Cette recension a préalablement été publiée dans la lettre n°14 BIS de la Commission Française d’Histoire Militaire en avril 2022. Nous partageons ce texte avec leur autorisation et celle de l’auteur, José MAIGRE
On n’a pas oublié les images en couleurs diffusées à la télévision, du temps de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing ou de celle de François Mitterrand, sur cette armée qui défilait au pas de l’oie et rappelait de mauvais souvenirs à nos aînés, tout en cultivant les vertus socialistes et en veillant jalousement au statu quo à la frontière avec l’Allemagne fédérale. Les forces armées de la « Prusse rouge » servaient alors de vitrine à un régime policier dont la STASI était le gardien vigilant. On vantait de l’autre côté du mur les réussites d’une économie étatisée et planifiée, un système de protection sociale très performant, et les grands rassemblements de la jeunesse, orchestrés par la FDJ. L’industrie planifiée de la RDA jouait pleinement son rôle d’avant-garde pour tous les pays de l’Est du Comecon, mais c’était en grande partie un théâtre d’ombres. C’est l’époque aussi où l’académicien François Mauriac déclarait sur les ondes : « J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux. », un sentiment partagé par beaucoup de ceux qui avaient souffert de l’Occupation et ne souhaitaient pas cohabiter avec une puissance allemande trop forte à leurs portes.
Cet ouvrage, publié sous l’égide du Centre des hautes études franco-allemandes pour l’Europe et préfacé par Jean-Pierre Chevènement se propose, pour la première fois en langue française, de retracer l’histoire de l’armée de la RDA (NVA) de sa création en 1956 jusqu’à sa dissolution en 1990. Historien militaire, Alexandre Wattin a servi au sein des forces françaises en Allemagne de 1980 à 1984 et de 1990 à 1995, périodes durant lesquelles il a été un témoin attentif et privilégié du processus de réunification allemande et du démantèlement de la NVA. Il préside aujourd’hui aux destinées de l’Observatoire des relations franco-allemandes pour la construction européenne, vaste sujet et vaste débat d’une Union européenne toujours en devenir, au moins en ce qui concerne sa Défense commune, après l’échec de la CED dans les années cinquante.
Utilisant principalement des sources allemandes, Alexandre Wattin nous permet de comprendre comment cette force a été créée à partir d’éléments d’intervention de la police populaire qui ont été encasernés dès le début des années cinquante. Cette force d’intervention militarisée a été encadrée initialement par d’ex-officiers de la Wehrmacht de retour de captivité en URSS et étroitement contrôlée par des conseillers soviétiques. Après un historique de la naissance de la RDA et des diverses crises qu’elle a traversées d’emblée – Blocus de Berlin en 1948, émeutes en 1953 – l’auteur revient avec précision sur l’adhésion le 15 mai 1955 au pacte d’amitié et d’assistance mutuelle (pacte de Varsovie) organisant militairement les démocraties populaires. Mais, quelques mois après la création de la Bundeswehr, ce n’est que le 18 janvier 1956 que la Chambre du Peuple de la RDA entérine la création officielle d’une armée… qui dans les faits existe déjà !
Force composée de volontaires à l’origine, elle a eu recours à la conscription en 1962 pour étoffer ses effectifs et « tenir son rang » face aux forces de l’OTAN, comme l’a fait aussi d’ailleurs sa voisine, à l’ouest : elle atteint en temps de paix les 170 000 hommes, et pouvait monter à 400 000 en cas de mobilisation, sans compter les forces paramilitaires du régime. Composée de très nombreuses divisions d’infanterie d’assaut motorisées et blindées,« les forces terrestres de la NVA sont préparées à une guerre éclair et remarquablement entraînées pour combattre en ambiance nucléaire, biologique et chimique »[1]. Et elles constituent à n’en pas douter une réelle menace sur la frontière interallemande pas si facile à défendre.

Mais on note chez les appelés un certain mécontentement dans les années 80, lorsqu’on les utilise de plus en plus souvent à des tâches qui n’ont rien de militaires pour faire face aux carences de l’économie planifiée. La perestroïka soviétique annonce le début de la fin. Alexandre Wattin nous propose dans sa dernière partie un intéressant retour sur les mois qui ont suivi la chute du mur de Berlin et sur les semaines qui ont vu le régime est-allemand disparaître corps et bien en octobre 1990, après une ultime tentative pour sauver une « NVA rénovée ». En quelques semaines, la Bundeswehr, sous la houlette du général Schönbohm, va la faire disparaître du paysage, la plupart de ses cadres, trop liés au SED – le parti communiste à peine camouflé – ayant préféré quitter l’uniforme.
Cette armée est-allemande était un mélange disparate de traditions diverses pour le moins contradictoires : d’un côté la vieille tradition prussienne héritée du Roi-Sergent – pour le pas de l’oie et le drill – et de l’autre celle des bataillons d’exilés allemands des Brigades internationales qui surent se battre efficacement dans l’Espagne républicaine, l’atmosphère de guerre révolutionnaire ne les ayant pas empêchés de respecter la sacro-sainte discipline ! En dehors de ces références propres à sa culture nationale, la NVA se réglait encore et toujours sur le modèle soviétique, celui de l’Armée rouge qui avait vaincu l’Allemagne hitlérienne. Elle ne l’oubliait jamais, et toute sa doctrine d’emploi se réglait sur l’heure de Moscou, tous ses cadres avaient d’ailleurs fait au moins un long stage de formation en URSS. Au total, un ouvrage à recommander à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire allemande et à celle d’une Europe écartelée par la guerre froide entre le monde libre et le bloc communiste, séparés par ce que Churchill avait baptisé dès mars 1946 le Rideau de fer.
José MAIGRE rédacteur en chef de la Commission Française d’Histoire Militaire
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Bibliographie :
WATTIN Alexandre, L’armée de la RDA : Die Nationale Volksarmee : l’autre pilier du Pacte de Varsovie, Paris, SPM, 2019, 181 p.
[1] WATTIN Alexandre, L’armée de la RDA : Die Nationale Volksarmee : l’autre pilier du Pacte de Varsovie, Paris, SPM, 2019, 181 p., p. 82