijie, chuangshang yu nanjing da tusha 记忆的纹理:媒介、创伤与南京大屠杀 (« La texture de la mémoire : les médias, le traumatisme et le massacre de Nankin »), China Renmin University Press, 2017, p. 22

[4] TAN Qiuwen 檀秋文, Cong jiti jiyi jiaodu kaocha guochan nanjing da tusha yingpian 从集体记忆角度考察国产南京大屠杀影片 (« Étude des films nationaux sur le massacre de Nankin du point de vue de la mémoire collective »), Journal de l’Université de Guizhou ( Edition d’art ), 2016, p. 7

[5] Dans sa déclaration du 15 août 1995, Murayama Tomiichi 村山富市 (1924-), alors Premier ministre du Japon, a présenté des excuses officielles pour les dommages infligés aux pays voisins par l’impérialisme japonais de la première moitié du XXe siècle. Cependant, certaines nations, comme la Chine, considèrent qu’elles ne représentent pas la pensée majoritaire de la scène politique japonaise, notamment de par la position nationaliste, et parfois presque révisionniste, de la majorité des gouvernements suivants.

[6] JI Jing 季静, Guojia jiyi yu nanjing da tusha xushi 国家记忆与南京大屠杀叙事 (« Mémoire nationale et récit du massacre de Nanjing »), Université des arts de Nankin, 2020, p. 9

[7] Ibid., pp. 11-12

[8] Ibid.

[9] Ibid., p. 15

[10] Ibid., p. 16

[11] En octobre 1982, le ministère de la Culture de la République populaire de Chine a publié un avis sur la protection adéquate des sites des crimes japonais contre la Chine 关于做好保护日本侵华罪行遗址工作的通知. Sous la direction du gouvernement chinois, le travail de construction de musées, d’érection de monuments et de compilation d’histoires a commencé de manière ordonnée. L’objectif était de recueillir des preuves des crimes de l’invasion japonaise en Chine, notamment les atrocités commises par les Japonais lors du massacre de Nankin. Ibid., p. 25

[12] Les « récits oraux alternatifs » 替代性口述 narrent des expériences individuelles à la première personne, permettent au public de lire les journaux intimes et les lettres du narrateur et de ressentir l’état d’esprit et les sentiments du narrateur à ce moment-là, ramenant le public à cette période de l’histoire.

[13] Ibid., p. 49

[14] WU Ting 吴婷, op. cit., p. 19

[15] JI Jing 季静, op. cit., p. 81

[16] GAI Qi 盖琪, Chongjian zhongguo de er zhan xushi: xin de meijie xushi kuangjia yu duo yi xing kunjing “重建中国的二战叙事”:新的媒介叙事框架与多义性困境 (« Reconstruire le récit de la Seconde Guerre mondiale en Chine : les cadres narratifs des nouveaux médias et le dilemme de la polysémie ») , China Book Review, 2016, p. 55-56

[17] JI Jing 季静, op. cit., p. 22