La bataille des Thermopyles en avril 1941

La bataille des Thermopyles en avril 1941

« Ô étranger, va dire aux Lacédémoniens qu’ici nous gisons, ayant obéi à leurs ordres »[1]

L’Histoire aime parfois se répéter. En 480 av. J.-C., une poignée de guerriers spartiates sous les ordres d’un chef au nom resté légendaire, le roi Léonidas de Sparte, est entrée dans les mémoires en livrant une bataille désespérée contre l’envahisseur perse, permettant de sauver la Grèce au prix de leurs 300 vies. Cet événement fut, en réalité, l’affaire de plusieurs cités – majoritairement du Péloponnèse – plutôt que de Spartiates seuls. Toutefois, ce que l’on connaît encore moins, sans doute, c’est que 24 siècles plus tard, sur les lieux mêmes de cette tragédie héroïque, un autre combat allait se tenir. Un combat peut-être moins « héroïque », mais aux enjeux tout aussi importants : il ne s’agissait plus alors de sauver la Grèce, mais le monde libre face à l’oppresseur nazi. Plongeons-nous donc dans cette fin du mois d’avril 1941 sur les routes montagneuses de la Grèce continentale…

La position des Thermopyles en Grèce
La position des Thermopyles en Grèce, Google Maps

Le 6 avril 1941, 1200 chars et près d’un demi-million de soldats allemands de la Wehrmacht[2], soutenus par 700 avions de la Luftwaffe[3], déclenchèrent l’opération « Marita » dans le but d’envahir la Grèce, mais aussi la Yougoslavie et, surtout, d’anéantir le corps expéditionnaire britannique présent dans le Péloponnèse.

Pourquoi déclencher cette opération à ce moment de la guerre ? En octobre 1940, Benito Mussolini, le dictateur italien et allié de Adolf Hitler, avait décidé d’envahir la Grèce. Bien mal lui en prit puisque l’armée italienne, mal préparée et mal commandée, fut vaincue par les Grecs qui menaçaient même d’envahir les régions occupées par l’Italie comme l’Albanie au printemps 1940. Hitler voulant se débarrasser de cette dernière porte d’entrée des Alliés en Europe, prit donc la décision de venir en aide à l’Italie en envoyant l’armée allemande en masse vers la Grèce.

L’objectif majeur de Berlin était de sécuriser le littoral hellène et les îles grecques, mais aussi et surtout de jeter à la mer le corps expéditionnaire sous commandement britannique, composé de troupes du Royaume-Uni et de l’Australian and New Zealand Army Corps (ANZAC) à savoir d’Australie et de Nouvelle-Zélande (Commonwealth). Ainsi, en mars 1941, environ 58 000 hommes furent débarqués pour aider les Grecs contre les Italiens. Cependant, il n’avait pas été prévu que les Allemands réagiraient si tôt !

Si l’invasion de la Yougoslavie s’était déroulée facilement pour les Allemands qui n’avaient perdu « que » 151 hommes et avaient fait 250 000 prisonniers, il n’en était pas de même en Grèce qui maintenait plus de 500 000 hommes sous les armes, bien que la plupart aient été disposés à l’ouest contre les Italiens. Pourtant, alors que les Grecs furent surpris par l’attaque sur la frontière bulgare, il fallut plus de quatre jours aux divisions allemandes pour diminuer le réduit frontalier de Thessalonique.

Par exemple, les forts de la ligne Metaxás, la ligne Maginot grecque, leur infligea de lourdes pertes et tint héroïquement malgré des ordres contraires de l’état-major grec, certains d’avoir déjà perdu la bataille. Un autre exemple est la résistance du fort de la passe de Rupel, dont l’édifice fut pilonné nuit et jour par les Stukas[4] et même attaqué au lance-flammes, entrant ainsi dans la légende de l’armée grecque. Toutefois, alors que la IIᵉ armée grecque s’accrochait à la frontière bulgare, plusieurs divisions de Panzers[5] s’engouffrèrent par la Macédoine, dans le nord de la Grèce, obligeant cette dernière à capituler rapidement à Thessalonique.

Carte de la bataille de Grèce en avril 1941
Carte de la bataille de Grèce en avril 1941, Eric Gaba, 2015, Wikimedia Commons

Le 10 avril, les troupes allemandes fondirent sur Athènes et le sud de la Grèce. Cependant, de précieux jours furent gagnés pour organiser la Résistance. L’objectif était simple pour les Allemands : passer sur les dernières forces grecques, prendre la capitale Athènes et surtout les ports[6] pour bloquer le corps expéditionnaire du Commonwealth et le capturer dans son entièreté. Si l’opération fonctionnait, cela aurait porté un coup terrible aux Alliés en Méditerranée, qui n’auraient plus disposé de forces d’envergure pour s’opposer aux Allemands, que ce soit en Grèce ou en Afrique du Nord.

Winston Churchill avait prévenu qu’il n’y aurait pas de second Dunkerque et que le rembarquement devrait se faire dans le calme. Pour être préservées au maximum, les troupes britanniques, australiennes et néo-zélandaises commencèrent ainsi à se diriger vers les ports. Si la Grèce était perdue, ces troupes seraient très utiles, notamment en Libye pour protéger l’Égypte britannique. Il leur fallait donc à tout prix retarder l’avancée des Allemands.

Mais ces derniers semblaient inarrêtables. En effet, dès le 11 avril, les chars de la 2ᵉ division Panzer, suivis par ceux de la 1ʳᵉ division SS Adolf Hitler, s’avançaient dans la vallée de Florina pour s’emparer de la grande ligne de chemin de fer reliant Thessalonique à Athènes. Seules deux faibles divisions grecques purent s’y opposer, mais cela ne suffisait pas. Le haut-commandement allié, conscient que le rembarquement serait impossible si les Allemands n’étaient pas ralentis, décida de dépêcher un groupe de troupes du Commonwealth à cette fin. Le général australien Iven Mackay fut placé à la tête de cette force composée de brigades australienne et néo-zélandaise et de régiments grecs. Comme à de nombreuses autres occasions, les Britanniques ont laissé le « sale boulot » aux alliés du Commonwealth qu’étaient ici les Australiens et les Néo-Zélandais.

En outre, les 11 et 12 avril virent les Allemands avancer partout, se rapprochant dangereusement d’Athènes, qui n’était désormais plus qu’à environ 400 kilomètres au sud, ainsi que du grand port de Volos à moins de 200 kilomètres, en dépit d’une résistance acharnée des hommes de l’Océanie et des Grecs. Les 12 et 13 avril, tandis que des tempêtes de neige balayaient les montagnes de Grèce, les dernières troupes grecques de ce front craquèrent : la 12e division, qui accompagnait les hommes du Commonwealth, se fit submerger par les Allemands. Pourtant, les Australiens, tenaces, s’accrochaient toujours…

Le 14 avril, les Alliés décidèrent d’une nouvelle ligne de défense autour du mont Olympe : deux brigades néo-zélandaises et une australienne en gardaient tous les accès, aussi bien par la montagne que par la voie ferrée[7]. De violents combats eurent lieu avec la 9e division Panzer du 14 au 16 avril et il fallait encore reculer. Le 18 avril, les blindés allemands étaient alors à une cinquantaine de kilomètres au sud du mont Olympe, à une centaine de kilomètres de Vólos et à à peine 300 kilomètres au sud d’Athènes. Le jour suivant, ils s’emparèrent de la grande ville de Larissa et, le 21 avril, le port de Vólos tombait à son tour. Athènes n’était plus qu’à 230 kilomètres au sud.

Comment les arrêter ? La Grèce était de toute manière perdue. On ne pensait plus, dès lors, qu’à sauver le corps expéditionnaire du Commonwealth. Mais cela était-il encore possible ? Le rembarquement avait, en effet, déjà commencé : les Australiens attendaient à Mégare, près de Corinthe ; les Britanniques étaient prêts à le faire à Argos ; une brigade néo-zélandaise attendait, quant à elle, dans la plaine de Marathon, que les bateaux alliés arrivent. Néanmoins, ces embarquements prendraient plusieurs jours. Et au rythme de l’avancée allemande, on craignait la catastrophe.

Il fallut donc demander un dernier effort aux troupes de l’arrière-garde, à savoir les Australiens de la 19e brigade du général Vasey et les Néo-Zélandais de la 6e brigade. Leur mission : tenir le défilé des Thermopyles aussi longtemps que possible, puis décrocher vers Athènes. Mais Vasey interpréta mal ces ordres et pensa qu’on lui demandait de tenir le défilé jusqu’au dernier homme, comme le fit le roi Léonidas avant lui. La seconde bataille des Thermopyles pouvait alors commencer.

La bataille des Thermopyles en avril 1941
Caricature américaine d’époque mettant en valeur les Grecs aux Thermopyles de l’Antiquité jusqu’à 1941, New York Daily Mirror

Les soldats de l’Océanie préparèrent de manière excellente le comité de réception. Notons, en effet, qu’un bataillon grec les accompagnait. Soldats de fortune, ces jeunes élèves de l’école militaire grecque furent envoyés sur le flanc pour sécuriser l’aile gauche de la position. Le problème était que les troupes du Commonwealth allaient devoir affronter l’élite de l’armée allemande, à savoir la 9e division Panzer, ainsi que la 6e division d’infanterie de montagne. Autrement dit, environ 6000 soldats alliés s’apprêtaient à affronter plus de 20 000 Allemands avec une centaine de Panzers et soutenus par les avions de la Luftwaffe.

Soldat allemand d'une division de montagne
Soldat allemand d’une division de montagne, Dmytro Zgonnik, Pinterest

La matinée du 24 avril était trop calme et le voile ne se déchira qu’à 11h30 du côté australien. La 6e division de montage allemande attaqua très violemment aux mortiers lourds et à la grenade les positions australiennes, mais les hommes de Vasey répliquèrent furieusement, tenant leurs positions avec bravoure. Développant leur attaque, les Allemands gagnèrent du terrain. Cependant, les Australiens ne leur laissaient que des miettes et chaque mètre conquis se payait au prix de lourdes pertes.

Dans le secteur néo-zélandais, la 9e division Panzer assaillit les positions à partir de 14h. Là aussi, le combat fut dantesque ! Deux Panzers furent immédiatement mis hors service par les tirs du 5e régiment d’artillerie néo-zélandais, ainsi que par le feu du 25e bataillon.

Les Allemands s’organisèrent : soutenus par les avions de la Luftwaffe, les fantassins essayèrent de contourner la position par le sud, tandis que les cyclistes et les véhicules légers tentèrent de prendre la route, suivis de quatre Panzers. Mais les fusils-mitrailleurs et les mortiers des Néo-Zélandais firent un carnage. À 15h, un violent effort des Panzers fut, encore une fois, réduit à néant par l’artillerie néo-zélandaise. Une heure plus tard, toute la route était encombrée de carcasses de blindés allemands, mais ceux-ci relancèrent l’attaque, progressant mètre par mètre au milieu des rochers.

L’artillerie néo-zélandaise accumula les tirs de plus en plus précis : le lieutenant Parkes parvint à toucher un char à plus de 600 mètres ! S’accrochant au défilé, le 25e bataillon d’infanterie néo-zélandais était toujours là, malgré la pression incessante des chars, cyclistes et fantassins allemands.

Soldats néo-zélandais en 1941
Soldats néo-zélandais en 1941, collection de l’auteur, Raphaël Roméo

Sur le front des Australiens, ce fut à 16h50 que les Allemands augmentèrent la pression. Faisant pleuvoir les tirs de mortiers sur les sections de mitrailleuses australiennes, les pertes furent lourdes : un dizaine d’hommes perdus, tous les officiers blessés et des mitrailleuses endommagées.

Il était 17h15 lorsque les Allemands parvinrent à faire passer une colonne de quatorze chars, qui essayait de prendre les Néo-Zélandais à revers. Peine perdue ! Les canons à tirs rapides des Néo-Zélandais firent pleuvoir leurs obus et cette colonne fut réduite en cendres. À cette occasion, les artilleurs néo-zélandais se surpassèrent : pour ne donner qu’un exemple, le soldat Santi mit en flammes neuf Panzers avec sa seule pièce !

À 17h40, les Allemands escaladèrent les hauteurs pour prendre les Australiens à revers, contraignant Vasey à entamer un repli progressif, compagnie par compagnie. Un violent duel au fusil automatique eut lieu dans les montagnes du défilé, déclenchant un terrible tir de barrage à partir de 18h. Les Néo-Zélandais obligèrent alors les Allemands à se lancer dans un duel d’artillerie, empêchant dès lors tout espoir d’avancée avant la nuit, voire même probablement avant le lendemain. Les Allemands tentaient encore de progresser, mais ils avaient conscience qu’ils n’iraient pas plus loin ce jour-là.

Il était 21h lorsque les Néo-Zélandais purent enfin décrocher après ce terrible combat. En effet, une colonne de camions fut envoyée pour les ramener vers Athènes, qu’ils atteignirent le lendemain. Ils rejoignirent le général Freyberg, commandant de la 2e division néo-zélandaise. Pour les Australiens de Vasey, la lutte ne fut pas moins terrible, mais l’excellente discipline des soldats de la 19e brigade permit d’effectuer une retraite par échelons parfaite. Par exemple, une compagnie resta en position pendant plus de dix minutes sous le feu allemand afin de secourir le caporal David Brand gravement blessé. Ce dernier devint par la suite un homme politique très important en Australie.

La nuit permit également aux Australiens de s’éclipser. Ils ont ainsi rejoint Thèbes, à une centaine de kilomètres au nord d’Athènes, dans la journée du 25 avril. L’avancée allemande fut donc stoppée dans le défilé des Thermopyles : plus de quinze chars furent définitivement perdus, un grand nombre étaient endommagés et les Allemands durent s’arrêter pour souffler. La poursuite effrénée était rompue.

Pendant ce temps, les heures gagnées aux Thermopyles permirent à l’essentiel du corps expéditionnaire de rembarquer sur les plages d’Athènes, à Mégare ou à Nauplie dans le Péloponnèse.

Le 27 avril, les dernières troupes du Commonwealth rembarquaient à Kalamata à l’extrême-pointe du Péloponnèse. La Grèce passait sous le contrôle nazi pour plus de quatre ans.

Le corps expéditionnaire du Commonwealth perdit plus de 1937 hommes tués ou blessés, ainsi que 10 124 qui furent faits prisonniers. Mais il restait au moins 45 000 hommes de très grande valeur et ayant acquis de l’expérience, capables d’être redéployés en Afrique du Nord, là où l’Afrika Korps d’Erwin Rommel commençait à menacer l’Égypte et le Moyen-Orient. En novembre 1941, c’est à Tobrouk, en Libye, que l’avancée de Rommel fut stoppée : faut-il rappeler que parmi les divisions en tête se trouvait notamment la 2e division néo-zélandaise rapatriée de Grèce, celle des Thermopyles ?

Cela nous permet donc de souligner l’importance, pour les Alliés, d’avoir conservé leurs troupes. Mais il y a plus important encore, puisque Hitler déclencha l’opération Barbarossa pour conquérir l’URSS le 22 juin 1941, soit deux mois après la conquête de la Grèce. Le dirigeant allemand fut justement obligé de décaler cette date à cause de la nécessité d’attendre ses meilleures divisions devant revenir de Grèce. En effet, le temps de faire la longue route, puis de combler les pertes, notamment en chars, causées par la hargne des Grecs et des soldats de l’ANZAC, lui fit perdre environ trois semaines. Trois semaines, c’est à peu près ce qu’il manqua aux troupes de l’Axe pour s’emparer de Leningrad et Moscou avant l’arrivée du terrible hiver russe et pour que les forces de l’URSS ne se remettent de leurs très violentes et spectaculaires défaites initiales.

Bien que l’issue d’une guerre soit souvent incertaine, certains facteurs restent constants, comme le temps. En effet, chaque jour, voire chaque heure, compte. Les montagnes escarpées du défilé des Thermopyles ont pu, une fois encore, changer le destin de certains États et peut-être même, dans ce cas précis, le destin du monde.

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Bibliographie

BEEVOR Antony, La Seconde Guerre Mondiale, Paris, Calmann-Lévy, 2012, 1004 p., traduit par CLARINARD Raymond

DELORME Olivier, La Grèce et les Balkans, t. II, Paris, Gallimard, 2013, pp. 708-1486

DE LOVERDO Costa, La Grèce au combat : de l’attaque italienne à la chute de la Crète, 1940-1941, Paris, Calmann-Lévy, 1966, 359 p.

Hellenic Army General Staff (éd.) et Army History Directorate (éd.), An Index of events in the military history of the Greek nation, Athènes, Hellenic Army General Staff, 1998, 506 p., traduit par CARATZAS Aristide D.

MERRICK Long Gavin, Australia in the War of 1939-1945, série 1, vol. 2, Canberra, Australian War Memorial, 1953, 588 p.

VAN CREVELD, « Prelude to Disaster: the British Decision to Aid Greece. 1940-1941 », dans Journal of Contemporary History, vol. 9, n°3, Londres, Sage Publications, Inc., 1974, 228 p., pp. 65-92, [en ligne] https://www.jstor.org/stable/260025#metadata_info_tab_contents (dernière consultation le 09/01/2023)


[1] Inscription du poète Simonide de Céos au sommet du Kolonós venant commémorer l’action des Spartiates.

[2] Nom officiel des armées du IIIe Reich à partir de 1935.

[3] Nom de la branche aérienne de l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

[4] Avion de combat en piqué, bombardier en piqué. Utilisés par l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

[5] Blindés chenillés à tourelle de l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale.

[6] Comme le Pirée ou ceux du sud avec, par exemple, Kalamata.

[7] Grâce au tunnel de Platamon sur la côte notamment.

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