Du 24 juin au 22 septembre 2019, se tient au Château de Vincennes dans le pavillon des Rois, l’exposition Guerres et Paix en affiches, de l’Ancien Régime à Sentinelle. Elle est l’œuvre du Service Historique de la Défense (SDH) qui est le centre d’archives historiques et militaires de l’armée de Terre, de la Marine, de l’Air, et de la Gendarmerie Nationale, depuis 2005.
En 1948, le château devient le siège du SDH et constitue depuis la troisième base d’archives de France, derrière les archives nationales et la Bibliothèque nationale de France. Les visiteurs sont invités à naviguer à travers les œuvres militaires réparties en fonction de leur périodicité historique. Divisée en 6 chapitres, l’exposition débute sous l’Ancien Régime, de François Ier (1515-1547) à la Révolution Française (1789-1799), et prend fin avec l’évolution du dialogue de l’armée envers le citoyen (2015) ; mais aussi de la lettre rédigée, à l’illustration – qui représente des militaires dessinés – aux photographies qui mettent en avant des hommes et des femmes réels dans l’exercice de leurs fonctions. Cette exposition n’est-elle pas une nouvelle forme de communication positive, comme pourrait l’être celle d’une entreprise à but lucratif ? A travers l’affiche, l’exposition est-elle avant tout informative (militaire et historique), ou une démonstration d’art ?
Pour atteindre l’exposition, le visiteur doit passer par une impressionnante salle remplie de drapeaux français qui le plonge dans l’univers militaire passé et présent.
Une sorte de pluie d’affiches accueille le visiteur pour la première des six parties de l’exposition. La mise au point de la lithographie en couleur révolutionne la manière de communiquer à travers ces objets. Le contraste est saisissant entre la lettre placardée sur les murs et les affiches colorées qui font émerger une nouvelle forme de propagande visuelle. Après avoir admiré celles suspendues dans le vide, le visiteur arrive face à un gigantesque tableau horizontal qui ouvre la deuxième partie de l’exposition, L’affiche dans la grande guerre. Pour aider le visiteur à mieux s’orienter, la répartition de l’espace est créée grâce à l’attribution d’une couleur à chaque thématique, en plus d’un titre. L’exposition invite à explorer les affiches de la propagande anti-allemande, puis celles des recrutements militaires pour les colonies.
Pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), les affiches incitent à l’effort national puis laisseront place aux affiches des guerres d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962). L’exposition se clôture sur les nouvelles campagnes de l’armée qui mettent en scène l’ensemble des corps du métier militaire. Des décennies avant le début de la Première Guerre mondiale (1914-1918), l’artiste français Jules Chéret (1836-1932) perfectionne et modernise les techniques de la lithographie, inventée par Aloys Senefelder vers 1796, en révolutionnant l’art de l’affiche. L’armée va se saisir de ces techniques pour pouvoir communiquer à travers cette dernière sur l’ensemble du territoire. L’art et la communication ne font plus qu’un. Ainsi, nous pouvons observer la présence de différents courants artistiques, de symboles et de slogans, pour une cause centrale. Tous ces éléments sont des caractéristiques d’une propagande rendue évidente par l’exposition.
L’affiche sert de relais entre l’armée et la population. Elle est informative et aide à rassembler derrière une idée ou un symbole, qui incite à l’unité. En passant par ce moyen l’armée communique sur ses valeurs et son engagement, en sollicitant la population à adhérer à son message. La distinction entre la période de paix et la période de guerre n’est pas faite à travers une opposition thématique, spatiale ou temporelle. Le format de ces affiches, les techniques de communication, évoluent et se transforment avec la cause et l’objectif, mais la figure centrale du soldat et l’image de l’armée sont mises en avant de la même manière : « Engagez-vous dans la marine […] » de 1930 et celle du Crédit Lyonnais de 1918 montrent comment l’effort qui est demandé à la population est romantisé par l’usage de l’illustration.
D’une manière artistique, l’affiche devient une arme institutionnelle avec une portée à différentes échelles : politique, économique, sociale. Le militaire est représenté en tant que guerrier pour sa patrie, bienveillant envers les populations dites “indigènes” – durant la période coloniale -, et au service de la population de son pays.


Ce qui différencie les affiches entre les époques, c’est la stylistique de celles-ci. L’entre deux guerres est marqué par l’intensité des couleurs utilisées. Le bleu foncé, mais aussi le jaune sont omniprésents, ce qui donne un sentiment de bonheur et de voyage. En comparaison, la Seconde Guerre mondiale est représentée par des couleurs plus ternes, avec du noir et du marron, qui donnent un effet mélancolique. Chaque affiche est une œuvre à part entière. Bien qu’elle diffuse un message militaire, elle suscite aussi une émotion grâce aux techniques et aux savoir-faire. A travers la couleur, le dessin, et la composition, le spectateur ne peut rester de marbre. L’affiche artistique est plus forte que le message écrit. On ne lit pas seulement le message, on le ressent.
En transmettant le message de l’armée, l’artiste est le premier à adhérer aux idées avancées. Il devient acteur de la communication active, en diffusant, en partie, lui aussi ses convictions à travers son art. Le visiteur peut percevoir ce processus de création dans la dernière partie de l’exposition. L’affichiste français, Raymond Savignac, né en 1907, explique comment il a créé, pour l’armée, des affiches simples avec une note d’humour.
à travers son œuvre, il fait appel à sa propre manière de voir l’armée, face à la thématique imposée. Il s’inscrit dans une lignée d’artistes ayant travaillé en collaboration avec l’armée, comme Georges Scoot ou Francisque Poulbot. Les deux artistes sont des dessinateurs et illustrateurs français, chevaliers de la Légion d’Honneur. Ils ont été choisis par l’armée car ils font partis de l’univers militaire, l’un en dessinant la guerre (la Première, la Seconde et celle d’Espagne), l’autre en créant des cartes postales et des affiches patriotes pendant l’occupation. Il y a donc une volonté de l’armée, de collaborer avec des artistes pour promouvoir, à travers l’art (peinture, affiche, photographie, film), sa vision.
À la fin de l’exposition, il est proposé aux visiteurs de créer leurs propres affiches. Un ensemble d’éléments peut interpeller. Dans le jeu, on retrouve les symboles qui sont récurrents dans les œuvres exposées : le coq, le drapeau, mais aussi la cocarde tricolore. Il est aussi possible de choisir son slogan “emblématique” : “Vive la France”, “Solidarité avec les combattants”, “Engagez-vous”, etc. Les couleurs, qu’il est possible d’utiliser, sont elles aussi limitées. A travers ce jeu, il est possible de comprendre que chaque affiche est une œuvre à part entière, mais que chacune reprend des symboles précis et compréhensibles par “tous”.


Les symboles sont compréhensibles et accessibles dans une certaine limite. L’exposition part du principe que chaque visiteur arrive avec le même bagage. En réalité, celle-ci manque d’indicateurs pour le public moins aguerri et non-familier des symboles français. Les cartels ne donnent aucune précision sur les éléments présentés. Peu viennent éclairer les affiches, les symboles spécifiques n’étant pas non plus détaillés. À travers l’exposition d’affiches artistiques, il manque des informations historiques et militaires. Les seules explications génériques qui accompagnent les affiches, ne sont accessibles aux anglophones que sous la forme de brochures à l’entrée, alors que le château jouit d’une visibilité touristique importante.
L’exposition se clôture sur la campagne publicitaire au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et les clients d’un supermarché casher, les 7,8 et 9 janvier 2015. L’armée change sa communication en promouvant l’ensemble des métiers qui la compose. Au lieu d’être dessinés, les hommes et les femmes sont photographiés. Les soldats ont des visages, ils “ressemblent” à monsieur et madame tout le monde. Il est, alors plus facile de se reconnaître en eux. Sous cette forme, l’art s’adapte à son temps. La recherche d’esthétisme passe par la photographie. Elle permet de déclencher une émotion différente que celle provoquée par la peinture. Comme un retour aux premiers temps de l’affiche, le message principal ne se regarde pas, il se lit ; “Je protègerai les populations”, “Pour moi, pour les autres, s’engager.fr”, “Pour faire voler vos avions, il faut toute une armée”.

L’exposition, Guerres et Paix en affiches, de l’Ancien Régime à Sentinelle, offre une organisation de l’espace épurée. Les affiches sont des œuvres d’une grande beauté. Elles ne sont pas toutes connues et certaines attisent la curiosité ou l’émerveillement, comme l’une d’elle qui veut apprendre à la population, durant la guerre d’Algérie, comment voter “oui”, ou bien encore celle de Raymond Savignac qui représente l’armée de l’air avec des ailes à la place des oreilles du militaire. Bien qu’il y ait des lacunes dans l’exposition, celle-ci ne laisse pas indifférente. Elle donne à réfléchir sur la place de l’affiche et de la communication dans les périodes de guerre comme celles de paix.
De quoi parle l’armée en dehors des moments de conflits ? à travers cette exposition, le SDH permet d’entretenir une mémoire, d’expliquer la finalité des affiches et leurs évolutions. Le Service Historique de la Défense rend aussi accessible, de manière gratuite, la collection de Claude Boudey, acquise en 2017. Elle comprend un millier d’affiches artistiques qui sont autant de témoins à part entière de la communication artistique de l’armée. Cette exposition donne un autre visage de cette dernière, qui est peu mise en avant dans les manuels scolaires ou dans la connaissance populaire. Les affiches d’hier et les publicités d’aujourd’hui, font partie intégrante de la sphère publique, et sont le témoignage de moments précis de l’Histoire.
Article réalisé par Léa G. & Viviana P.
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