Au premier plan, Henri Lafont (à gauche) et Pierre Bonny (à droite), lors du verdict rendu par la Cour de justice de la Seine, le 11 décembre 1944, qui les condamne tous deux à mort. On aperçoit Alexandre Villaplane au centre se prendre la tête à l’annonce du verdict

Alexandre Villaplane, capitaine de l’équipe de France et traître à la nation

Alexandre Villaplane est de ceux qui auraient pu avoir leur nom associé à des rues en France. Son histoire, aussi belle fut-elle à ses débuts, à certains égards, se termina bien plus funestement. Né à Alger en 1904, il quitta l’Algérie française à l’âge de 14 ans pour venir habiter près de Sète avec ses parents. En arrivant dans la métropole, Alexandre Villaplane avait déjà trouvé son activité sportive favorite : le football association[1]. De plus en plus en vogue à cette époque, le football n’était doté d’une instance internationale[2] que depuis 1904. À 12 ans, Villaplane jouait pour le Gallia Sports d’Alger (GSA). Fondé par des colons européens vivant sur place en 1908, le GSA fut un club extrêmement populaire au temps de la colonisation française. Il tient surtout sa notoriété de sa section sportive. Surnommé « Les Coqs », il était le club le plus titré de la Ligue d’Alger[3].

Trois ans après son arrivée en France, Alexandre Villaplane rejoignit le FC Cette. En grandissant, il parvint à atteindre un niveau suffisamment élevé pour lui permettre de jouer en tant que titulaire dans ses clubs. En 1926, alors qu’il était âgé de 22 ans, Alexandre Villaplane découvrit l’équipe de France. Une finalité rêvée pour tout joueur de football à cette époque, tout comme elle l’est encore de nos jours. Trois années passèrent et le natif d’Alger continuait son chemin dans la sphère du football. Alors qu’en 1929, il quittait le club du SC Nîmes – dans lequel il jouait depuis 1927 – pour rejoindre le Racing Club de Paris[4], sa carrière prit une tout autre direction.

Grâce à sa notoriété grandissante, Alexandre Villaplane fut appelé pour participer à la toute première Coupe du monde de l’histoire du football en Uruguay, en 1930. Mieux encore, il fut désigné capitaine de l’équipe de France[5]. De manière générale, Alexandre Villaplane fut considéré comme un joueur doté d’une « grande adresse, une étonnante facilité de jeu »[6]. Au moyen de différentes brèves consacrées aux résumés de ses matchs, le Miroir des sports faisait comprendre qu’il était un joueur physique, avec un engagement sans faille sur le terrain : « Villaplane, par ses plongeons, parfois irréguliers, pieds en avant »[7]. Mais alors que sa popularité explosait, la fin de sa carrière et les années qui suivirent furent bien moins glorieuses.

Équipe du Racing Club de France le 24 novembre 1929 au stade de Saint Mandé. Alexandre Villaplane est au deuxième rang, tout à droite
Équipe du Racing Club de France le 24 novembre 1929 au stade de Saint Mandé. Alexandre Villaplane est au deuxième rang, tout à droite, Agence Rol, 1929, Wikimedia Commons

Lors des dernières années de sa carrière de footballeur, Alexandre Villaplane quitta d’abord le Racing Club de Paris en 1932 pour rejoindre le FC Antibes. S’il eut l’opportunité de participer au tout premier championnat professionnel en France, son nouveau club fut déclassé. En effet, le club antibois fut accusé d’avoir corrompu des joueurs du SC Fives afin de remporter la victoire finale. Cette histoire marquait alors le début de la descente aux enfers d’Alexandre Villaplane. À l’issue de la saison 1932-1933, il a rejoint l’OGC Nice pour tenter, un an après, de jouer pour le club bordelais du FC Hispano-Bastidien. Toutefois, il fut épinglé pour une affaire de paris hippiques truqués et termina sa carrière sur cet état de fait. « “L’Hispano-Bastidienne” de Bordeaux, le club dont il fait partie, va donc se retrouver dans l’obligation de lui résilier son contrat », expliquait Le Patriote des Pyrénées[8].

En 1934, Alexandre Villaplane fut condamné à six mois de prison à cause de cette affaire. Tout au long des années 1930, il bascula progressivement dans le grand banditisme en accumulant des séjours à la prison de la Santé. En 1940, il se lia au 93 rue Lauriston[9], rejoignit la Gestapo française et découvrit, lors de l’Occupation, la « collaboration la plus extrême »[10]. À la tête de ce groupe se trouvait notamment Henri Lafont, qui avait, lui aussi, fait de la prison. La présence de l’armée allemande sur le territoire français fut pour certains, dont Alexandre Villaplane, l’occasion de s’enrichir. Son nom n’était désormais plus associé au monde du football, mais plutôt à celui de l’escroquerie. La presse sportive l’avait lentement relégué vers la rubrique des faits divers. En France, les nazis s’intéressèrent rapidement au marché noir afin de trouver des ressources qu’ils ne pouvaient avoir autrement. Henri Lafont en profita pour tisser des liens avec eux, non pas par idéologie antisémite, mais surtout par « appât du gain »[11]. Alexandre Villaplane n’avait vraisemblablement aucun autre besoin de piller et de dénoncer les Juifs que de faire fortune.

Après moultes tentatives de voler directement les Allemands, il décida de quitter Paris pour rejoindre Toulouse en 1942. Son objectif était de se faire oublier quelque temps de l’occupant. Quelques mois plus tard, il revint dans la capitale, mais ne put s’empêcher de continuer ses trafics. Il se fit alors arrêter par les SS pour « vol de pierres précieuses »[12], puis emprisonner à Compiègne. Toutefois, ses relations avec la Gestapo française lui permirent d’être libéré rapidement.

Au début de l’année 1944, Henri Lafont décida de créer la Légion nord-africaine. Cette brigade opérait pour le compte de l’Allemagne nazie. Natif d’Alger, Alexandre Villaplane rejoignit naturellement le groupe et obtint rapidement un poste d’officier. En tant que tel, il dut s’occuper de lutter contre la résistance intérieure avec l’une des cinq sections de la Légion, composée d’immigrés maghrébins. Le tout avec l’aval et le soutien de l’armée allemande. Ces actes lui valurent d’être promu Untersturmführer, soit sous-lieutenant de la SS. De footballeur exemplaire à officier reconnu des nazis, en passant par le grand banditisme, la descente aux enfers d’Alexandre Villaplane ne s’arrêta pas là pour autant.

En mars 1944, il reçut l’ordre de « nettoyer »[13] le Périgord jusqu’en août de la même année. « Cette brigade nord-africaine […], elle a tué en Dordogne plus de deux cents personnes, et encore ce ne sont là que les cadavres identifiés. Ils arrachaient les bijoux des cadavres et j’ai vu leurs poches pleines de bagues dégoulinantes de sang. C’est le lieutenant Alex qui les commandait, il se pavanait dans un uniforme allemand, saluait à l’hitlérienne et traversait Périgueux dans une Citroën criblée de balles ; il l’avait volée aux maquisards et il s’en glorifiait »[14]. Ses exactions le rendirent célèbre en tant qu’assassin, tandis que sombrait son passé de footballeur. En Dordogne, sa section fit régner la terreur, pillant et massacrant la population. Le 11 juin 1944, à Mussidan, 52 otages furent exécutés, dont une dizaine par Alexandre Villaplane. Sa vie d’escroc pour accroître sa fortune semblait alors loin derrière ses actes criminels.

Au premier plan, Henri Lafont (à gauche) et Pierre Bonny (à droite), lors du verdict rendu par la Cour de justice de la Seine, le 11 décembre 1944, qui les condamne tous deux à mort. On aperçoit Alexandre Villaplane au centre se prendre la tête à l’annonce du verdict
Au premier plan, Henri Lafont (à gauche) et Pierre Bonny (à droite), lors du verdict rendu par la Cour de justice de la Seine, le 11 décembre 1944, qui les condamne tous deux à mort. On aperçoit Alexandre Villaplane au centre se prendre la tête à l’annonce du verdict, Libération, 1944, Wikimedia Commons

Le 24 août 1944, alors qu’il venait à peine d’être naturalisé allemand par le régime nazi, Alexandre Villaplane fut arrêté à Paris, puis condamné en décembre de la même année à la peine capitale. Le 27 décembre à 10h15, l’ancien capitaine de l’équipe de France, qui avait participé à la toute première Coupe du monde de l’histoire du football, fut exécuté au Fort de Montrouge pour haute trahison, meurtres, ainsi que pour ses rapports étroits avec l’occupant allemand. Son ancien complice, Henri Lafont, se trouvait avec lui.

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Bibliographie :

Combat, 4e année, n°155, Paris, Centre de formation des journalistes, 1944, 2 p., [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k47486553/f2.item.r=alexandre%20villaplane (dernière consultation le 23/01/2023)

Extrait de l’hebdomadaire Football, dans HUBÉ Vincent, « De capitaine des Bleus à officier nazi, l’obscure histoire d’Alexandre Villaplane enfin révélée au grand jour », dans L’Équipe, Boulogne-Billancourt, L’Équipe 24/24, 2022, [en ligne] https://www.lequipe.fr/Football/Article/De-capitaine-des-bleus-a-officier-nazi-l-obscure-histoire-d-alexandre-villaplane-enfin-revelee-au-grand-jour/1351795 (dernière consultation le 23/01/2023)

Le Miroir des Sports, 19e année, n°807, Paris, Heméry, 1929, 15 p., [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97959153/f2.item.r=alexandre%20villaplane (dernière consultation le 23/01/2023)

Le Patriote des Pyrénées, 39e année, n°199, Pau, Gratien Pon, 1934, 6 p., [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5258040v/f3.item.r=alexandre%20villaplane (dernière consultation le 23/01/2023)

DEMOUVEAUX Gautier, « Le sordide destin du premier capitaine des Bleus », dans Ouest-France, Rennes, Société Ouest-France, 2018, [en ligne] https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2018-06-28/le-sordide-destin-du-premier-capitaine-des-bleus-e028da13-38b2-44e5-a505-bd9f0646ad53 (dernière consultation le 23/01/2023)


[1] Nom d’origine du football que l’on connaît aujourd’hui. Termes abrégés en « football » pour la suite du texte.

[2] La Fédération internationale de football association (FIFA) fut créée en 1904 à Paris, avec pour objectif premier de développer le football dans le monde.

[3] La Ligue d’Alger de Football Association fut une organisation de football développée exclusivement dans le département d’Alger à l’époque où l’Algérie était encore française. Ses activités prirent fin en 1962, au moment de l’indépendance de l’Algérie.

[4] Créé en 1896 sous l’étiquette de club de football association, le Racing Club de Paris est l’un des premiers acteurs du football français à partir des années 1930.

[5] Le tirage au sort amena l’équipe de France dans le groupe de l’Argentine, du Chili et du Mexique. Avec seulement une victoire et deux défaites en phase de poules, les Tricolores ne virent pas les phases finales.

[6] Extrait de l’hebdomadaire Football, dans HUBÉ Vincent, « De capitaine des Bleus à officier nazi, l’obscure histoire d’Alexandre Villaplane enfin révélée au grand jour », dans L’Équipe, Boulogne-Billancourt, L’Équipe 24/24, 2022, [en ligne] https://www.lequipe.fr/Football/Article/De-capitaine-des-bleus-a-officier-nazi-l-obscure-histoire-d-alexandre-villaplane-enfin-revelee-au-grand-jour/1351795 (dernière consultation le 23/01/2023)

[7] Le Miroir des Sports, 19e année, n°807, Paris, Heméry, 1929, 15 p., p. 9, [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k97959153/f2.item.r=alexandre%20villaplane (dernière consultation le 23/01/2023)

[8] Le Patriote des Pyrénées, 39e année, n°199, Pau, Gratien Pon, 1934, 6 p., p. 3, [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5258040v/f3.item.r=alexandre%20villaplane (dernière consultation le 23/01/2023)

[9] Emplacement du siège de la Gestapo française, fondée par Henri Lafont et Pierre Bonny.

[10] HUBÉ Vincent, op. cit.

[11] DEMOUVEAUX Gautier, « Le sordide destin du premier capitaine des Bleus », dans Ouest-France, Rennes, Société Ouest-France, 2018, [en ligne] https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2018-06-28/le-sordide-destin-du-premier-capitaine-des-bleus-e028da13-38b2-44e5-a505-bd9f0646ad53 (dernière consultation le 31/01/2023)

[12] Ibid.

[13] DEMOUVEAUX Gautier, op. cit.

[14] Combat, 4e année, n°155, Paris, Centre de formation des journalistes, 1944, 2 p., p. 2, [en ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k47486553/f2.item.r=alexandre%20villaplane (dernière consultation le 23/01/2023)

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