Une guerre civile sans fin
À son retour des guerres en Gaule, Jules César[1], en franchissant le Rubicon (49 av. n. è.) à la tête de son armée, déclencha un conflit dont l’ampleur divisa le monde romain[2]. Son principal adversaire et ancien collègue triumvir[3], Gnaeus Pompée[4], se rangea du côté des sénateurs et prit la fuite vers l’Orient, où il a constitué une clientèle fidèle lors de ses conquêtes durant les années 60 av. n. è.
Deux camps se formèrent au sein de la population romaine, les « pompéiens » et les « césariens », et ils s’affrontèrent pendant plusieurs années à travers tout l’empire territorial romain. Poursuivis par les « césariens », les « pompéiens » sont battus à la bataille de Pharsale durant l’été 48. Pompée, étant parvenu à prendre une nouvelle fois la fuite, se dirigea vers l’Égypte. À peine débarqué, il est assassiné sur les ordres du roi Ptolémée XIII[5] et sa tête est amenée comme trophée à César[6].
La mort de Pompée ne mit néanmoins pas fin à la guerre civile[7]. En effet, ses fils, Gnaeus et Sextus[8], ainsi que ses principaux lieutenants, s’étaient réfugiés dans la province d’Hispanie. Après avoir célébré quatre triomphes à Rome[9], César partit pour l’Espagne en 46 av. n. è. C’est finalement le 17 mars 45 av. n. è. qu’eut lieu la dernière grande bataille de cette guerre civile.
La bataille de Munda : écrasement du parti pompéien
Situé dans le sud de l’Espagne actuelle[10], dans la province antique d’Hispania Ulterior, le site de Munda a été le théâtre de la dernière grande bataille de la guerre civile.

Cette dernière, datée du 17 mars 45 av. n. è., opposa les troupes césariennes à Gnaeus Pompée, aidé d’un ancien lieutenant de César en Gaule, Titus Labiénus[11]. Selon un témoignage attribué à César, on apprend que les forces en présence étaient inégales :
« Pompée alignait treize légions couvertes sur les ailes par la cavalerie et six mille fantassins légers, auxquels s’ajoutaient des troupes auxiliaires en nombre à peu près égal. Nos forces se montaient, elles, à quatre-vingts cohortes et huit mille cavaliers. »[12]
Tandis que les troupes du jeune Pompée disposaient d’une position stratégique confortable – installées sur les pentes d’une chaîne montagneuse -, César et ses hommes devaient se contenter de la plaine[13]. En dépit d’une supériorité numérique, mais aussi stratégique, du côté pompéien, le camp césarien remporta pourtant la victoire. Néanmoins, celle-ci ne fut pas évidente et le futur dictateur faillit perdre la vie au cours des combats[14]. Les sources antiques rapportent, quant à elles, que la victoire de César fut la conséquence d’une peur des combats chez les pompéiens. Il semblerait au contraire qu’un malentendu soit à l’origine de la victoire de César : alors que les deux armées se faisaient face, aucune ne prenait l’initiative de commencer les combats. Conscient d’être en position de faiblesse, César ordonna à ses soldats de stopper leur avancée :
« Cette halte excita l’ardeur de nos adversaires : c’était la crainte, pensaient-ils, qui retenait les troupes de César d’engager le combat. »[15]
Constatant que les pompéiens avaient relâché leur attention, croyant que César avait peur du combat, ce dernier profita de l’occasion pour engager les hostilités :
« On pousse le cri de guerre et le combat s’engage. Bien que la vaillance de nos hommes fût supérieure, leurs adversaires se défendaient sur la hauteur avec le grand acharnement ; de deux côtés les cris, les assauts accompagnés de grêles de projectiles se faisaient si furieux que nos hommes furent près de douter de la victoire. […] <Réchappèrent> de cette déroute, ceux qui avaient fait de Munda un bastion, et les nôtres furent contraints de les assiéger. »[16]
Selon Yann le Bohec, César n’a dû sa victoire qu’à une erreur que commit son ancien légat Labienus[17]. En effet, ce dernier avait ordonné à cinq cohortes de quitter leur position afin d’aider des unités qui étaient alors en difficulté. Cet ordre a néanmoins été interprété comme un signe de repli par les soldats pompéiens, offrant par conséquent l’avantage stratégique aux césariens. Il est à noter que l’issue de cette bataille semble également s’être jouée sur un plan psychologique. Plutarque rapporte les propos qu’aurait tenu César à des amis :
« J’ai souvent combattu pour la victoire, mais c’est la première fois que j’ai lutté pour ma vie. »[18]
Un autre auteur, Suétone, va jusqu’à dire que César, face au dénouement incertain de la bataille, aurait songé à se suicider[19].
Finalement, le fils de Pompée ayant réussi à s’échapper, les césariens continueront à poursuivre les républicains pendant les semaines suivantes, prenant ainsi les villes de Munda – le siège de la cité eut lieu après la bataille –, d’Hispalis (Séville), de Cordoue et enfin de Gades (Cadix)[20]. Gnaeus, blessé, était parvenu à se cacher, mais ayant été dénoncé par des prisonniers, il fut finalement tué par des soldats de César et sa tête fut envoyée et exposée aux yeux de tous. Son frère, Sextus, était parvenu, quant à lui, à s’échapper[21]. César resta en Espagne jusqu’en juin 45 av. n. è. afin de s’occuper de l’organisation provinciale[22].
La bataille de Munda fut la dernière bataille importante de la guerre civile et cette victoire permit à César de célébrer un 5e triomphe – sur l’Espagne – lors de son retour à Rome au mois d’octobre[23].
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Bibliographie
Badel Christophe, César, Paris, PUF, 2019, 228 p.
Horst Eberhard, César, Paris, Fayard, 1981, 468 p.
Le Bohec Yann, César chef de guerre : César stratège et tacticien, Monaco, Éditions du Rocher, 2001, 512 p.
Le Bohec Yann, « César », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., pp. 459‑462
Plutarque, Vies. Tome IX, Alexandre-César, Paris, Les Belles Lettres, 1975, 546 p., édité et traduit par Flacelière Robert et Chambry Émile
Pseudo-César, Guerre d’Espagne, Paris, Les Belles Lettres, 1999, CIX & 248 p., édité et traduit par Diouron Nicole
Roddaz Jean-Michel, « Pompée », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., pp. 1765-1766
Suétone, Vie des douze Césars. Tome I, César, Auguste, Paris, Les Belles Lettres, 1981, L & 305 p., édité et traduit par Ailloud Henri
Ver Eecke Marie, La République et le roi : le mythe de Romulus à la fin de la République romaine, Paris, De Boccard, 2008, 588 p.
[1] Jules César appartenait à une vieille famille romaine, les Iulii. Il s’est toutefois rapidement rangé du côté des populares (opposés aux optimates) et revendiquait un lien de parenté avec Marius. Après avoir exercé les premières magistratures du cursus honorum (questure, édilité), il est élu préteur en 62 av. n. è. et est envoyé gouverner l’Hispanie ultérieure. Élu consul en 59 av. n. è., il obtint un proconsulat en 58 av. n. è. et partit pour les Gaules (58-49 av. n. è.) Voir Le Bohec Yann, « César », dans Leclant Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2015, 2389 p., pp. 459‑462
[2] Badel Christophe, César, Paris, PUF, 2019, 228 p., p. 167
[3] Le premier triumvirat, regroupant Gnaeus Pompée, Jules César et Marcus Licinius Crassus, est une association politique informelle constituée entre 60 et 53 av. n. è. Grâce à cette alliance, César a pu accéder au consulat en 59 av. n. è. L’alliance a été prolongée par les accords de Lucques en 56 av. n. è. Néanmoins, la mort de Crassus lors de la guerre contre les Parthes, ainsi que le décès de Julia, fille de César et épouse de Pompée, mirent fin à toute entente entre les deux survivants.
[4] Issu d’une famille de la nobilitas, Pompée a construit sa réputation à la suite de ses nombreuses victoires, d’abord aux côtés de Sylla, puis seul (dans la péninsule italique et en Orient). Entre 76 et 72 av. n. è., il a combattu Sertorius dans la péninsule ibérique. C’est à la suite de cette victoire qu’il s’est constitué une clientèle fidèle en Hispanie. Après ses victoires en Orient, il est revenu à Rome en 62 av. n. è. et s’est associé aux deux hommes forts du moment, Crassus et César. Cette alliance informelle, appelée premier triumvirat, est néanmoins définitivement rompue en 52 av. n. è. à la mort de Crassus et de la fille de César, Julia, également épouse de Pompée. Voir Roddaz Jean-Michel, « Pompée », dans Leclant Jean, op. cit., pp. 1765‑1766
[5] Ptolémée XIII est l’un des derniers pharaons d’Égypte, principalement connu pour avoir codirigé son royaume avec sa sœur et épouse Cléopâtre VII, avant de trahir Pompée et de s’opposer à César.
[6] Badel Christophe, op. cit., p. 173
[7] Ibid., pp. 177‑178
[8] Gnaeus, aussi appelé Pompée le Jeune, était le fils aîné de Pompée. Il est surtout connu pour avoir combattu César, d’abord aux côtés de son père, puis avec son frère en Hispanie. Sextus est le plus jeune fils de Pompée. Lors du franchissement du Rubicon, Sextus est resté auprès de sa mère à Rome. Plus tard, ayant survécu à la bataille de Munda, il est devenu un opposant farouche d’Octave, avant d’être assassiné en 35 av. n. è. sur les ordres de Marc-Antoine.
[9] Sur la Gaule, sur l’Égypte, sur le Pont (Orient) et sur l’Afrique.
[10] La localisation exacte est inconnue. Voir Le Bohec Yann, César chef de guerre. César stratège et tacticien, Monaco, Editions du Rocher, 2001, 512 p., p. 430
[11] Titus Labiénus a été l’un des principaux lieutenants de César durant la guerre des Gaules. Lorsque son chef a franchi le Rubicon, il a décidé de se rallier à Pompée. Il a participé aux batailles de Dyrrachium, à Pharsale et a accompagné Caton d’Utique, fervent opposant de César, en Afrique. Battu à Thapsus, Labiénus partit en Hispanie combattre aux côtés du jeune Pompée.
[12] Pseudo-César, Guerre d’Espagne, 30, 1, Paris, Les Belles Lettres, 1999, CIX & 248 p., édité et traduit par Diouron Nicole : « Erat acies XIII aquilis constituta, quae lateribus equitatu, cum levi armatura milibus sex ; praeterea auxiliares accedebant prope alterum tantum ; nostra praesidia LXXX cohortibus, octo milibus equitum ».
[13] Horst Eberhard, César, Paris, Fayard, 1981, 468 p., p. 335
[14] Badel Christophe, op. cit., p. 182
[15] Pseudo-César, op. cit., 30, 5 : « Haec mora adversarios alacriores efficiebat : Caesaris copias timore impediri ad committendum proelium ».
[16] Ibid., 31, 1 et 32, 1 : « Proelium clamore facto committitur. Hic etsi virtute nostril antecedebant, adversarii loco superiore <se> defendebant acerrime, ut vehemens fiebat ab utrisque clamor telorumque missu concursus, sic ut prope nostri diffiderent victoriae. […] …evaserunt> ex fuga ha qui oppidum Mundam sibi constituissent praesidium, nostrique cogebantur necessario eos circumvallare ».
[17] Le Bohec Yann, César chef de guerre, op. cit., p. 431
[18] Plutarque, Vie de César, 56, 4, Paris, Les Belles Lettres, 1975, 546 p., édité et traduit par Flacelière Robert et Chambry Émile : « ὡς πολλάκις μὲν ἀγωνίσαιτο περὶ νίκης, νῦν δὲ πρῶτον περὶ ψυχῆς ».
[19] Suétone, César, 36, 2, Paris, Les Belles Lettres, 1981, L & 305 p., édité et traduit par Ailloud Henri : « puis en Espagne, au cours du dernier combat, lorsque, jugeant la situation désespérée, il songea même à se donner la mort (iterum in Hispania ultimo proelio, cum desperatis rebus etiam de consciscenda nece cogitavit). »
[20] Le Bohec Yann, César chef de guerre, op. cit., pp. 432‑433
[21] Horst Eberhard, op. cit., p. 336
[22] Ibid., p. 337
[23] Il s’agit du premier triomphe de l’histoire romaine à célébrer une victoire sur des citoyens romains. Sur le symbolisme et le rapprochement entre le triomphe césarien et les figures royales de Romulus et de Quirinus, voir Ver Eecke Marie, La République et le roi. Le mythe de Romulus à la fin de la République romaine, Paris, De Boccard, 2008, 588 p., pp. 381‑397
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