Le contexte politique : une succession d’empereurs
La fin du IIe et le début du IIIe siècle connurent une succession impériale sans cesse renouvelée. Septime Sévère, originaire de Lepcis Magna (Tripolitaine) fut proclamé empereur par ses soldats le 9 avril 193, avant d’être reconnu officiellement empereur cinq ans plus tard, en 197, après avoir vaincu son concurrent au trône. Il avait deux fils, Bassianus-Caracalla et Géta, qui furent associés au pouvoir en 198 : Caracalla fut nommé Auguste, tandis que Géta reçut le titre de César[1]. Au décès de leur père en 211, les deux hommes se partagèrent la direction de l’empire.
Ils n’étaient toutefois pas les seuls à être au pouvoir. En effet, Septime Sévère était marié à Iulia Domna, fille du prêtre d’Héliogabale (Sol Elagabalus) à Émèse (Syrie), Julius Bassianus. La sœur de Iulia Domna, Iulia Maesa, ainsi que ses filles Iulia Soemias et Iulia Mamaea, s’ingérèrent également dans les affaires dynastiques, mais nous y reviendrons.
Dirigeant l’empire avec son frère, Caracalla ne s’encombra néanmoins pas longtemps de lui et Géta fut assassiné avant la fin de l’année 211.

À son tour, alors qu’il se trouvait en campagne contre les Parthes, Caracalla[2] fut tué par un officier du prétoire le 8 avril 217[3]. Lui succéda Macrin, l’un des acteurs principaux de la bataille d’Antioche[4] l’année suivante.
En 217, Macrin était préfet du prétoire[5] et fut l’instigateur de l’assassinat de Caracalla, mettant ainsi temporairement un terme au règne des Sévères. Les troupes militaires, qui n’avaient pas connaissance du complot, acclamèrent rapidement Macrin empereur[6] :
« Après le meurtre d’Antonin Bassianus [= Caracalla], son préfet du prétoire, Opilius Macrin, qui était auparavant administrateur de biens, s’empara du pouvoir impérial. De basse naissance, effronté de caractère et de physionomie, il se donna tour à tour les noms de ‟Sévère” et d’‟Antonin”, alors que tous le haïssaient, aussi bien les civils que les militaires. »[7]
La description fournie par l’auteur (inconnu) de l’Histoire Auguste témoigne d’un jugement sévère porté à l’encontre de Macrin qui aurait été haï de tous (cum in odio esset omnium).

La particularité de Macrin était, outre son origine (la Maurétanie), son statut de chevalier, faisant de lui le premier de son ordre à accéder à la plus haute charge impériale[8]. En effet, depuis Octave Auguste, tous les empereurs appartenaient à l’ordre sénatorial. Ceci explique notamment pour quelles raisons Macrin chercha constamment à réaffirmer sa légitimité[9].
Ainsi, en dépit des élans d’amitié qu’il avait pu obtenir au début de son règne, Macrin se retrouva rapidement en difficulté sur le plan politique. Il réaffirma certaines mesures de Caracalla, en supprima d’autres, et chercha constamment à affirmer sa légitimité en prenant Severus pour cognomen et en octroyant à son fils le titre de César[10]. Cela ne suffit toutefois pas à calmer les ardeurs des princesses syriennes. En effet, réfugiées en Syrie, les trois femmes survivantes (la sœur de Iulia Domna, veuve de Septime Sévère, ainsi que ses deux filles) cherchèrent à récupérer le trône impérial dans leur famille[11].
Toujours selon l’Histoire Auguste, elles complotèrent contre Macrin en propageant la rumeur que le jeune Varius Bassianus était un fils (illégitime en l’occurrence) de Caracalla. Il était donc le successeur légitime sur le trône impérial. La branche syrienne des Sévères parvint ainsi à faire acclamer empereur le jeune Bassianus en date du 16 mai 218 et nombre de soldats firent défection de l’armée de Macrin pour rejoindre celle du nouvel empereur « légitime ».
Cassius Dion rapporte comment les soldats, qui étaient sous le commandement de Julianus, bras droit de Macrin, furent dévoyés après avoir été encerclés dans leur camp :
« En promenant, en effet, Avitus, qu’ils appelaient déjà Marc-Aurèle Antonin, sur le chemin de ronde des remparts et en exhibant des portraits de Caracallos tout petit, sous prétexte de leur ressemblance avec l’enfant, en disant qu’il était réellement son fils et nécessairement son successeur à la tête de l’empire […] ils réussirent à dévoyer tous les soldats de Iulianus »[12]
Julianus parvint à s’enfuir, mais fut rattrapé plus tard, égorgé et sa tête fut apportée à Macrin en personne. En effet, ce dernier avait accepté de quitter Antioche pour faire reconnaître son fils comme son successeur. Se sentant menacé, Macrin décida de retourner à Antioche, tandis que le nombre de défections au sein de son armée ne faisait qu’augmenter, renforçant, par conséquent, l’armée de celui qui était désormais appelé Héliogabale.
Finalement, le tuteur du jeune empereur, Gannys, fut à la tête de l’armée qui affronta celle de Macrin le 2 juin 218 dans les alentours d’Antioche :
« Au moment de livrer bataille, Gannys se hâta d’occuper par avance les défilés en avant du village et il rangea ses soldats aux différents postes en chef de guerre habile, quoiqu’il fût tout à fait dépourvu d’expérience militaire et qu’il eût vécu dans la mollesse […] Mais son armée lutta très faiblement et, si Maesa et Soaemis (car elles étaient avec l’enfant), sautant de leurs voitures et se précipitant au-devant des fuyards, ne les avaient pas retenus dans leur débandade par des lamentations, et si l’enfant, par quelque inspiration divine, ne s’était pas montré à eux à cheval, tirant la petite épée qu’il portait à la ceinture, comme s’il allait charger les adversaires, ils ne se seraient jamais arrêtés. Cependant, même dans ces conditions, ils auraient à nouveau tourné le dos, si Macrin, voyant qu’ils résistaient, n’avait pris la fuite. »[13]
Ayant pris la fuite et sachant ses jours comptés, Macrin tenta de sauver son fils en l’envoyant à la cour parthe, tandis que lui-même essayait de rejoindre Rome, où il espérait avoir le soutien du Sénat et du peuple. Il fut néanmoins reconnu et arrêté en Cappadoce, apprenant dans le même temps que son fils avait aussi été arrêté. Alors que l’empereur déchu était emmené à Antioche, il fut égorgé par un centurion non loin de la cité[14].
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Bibliographie
Cassius Dion, Histoire romaine, Paris, Les Belles Lettres, 2020, CLXXXVIII & 222 p., texte édité et traduit par Foulon Éric et Molin Michel
France Jérôme et Hurlet Frédéric, Institutions romaines : des origines aux Sévères, Paris, Armand Colin, 2019, 309 p.
Histoire Auguste. Vies de Macrin, Diaduménien, Héliogabale, Paris, Les Belles Lettres, 1993, 240 p., texte édité et traduit par Turcan Robert
Le Bohec Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C. – 410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2017, 828 p.
Le Bohec Yann, Le Glay Marcel et Voisin Jean-Louis, Histoire romaine, Paris, PUF, 2016 (1991), 589 p.
Marasco Gabriele, « L’idéologie impériale de Macrin », dans Revue des études anciennes, vol. 98, no1-2, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1996, pp. 5-263, pp. 187-195, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1996_num_98_1_4651 (dernière consultation le 18/05/2023)
Le Roux Patrick, Le Haut-Empire romain en Occident : d’Auguste aux Sévères (31 av. J.-C. – 235 apr. J.-C.), Paris, Éditions du Seuil, 1998, 501 p.
[1] Le Roux Patrick, Le Haut-Empire romain en Occident : d’Auguste aux Sévères (31 av. J.-C. – 235 apr. J.-C.), Paris, Éditions du Seuil, 1998, 501 p., p. 107 ; France Jérôme et Hurlet Frédéric, Institutions romaines : des origines aux Sévères, Paris, Armand Colin, 2019, 309 p., p. 194
[2] Il fut empereur de 212 à 217. Son règne fut marqué par l’octroi de la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’empire, tout en conservant les coutumes propres à leurs cités (édit de Caracalla promulgué en 212).
[3] Le Bohec Yann, Le Glay Marcel et Voisin Jean-Louis, Histoire romaine, Paris, PUF, 2016 (1991), 589 p., p. 394 ; France Jérôme et Hurlet Frédéric, op. cit., p. 194
[4] La cité d’Antioche était localisée en Turquie actuelle et est devenue la ville d’Antakya.
[5] Fonction militaire. Le préfet du prétoire était un membre de l’ordre équestre de haut rang, qui avait la confiance de l’empereur et qui, au vu de son statut de chevalier, ne pouvait pas prétendre au pouvoir impérial. C’était lui qui commandait les cohortes prétoriennes, différentes des armées provinciales placées sous le contrôle monopolique de l’empereur. Voir ibid., pp. 160-161
[6] Marasco Gabriele, « L’idéologie impériale de Macrin », dans Revue des études anciennes, vol. 98, no1-2, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1996, pp. 5-263, pp. 187-195, p. 188, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1996_num_98_1_4651 (dernière consultation le 18/05/2023)
[7] Histoire Auguste. Vie de Macrin, II, 1, Paris, Les Belles Lettres, 1993, 240 p., p. 21, texte édité et traduit par Turcan Robert : « Occiso ergo Antonino Bassiano Opilius Macrinus praefectus praetorii eius, qui antea privatas curabat, imperium arripuit, humili natus loco et animi atque oris inverecundi, seque nunc Severum nunc Antoninum, cum in odio esset omnium et hominum et militum, nuncupavit. »
[8] Le Bohec Yann, Le Glay Marcel et Voisin Jean-Louis, op. cit., p. 394
[9] Marasco Gabriele, art. cit., pp. 187‑188
[10] Ibid., p. 190
[11] Le Bohec Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C. – 410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2017, 828 p., p. 605 ; France Jérôme et Hurlet Frédéric, op. cit., p. 194
[12] Cassius Dion, Histoire romaine, 78, 32, 2-3, Paris, Les Belles Lettres, 2020, CLXXXVIII & 222 p., p. 54, texte édité et traduit par Foulon Éric et Molin Michel : « τόν τε γὰρ Ἀουῖτον, ὃν Μᾶρκον Αὐρήλιον Ἀντωνῖνον ἤδη προσηγόρευον, περιφέροντες ὑπὲρ τοῦ τείχους, καὶ εἰκόνας τινὰς τοῦ Καρακάλλου παιδικὰς ὡς καὶ προσφερεῖς αὐτῷ ἀποδεικνύντες, παῖδά τε ὄντως αὐτὸν ἐκείνου καὶ διάδοχον τῆς ἀρχῆς ἀναγκαῖον εἶναι λέγοντες […] πάντας τοὺς σὺν τῷ Ἰουλιανῷ στρατιώτας. »
[13] Ibid., 78, 38, 3-4, p. 64 : « ἐν δ´ οὖν τῇ μάχῃ ὁ μὲν Γάννυς καὶ τὰ στενὰ τὰ πρὸ τῆς κώμης σπουδῇ προκατέλαβε καὶ τοὺς στρατιώτας εὐπολέμως διέταξεν, καίτοι καὶ ἀπειρότατος τῶν στρατιωτικῶν ὢν καὶ ἐν τρυφῇ βεβιωκώς·[…] τὸ δὲ δὴ στράτευμα αὐτοῦ ἀσθενέστατα ἠγωνίσατο, καὶ εἴ γε μὴ ἥ τε Μαῖσα καὶ ἡ Σοαιμίς (συνῆσαν γὰρ ἤδη τῷ παιδίῳ) ἀπό τε τῶν ὀχημάτων καταπηδήσασαι καὶ ἐς τοὺς φεύγοντας ἐσπεσοῦσαι ἐπέσχον αὐτοὺς τῆς φυγῆς ὀδυρόμεναι, καὶ ἐκεῖνο σπασάμενον τὸ ξιφίδιον, ὃ παρέζωστο, ὤφθη σφίσιν ἐπὶ ἵππου θείᾳ τινὶ φορᾷ ὡς καὶ ἐς τοὺς ἐναντίους ἐλάσον, οὐκ ἄν ποτε ἔστησαν. Καὶ ὣς δ´ ἂν αὖθις ἐτράποντο, εἰ μὴ ὁ Μακρῖνος ἰδὼν αὐτοὺς ἀνθισταμένους ἔφυγεν. »
[14] L’Histoire Auguste rapporte une autre tradition, selon laquelle le père et le fils auraient été tués ensemble.