Dans l’imaginaire collectif, la guerre renvoie instinctivement à une finalité de domination territoriale. Elle permet, en effet, d’étendre ses frontières aux dépens d’autrui. Mais en réalité, cela n’est qu’un des multiples aspects du caméléon qu’est la guerre. D’ailleurs, la conquête territoriale d’un espace, appartenant à un état souverain et reconnu comme tel, par un autre état, tout autant souverain, se fait de plus en plus rare[1] : il faut remonter à la dernière décennie du XXe siècle pour observer un cas flagrant de ce genre, l’invasion puis l’annexion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein.
Dans cet exemple se retrouve l’un des éléments principaux qui dissuadent actuellement d’entreprendre des guerres de conquête : la réaction de la communauté internationale. Le Koweït fut en effet rapidement envahi, mais la communauté internationale se mobilisa à son appel pour stopper les forces irakiennes. Celles-ci furent vaincues au cours de l’opération terrestre Desert Storm, menée par une coalition sous direction américaine. Ne pouvant soutenir un conflit dissymétrique, l’Irak fut rapidement balayée. Cet exemple souligne parfaitement l’inadéquation d’une expansion armée dans un monde aussi “organisé” : les autres pays peuvent très bien réagir en s’y opposant.
D’ailleurs, il ne faut pas non plus négliger leur puissance de feu conventionnelle (ou non). Par exemple, malgré la course aux armements, la déflagration finale de la guerre froide n’eut jamais lieu, notamment en raison de son potentiel destructeur. Le coût d’une guerre interétatique est donc suffisamment élevé pour dissuader une telle entreprise. Néanmoins, celle-ci est-elle pour autant en voie de disparition ?

Nombreux sont les exemples aujourd’hui de conflits territoriaux. Nous pourrions aborder le cas des Tigres Tamouls au Sri Lanka, du Hamas en Palestine, des Kurdes syriens et irakiens, de l’insurrection des Talibans en Afghanistan, de l’Ossétie du Sud avec la Géorgie… les exemples sont légion et encore, ne sont mentionnés ici que ceux impliquant l’usage des armes. Beaucoup se limitent à des tensions diplomatiques entre pays, comme le Japon et la Chine pour les zones maritimes frontalières ou encore le Maroc et l’Espagne pour les enclaves de Ceuta et Mellila.
Il est cependant intéressant de remarquer que dans ces conflits territoriaux armés, l’une des deux parties est généralement un acteur non étatique. Or celui-ci peut être soutenu par des nations souveraines, créant ainsi des conflits périphériques. Cet aspect constitue une confrontation indirecte entre deux acteurs étatiques, remettant alors en question la raréfaction des guerres entre états souverains. Loin de disparaître, celles-ci sembleraient donc se métamorphoser.
Pour cet article, nous vous proposons un petit survol du concept de “guerre de conquête” au XXIe siècle. Nous verrons que son enjeu matériel, communément sous-entendu, s’avère de plus en plus virtuel. Nous ferons donc cas du Donbass, de la rivalité Arabie Saoudite / Iran et de l’Etat Islamique. Ces trois exemples, par les méthodes employées, les acteurs en présence et les proportions qu’ils ont pris, méritent toute notre attention afin de proposer un large panorama.
Le cas ukrainien : le Donbass

Depuis 2014, après la révolution ukrainienne qui mit un terme au gouvernement de Viktor Ianoukovytch, l’Ukraine connait, dans le sud-est du pays, un mouvement d’opposition. Celui-ci ne tarde pas à se transformer en insurrection armée contre le nouveau gouvernement pro-européen (surtout à l’Est) puis en sécession pure et simple. La Crimée, qui dispose depuis 1991 d’une certaine autonomie de par sa proximité culturelle et historique avec la Russie, décide par référendum son rattachement à cette dernière en mars 2014.
A l’Est, ce sont deux Républiques Populaires qui apparaissent, celles de Lougansk et de Donetsk, anciennement les deux Oblast de l’Est ukrainien. L’armée ukrainienne réagit promptement, mais ne parvient pas à l’emporter : le front se stabilise, on fortifie les positions et les cessez-le-feu successifs sont entrecoupés et souvent violés par des échanges de tirs d’artillerie. C’est le statu quo. A première vue, il ne s’agirait, pour la Crimée, que de l’expression de la volonté populaire, et pour le Donbass, que d’une insurrection se basant sur une cause historique, régionale ou culturelle. Il n’y aurait donc pas conquête territoriale de tout ou partie d’un état souverain au profit d’un autre état tout autant souverain et reconnu comme tel.
Pourquoi alors se servir de ce conflit dans cette étude sur la guerre de conquête ? Parce que le soutien russe aux insurgés vient remettre en question tout cela, en mettant en lumière l’importance des zones d’influence. Favorables à un rattachement à la Fédération de Russie, les deux Républiques Populaires reçoivent ainsi du matériel et des hommes de celle-ci. Le soutien russe s’avérerait plus important puisqu’il a été plusieurs fois question de l’implication directe et indirecte de l’armée russe, lors des affrontements terrestres, mais aussi lors d’offensives virtuelles (cyber).

Cette guerre serait donc une opportunité pour la Russie d’étendre son influence et, si annexion des deux Républiques Populaires il y a (fort improbable, la Russie n’y gagnant plus rien sur le plan géostratégique, là où la Crimée lui assurait une maîtrise de la Mer Noire), d’élargir ses frontières au détriment de l’Ukraine[2].
Mais en niant son implication, la Russie parasite toute intervention étrangère. En effet, dans le cas où la communauté internationale s’impliquerait militairement, il est fort probable que la Russie s’engagerait aux côtés des insurgés, provoquant alors un conflit de haute intensité aux frontières orientales de l’Europe. Or ce scénario de guerre ouverte est la hantise des Occidentaux (NDLR : voir la mise à jour du 15 novembre 2022 en fin d’article).
Pour préserver la paix, l’intervention directe n’est pas envisagée et est même hautement improbable : l’Ukraine ne fait partie ni de l’U.E., ni de l’O.T.A.N.. Cependant, des exercices et manœuvres des troupes de l’O.T.A.N. se multiplient en Pologne et dans les Pays Baltes comme autant de démonstrations de force, auxquelles la Russie répond par ses propres manœuvres de son côté de la frontière russo-ukrainienne. La peur de voir le scénario ukrainien se répéter dans l’un des pays baltes ou en Pologne reste en effet très présente, du fait des antécédents historiques ou des minorités russes baltes.

La rivalité Iran / Arabie Saoudite

A défaut de conquête territoriale pour élargir matériellement ses frontières, il est donc toujours possible d’étendre sa sphère d’influence. Il s’agit alors bien d’une conquête, quoique virtuelle. En effet, s’il ne peut y avoir de conflits directs, la lutte peut toujours être transposée dans un cadre indirect, au moyen de proxys : ce sont les guerres périphériques. La Guerre Froide fut marquée par ce type d’affrontements par intermédiaires entre Est et Ouest, puisqu’un conflit ouvert et direct aurait signifié une hécatombe. Ce mode d’affrontement est encore visible, notamment en Ukraine, bien que le soutien ne soit pas équivalent dans les deux camps, mais aussi dans la rivalité entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
Ces deux pays s’affrontent sur de nombreux plans, qu’ils soient religieux, l’Iran est chiite alors que l’Arabie Saoudite est Sunnite ; culturels, Perses contre Arabes ; économiques, notamment pour le contrôle du Golfe Persique ou encore diplomatiques, l’Arabie Saoudite étant proche des Etats-Unis alors que l’Iran s’avère plus proche de la Russie. Tous ces éléments les empêchent de se livrer une guerre ouverte, qui embraserait à coup sûr l’ensemble du Moyen-Orient. Néanmoins, il est possible de retrouver leur rivalité dans tous les conflits qui ébranlent déjà la région. Au Yémen, alors que l’Arabie Saoudite tente de maintenir le gouvernement à sa place en prenant la tête d’une coalition contre la rébellion Houthi, l’Iran soutient cette dernière.

Ces rebelles sont d’ailleurs parvenus à bombarder plusieurs fois, à l’aide de missiles fournis par l’Iran, le territoire saoudien bien que le bouclier anti-missile du pays ait intercepté la plupart des vecteurs. Il s’agit des agressions les plus directes dans cette rivalité irano-saoudienne. En Syrie et en Irak, les deux pays ont aussi pris parti aux côtés de leurs alliés respectifs. En Syrie les Iraniens ont soutenu le régime de Bachar el-Assad, tout comme la Russie, en finançant et équipant les forces loyalistes – régulières et irrégulières comme les brigades Al -Quds ou le Hezbollah – mais aussi en déployant des troupes régulières – Gardiens de la Révolution – .

Pour leur part, les Saoudiens ont financés et armés certains groupes rebelles, même si plusieurs d’entre eux étaient proches de la mouvance salafiste-jihadiste. Les proxys des deux pays se sont affrontés lors de la guerre civile, transposant ainsi la rivalité irano-saoudienne sur le champ de bataille syrien. En Irak, la situation est cependant différente. Les deux pays continuent leur rivalité, mais de manière opposée. Alors que l’Iran soutient les milices chiites, communauté religieuse majoritaire dans le pays, et aurait aussi déployé des troupes, les Saoudiens sont restés relativement à l’écart (lors de l’invasion du Koweït par l’Irak, Riyad avait suspendu ses relations diplomatiques avec Bagdad), avant d’amorcer un rapprochement diplomatique en 2017. Celui-ci visait les factions chiites les plus éloignées de Téhéran.

La récente victoire législative de l’alliance entre les Sadristes (nationalistes chiites) et les communistes, opposés à l’Iran, aurait dû initialement profiter aux Saoudiens. Mais le retournement en juillet 2018 de Moqtada al-Sadr, leader du mouvement, s’alliant avec une coalition pro-iranienne, vînt modifier la situation au profit de Téhéran. Toutefois, il est fort à parier que Riyad ne baissera pas les bras : l’alliance entre Sadr et les pro-Iran a fait long feu et désormais, l’imam nationaliste s’est rapproché du premier ministre sortant Haïder Al-Abadi, soutenu par les Occidentaux.
La lutte n’est donc pas finie. Les enjeux d’un tel rapprochement restent en effet importants : aligner l’Irak sur son camp, c’est obtenir un soutien de poids dans la région pour l’Arabie Saoudite, ou créer un axe chiite au Moyen-Orient pour l’Iran. Néanmoins, dans l’équation irakienne demeure le facteur “État Islamique”. Les défaites successives des djihadistes ont certes renforcé l’influence de Téhéran dans le pays. Mais bien qu’extrêmement réduite, l’organisation jihadiste n’a pas pour autant cessé d’exister. Son cas est d’ailleurs des plus intéressants lorsqu’il s’agit d’étudier les guerres de conquête.
L’Etat Islamique

L’Etat Islamique est l’exemple parfait de la conquête territoriale. Bien qu’il s’agisse d’un état auto-proclamé et non reconnu unanimement, cette ancienne branche d’Al Qaida en Irak a muté en groupe ancré sur une base territoriale administrée, fait peu commun pour un groupe terroriste. En 2014 lors de la proclamation du califat, l’auto-proclamé Etat Islamique parvient à se lancer dans des campagnes éclaires lui octroyant de larges pans des territoires irakiens et syriens. Misant sur la surprise, la terreur et la mobilité, ses forces, dotées largement en technicals (pick-up toyota), parviennent à remporter de nombreux succès.

Bien vite, d’autres groupes lui font allégeance, comme Boko Haram en septembre 2015 ou Ansar Bait al-Maqdis, devenue la Wilayat Sinaï en 2014[3], projetant ainsi leur présence dans le monde. La conquête territoriale est un atout pour eux qui leur permet d’une part d’en tirer un revenu, des troupes (notamment par un enrôlement forcé), mais aussi de parvenir à leur but, rétablir un califat dans lequel vivrait l’Umma, la communauté musulmane. Bien entendu, la religion, qui est sensée servir de ciment à l’organisation, n’est qu’un prétexte afin de s’attirer des partisans, puisque les exactions visent même les sunnites qui ne suivent pas les préceptes auxquels les membres de l’E.I., qui se disent eux-même sunnites, croient (pour peu que ceux-ci soient vraiment croyant).
En profitant des dissensions du Moyen-Orient, comme la guerre civile en Syrie ou le sentiment d’abandon des sunnites en Irak, l’E.I. est parvenu à s’implanter, grossir ses rangs et étendre sa domination. Par rapport aux précédents exemples, l’E.I. étend certes ses frontières aux dépends de plusieurs états souverains (Irak, Syrie, Libye, Philippine…), mais subit en contre-partie la réaction internationale.

Ne respectant aucunes lois de la guerre (jus ad bellum/in bello), massacrant et pillant sans vergognes, transposant le conflit à l’étranger (attentats en Europe, théâtres d’opérations des groupes assujettis…) et n’étant pas un état souverain et reconnu, une vaste coalition se forme et parvient progressivement à le vaincre. Mais l’organisation n’a pas disparu pour autant. Ne reposant fondamentalement que sur une idéologie, il est quasiment impossible d’en venir définitivement à bout sur le court terme. Peu étonnant que, n’ayant pas les contraintes que subit un état de droit, l’Etat Islamique n’ait pas les mêmes limites concernant la guerre.
Le Retex
A la manière de la guerre des Balkans concernant la Première Guerre mondiale, il est possible de tirer quelques éléments inhérents à la guerre au XXIe siècle, propres à se retrouver dans les futurs conflits. Pour des raisons pratiques, ceux-ci seront répartis entre les domaines stratégique et tactique, bien qu’en fonction des circonstances, un même élément puisse changer de catégorie, voir même se retrouver dans les deux.
Au niveau stratégique, la réaction de la communauté internationale, isolée ou au sein des grandes instances supranationales et internationales, cloisonne les appétits impérialistes, en faisant peser l’épée de Damoclès que représente l’intervention militaire (ou non) d’un ou plusieurs autres états. Les guerres directes et ouvertes entre pays souverains tendent alors à se raréfier, au profit de l’action en sous-main, notamment en finançant, approvisionnant, entraînant et encadrant des forces locales dans les conflits périphériques. Sans s’engager directement, il est donc toujours possible d’agir, en prenant des risques moindres.
Néanmoins, cette stratégie de contournement peut aussi faire office de signe de faiblesse : éviter l’affrontement en usant de proxys ou en prenant part de façon non-léthale, peut mettre en relief les failles de ses propres forces ou le manque de moyens / de volonté d’un pays à s’engager. On le voit en Syrie, où l’implication des soutiens des insurgés et des loyalistes fut diverse et variée. En déployant du matériel et en prodiguant un soutien terrestre et/ou aérien massif, la Russie et l’Iran ont grandement aidé Bachar el-Assad à reprendre du terrain et à limiter la rébellion au Nord de la Syrie (région d’Idlib).

A contrario, l’aide des puissances occidentales fut plus timorée, entre approvisionnements, surtout humanitaires, aux insurgés et effort davantage tourné vers la réduction de l’État Islamique. Les critiques et sanctions économiques contre le régime syrien et ses alliés furent nombreuses mais les actions militaires quasi inexistantes : frapper la Syrie, c’est prendre le risque d’accroître les tensions avec la Russie et l’Iran. Les quelques frappes effectuées par les Etats-Unis et leurs alliés contre les force syriennes relèvent davantage du geste[4] que d’une véritable intention belliqueuse et semblent avoir été convenue avec la Russie, en témoignent les faibles pertes humaines et matérielles causées.
D’ailleurs, il serait possible d’y déceler un certain réalisme cynique : la rébellion perd du terrain et sa victoire semble improbable, soutenir leur cause contre vents et marées serait dommageable pour les démocraties occidentales : elle ne ferait que poursuivre inutilement un bain de sang, en radicalisant les différents acteurs, l’un dos au mur (les rebelles), l’autre avide de vengeance (les vainqueurs). Mais l’inaction est tout autant contre-productive pour les puissances occidentales, championnes des droits de l’Homme. Il faut faire bonne figure et des frappes limitées semble être un bon compromis à même de satisfaire l’opinion publique lorsque l’aide fournie jusqu’alors ne suffit plus.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, les conflits inter-étatiques ne semblent plus véritablement être la norme : les frontières sont suffisamment reconnues et garanties pour que leur violation ne puisse pas se faire sans heurts. La quête de domination territoriale a laissé progressivement la place à une lutte d’influence, créant ainsi des axes, des alliances ou tout du moins, une sorte de clientélisme.
Seuls les groupes non-étatiques poursuivent ouvertement des conflits territoriaux dans une optique de conquête : ne faisant pas partie du concert des Nations, ils sont en lutte permanente pour leur survie, la guerre est leur moteur. Une réaction organisée n’est donc pas à même de stopper leurs projets, hormis si celle-ci conduit à leur neutralisation définitive et totale (y compris de l’ensemble de ses membres).
L’état islamique est un cas à part. Généralement, les groupes non-étatiques qui mènent des insurrections ont pour causes l’indépendance, la légitimation de frontières pré-existantes (sur une base culturelle ou historique) ou alors la revendication de frontières jusqu’alors inexistante, pour la création d’un état propre. Empruntant aux deux derniers cas – rétablir un califat dans la continuité des précédents (base historique) à cheval sur l’Irak et la Syrie (frontières définies par les conquêtes, donc inexistantes à la base) – , l’État Islamique s’est aussi lancé dans une politique d’expansion à grande échelle puisque son projet était à visée mondiale. Ses capacités sont certes fortement réduites aujourd’hui, mais, motivé par une idéologie (qui en soit ne peut disparaître, puisque si quelqu’un l’a pensé, n’importe qui peut l’imaginer aussi, même des décennies après), il est fort à parier que son expérience connaîtra de nouvelles incarnations dans les années à venir.
Sur le plan tactique, ces guerres sont marquées par des grands traits généraux. Le front a tendance à se figer lorsque les adversaires disposent de moyens équivalents. Les troupes s’enterrent et se bombardent mutuellement, sans forcement parvenir à briser le statut quo, comme actuellement en Ukraine, malgré les cessez-le-feu, le protocole de Minsk et les accords de Minsk II.

L’usage des armes lourdes se repend même dans les groupes non-étatiques et les technologies civiles permettent de combler en partie le fossé qualitatif qui sépare l’acteur asymétrique de son adversaire régulier. Les conflits périphériques deviennent des laboratoires pour expérimenter les nouveaux matériels et ajuster les doctrines alors en vigueur, à l’image de la Russie en Syrie.
Les grandes formations ont tendance à devenir plus rares, hormis lors de la phase d’attaque : le swarming (attaque en essaims), qui consiste en une progression en plusieurs groupes avant rassemblement sur l’objectif et dispersion une fois celui-ci accompli, semble se généraliser pour accroître l’effet de surprise, tirer avantage de la mobilité et éviter d’offrir des cibles faciles aux forces adverses. L’armée française fait usage d’une telle tactique dans les étendues de la bande sahélo-saharienne, où l’usage de véhicules et blindés légers, soutenus par des hélicoptères, permet de repérer, intercepter et neutraliser des bandes armées très mobiles.
Cependant, l’infanterie n’en est pas pour autant déclassée. La guerre en milieu désertique n’est qu’une des facettes de la guerre. En raison du développement des villes, le combat urbain en est un autre pan majeur. L’infanterie y est de nouveau la reine des batailles. Dans cet environnement cloisonné et multidimensionnel, l’avantage va au défenseur. L’infanterie progresse donc lentement, soutenue par toutes les autres armes. Les blindés font alors office de protection et d’artillerie mobile en soutien de celle-ci, qui lui procure en retour une protection rapprochée contre les armes anti-chars individuelles : en Syrie et en Irak, des modèles d’exportation de Main Battle Tanks M1 Abrams et Leopard 2 ont ainsi été détruits par des armes anti-chars, souvent en raison de l’absence d’unités d’accompagnement.

Plus que jamais, on fait la guerre avec des armes, mais on la gagne avec des hommes. Cela n’est pas sans poser problème. La question des effectifs devient centrale. Il faut prendre le terrain, mais aussi le tenir, sur une durée plus ou moins longue. Les Américains ont pu s’adapter avec le concept d’unités mixtes[5], mélangeant les forces locales avec leurs propres forces en Irak. L’exemple n’est pas isolé et tire ses racines du savoir-faire français en Indochine et en Algérie, puis de l’expérimentation américaine au Vietnam, qui semblerait avoir été volontairement abandonnée.
Mais la problématique demeure pour le théâtre européen et ne cesse d’alimenter la réflexion militaire : comment parvenir à gonfler les effectifs de nos armées aujourd’hui si limitées du fait de leur professionnalisation ? Réserve opérationnelle, service militaire, milices citoyennes… les solutions semblent nombreuses, mais le débat reste encore et toujours ouvert…
Mise à jour (15/11/2022) :
L’invasion de l’Ukraine par la Russie débutée le 24 février 2022 est bien le témoin que la réflexion articulant cet article est et demeure une réflexion : elle n’est pas forcément gravée dans le marbre et est en constante évolution. Dans cet écrit, la guerre inter-étatique était jugée en raréfaction et la conquête territoriale avant tout virtuelle. Le déroulement des événements actuels en Ukraine est venu remettre en question ces propos : par le truchement de référendums truqués, la Russie a annexé des territoires ukrainiens conquis. Ces annexions non reconnues (excepté par la Corée du Nord) et condamnées par une grande partie de la communauté internationale sont d’ailleurs des plus superficielles : l’emprise russe n’y était pas totale et certaines régions ont depuis été reconquises, à l’image de celle de Kherson. Cette guerre de haute-intensité en Europe a vu l’implication indirecte de nombreux pays (en terme de fourniture de matériels, de renseignements, et de formations), redonnant une impulsion aux réflexions stratégiques et doctrinales. D’autres conflits inter-étatiques ont par ailleurs éclaté cette même année, notamment opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :
Bibliographie
Atlas géopolitique mondial 2018, Aerion Group, septembre 2017, 192 p.
Bilan géostratégique 2018 : Le temps des « monstres », Moyen-Orient, Aerion Group, n°39, juillet-septembre 2018, 100 p.
Sunnites vs. chiites : les frères ennemis ?, Diplomatie, Aerion Group, n°81, juillet-août 2016, 100 p.
ABOVILLE F. (CBA), LANDREAU A., La New Generation Warfare russe à l’épreuve de la guerre en Ukraine, C.D.E.F. / Ministère des Armées, Lettre du Retex n°30, septembre 2016, 12 p.
CHALIAND G., Pourquoi perd-on la guerre ? Un nouvel art occidental, Odile Jacob, 2017 (1ère édition en 2016), 196 p.
DESPORTES V. (Général), Comprendre la guerre, Economica, 2000, 2e édition en 2001,
DESPORTES V. (Général), La dernière bataille de France : Lettre aux Français qui croient encore être défendus, Gallimard, , 208 p.
GOYA M., Théorie de la Fusion, Défense & Sécurité Internationale, Areion Group, n°135, mai-juin 2018, 116 p., pp. 58-61.
PRAVETTONI R., SAMAAN J.-L., Bataille navale entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, Défense & Sécurité Internationale, Areion Group, n°135, mai-juin 2018, 116 p., pp. 6-7
TOUCHARD L., Organisation tactique et méthodes de combat de l’Etat Islamique, conops-mil.blogspot.com (en ligne), 19 février 2016 (première version datée du 21 mai 2015), 57 p., [en ligne] https://drive.google.com/file/d/0B5BPniK3l7kHZEhNY0xBcTB2NVU/view (dernière consultation le 05/09/2018)
[1]L’année 2008 est particulièrement marquée, mais les affrontements restent limités : la guerre d’Ossétie en 2008 a certes vu l’intervention russe contre la Géorgie, mais au profit des provinces rebelles. La guerre israélo-libanaise en 2008 a surtout vu des affrontements entre le Hezbollah et Tsahal, fait récurrent depuis 1982. Enfin, d’autres conflits plus limités comme la guerre djibouto-érythréenne, le conflit frontalier entre le Cambodge et la Thaïlande ou le conflit du haut-karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont éclaté la même année. Il n’empêche que ces différentes guerres ne sont pas apparues subitement, mais sont le résultat d’un long processus voir même de conflits anciens.
[2] La Russie soutient les insurgés pour contrebalancer, selon les dires de certains de ses ministres, le soutien américain perçu par les forces ukrainiennes. Il n’est pas question d’invasion, de conquête ou d’annexion, mais la présence armée russe dans ces deux oblasts est prouvée. La situation est digne de la guerre froide. Sur l’intervention russe en Ukraine, lire l’excellente lettre du RETEX n°30 : La New Generation Warfare Russe à l’Épreuve de la Guerre en Ukraine (http://docplayer.fr/49367898-Les-operations-successives-de-2014-et-2015-en-crimee-et-dans-la-region-du-donbass-ont-permis-au.html)
[3]Boko Haram est un groupe sévissant dans la région du Nigeria, notamment autour du lac Tchad. Particulièrement virulent et violent, il est notamment connu pour le massacre de Baga, après la prise de la base de la force multinationale, mais aussi l’enlèvement des lycéennes de Chibok. Très active entre 2016 et 2018, la Wilayat Sinaï est responsable de nombreux accrochages avec l’armée égyptienne et a commis de nombreux attentats, faisant du Sinaï une zone en pleine insurrection. Elle a d’ailleurs revendiqué la destruction d’un avion airbus A321 d’une compagnie aérienne russe, causant la mort de 224 passagers.
[4]Il s’agissait ni plus ni moins de sévir après la violation, une fois encore, de la ligne rouge, matérialisée par l’usage des armes chimiques. En frappant ainsi, on peut noter aussi une volonté de faire respecter le droit international et la réglementation de la guerre.
[5]Lire à ce sujet l’excellent article de Michel Goya, colonel des troupes de marine (r) : Théorie de la Fusion, dans Défense & Sécurité Internationale, mai-juin 2018, numéro 135, 116 p., pp. 58-61.
Super mais Super de chez Super analyse. Surtout dans la recherche bibliographique! Chapeau 🎩
Merci beaucoup ! D’autres articles de la même série “La guerre au XXIe siècle” suivront !