La représentation des Perses dans 300

La représentation des Perses dans 300

« Nous dînerons en enfer ce soir ! ». Dès sa sortie au cinéma, 300 rencontre un succès fulgurant. Adaptation du roman graphique éponyme, le film revisite la bataille des Thermopyles[1], qui se déroule en 480 av. J.-C., à travers une vision fantastique et très esthétique grâce à des images de synthèse. Il reçoit très rapidement de vives critiques en raison de la représentation qui est faite des Perses et, par extension, des Iraniens. En effet, la sortie du film en 2007 pose d’autant plus problème qu’elle intervient dans un contexte particulier de tensions entre les États-Unis et l’Iran. Ainsi, 300 est vu par certains comme une attaque et une volonté d’humiliation des Iraniens et de leur histoire. Bien que les producteurs aient précisé que le film n’était en aucun cas une représentation historique fidèle de la bataille, le portrait dressé des Perses soulève plusieurs problématiques sur lesquelles nous souhaiterions insister.

Les Perses y sont, en effet, représentés comme des bêtes animées d’une noirceur sans nom. Tout chez eux s’oppose aux valeurs et à l’esthétique quasi-parfaite des Spartiates. L’armée est représentée comme faible et seulement animée par un désir de destruction. De surcroît, elle n’aligne que des esclaves, des animaux imposants et des géants monstrueux. Le physique des Perses est également bien moins avantageux que celui des Spartiates. De la même façon, du côté grec, seuls le traître Ephialtès[2] et les éphores[3], qui s’opposent à la campagne de Léonidas[4], sont difformes.

Le film présente également des inexactitudes relatives aux caractéristiques mêmes des forces perses. De fait, contrairement aux uniformes et turbans très sombres de l’infanterie achéménide tels qu’ils sont présentés dans le film, les soldats étaient vêtus de capes et tuniques colorées, souvent rouges ou tirant vers le violet, et portaient des coiffes cylindriques. Le roi Xerxès Ier[5] lui-même n’est pas en reste, puisqu’il est dépeint comme une sorte de dieu, particulièrement percé et maquillé. Il est le reflet de la société perse telle qu’imaginée par les Spartiates dans le film : luxure, vanité, décadence, esclavagisme.

Lanciers perses. Détail de la frise des archers du palais de Darius à Suse. Briques siliceuses à glaçure, vers 510 av. J.-C.
Lanciers perses. Détail de la frise des archers du palais de Darius à Suse. Briques siliceuses à glaçure, vers 510 av. J.-C., actuellement conservé au Berlin Museum, Vissarion, 2006, Wikimedia Commons

La première discordance relève de la ferme opposition entre le monde démocratique libre grec et le monde guerrier barbare perse, soit entre le bien et le mal. Les guerres médiques[6] naissent de la révolte de cités grecques d’Anatolie, dont celle de Milet en 499 av. J.-C. Afin de s’opposer au pouvoir perse, la cité de Milet demande de l’aide à ses alliés de la mer Egée. La garnison perse est massacrée. Cinq ans plus tard, les troupes achéménides, sous le commandement de Darius Ier[7], parviennent à prendre le contrôle de la ville.

Afin de se venger du soutien d’Athènes à Milet, Darius Ier met en place une expédition militaire et accoste à Marathon[8]. Les Perses sont repoussés par l’armée athénienne qui les attendait. Cette défaite ne représente qu’un épisode de l’histoire des Perses, mais elle est considérée comme une importante victoire par les Grecs. L’expédition permet tout de même à la puissance achéménide de conquérir plusieurs îles de la mer Egée et d’accroître ainsi sa puissance navale.

En 486 av. J.-C., à la suite de la mort de Darius Ier, son fils Xerxès Ier prend le pouvoir. Six ans plus tard, il envoie un premier groupe de soldats en Grèce continentale. Après un premier déploiement vers le nord, il commence sa descente vers Athènes. Jusqu’alors neutre, Sparte décide de prendre position en intégrant une coalition de cités grecques afin de s’opposer aux Perses. Un contingent est envoyé dans le but de bloquer la voie principale menant à Athènes. C’est aux Thermopyles que l’armée de Xerxès Ier et les troupes grecques, dont les fameux 300 menés par Léonidas, se rencontrent et livrent bataille en 480 av. J.-C.

Les récits qui en sont faits contribuent énormément à la création du fantasme autour de la puissance achéménide. En effet, une grande partie des sources sont grecques (Hérodote, Thémistocle) et ne sont, par conséquent, que la traduction d’un seul point de vue.

Contrairement à la perspective que propose le film, le conflit entre Grecs et Perses va au-delà de la seule opposition entre deux civilisations fondées sur des modèles drastiquement différents. Les cités grecques ne sont pas toutes organisées selon un régime démocratique – les Spartiates vivent, par exemple, dans un régime monarchique, à la tête duquel sont élus deux rois –, point sur lequel les Perses jouent d’ailleurs pour gagner de l’influence dans la région. Il y a également tout un enjeu autour d’allégeances personnelles : certains Grecs vendent leurs services aux Perses, comme Thémistocle qui devient gouverneur en Lydie, et inversement.

De plus, la période achéménide est dominée par une forte dimension militaire et son emprise de plus en plus importante sur le monde oriental n’est pas bien vu. Les conquêtes de Cyrus II[9], de la Médie à la Bactriane, marquent le début de l’expansion de l’empire. On considère que ce dernier s’étendait, au summum de son extension, sur plus de 7,5 millions de km². La volonté d’unifier l’empire et de l’élargir nécessite, par conséquent, la formation d’une armée importante et solide, ainsi qu’une organisation politique efficace.

Carte de l’Empire perse au Ve siècle av. J.-C.
Carte de l’Empire perse au Ve siècle av. J.-C., Claude Zygiel, 2022, Wikimedia Commons

L’appareil militaire sous les Achéménides est considérable et bien plus complexe que la simple armée d’esclaves qu’on peut voir dans le film. En effet, des troupes permanentes sont déployées sur l’ensemble de l’empire et d’autres, temporaires, sont levées en cas d’urgence. L’armée est composée de Perses, mais également de peuples soumis à la domination achéménide. De ce fait, les techniques et les armements sont très diversifiés, la cavalerie et l’archerie ayant néanmoins une importance centrale. Il existait d’ailleurs des haras royaux sur le territoire. Le nombre des forces enrôlées et la logistique attenante sont tels que les préparatifs prennent énormément de temps. Aussi, les sources divergent grandement quant au nombre des forces en présence du côté perse lors de la bataille des Thermopyles (de 300 000 à plusieurs millions).

De nombreux moyens sont mis en place afin de servir cette perspective de conquête. Il y a un important arsenal naval, des animaux de transport sont mis à disposition, des réseaux de communications sont établis. Xerxès est d’ailleurs connu pour la construction d’un pont sur l’Hellespont dans le but d’atteindre l’Europe.

La création des Immortels, ou Mélophores[10] pour les Grecs, ajoute à cela une image encore plus forte de la puissance militaire achéménide. Au nombre de 10 000, ils sont considérés comme le corps d’élite de l’armée perse, assurant la garde personnelle du Roi. Leurs traits sont d’ailleurs fortement exagérés dans 300. Ils y sont ainsi représentés comme des fantômes sans âme au visage pétrifié et détruisant tout sur leur passage.

Un Achéménide portant une couronne tue un hoplite grec. Bas-relief d’un sceau-cylindre, sculpté vers 500-475 av. J.-C., à l’époque de Xerxès Ier
Un Achéménide portant une couronne tue un hoplite grec. Bas-relief d’un sceau-cylindre, sculpté vers 500-475 av. J.-C., à l’époque de Xerxès Ier, conservé dans la collection du Metropolitan Museum of Art, पाटलिपुत्र, 2019, Wikimedia Commons

Absorbés par la dimension divine attribuée à Xerxès Ier et bien que jouant un rôle central dans la glorification du royaume perse, les richesses de l’empire, au-delà du luxe ostentatoire qu’on peut voir dans le film, et l’art achéménide sont totalement absents dans la représentation faite de la culture perse. La construction de complexes palatiaux monumentaux, comme à Suse et à Persépolis, a permis au Roi de se déplacer aux quatre coins de l’empire et ainsi d’asseoir son autorité et affirmer son omnipotence. Bien que considéré comme un dieu dans le film, le Roi des Rois (Shahanshah) n’est pas divinisé par les Perses. Il détenait son pouvoir du dieu Ahura Mazda.

Représentation de Xerxès à Persépolis
Représentation de Xerxès à Persépolis. Photographie de Jona Lendering, Gun Powder Ma, 2009, Wikimedia Commons

À travers sa vision imaginaire et binaire, 300 efface toute marque de civilisation chez les Perses en éludant totalement l’appareil politique et militaire colossal mis en place sous la dynastie achéménide. Il reflète cependant l’immensité de l’armée perse et son hégémonie territoriale en ce qu’elle représentait, effectivement, une menace pour les populations de la région.

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Bibliographie

Hérodote, Histoires, Livre VII, 83, texte édité et traduit par Legrand Philippe-Ernest, Paris, Les Belles Lettres, 1963, 239 p.

KUHRT Amélie et SANCISI-WEERDENBURG Helen, « Darius I, son of Hystaspes », dans Brill’s New Pauly, vol. 4, op. cit., col. 92

LOHMANN Hans, « Marathon », dans Brill’s New Pauly, vol. 8, Brill, Boston-Leiden, 2006, LV p. & 944 col., col. 279-280

MEYER Ernst, « Thermopylae », dans Brill’s New Pauly, vol. 14, Brill, Boston-Leiden, 2009, LVII p. & 992 col., col. 551-554

RICHER Nicolas, Les éphores : études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIIIe-IIIe siècle av. J.-C.), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, 636 p.

STEIN-HÖLKESKAMP Elke, « Ephialtes », dans Brill’s New Pauly, vol. 4, Brill, Boston-Leiden, 2004, XVIII p. & 1202 col., col. 1032

WELWEI Karl-Wilhelm, « Leonidas », dans Brill’s New Pauly, vol. 7, Brill, Boston-Leiden, 2005, LVI p. & 942 col., col. 399-400

WIESEHÖFER Josef, « Cyrus the Younger, son of Darius II », dans Brill’s New Pauly, vol. 4, op. cit., col. 20-21

WIESEHÖFER Josef, « Xerxes I », dans Brill’s New Pauly, vol. 15, Brill, Boston-Leiden, 2010, LVII p. & 1050 col., col. 836-837


[1] Se déroulant durant les premiers jours du mois d’août 480 av. J.-C., la bataille des Thermopyles opposa les troupes spartiates du roi Léonidas à l’armée royale perse de Xerxès Ier dans le cadre des guerres médiques. Elle passa à la postérité à la suite du courage dont firent preuve les 300 Grecs présents, qui donnèrent leur vie afin de protéger les cités-États grecques de l’arrivée des Perses. Voir Meyer Ernst, « Thermopylae », dans Brill’s New Pauly, vol. 14, Brill, Boston-Leiden, 2009, LVII p. & 992 col., col. 551-554

[2] Selon la tradition rapportée par Hérodote, Ephialtès apporta son aide aux Perses en leur indiquant un chemin qui leur permit de prendre les Grecs à revers. À la suite de cet acte de trahison, l’amphictionie de Delphes mit sa tête à prix. Ephialtès fut tué après de longs combats sur son chemin de retour. Voir Stein-Hölkeskamp Elke, « Ephialtes », dans Brill’s New Pauly, vol. 4, Brill, Boston-Leiden, 2004, XVIII p. & 1202 col., col. 1032

[3] Les éphores, au nombre de cinq, étaient des magistrats annuels de Sparte au statut égal à celui des rois. Ils disposaient du pouvoir le plus important dans le gouvernement qu’ils formaient, en ayant un pouvoir de police, une compétence judiciaire, ainsi qu’un pouvoir exécutif. La charge était toutefois limitée par la collégialité, l’impossibilité de se faire réélire et une rivalité latente avec la royauté. Voir Richer Nicolas, Les éphores : études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIIIe-IIIe siècle av. J.-C.), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, 636 p.

[4] Roi spartiate de la famille des Agiades, il succéda à Cléomène vers 490-489 av. J.-C. Voir Welwei Karl-Wilhelm, « Leonidas », dans Brill’s New Pauly, vol. 7, Brill, Boston-Leiden, 2005, LVI p. & 942 col., col. 399-400

[5] Fils du roi Darius Iᵉʳ et issu de la dynastie des Achéménides, Xerxès Iᵉʳ (r. 486-465 av. J.-C.) est retenu dans la tradition grecque antique comme celui à partir duquel déclina l’empire achéménide. Véritable despote, ce roi fut également l’instigateur de la construction de monuments impressionnants et il mena une politique idéologique visant à la pax Achaemenidica (« la paix achéménidique »). Voir Wiesehöfer Josef, « Xerxes I », dans Brill’s New Pauly, vol. 15, Brill, Boston-Leiden, 2010, LVII p. & 1050 col., col. 836-837

[6] Conflits entre les cités-États grecques et l’Empire perse au début du Ve siècle av. J.-C., plus particulièrement de 490 à 479 av. J.-C.

[7] Devenu roi en 522 av. J.-C., Darius tenta de légitimer son règne en orientant sa politique dans la lignée de celle de Cyrus, fondateur du royaume perse. Le déclenchement de la révolte d’Ionie, qui mena à la première guerre médique, opposa la politique de Darius à celle, plus démocratique, des cités-États grecques. Voir Kuhrt Amélie et Sancisi-Weerdenburg Helen, « Darius I, son of Hystaspes », dans Brill’s New Pauly, vol. 4, op. cit., col. 92

[8] Dème attique situé au nord-est d’Athènes. Le lieu-dit est célèbre pour la bataille qui s’y déroula en 490 av. J.-C., opposant les troupes perses de Darius Ier aux Grecs. Cette bataille signa la fin de la première guerre médique et acta la victoire grecque, plus particulièrement athénienne et platéenne. Voir Lohmann Hans, « Marathon », dans Brill’s New Pauly, vol. 8, Brill, Boston-Leiden, 2006, LV p. & 944 col., col. 279-280 et la bibliographie afférente.

[9] Cyrus II (ca. 423-401 av. J.-C.), fils de Darius II, fut satrape de Lydie, de la grande Phrygie et de la Cappadoce, avant d’être nommé commandant suprême des armées en Asie Mineure en 408 ou en 407 av. J.-C. Il mena une politique axée sur l’étroite collaboration avec la cité de Sparte – et de leur chef Lysandre -, alors en conflit avec Athènes lors de la guerre du Péloponnèse. Voir Wiesehöfer Josef, « Cyrus the Younger, son of Darius II », dans Brill’s New Pauly, vol. 4, op. cit., col. 20-21

[10] Il s’agissait de la garde personnelle du roi perse, composée des meilleurs combattants de l’empire. Selon Hérodote : « Ceux-là commandaient toute l’infanterie sauf les Dix Mille ; ces dix mille Perses d’élite avaient pour chef Hydarnès fils d’Hydarnès. On appelait ces Perses “Immortels” pour la raison que voici : si l’un d’eux venait à manquer à ce nombre, vaincu par la mort ou par la maladie, un autre homme était choisi, en sorte qu’ils n’étaient jamais ni plus ni moins de dix mille. » (οὗτοι ἦσαν στρατηγοὶ τοῦ σύμπαντος πεζοῦ χωρὶς τῶν μυρίων· τῶν δὲ μυρίων τούτων Περσέων τῶν ἀπολελεγμένων ἐστρατήγεε μὲν Ὑδάρνης ὁ Ὑδάρνεος, ἐκαλέοντο δὲ ἀθάνατοι οἱ Πέρσαι οὗτοι ἐπὶ τοῦδε· εἴ τις αὐτῶν ἐξέλιπε τὸν ἀριθμὸν ἢ θανάτῳ βιηθεὶς ἢ νούσῳ, ἄλλος ἀνὴρ ἀραίρητο, καὶ ἐγίνοντο οὐδαμὰ οὔτε πλεῦνες μυρίων οὔτε ἐλάσσονες.) Voir Hérodote, Histoires, Livre VII, 83, texte édité et traduit par Legrand Philippe-Ernest, Paris, Les Belles Lettres, 1963, 239 p., p. 103

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