Lalla Fatma N’Soumer, figure de la résistance à la conquête française de l’Algérie

« La sainteté de la prophétesse est universellement connue (…) elle sait (…) conjurer tous les périls, et peut, s’il lui plaît, faire reculer l’invasion française ! »[1]

Image d’une combattante kabyle affrontant les forces françaises. Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, 1850
Image d’une combattante kabyle affrontant les forces françaises. Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, 1850, Wikimedia Commons

L’Afrique du Nord compte pléthore de femmes ayant marqué par leur héroïsme la région. La plus notoire d’entre elles est probablement la Kahina[2], reine guerrière et prophétesse bien connue au Maghreb, ayant menée la lutte contre les invasions arabes. Son don de voyance se perpétue dans l’histoire, avec pour héritière Lalla Fatma, affublée des mêmes capacités surnaturelles. Lalla Fatma, cette femme, kabyle[3], serait née[4] en 1830, la même année que le début de la conquête française de l’Algérie. Elle s’est illustrée par son commandement face à l’avancée des troupes coloniales dans son pays et plus particulièrement de sa région, la Kabylie, durant la première moitié du XIXe siècle. Elle provient d’une famille très portée sur la religion et les lettres bénéficiant ainsi d’une éducation complète, fait assez rare pour une femme dans l’Algérie de ce siècle.

Néanmoins, le rôle de Lalla Fatma dans l’histoire algérienne a été supplanté par l’Emir Abdelkader, qui représente toujours la figure majeure de la résistance à la conquête française de l’Algérie[5]. Il tend ainsi à faire oublier les autres luttes, notamment celle de notre héroïne.

Elle est la représentation de la toute première résistance féminine à l’Algérie française. À seulement 20 ans, elle s’engage dans la lutte mais ce n’est que 150 ans après sa mort qu’elle refait surface lors des manifestations qui ont secoué l’Algérie en 2019 et 2020. Son histoire est plus proche de la légende que de faits historiques avérés, elle continue d’avoir un impact important sur la société kabyle actuelle. En effet, les mémoires évoluent en Afrique du Nord, plus particulièrement en Algérie, suite à une longue période d’arabisation, actée depuis l’Indépendance en 1962. Lalla Fatma est primordiale de part son origine et sa lutte légendaire.

En 1830, le roi Charles X entame l’invasion de l’Algérie, alors province de l’Empire ottoman. Cette conquête prend 41 ans, s’achevant en 1871, avec une résistance algérienne brisée par les forces françaises. Lalla Fatma N’Soumer (son vrai nom serait « Fadhma Sid-Ahmed Bent Mohamed ») est née dans un village du Djurdjura, massif montagneux du Nord de l’Algérie appartenant à l’Atlas. N’Soumer est aussi le nom d’un petit village à 65 kilomètres de Tizi Ouzou. C’est dans cette région qu’elle aurait combattu les forces françaises.

Sa légende reprend les grands thèmes de la Kahina, reine guerrière et devineresse : ainsi Lalla Fatma N’Soumer est également affublée du don de voyance et est souvent surnommée la « devineresse ». De par sa famille lettrée et très religieuse, elle est versée dans la méditation et entre progressivement dans le monde très fermé (pour une femme) des cercles politiques kabyles de l’époque. Elle rejoint dès 1849, alors à peine âgée de 19 ans, le marabout Si Mohammed El-Hachemi qui mène la résistance kabyle face aux forces d’invasions françaises. En 1850, elle est nommée par le conseil du village, avec son frère lui-même marabout, à la tête de l’insurrection dans la région.

Portraits (présumés) de Lalla Fatma et Chérif Boubaghla conduisant leurs troupes. Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, 1866
Portraits (présumés) de Lalla Fatma et Chérif Boubaghla conduisant leurs troupes. Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, 1866, Wikimedia Comons

La lutte mène à un premier affrontement d’ampleur, à Tazrouts[6], qui dure près de deux mois, entre juin et juillet 1854. Suite à cette confrontation, l’armée française doit se retirer, laissant la province indépendante. En 1857, les Kabyles du Djurdjura font front commun lors de la bataille d’Icheriden. Cet affrontement a pu parfois être surnommé « l’Alésia kabyle ». Les résistants algériens fortifient un village, ils sont près de 5 000 hommes. Tandis que le général Randon[7], chef des forces françaises, place ses trois divisions sur les hauteurs. L’artillerie française fait feu, n’atteignant que peu les forces kabyles. Enfin, le général Randon amorce l’assaut, ses divisions se séparent afin d’encercler la position kabyle avant de resserrer son étau… Le général Randon finit par obtenir la victoire.

Submergés, les Kabyles s’enfuient et Lalla Fatma est faite prisonnière. Ce même général, l’aurait même surnommée « La Jeanne d’Arc du Djurdjura ». Sa défaite est le signe de l’humiliation pour le peuple kabyle, elle a été le fer de lance de la lutte contre la colonisation. Néanmoins, elle est décrite dans les mémoires, notamment dans la tradition orale kabyle comme ayant été un chef impitoyable : « à l’arrière Fadhma, à l’avant des balles, renvoie à la difficile situation des combattants pris entre le feu des armes ennemies et la rigueur de Fadhma n’Soumer qui n’accepte pas de relâchement. Si un soldat tente de reculer, il est brûlé au tison et porte ainsi une marque de lâcheté, dit le récit très répandu en Kabylie. »[8], qui ne pardonnait pas la désertion et exerçait une certaine forme de terreur sur ses combattants.

Lalla Fatma est décrite par les orateurs comme étant d’une beauté manifeste, capable de ravir n’importe quel homme et plaçant sous son charme le plus éminent chef politique de la Kabylie. Elle partage ce trait physique avec la Kahina, mais, d’autres sources, notamment provenant des commandants français, la décrive de la manière suivante : « Petite, massive affaissée, celle-ci laisse deviner pourtant, sous les traits alourdis par l’embonpoint de son visage, les restes d’une beauté qui lui valut les hommages de plusieurs illustrations religieuses »[9].

Sa défaite de 1857 marqua la conquête de la Kabylie par les troupes françaises, bien que des troubles apparaissent en 1871, donnant lieu à l’insurrection de Mokrani. Cette dernière est l’un des plus importants mouvements d’opposition à la conquête française de l’Algérie. Concernant Lalla Fatma, elle est détenue par l’armée française en Kabylie, durant près de 6 ans, jusqu’à son décès en captivité à l’âge de seulement 33 ans[10].

Elle reste, aujourd’hui encore, dans les mémoires la figure de la première résistante à l’occupation française de l’Algérie. Si elle a continué à persister chez les kabyles à travers les chants berbères, elle fait plus partie du mythe que de la réalité historique. Son récit a été oublié d’une grande partie de la population algérienne. Il faut attendre la fin du XXe siècle, avec un travail de féministes algériennes, pour qu’elle soit réhabilitée. Sa dépouille est même transportée au cimetière des héros nationaux de l’Algérie en 1995[11]. Cette date n’est pas anodine, prenant place au cœur de la décennie noire en Algérie, 1991-2002, terrible guerre civile ayant morcelée la société algérienne.

Lors du Hirak algérien, de nombreuses manifestantes se sont réclamées de l’héritage de Lalla Fatma N’Soumer. Les manifestations qui secouent le pays font réapparaître Lalla Fatma sur le devant de la scène historique et mémorielle. Elle devient donc, aussi, un monument de l’histoire algérienne. Son modèle ne s’arrête pas à ce pays, sa bravoure s’exporte désormais, à Bruxelles, pour une durée de un an, une rue a été renommée en 2020[12], Lalla Fatma N’Soumer. Aussi, à Lyon, la rue Bugeaud, du nom d’un gouverneur général français de l’Algérie, a été renommée en 2008[13] Lalla Fatma N’Soumer. Ce personnage légendaire est réhabilité dans la mémoire des deux rives de la Méditerranée et sa place est bien mérité.

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Bibliographie

« 8 Mars 1995, Les ossements de Lalla Fatma N’Soumer rapatriés », dans Bab Zman, Babzman, 2015 (1re éd. 1995), [en ligne] https://babzman.com/8-mars-1995-les-ossements-de-lalla-fatma-nsoumer-rapatries/ (dernière consultation le 29/11/2021)

« Une rue à Bruxelles baptisée du nom de la résistante algérienne Lalla Fatma N’Soumer », dans Algérie Presse Service, Alger, Algérie Presse Service, 2020, [en ligne] https://www.aps.dz/algerie/106317-une-rue-a-bruxelles-baptisee-du-nom-de-la-resistante-algerienne-lalla-fatma-n-soumer (dernière consultation le 29/11/2021)

BENBRAHIM Malha, « Documents sur Fadhma N’Soumeur (1830–1861) », dans Clio, n°9, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1999, 327 p., [en ligne] https://journals.openedition.org/clio/298 (dernière consultation le 29/11/2021)

HADJADJ Belkacem (réal.), Fadhma N’Soumer, Algérie, Algérie Production Machaho, 2014, 116 min

HALIMI Gisèle, La Kahina, Paris, Pocket, 2009 (1re éd. 2006, Plon), 281 p.

LIOREL Jules, Races berbères, Kabylie du Jurjura, Paris, E. Leroux, 1892, 544 p.

MOURGUES Elsa, « Lalla fatma N’Soumer, la résistante kabyle », dans France Culture, Paris, Société Nationale de Radiodiffusion Radio France, 2020, [en ligne] https://www.franceculture.fr/histoire/lalla-fatma-nsoumer-la-resistante-kabyle (dernière consultation le 29/11/2021)

Rédaction Nationale, « Elle sera rebaptisée au nom de Lalla Fatma N’Soumer », dans Liberté, Alger, Liberté, 2008, [en ligne] https://www.liberte-algerie.com/radar/elle-sera-rebaptisee-au-nom-de-lalla-fatma-nsoumer-50214 (dernière consultation le 29/11/2021)


[1] MOURGUES Elsa, « Lalla fatma N’Soumer, la résistante kabyle », dans France Culture, Paris, Société Nationale de Radiodiffusion Radio France, 2020, [en ligne] https://www.franceculture.fr/histoire/lalla-fatma-nsoumer-la-resistante-kabyle (dernière consultation le 29/11/2021)

[2] HALIMI Gisèle, La Kahina, Paris, Pocket, 2009 (1re éd. 2006, Plon), 281 p.

[3] Provient du mot arabe « Qabîla » qui signifie tribue, est une minorité berbérophone d’Algérie qui est, en contrepartie, la majorité berbère dans ce pays.

[4] Les sources ne sont pas toutes d’une fiabilité à toute épreuve, la plupart sont orales et la majorité des écrits proviennent de l’armée française.

[5] L’émir Abdelkader est un monument de l’histoire algérienne, il prend les armes contre la France, durant la première moitié du XXe siècle. Il entretiendra des liens compliqués avec le nouvel occupant et finira sa vie à Damas.

[6] En pleine Kabylie.

[7] Devient Maréchal suite à son action en Algérie et gouverneur de la nouvelle conquête.

[8] BENBRAHIM Malha, « Documents sur Fadhma N’Soumeur (1830–1861) », dans Clio, n°9, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1999, 327 p., [en ligne] https://journals.openedition.org/clio/298 (dernière consultation le 29/11/2021)

[9] Ibid.

[10] L’âge de sa mort n’est pas sûr, d’autres sources avancent celui de 31 ans.

[11] « 8 Mars 1995, Les ossements de Lalla Fatma N’Soumer rapatriés », dans Bab Zman, Babzman, 2015 (1re éd. 1995), [en ligne] https://babzman.com/8-mars-1995-les-ossements-de-lalla-fatma-nsoumer-rapatries/ (dernière consultation le 29/11/2021)

[12] « Une rue à Bruxelles baptisée du nom de la résistante algérienne Lalla Fatma N’Soumer », dans Algérie Presse Service, Alger, Algérie Presse Service, 2020, [en ligne] https://www.aps.dz/algerie/106317-une-rue-a-bruxelles-baptisee-du-nom-de-la-resistante-algerienne-lalla-fatma-n-soumer (dernière consultation le 29/11/2021)

[13] Rédaction Nationale, « Elle sera rebaptisée au nom de Lalla Fatma N’Soumer », dans Liberté, Alger, Liberté, 2008, [en ligne] https://www.liberte-algerie.com/radar/elle-sera-rebaptisee-au-nom-de-lalla-fatma-nsoumer-50214 (dernière consultation le 29/11/2021)

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