Le massacre de Wassy en 1562 par Hogenberg

Le massacre de Wassy le 1er mars 1562

Au milieu du XVIe siècle, la monarchie française se heurtait à de nombreux problèmes. La fin de la guerre avec les Habsbourg avait sapé la position idéologique et sociale de la noblesse, la disette de 1556-1557 et la forte hausse des prix qui l’avait accompagnée rendirent difficile la situation des Français et la disparition précoce du roi Henri II en 1559, puis de son fils François II en 1560, fragilisa le pouvoir royal en plein épuisement financier[1]. Terrifiés par ce qu’ils perçurent comme un courroux divin, de nombreux Français cédèrent alors à la tentation du protestantisme[2], attirés par cette confession religieuse prônant le retour à la source des textes bibliques. Le protestantisme parvint ainsi à son écho maximal en France, en dépit de répressions souvent violentes. Les protestants, aussi appelés Réformés, calvinistes ou huguenots, atteignirent un nombre suffisamment inquiétant pour faire pression sur le Conseil royal, en majorité catholique, car ils voulaient faire reconnaître leur culte jusqu’alors interdit.

Comme le nouveau souverain, Charles IX, était seulement âgé de dix ans, la reine-mère, Catherine de Médicis, devint sa régente. Avec son chancelier, Michel de L’Hospital[3], elle expérimenta une politique de conciliation envers les huguenots[4] et tenta d’isoler son fils de l’influence des Guise, une puissante maison catholique qui avait déjà eu sous sa coupe le roi François II.

Portrait de Michel de l’Hospital, chancelier de France, par François Clouet, peint en 1566. Huile sur bois. 34 x 26 cm.
Portrait de Michel de L’Hospital, chancelier de France, par François Clouet, peint en 1566. Huile sur bois. 34 x 26 cm, collection du musée de Condé, Wikimedia Commons

Une rencontre entre théologiens catholiques et calvinistes fut alors décidée du 9 septembre au 14 octobre 1561, dans le couvent des Dominicains de Poissy, en présence du roi Charles IX, de sa mère Catherine de Médicis, du chancelier Michel de l’Hospital et des Princes du sang. À ce colloque de Poissy, les réformés étaient au nombre de douze, conduits par Théodore de Bèze[5], et du côté des catholiques se trouvaient une quarantaine de prélats, parmi lesquels le cardinal Charles de Lorraine, assisté de son conseiller le théologien Claude d’Espence, et le cardinal de Tournon. Ils furent rejoints par le légat pontifical Hippolyte d’Este et par le général de la Compagnie de Jésus, Diego Lainez.

Portrait de Théodore de Bèze âgé de 58 ans
Portrait de Théodore de Bèze âgé de 58 ans, anonyme, daté de 1577. Huile sur bois. 28,5×22 cm. Genève, bibliothèque publique et universitaire, Wikimedia Commons

Partisan d’un concile national avec les Modérés, Michel de L’Hospital avait favorisé cette réunion. Les Modérés croyaient qu’une concorde était possible entre les protestants et les catholiques : ils espéraient que les Réformés se rapprochent de la Confession d’Augsbourg, la profession de foi des princes luthériens de 1530, plutôt que des conceptions calvinistes, plus éloignées du dogme catholique. Ils souhaitaient que les Réformés abandonnent peu à peu leur hérésie. Toutefois, c’était se méprendre gravement sur l’état d’esprit dans lequel la délégation réformée arrivait à Poissy. Cette dernière ne désirait pas faire la moindre concession dogmatique, mais au contraire exposer clairement sa doctrine pour convaincre son adversaire. Malgré les tentatives d’apaisement de Catherine de Médicis, les deux camps restèrent intransigeants, campés sur leurs positions, et le colloque de Poissy se conclut sur un échec[6].

La tendance modérée du Conseil du roi en faveur d’une conciliation entre les deux camps n’était pas au goût de certains catholiques radicaux dont faisait partie le duc François de Guise[7]. Il quitta justement le Conseil le 19 octobre 1561[8].

Portrait de François, duc de Guise
Portrait de François, duc de Guise, peint par François Clouet entre 1550 et 1560. Huile sur bois. 31×23 cm, musée du Louvre, Wikimedia Commons

De fait, le colloque de Poissy marqua l’échec de la concorde religieuse entre deux camps qui n’arrivaient pas à s’entendre. La reine mère et le chancelier s’orientèrent alors dans la voie de la tolérance civile[9]. À l’issue d’un Conseil du roi élargi et sous l’influence de Michel de l’Hospital et de Théodore de Bèze[10], l’Édit de janvier fut ainsi promulgué le 17 janvier 1562. Ce fut la première fois qu’un édit royal faisait preuve de tolérance envers les protestants. Il leur accordait le droit de s’assembler publiquement de jour pour célébrer leur culte, mais était néanmoins limité et provisoire (dans l’attente d’une décision du concile de Trente[11]) : ils ne pouvaient pratiquer celui-ci qu’à l’extérieur des remparts de la ville, soit dans les faubourgs et à la campagne. Les protestants acquirent donc une existence légale, quoique temporaire, ce qui n’était pas négligeable[12].

Toutefois, Antoine de Bourbon, roi de Navarre, renversa la conjoncture politique en choisissant définitivement le camp catholique, ce qui assit davantage le pouvoir de la famille des Guise, permettant à François de Guise de revenir à la cour. Après son départ d’octobre 1561, le duc s’était retiré sur ses terres en Champagne, puis était allé rencontrer le duc de Wurtemberg à Saverne sur les terres de l’évêque de Strasbourg du 15 au 18 février 1562. Leur discussion porta principalement sur des questions théologiques (eucharistie, la messe, la justification de la foi…).

Lorsque François de Guise revint à la cour, il passa par Wassy, le dimanche 1er mars 1562, sans doute pour y entendre la messe. Cette petite ville champenoise d’environ 3000 habitants, close de remparts, se trouvait à quatre lieues seulement de Joinville, résidence habituelle des Guise[13]. Or, depuis octobre 1561, une église réformée y avait été dressée et attirait un nombre grandissant de fidèles, ce qui représentait un scandale intolérable aux yeux d’Antoinette de Bourbon, la mère des Guise. Environ 600 personnes participaient au culte ce dimanche, dans une « grange » qui se trouvait à l’intérieur des remparts, donc en contravention avec l’Édit de janvier. Après avoir reçu des plaintes de sa mère et du prieur de Wassy, le duc envoya donc trois hommes sur les lieux, certainement pour recueillir des informations. Selon les témoins de l’affaire, des injures furent proférées, les réformés se barricadèrent dans la grange, des pierres furent lancées sur les émissaires du duc. Celui-ci arriva à son tour et il fut accueilli à coup de pierres et d’insultes. Les catholiques, furieux, donnèrent l’assaut sur la grange et massacrèrent les huguenots désarmés : il y eut parmi ces derniers 25 à 50 morts, dont cinq femmes et un enfant, et près de 150 blessés. Le duc de Guise, soit impuissant, soit de connivence, n’avait pas retenu ses troupes[14].

Le massacre de Wassy en 1562 par Hogenberg
Le massacre de Wassy en 1562 par Hogenberg, Wikimedia Commons

Tout le problème de nos jours est de savoir si l’évènement a été prémédité. Beaucoup d’historiens protestants pensent que c’est le cas et accusent François de Guise d’être allé chercher à Saverne l’appui des princes allemands pour pouvoir ensuite revenir en force dans le royaume et y déclencher une guerre civile[15]. Le duc de Guise, lui, parle plutôt d’accident dans une lettre du 17 mars où il relate ce qu’il s’est passé au duc de Wurtemberg[16] ; il est bien possible que l’évènement l’ait contrarié car il compromettait le rapprochement effectué à Saverne. Mais il a été rendu quasi inévitable par l’échauffement des esprits de part et d’autre[17].

Le Massacre fait à Vassy le 1er mars 1562, estampe et gravure sur bois de Jacques Tortorel et de Jean-Jacques Perrissin
Le Massacre fait à Vassy le 1er mars 1562, estampe et gravure sur bois de Jacques Tortorel et de Jean-Jacques Perrissin, Gallica, Bibliothèque Nationale de France

Le massacre de Wassy suscita beaucoup d’émoi, tant chez les réformés que chez les catholiques[18]. En exemple, nous pouvons citer la gravure de Hogenberg, comme nous l’avons vue plus haut, ou celle de Tortorel et de Perrissin. Dans celle-ci, l’ouverture d’un mur a permis aux auteurs de la gravure d’exhiber la violence de l’événement où François de Guise représente le fanatisme religieux. En haut, à gauche, le frère du duc, le cardinal Charles de Lorraine, est témoin de la tuerie[19].

Pour les protestants, les guerres de Religion tiraient leur origine de ce massacre. Les protestants avaient interprété le massacre de Wassy comme « la délivrance de l’interdit de violence »[20] : la prise d’armes pour la défense de la foi se trouvait légitimée par la caution que venait de lui donner l’un des grands du royaume[21]. Cependant, du côté des catholiques, la faute était rejetée sur l’attaque d’Orléans par Louis de Condé le 2 avril 1562. Le massacre de Wassy fut ainsi l’un des éléments déclencheurs des guerres de Religion, l’étincelle qui fit naître les flammes de la guerre civile. En effet, la tension était palpable entre les deux camps et Catherine de Médicis et Michel de l’Hospital furent impuissants à les apaiser. La première guerre de Religion dura un an jusqu’à l’édit de pacification d’Amboise le 19 mars 1563. Ce fut la première d’une longue série de huit guerres de Religion, entrecoupées de paix jusqu’en 1598.

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Bibliographie :

« Le massacre de Wassy (1562) », dans Musée protestant, Paris, Fondation pasteur Eugène Bersier, [en ligne] https://museeprotestant.org/notice/le-massacre-de-wassy-1562/ (dernière consultation le 26/12/2022)

« Le massacre de Wassy (1er mars 1562) », dans Musée protestant, Paris, Fondation pasteur Eugène Bersier, [en ligne] https://museeprotestant.org/notice/le-massacre-de-wassy-1er-mars-1562/ (dernière consultation le 26/12/2022)

BILOGHI Dominique, BOUCHER Jacqueline, JOUANNA Arlette et LE THIEC Guy, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Robert Laffont, 2015 (1re éd. 1998), 1526 p.

CROUZET Denis, Le haut cœur de Catherine de Médicis, Paris, Albin Michel, 2005, 636 p.

DE LORRAINE François et DE WIRTTEMBERG Christoff, « Correspondance de François de Lorraine, duc de Guise, avec Christophe, duc de Wurtemberg deuxième série massacre de Vassy (Mars-mai 1562.) », dans Bulletin historique et littéraire, vol. 24, n°11, Paris, Librairie Droz, 1875, pp. 481-528, pp. 499-513, [en ligne] http://www.jstor.org/stable/24286220 (dernière consultation le 01/01/2023).

LE ROUX Nicolas, Les guerres de religion (1559-1629), Paris, Belin, 2009, 607 p.


[1] LE ROUX Nicolas, Les guerres de religion (1559-1629), Paris, Belin, 2009, 607 p., p. 9

[2] Le protestantisme est un courant religieux en contestation du catholicisme, d’abord pensé par Martin Luther au début du XVIe siècle. Jean Calvin le reprend et fonde la foi réformée dans son Institution de la religion chrétienne…, publiée en 1536. Cette religion défend l’idée d’un sacerdoce universel, refusant que le clergé soit le seul à avoir accès aux Saintes Écritures rédigées en latin, et prône même que la Bible et les Écritures soient traduites dans la langue des fidèles. L’intercession des saints et du clergé est alors abolie car tout fidèle en priant peut accéder à Dieu, ce qui constitue une critique profonde du système pyramidal de l’Église catholique apostolique et romaine. Les processions, pèlerinage, aumône et achat d’indulgence sont inutiles car seule sa propre foi compte. La théorie calviniste, fondée sur la seule autorité du texte biblique, ne reconnaît plus que deux sacrements attestés dans le Nouveau Testament : le baptême et la cène. Les protestants voient en l’eucharistie une dimension spirituelle et réfutent la transsubstantiation, soit le mystère par lequel la substance du pain et du vin est miraculeusement transformée en corps et sang du Christ. Cette divergence fondamentale sur le sens de l’eucharistie est déterminante dans la rupture entre les deux confessions.

[3] Michel de l’Hospital (1505-1573) fut un juriste catholique, nommé chancelier de France par Catherine de Médicis en 1560 pour mener une politique de réconciliation entre catholiques et protestants et une coexistence religieuse entre les deux parties, mais il y échoua.

[4] Pour en savoir plus, voir CROUZET Denis, Le haut cœur de Catherine de Médicis, Paris, Albin Michel, 2005, 636 p.

[5] Théodore de Bèze (1519-1605) fut un théologien protestant, un humaniste, un traducteur de la Bible, un poète et un professeur. Il fut également le successeur spirituel de Calvin à la mort de celui-ci en 1564, et il s’imposa, dans la seconde moitié du XVIe siècle, comme le chef incontesté de la Réforme calviniste, devenant le recteur de l’académie de Genève et président de la Compagnie des pasteurs. Il fut le porte-parole de la Réforme au colloque de Poissy et durant les guerres de Religion. Pour en savoir plus, voir BILOGHI Dominique, BOUCHER Jacqueline, JOUANNA Arlette et LE THIEC Guy, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, Paris, Robert Laffont, 2015, 1526 p., pp. 724-726

[6] Ibid., p. 1210

[7] François Ier de Lorraine, 2e duc de Guise (1519-1563), était le premier prince de Joinville, un militaire et un homme d’État français du XVIe siècle. Il fut l’un des meilleurs chefs d’armée du roi Henri II et le principal chef catholique pendant la première guerre de religion. Ibid., pp. 956-957

[8] Ibid., p. 1376

[9] LE ROUX Nicolas, op. cit., p. 56

[10] « Le massacre de Wassy (1er mars 1562) », dans Musée protestant, Paris, Fondation pasteur Eugène Bersier, [en ligne] https://museeprotestant.org/notice/le-massacre-de-wassy-1er-mars-1562/ (dernière consultation le 26/12/2023)

[11] Le concile de Trente était un concile œcuménique de l’Église catholique, qui se tint à Trente dans le Tyrol, de 1547 à 1563. Il eut pour but de lutter contre les idées protestantes en matière de doctrine et de réformer le clergé catholique qui était l’objet de critiques violentes. Ce concile renforça le pouvoir de l’Église et de la papauté auprès des catholiques. BILOGHI Dominique, BOUCHER Jacqueline, JOUANNA Arlette et LE THIEC Guy, op. cit., pp. 1338-1339

[12] « Le massacre de Wassy (1562) », dans Musée protestant, Paris, Fondation pasteur Eugène Bersier, [en ligne] https://museeprotestant.org/notice/le-massacre-de-wassy-1562/ (dernière consultation le 26/12/2023)

[13] BILOGHI Dominique, BOUCHER Jacqueline, JOUANNA Arlette et LE THIEC Guy, op. cit., p. 1376

[14] Ibid.

[15] Ibid., p. 1377

[16] DE LORRAINE François et DE WIRTTEMBERG Christoff, « Correspondance de François de Lorraine, duc de Guise, avec Christophe, duc de Wurtemberg deuxième série massacre de Vassy (Mars-mai 1562.) », dans Bulletin historique et littéraire, vol. 24, n°11, Paris, Librairie Droz, 1875, pp. 481-528, pp. 499-513, [en ligne] http://www.jstor.org/stable/24286220 (dernière consultation le 01/01/2023)

[17] Ibid.

[18] Ibid., p. 1376

[19] « Le massacre de Wassy (1er mars 1562) », op. cit.

[20] Ibid., p. 1377

[21] Ibid.

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