Campagne de 1871 à l’intérieur.
Cette expression assez vague désigne la répression des insurrections populaires qui ont fleuri après la guerre franco-prussienne. Les insurgés ont en effet organisé des « Communes » dans plusieurs grandes villes de France dans une optique d’autogestion et de solidarité avec la Commune de Paris, la première ainsi constituée. En effet, les élections de l’Assemblée constituante du 8 février, qui voient un résultat majoritairement monarchiste, et la défaite de 1870, ancrée dans toutes les mémoires, ont soulevé un vent de protestation. La volonté du gouvernement Thiers de désarmer la garde nationale de Paris, dont on craignait les aspirations révolutionnaires, et la prise de mesures, mal acceptées, par l’Assemblée (suppression du moratoire sur les loyers, de la solde des gardes nationaux…) furent les éléments qui mirent le feu aux poudres.
Ces communes furent certes défaites les unes après les autres, mais pas sans une résistance acharnée pour certaines, comme à Marseille ou Paris. Elles furent pourtant des lieux d’expériences politiques et sociales forts intéressantes malgré leurs existences éphémères : travail, éducation, politique, administration, culte et citoyenneté, autant de domaines qui furent l’objet de réflexions et de quelques réalisations concrètes dans cette quête de république sociale. Aujourd’hui, il sera avant tout question de l’aspect militaire de cet événement, à l’occasion des 150 ans de ces Communes.
Dans l’étude de ce pan, la Commune de Paris est des plus intéressantes puisqu’elle apporte, par sa durée, l’ampleur des affrontements, son funeste dénouement et la variété des sources disponibles, un panorama assez large des combats qui opposèrent les Fédérés à l’armée de la IIIe République.

Il est difficile de définir avec précision les effectifs déployés par les Fédérés. Une fourchette allant de 10 000 (selon un contemporain) à 200 000 hommes (en théorie) peut être avancée, bien que la moyenne réaliste se situe aux alentours de 30 000 à 40 000 combattants maximum. C’est la population ouvrière et une partie de la petite bourgeoisie – hommes mais aussi femmes et enfants sur les barricades – qui prennent les armes, appuyées par la garde nationale, une milice populaire. Pour s’y opposer, Adolphe Thiers et les partisans de la IIIe République, appelés Versaillais, reconstituent leur armée.
Ils vont d’abord rassembler les troupes à disposition, environ 12 000 hommes, regrouper ensuite les appelés (plusieurs dizaines de milliers), et obtenir des Allemands la libération de prisonniers pour augmenter grandement leurs effectifs. Ceux-ci grimperont jusqu’à 120 000 aux alentours du 20 mai 1871. Les soldats versaillais constituent les restes de l’armée régulière et sont donc aguerris et bien équipés. Le rassemblement s’effectue au camp de Satory où les troupes s’entraînent afin d’améliorer leur discipline et leurs compétences martiales. Beaucoup de ces hommes sont issus de milieux ruraux, afin d’éviter au maximum une sédition de la troupe au profit des insurgés.
En effet, les combattants issus de milieux urbains suscitent encore la méfiance. Outre les capacités militaires, le moral de la troupe est aussi entretenu par une amélioration des conditions de vie (promotions, nourriture…). Quant aux éléments encore récalcitrants, ceux-ci sont envoyés en Algérie combattre l’insurrection en Kabylie.
Le pan militaire de la Commune de Paris peut être divisé en trois phases : tout d’abord, l’offensive ratée des Fédérés (3 avril). Faute de reconnaissances suffisantes et par sous-estimation de l’ennemi, les troupes insurgées, mal coordonnées, sont repoussées avec de lourdes pertes.
Statu quo du 4 au 25 avril : les deux camps s’affrontent au cours d’escarmouches et de bombardements. Les forts parisiens, ne parvenant pas à se soutenir mutuellement, tombent progressivement aux mains des Versaillais. Les manques de coordination et d’expérience militaire des Fédérés se font lourdement ressentir. Les Allemands, qui vont assister à l’insurrection depuis les forts de l’Est et du Nord, autorisent les Versaillais à contourner les positions des Fédérés.
Assaut final et semaine sanglante : les Versaillais pénètrent la défense fédérée et investissent Paris depuis la Porte Saint-Cloud sans coups de feu par un bastion non défendu. Du 21 au 29 mai 1871, c’est la semaine sanglante… Paris est à feu, en raison des obus incendiaires et des destructions volontaires (par exemple pour couvrir une retraite ou détruire un symbole) et à sang, du fait des nombreuses victimes (plusieurs milliers, entre les prisonniers passés par les armes et les personnes tuées sur suspicion d’avoir participé aux combats).

Tout au long de ces trois phases, les deux camps vont rivaliser en actions de terreur ou de propagande pour s’attirer le soutien des populations neutres ou pousser à la retenue certains partisans. Ainsi, les exécutions sommaires de l’armée ne sont pas sans rappeler celles des otages par les insurgés. De même, les deux camps vont se livrer à une véritable guerre des tracts pour appeler la population à rester chez elle le temps que l’ordre soit rétabli ou au contraire convaincre la troupe de fraterniser avec les insurgés.
Plusieurs enseignements peuvent donc être tirés de ces événements. Tout d’abord, le rôle même de la garde nationale est à noter, à la fois politique, avec le comité central, et militaire, en tant que milice armée (y sont enrôlés tous les hommes de 21 à 55 ans selon la loi du 8 mars 1848). Ses bataillons (plusieurs par “légion” d’arrondissement) manquent cruellement d’expérience et d’entraînement, d’autant que certaines unités n’ont pas ou peu combattu lors du siège de Paris ou au contraire, ont subi de lourdes pertes au cours de certaines sorties (Champigny, Buzenval…). Ses officiers sont élus par la troupe, non pas sur la base de leur expérience, mais de leur implication dans la vie politique. Car la garde nationale y joue aussi un rôle et ses rapports distendus avec la Commune et la délégation de la guerre s’avèrent au final contre-productifs.
Le niveau stratégique est donc marqué, côté fédéré, par une incurie décisionnelle : des ordres sont donnés à la troupe sans consultation préalable entre les différents organes politiques, ordres et contre-ordres se multiplient, la troupe n’obéit pas forcément à ses officiers et, peu motivée, finit rapidement par se désorganiser, par exemple pour défendre ses quartiers d’origine.
Pourtant, plusieurs officiers efficaces combattent côté insurgé. Souvent vétérans de plusieurs guerres (guerre civile américaine, guerres insurrectionnelles polonaises, guerre de l’unité italienne…), ils parviendront à maintenir une résistance acharnée contre les Versaillais, que ce soit à Paris, avec Jarosław Dombrowski et Walery Wroblewski, deux officiers d’origines polonaises, ou encore les Garibaldiens qui combattront les troupes versaillaises lors de la Commune de Marseille. On peut d’ailleurs y distinguer les prémisses des Brigades Internationales de la guerre d’Espagne. Les compétences martiales de ces combattants chevronnés butent cependant rapidement sur le manque de moyens humains et militaires, la défaillance du renseignement, la compétition politique ou encore la faible discipline des troupes.
La lutte finit d’ailleurs par devenir progressivement autogérée, et le niveau tactique devient ainsi la représentation même de la déliquescence de la Commune.
Une fois le périmètre défensif autour de Paris investi, de nombreux combattants fédérés rejoignent leurs quartiers pour les défendre. La lutte se décentralise, seuls quelques officiers parviennent à résister vaillamment en maintenant l’ordre dans leurs rangs, mais à grande peine.

Faute de cohésion, le combat urbain, qui profite naturellement au défenseur, tourne progressivement au désavantage des Fédérés, qui ne tiennent pas compte de l’ensemble de leur dispositif défensif : ainsi, certains combattants, en se repliant vers leurs quartiers, vont dénuder certaines parties du front, affaiblissant les forces alliées positionnées sur leurs flancs. De même, en tombant, une barricade peut affaiblir une position sur l’un de ses flancs.
Aussi, l’architecture haussmannienne de l’Ouest parisien subit un contournement des plus paradoxal. Facilitant à la base la répression des insurrections populaires en permettant à la troupe et aux canons de se déployer, ce sont les Fédérés qui vont en profiter. De grandes barricades garnies pour certaines d’artillerie ou de canons à balle Reffye – ceux-ci sont utilisés en soutiens d’infanterie et non plus en tant que pièces d’artillerie comme cela avait été le cas avant la Commune – sont érigées au milieu d’allées gigantesques, offrant alors peu de couverts pour les soldats versaillais.
Ces derniers évolueront alors aussi à contre-courant, empruntant les petites ruelles pour contourner les lignes des fédérés. Les combats seront très sanglants dans l’Est parisien, du fait d’une architecture moins moderne, composée de rues plus étroites. Mais ici aussi l’avancée de l’armée est rapide. Le moral des insurgés décline alors, minant leur combativité et les poussant à rompre les rangs.

La répression qui suivit la Commune fut féroce et provoqua aussi la dissolution de la Garde Nationale le 25 août 1871. L’expérience de la Commune reste encore à ce jour une référence historique importante, que ce soit au niveau politique (défilé le 1er mai devant le mur des Fédérés au Père Lachaise par des militants de gauche, des syndicats et des francs-maçons) ou même populaire. De nombreux ouvrages relatent en effet l’expérience de cette insurrection, comme Le Cri du peuple de Jean Vautrin adapté par Tardi en bande-dessinée.
Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :
Bibliographie
Pierre Milza, « L’Année terrible », t. II (La Commune), Paris, Perrin, 2009, 516 p.
Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, La Découverte, 2004 (réimpr. 1896 (étendue)) (1re éd. 1876), 526 p.
Prosper-Olivier Lissagaray, Les huit journées de mai derrière les barricades, Bruxelles, bureau du Petit journal, 1871, 1 vol. (VIII-324 p.)
Robert Tombs, Paris, bivouac des Révolutions : La Commue de 1871, Libertalia, 2014, 480 p.
Soria Georges, La Grande histoire de la Commune, Livre Club Diderot (1971)
Un site très utile : https://macommunedeparis.com/
Un peu étonné que ne mentionniez pas l’ouvrage de William Serman publié chez Fayard en 1986.
Ainsi que l’Album du siège de Paris et de la Commune édité par le libraire parisien Thomas Scheller en 1971, avec des reproductions des croquis d’Albert Robida en fac-similé.
Monsieur,
Nous vous remercions pour votre commentaire.
Effectivement, il y a beaucoup d’absences dans la bibliographie n’ayant noté que les ouvrages que j’ai pu me procurer.
De surcroît, le format originel de ce travail était celui d’une brève tactique destinée de prime abord aux réseaux sociaux, requérant ainsi une certaine synthèse et donc une bibliographie en somme limitée.
Je prends néanmoins note de vos références afin de les lire et m’en servir pour d’éventuels futurs articles sur la Commune de Paris. D’autres ont d’ailleurs été écris depuis, je ne peux que vous les recommander.
Cordialement
Cyril Blanchard