Une situation inexorable suffit-elle à trancher les débats ? La conviction personnelle – et subjective- d’un homme peut-elle entraîner un peuple entier dans une guerre ? Quels mots pour promettre de la souffrance et une solitude face à un adversaire dont l’avancée semble inévitable ?
Les partisans d’une résistance acharnée face aux armées du Reich étaient bien en peine de trouver les réponses justes. Le bellicisme du régime nazi affiché à la suite de l’ascension au pouvoir en janvier 1933 inquiétait d’autant la population européenne que la promesse de la « der des der » était encore dans les esprits. À ce titre, les compromis du président du Conseil français Daladier et du Premier ministre britannique Chamberlain lors des accords de Munich de septembre 1938 sont largement partagés au sein des opinions publiques et des deux classes politiques.
Une fois la guerre effective entre la France, son allié d’outre-manche et l’Allemagne nazie, la déroute évidente de la stratégie alliée désarçonne les deux états-majors. La défaite militaire française assurée pousse le Royaume-Uni à récupérer ses forces déployées en France et en Belgique pour maintenir l’effort de guerre depuis leur île-continent. C’est à cette occasion que sont planifiées les trois grandes opérations de rapatriement : Ariel (ports de l’ouest de la France), Cycle (port du Havre) et Dynamo (Dunkerque).
Arrivé entre temps au pouvoir au Royaume-Uni, Winston Churchill fait de ses opérations de sauvetage le premier acte de « sa » guerre. Chamberlain, discrédité par ses compromis avec Hitler et bête noire des travaillistes, doit, en effet, laisser sa place au plus « va-t-en guerre » de son camp. C’est tout le propos du film Les Heures sombres, réalisé par Joe Wright. Il dépeint les événements de l’année 1940 du point de vue britannique, du discrédit de Chamberlain au discours de Churchill au sein de la Chambre des Communes. Ou comment Churchill, politicien aguerri, doit affronter l’hostilité de son camp, les Conservateurs, tout en garantissant le soutien des Travaillistes dans un espoir d’unité face à l’ennemi.

Affrontant alors les partisans de négociations avec le Reich, le scepticisme de ses collègues, la crainte d’une bérézina militaire, le héros de cette histoire s’en remet à sa plus grande force : sa voix. Armé de sa conviction inébranlable et de ses saillies verbales, Churchill prend ici toute la dimension de l’homme d’État tel qu’il est imaginé de nos jours.
Incarné à l’écran par le métamorphe Gary Oldman, Churchill vit sous nos yeux. Si peu d’acteurs peuvent, en effet, prétendre incarner un personnage d’une telle complexité. La prestation d’Oldman est impériale. Son Churchill est bourru, incisif et obtus. Comme à son habitude, Oldman se fond dans son personnage et parvient à nous faire vivre un moment d’histoire derrière le faste d’une production hollywoodienne. À ses côtés, Stephen Dillane doit donner corps à Edward Frederick Lindley Wood, dit Lord Halifax, l’un des meneurs du « camp de l’apaisement », cherchant à négocier autant que possible avec les nazis afin d’éviter la guerre. Leur confrontation, verbale et idéologique, est globalement stimulante, chacun dans son style. Là où Halifax cherche à faire valoir le bon sens de sa position, Churchill attaque de front sans concessions ni flagorneries. Deux caractères en parfaite opposition, assez représentative d’une lutte entre la mesure et la passion, alors que le peuple attend de ses dirigeants un choix clair : la paix incertaine ou la guerre assurée.
Et Churchill laisse de côté les intrigues politiques pour se concentrer sur son terrain de bataille : la joute verbale. Il démontre, en quelques discours, comment il est possible de basculer une nation en guerre. Churchill n’a besoin que de deux discours à la Chambre des Communes.
Et le cours de la guerre changea.
C’est à travers ces œuvres audios que l’on peut se rappeler de la force de la voix et du poids des mots.
En ces temps troublés, les Britanniques se tournent alors vers leurs dirigeants pour avoir une direction claire. Ce film se concentre sur les événements aboutissant au discours du 4 juin 1940 qui entérine la poursuite de la guerre et la lutte contre le régime nazi.
Quatorze jours plus tard, c’est une retranscription d’un autre discours qui fait date côté français, prononcé par un ancien sous-secrétaire d’État de la Défense nationale et de la Guerre en exil à Londres. Si celui du général De Gaulle n’aura pas la même audience, tant par l’exposition médiatique et politique des deux personnages, et par un sous-équipement relatif en radio branché sur la BBC en France, ce discours et le suivant du 22 juin de la même année restent un acte fondateur de la Résistance et de la France libre.
Cette génération a vu les moyens technologiques se développer. Ce qui a permis, non seulement de diffuser les mots de part et d’autre de la Manche, mais aussi le son. Et par le son, les émotions. Le spectateur du film Les Heures Sombres pourra, quant à lui, écouter le fameux discours « We shall fight on the beaches »[1] par un Churchill ressuscité montrant le sens de l’Histoire à son peuple.
C’est ainsi que l’on se demande comment une poignée d’hommes peuvent littéralement changer le cours des choses par la force d’un discours. Et comment, dans un monde où les images et le son peuvent se partager et se diffuser mondialement, l’art oratoire devient une arme. Moins spectaculaire qu’un champ de bataille, mais qui a le mérite de faire date.
Joe Wright et Gary Oldman réussissent le tour de force de nous rendre appréciable une personnalité forte et peu encline à la séduction. Cependant, la persévérance de l’homme et les efforts fournis par son acteur donnent corps à l’un des personnages clés de la Seconde Guerre mondiale.
On apprécie aussi l’investissement dans les costumes et les décors qui font de ce film une fresque visuelle et éducative sur les mois de mai et juin 1940 du point de vue britannique. Et ce, au prix de nombreuses libertés propres à un récit qui se veut plus démonstratif qu’informatif.
C’est d’ailleurs ce que l’on retient une fois retiré le vernis d’une production cinématographique qui ne s’aventure hors des sentiers battus et qui reste ô combien consensuelle. Regardons ce film comme il doit l’être, l’entretien d’un mythe sans grande nuance et tout en sollicitude.
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Filmographie :
WRIGHT Joe, Darkest Hour, États-Unis, Working Title Films, 2017, 125 min
[1] Son enregistrement audio ne fut cependant réalisé qu’en 1949.