Les Rescapés de Sobibor de Jack Gold, 1987

La face cachée des systèmes concentrationnaires : les insurrections

L’une de nos précédentes brèves abordait la seconde guerre des Boers. Au cours de celle-ci, le cadre concentrationnaire fit de nombreuses victimes civiles. Ce système fut repris maintes fois, atteignant son paroxysme lors de la Seconde Guerre mondiale. Il comporte cependant une facette assez méconnue, celle des insurrections. On connaît de nombreuses histoires d’évasion, qu’elles aient eu lieu dans des camps de concentration ou de prisonniers de guerre (à l’image de celle dépeinte avec moultes libertés dans le film La Grande Évasion), mais des insurrections armées furent aussi organisées. Nous nous concentrerons ici sur celles qui éclatèrent dans les camps de la mort nazis.

Le drame de la Shoah est en effet connu de tous, mais l’histoire des actes de résistance en ces lieux demeure encore largement méconnue du grand public. Pourtant, nombreux furent celles et ceux qui, ayant échappé aux chambres à gaz, se rebellèrent contre le sort que leur réservaient les camps nazis. Parqués dans des infrastructures réduites, avec une surveillance accrue, les déportés pouvaient cependant communiquer entre eux et donc s’organiser.

Treblinka (dans l’est de la Pologne actuelle) fut le théâtre de l’une des premières insurrections. Craignant la liquidation totale du camp, une poignée d’insurgés réussit à se procurer quelques armes et se souleva le 2 août 1943. Une centaine seulement réussit à fuir, mais très peu parvinrent à survivre jusqu’à la fin de la guerre.

À Auschwitz II – Birkenau, dans le sud de la Pologne actuelle, le Sonderkommando – groupe de déportés en charge d’assister les nazis lors de l’exécution de la Solution finale – se révolta le 7 octobre 1944 contre la décision de réduire les effectifs de leurs équipes (donc promis à une mort certaine). Ils parvinrent à incendier le bloc IV des crématoriums, avant de subir la répression sanglante des autorités du camp.

Enfin, le cas le plus célèbre, du fait notamment d’une adaptation en téléfilm en 1987, concerne le camp d’extermination de Sobibor, situé dans l’est de la Pologne actuelle, dont l’insurrection eut lieu le 14 octobre 1943. Les déportés craignaient de plus en plus d’être tués à leur tour. Une organisation clandestine, menée entre autres par Léon Feldhendler, un juif polonais, préparait déjà des plans d’évasion.

La nouvelle de la révolte de Treblinka leur était par ailleurs peut-être parvenue (celle-ci aurait aussi pu être motivée par l’insurrection du Ghetto de Varsovie d’avril à mai 1943), leur conférant un certain espoir. L’arrivée de déportés soviétiques de confession juive leur permit d’obtenir une aide substantielle : l’un d’entre eux, Alexander « Sasha » Pechersky était un officier, dont les compétences militaires ne pourraient être que profitables. Le plan était simple : prendre le contrôle du camp, notamment en assassinant les cadres SS et s’emparer d’armes, avant de fuir celui-ci.

Pour l’élimination des cadres du camp, il fut décidé de profiter de leur vanité et de leur avidité. Dans ce cadre restreint qu’ils géraient, les SS pouvaient faire appel aux services des déportés à titre personnel. En effet, certains détenus avaient survécu à la sélection[1] du fait de leurs compétences artisanales. Ils travaillaient donc, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Certains des déportés décidèrent alors de tirer profit de cette exploitation personnelle pour les éliminer un à un. Une douzaine de SS furent ainsi invités dans les ateliers sous prétexte de leur présenter des objets artisanaux (comme des manteaux ou des bottes), et discrètement tués. Le camp perdait donc ses officiers et les insurgés purent ramasser quelques armes sur leurs corps. Des fusils furent aussi récupérés dans l’un des casernements des gardes ukrainiens.

Les Rescapés de Sobibor de Jack Gold, 1987
Les Rescapés de Sobibor de Jack Gold, 1987

Espérant profiter de la confusion qu’entraînerait logiquement la mort de la tête du camp, les détenus tentèrent, en outre, de s’emparer de l’armurerie pour s’assurer suffisamment d’armes. Cette prise échoua et des SS survivants réussirent à donner l’alarme, mais les insurgés ayant au préalable coupé certains fils téléphoniques et télégraphiques, l’alerte allemande demeura restreinte. À 17 h, sur la place de l’appel, l’insurrection éclata au grand jour. L’heure fut choisie pour deux raisons : peu de déportés étaient au courant de l’insurrection, l’appel serait donc le moment idéal pour permettre à ceux qui ne l’étaient pas de s’échapper. Aussi, cette heure tardive pouvait permettre aux rescapés de profiter de la nuit proche pour échapper aux patrouilles allemandes qui ne manqueraient pas de les traquer.

Plusieurs gardiens ukrainiens furent tués dans les combats, et près de 300 déportés, sur les 600 présents dans le camp ce jour-là, purent s’échapper. Les alentours du camp étant minés, beaucoup y périrent. Une poignée d’insurgés s’échappa par les barbelés proches du secteur où vivaient les SS estimant que les environs ne seraient pas minés : leur intuition se vérifia. Dans les jours et semaines qui suivirent, beaucoup d’évadés furent tués par des Allemands, des partisans ou des brigands. Certains rejoignirent des groupes de partisans et d’autres continuèrent à se cacher, survivant du mieux qu’ils pouvaient. Seuls 58 d’entre eux purent voir la fin de la guerre.

Bien entendu, la Seconde Guerre mondiale ne fut pas le seul moment où le système concentrationnaire connut des insurrections. Mais il nous semblait important de revenir sur ces événements et rendre hommage, à notre manière, à celles et ceux qui traversèrent un tel enfer.

Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :


[1] Étape où sont divisés celles et ceux qui iront dans le camp, et celles et ceux qui seront assassinés dans les chambres à gaz.

Laisser un commentaire