relations nippo-européennes

Compte-rendu du colloque : « Le futur des relations nippo-européennes : challenges communs, réponses communes »

Le vendredi 7 et le samedi 8 juin, à l’Institut national des Langues et Civilisations orientales s’est tenu le colloque « The future of European Union-Japan relations : common challenges, common responses », organisé par l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (IFRAE) avec les membres de l’European-Japan Advanced Research Network (IJARN).

Le colloque, traitant des questions relatives à la coopération entre l’Union européenne et le Japon, relation qui se veut et se doit d’être de plus en plus droite et stable dans un contexte international bouleversé et instable, a permis à une pluralité d’intervenants d’expliciter leurs recherches actuelles sur le sujet. Différents panels ont été constitué.

La première journée ouvrait le colloque avec trois panels, abordant à la suite les questions des politiques publiques, des challenges économiques et de la coopération internationale. Le premier point se rapportant aux politiques publiques a permis à trois intervenants de s’exprimer tour à tour sur des questions principalement domestiques, qui pouvaient toutefois faire écho à l’environnement international dans lequel évolue le Japon. Les points sur les challenges économiques ont principalement porté sur les questions technologiques, et enfin, la coopération internationale qui a fait intervenir pas moins de quatre intervenants a permis à ces derniers de revenir sur la coopération nippo-européenne dans un environnement post-Brexit, mais est aussi revenu sur les questions africaines, que ce soit en termes de sécurité ou en termes d’investissements dans les infrastructures.

Pour le deuxième jour du colloque, c’est trois autres panels qui ont été constitués. Le premier portait sur le partenariat économique et stratégique entre l’Union européenne et le Japon. Deux intervenants sont venus présenter leurs travaux à cette occasion : Tsuyoshi Kawasaki, professeur à la Simon Fraser University (Canada), qui a mentionné une stratégie de coopération nippo-européenne. Marylène Gervais, doctorante à Panthéon-Assas, a fait connaître ses positions sur la place du Japon dans le libéralisme mondial : pour elle, la crise du libéralisme et la montée des pouvoirs autoritaires font de la Chine autant un partenaire inévitable qu’un rival systémique. En ce sens, il serait primordial pour les puissances occidentales, et donc pour le Japon, de redéfinir le libéralisme et de refonder ses règles en collaboration avec les puissances non-occidentales.

Le deuxième panel abordait les politiques de défense japonaises et européennes. Yoshihide Suga, professeur à l’Université Keiô a mentionné le lien qu’il existe entre l’article 9 de la constitution japonaise – celui-ci mentionnant le pacifisme et l’impossibilité pour le Japon de recourir à la force – et les problématiques actuelles dans la politique de défense japonaise. Christopher W. Hughes, professeur de politiques internationales et d’études japonaises à la University of Warwick a fait part de ses travaux concernant la militarisation de la recherche spatiale au Japon.

Marianne Péron-Doise, chercheur à l’IRSEM a mentionné la coopération maritime entre l’Union européenne et le Japon dans l’Océan Indien : la situation et les enjeux de sécurité à Djibouti et dans le Golfe d’Aden fournissent des opportunités au Japon et à ses alliés. Enfin, Paul O’Shea, docteur à la Lund University, a abordé la question de l’alliance nippo-américaine et du rôle des forces américaines d’Okinawa dans la dissuasion élargie.

Pour le dernier panel du colloque, qui traitait des problématiques et enjeux de sécurité dans l’Asie de l’Est et qui était animé par Guibourg Delamotte, maître de conférence à l’Inalco et organisatrice du colloque, c’est Jeffrey Hornung, de la Rand Corp. (Washington DC), qui a entamé les discussions en abordant le leadership japonais dans le système international. Kimie Hara, professeur à l’Université de Waterloo, l’a suivi en présentant ses travaux sur les relations entre le Japon et l’Asie de l’Est. Paul Midford, professeur à la Norwegian University of Science and Technology, a abordé la promotion par le Japon d’un multilatéralisme dans les enjeux de sécurité. Enfin, clôturant le colloque, Axel Berkofsky, professeur à l’Université de Pavia, a abordé la question de l’importance des infrastructures.

à l’affût des questions se rapportant à l’histoire militaire durant la durée du colloque, un intervenant aura particulièrement retenu notre attention : Christopher W. Hughes (Warwick University), qui comme nous le mentionnions plus tôt, a abordé le temps de sa présentation nommée « Réellement secret ? La militarisation spatiale du Japon et la défiance à la Doctrine Yoshida » (« Hiding in Plain Sight ? Japan’s Militarization of Space and Challenges to the Yoshida Doctrine ») la question de la militarisation progressive de la recherche spatiale japonaise, jouant parfois un jeu paradoxal avec la ligne de conduite imposée par la doctrine Yoshida (Premier Ministre japonais de 1948 à 1954), qui consiste en ce que le Japon devait se concentrer sur la croissance économique, au détriment des questions de sécurité qui étaient vraisemblablement reléguées aux Etats-Unis, alors garants de la sécurité du Japon via les accords de l’alliance nippo-américaine.

En effet selon l’intervenant, le militarisation de l’espace nous donne un nouveau cadre pour observer un changement dans la politique de défense japonaise : de la doctrine Yoshida à la doctrine Abe dans le domaine militaire et dans les différents aspects de l’alliance nippo-américaines.

Il est dans un premier temps important de se rappeler, et le professeur Christopher W. Hughes n’y manquera pas, que les questions spatiales – en l’occurrence le développement de la technologie spatiale – ont toujours été intimement liées aux questions militaires. Les recherches dans ce domaine sont en effet un important multiplicateur de toutes les dimensions des capacités militaires pour tous les états, tout en étant en apparence un développement de la technologie civile. Dès lors, il est tout à fait cohérent de penser que le Japon n’échappe pas à cette loi. Ainsi, accorder une importance particulière à la recherche spatiale constituerait un alibi au détournement progressif des gouvernements successifs japonais – menés par le PLD – de la Doctrine Yoshida.

Le fait que le Japon ait pris conscience de la centralité de l’espace pour la sécurité nationale ne date pas d’hier. Deux éléments sont à l’origine de cette accentuation de l’importance qu’ont accordé et accordent les dirigeants japonais à la conquête spatiale : en premier lieu, le développement de la technologie des missiles chez ses voisins les plus proches. Ici, on mentionnera notamment le choc qu’a provoqué le survol du Japon par un missile nord-coréen (Taeopodong-1) en 1998, ainsi que le premier test en 2007 de la technologie chinoise anti-satellite.

La politique spatiale est depuis une dizaine d’années centralisée par les pouvoirs politiques japonais. Cela s’est fait via la création d’un sous-cabinet stratégique dédié à la gestion des politiques spatiales (under Cabinet Office a Strategic Headquarters for Space Policy (SHSP)) dès 2008, via « l’initiative Kawamura ». Si lors de l’alternance politique de 2009 à 2012 où les démocrates ont tenté de sortir du contrôle direct du gouvernement la politique spatiale par la création de l’Office of National Space Policy (ONSP) en 2012, le PLD revenu au pouvoir, restaurera via « l’initiative Imazu » le contrôle de toutes les politiques spatiales par le cabinet gouvernemental.

Un soutien sans faille de l’industrie japonaise est également apportée à cette œuvre. Si ses pontes (MELCO, NEC, Toshiba Corporation, Keidanren, etc.) étaient tournés vers le marché civil jusqu’aux années 1990, on a assisté à un changement visant à se concentrer sur les opportunités militaires découlant de l’accord sur les satellites nippo-américain, qui permet à ces entreprises de fournir les marchés américains. Aujourd’hui, Keidanren (経団連) (qui est l’équivalent du MEDEF au Japon) soutient que le principal rôle de l’industrie spatiale est militaire.

Si les rennes de la mise en œuvre des politique spatiales sont aux mains fermes des conservateurs et avec un important soutien de l’industrie japonaise, la coopération internationale, particulièrement avec les états-Unis, est un enjeu crucial du développement de la politique spatiale japonaise. Cela s’est par exemple illustré via le Comité consultatif de sécurité nippo-américain (US-Japan Security Consultative Committee) (2+2) de 2011, sur la coopération face à l’évolution des menaces spatiales, ou encore par le US-Japan Defense Guidelines de 2015, qui pour la première fois enjoint à une coopération dans l’espace et à une mutuelle substitution des capacités en conflit. Ainsi, les capacités de dissuasion américano-japonaises seraient pleinement mise à profit dans les situations d’urgence.

Ce contexte global permet aujourd’hui au Japon de compter sur des capacités militaires spatiales de pointe. Concernant la communication et les radars intelligents par exemple, il peut compter sur les Information gathering satellites (IGS) electro-optical & SAR, les satellites ALOS-2 et 3, les ISR (ETS-VIII) ainsi que sur la QZMM : Quasi-Zenith Satellite System, également appelé Michibiki (みちびき), en cours de développement par l’agence spatiale japonaise JAXA, qui permet de bénéficier d’une précision accrue.

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L’un des effets directs de la Doctrine Yoshida est le seuil de 1 % du PIB dédié à la défense. Il a toujours été factuellement respecté, même lorsque les dirigeants japonais ont émis la volonté de s’en dégagé. Seulement, aujourd’hui, le budget japonais dédié à l’espace équivaut à 5~10 % du budget de la défense japonaise. Après avoir observé à quel point le développement de la technologie spatiale est lié au développement de la technologie militaire, il n’est pas incorrect de dire que cet apport du budget lié à l’espace pousse le budget de la défense japonais au-dessus du seuil des 1 %.

En somme, l’analyse de la politique spatiale japonaise par le Professeur Christopher W. Hughes (University of Warwick) et le lien que celui-ci fait avec le domaine militaire permet de rendre pleinement pertinente la question d’un possible passage de la Doctrine Yoshida à une nouvelle Doctrine Abe sur les questions de politique de défense japonaise.

Liste des intervenants

Jour 1- Politics and Economics, interventions d’ouverture

– Yoshihiro Higuchi, Ministre-conseiller à l’Ambassade du Japon en France

– Frédéric Gare, Conseiller sur l’Océan Indien au Centre d’analyse et de prévision et au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Jour 1, panel 1 – Politique et politiques publiques

– T.J. Tempel, Professeur à University of Berkeley, « Japan, Domestic Politics, and the Quad : A Regional Trade Order and Indo-Pacific Security

– John Nillson-Wright, Professeur à University of Cambridge, « Populisms in Asia »

– Arnaud Grivaud, étudiant post-doctoral à l’Université Paris-Diderot, « Promoting Women in the Breaucracy. A comparison between Japan, France and United Kingdom »

Jour 1, panel 2 – Challenges économiques comparés

– Sébastien Lechevalier, Professeur à l’EHESS, « Work Style Reform, Productivity Improvement, and Well-being at work. A French-Japanese perspective » (absent)

– Patrick Ström, Professeur à University of Gothenburg, « Japanese FDI in Sweden – implications of EU-Japan economic relationship and technology upgrading »

Jour 1, panel 3 – Coopération internationale

– Kumiko Haba, Professeur à Aoyama Gakuin University, « Will the EU-Japan EPA drive world trade after BREXIT ? »

– Marie Södeberg, Professeur à la Stockholm School of Economics, « Japan’s Cooperation with the EU in the Nexus of Development and Security »

– Annette Skovsted-Hansen, Professeur à Aarhus University, « Japanese involvement in the capacity building of Tema Port in Ghana »

– Céline Pajon, Chercheur à l’Ifri, « Japan’s security policy in Africa and the Franco-Japanese partnership »

Jour 2 – Foreign relations and Security, interventions d’ouverture

– Roland Honekamp, European External Action Service

– Fabien Fieschi, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, anciennement Ministre-conseiller à la délégation européenne à Tokyo

Jour 2, panel 1 – Accord stratégique et économique nippo-européen, comment procéder et que peut-on en attendre ?

– Tsuyoshi Kawasaki, professeur à la Simon Fraser University, « Grand Strategy and European-Japan Cooperation »

– Marylène Gervais, doctorante à Panthéon-Assas, « The European Union and Japan as normative powers : from rule-takers to rules-shapers ? »

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