Depuis la conquête des territoires gaulois par Jules César, les Romains désiraient poursuivre leur expansion territoriale en étendant leur emprise sur les territoires situés outre-Manche et outre-Rhin. Si César avait échoué à installer une garnison romaine en Bretagne – l’actuelle Grande-Bretagne –, il en était autrement des territoires situés à la frontière de la Germanie.
La conquête de la Gaule Belgique, ainsi que la soumission des peuples locaux, avaient certes été compliquées pour César, qui en était arrivé à commettre ce que certains qualifient de « génocide »[1]. Souhaitant pousser son avantage, l’imperator avait tenté d’entrer en Germanie à deux reprises (en 55 et en 53 av. n. è.), mais très vite, il fut contraint de revenir sur ses pas[2].
Auguste[3] poursuivit la conquête de la Germanie en confiant la direction des opérations à Drusus[4]. De l’année 12 av. n. è. à 16 ap. n. è., de nombreuses opérations ont été menées, mais peu furent couronnées de succès. Drusus, qui fut présent sur les rives du Rhin de 12 à 9 av. n. è. avec six légions, tenta sans succès la première année une approche par la mer, une tempête ayant détruit sa flotte[5]. L’année suivante, il tenta une approche terrestre et il faillit être défait par le peuple des Sicambres. Ce fut probablement cette année-là qu’il construisit le camp militaire d’Aliso, à Haltern-am-See, laissant ainsi des forces militaires sur place[6].


D’autres forts furent construits les années suivantes, consolidant l’avancée romaine et le maintien de troupes sur place. Drusus parvint à atteindre l’Elbe moyen, mais il mourut accidentellement[7] en 9 av. n. è. et fut remplacé par Tibère, qui déplaça le front des opérations sur le Danube. Peu d’opérations célèbres eurent lieu avant 4 de n. è., lorsque Tibère accepta de revenir après une courte période de disgrâce. Il dut intervenir afin de réprimer une révolte des Chérusques, installés sur les rives de la Weser[8].
Finalement, la gestion des territoires conquis de la Germanie furent confiés à un légat, Varus, tandis qu’Auguste et Tibère partirent vers le Danube où de nouveaux troubles avaient éclaté.
Le désastre de Varus et la trahison d’Arminius
Varus se dirigea donc vers les forêts denses de la Germanie en compagnie de trois légions romaines (les XVIIe, XVIIIe et XIXe), accompagnées par des auxiliaires, dont Arminius, le chef des auxiliaires chérusques. Ce dernier, issu d’une famille germanique, avait été élevé à Rome et entraîné au sein de l’armée romaine[9]. Par conséquent, il connaissait parfaitement le fonctionnement interne des légions, ainsi que les tactiques et les formations de combat.
Pour des raisons qui nous restent inconnues[10], Arminius fit défection aux troupes romaines et, rejoignant ses compagnons germains qu’il avait réussi à unir, il mit en place une stratégie destinée à piéger les légions de Varus. Il poussa Varus, en abusant de sa confiance, à éparpiller ses troupes en répandant une fausse rumeur à propos d’une insurrection[11]. Pourtant, un Germain fidèle aux Romains, ou du moins n’acceptant pas la rébellion préparée par Arminius, essaya de prévenir le commandant romain de la trahison en cours, mais Varus refusa de le croire. Face à la menace d’une potentielle insurrection, Varus décida de partir la réprimer et ce fut l’occasion, pour Arminius, de refermer son piège. Encerclés, les Romains, mais aussi les auxiliaires et les civils qui les accompagnaient, furent piégés par les Germains coalisés dans la forêt de Teutobourg. N’ayant aucune solution de repli, ils furent massacrés.


La localité exacte du site de Teutobourg a été discutée par les chercheurs modernes. Un consensus scientifique semble avoir été trouvé, privilégiant le site de Kalkriese[12]. Bien que la forêt soit aujourd’hui moins dense sur le site même – la région étant malgré tout très boisée encore aujourd’hui –, des vestiges retrouvés sur place laissent à penser que les légions romaines furent bien présentes à un moment, soit durant la bataille, soit à proximité. C’est par exemple le cas d’un masque, attribué à un cavalier romain, mais sur lequel nous ne savons en réalité pas grand-chose.

Pas moins de 20 000 militaires furent tués durant la bataille[13]. Vainqueur, Arminius ne poussa pas son avantage et s’arrêta au Rhin, au lieu de prendre le camp militaire d’Aliso et de continuer son avancée en direction de la Gaule. Auguste et Tibère revinrent en urgence du Danube et ordonnèrent le repli des Romains sur la rive gauche du Rhin. Un coup d’arrêt fut donné à la conquête de la Germanie, mais de nouvelles légions furent tout de même envoyées, menées par Tibère qui tenta de rétablir l’ordre et la sécurité[14]. De nouvelles expéditions eurent lieu en 11 et en 12, avant qu’Auguste ne décède. Les dernières campagnes furent menées de 14 à 16 par l’empereur Tibère, qui vengea la mort de Varus et des trois légions en s’attaquant aux Chérusque d’Arminius. Les forts sont reconstruits ou reconquis, Arminius fut défait en 16 et toute tentative de conquête de la Germanie fut alors abandonnée par les Romains, du moins pour un temps.
Les conséquences de cette bataille peuvent également être constatées d’un point de vue militaire. Avant le désastre, seules six légions et quelques auxiliaires étaient présents le long du Rhin, soit un quart des effectifs de l’armée impériale[15]. La donne changea après la défaite de Varus et ce fut un quart de l’armée impériale, avec huit légions, qui s’occupa de rétablir l’ordre dans la région.
Si vous avez aimé cet article, nous vous conseillons également :
Bibliographie
Cosme Pierre, Auguste, Paris, Tempus, 2009, 345 p.
Ferdière Alain, Les Gaules (IIe s. av. J.-C. – Ve s. ap. J-C.), Paris, Armand Colin, 2005, 447 p.
Ferrary Jean-Louis, « Les pouvoirs d’Auguste », dans Les Cahiers du Centre Glotz, Paris, n° 12, 2001, pp. 7-308, pp. 101-154, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2001_num_12_1_1546 (dernière consultation le 2/09/24)
Hulot Sophie, « César génocidaire ? Le massacre des Usipètes et des Tenctères (55 av. J.-C.) », dans Revue des Études Anciennes, vol. 120, n°1, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2018, pp. 3-335, pp. 73‑99, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_2018_num_120_1_6869 (dernière consultation le 10/09/24)
Hurlet Frédéric, Auguste. Les ambiguïtés du pouvoir, Paris, Armand Colin, 2015, 286 p.
Le Bohec Yann, « Histoire militaire des Germanies d’Auguste à Commode », dans Pallas, n°80, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2009, pp. 175-201, p. 176, [en ligne] https://journals.openedition.org/pallas/1796 (dernière consultation le 10/09/24)
[1] Hulot Sophie, « César génocidaire ? Le massacre des Usipètes et des Tenctères (55 av. J.-C.) », dans Revue des Études Anciennes, vol. 120, n°1, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2018, pp. 3-335, pp. 73‑99, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_2018_num_120_1_6869 (dernière consultation le 10/09/24)
[2] L’historien Yann Le Bohec qualifie ces deux événements comme « deux raids de peu d’importance », contrairement à l’image qu’en donne César dans son texte. Voir Le Bohec Yann, « Histoire militaire des Germanies d’Auguste à Commode », dans Pallas, n° 80, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2009, pp. 175-201, p. 176, [en ligne] https://journals.openedition.org/pallas/1796 (dernière consultation le 10/09/24)
[3] Fils héritier de Jules César, Octave (Auguste depuis 27 av. n. è.) instaura le régime du Principat, fondant ainsi le régime impérial romain. Sur Auguste, voir, entre autres, Ferrary Jean-Louis, « Les pouvoirs d’Auguste », dans Les Cahiers du Centre Glotz, Paris, n° 12, 2001, pp. 7-308, pp. 101-154, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2001_num_12_1_1546 (dernière consultation le 2/09/24) ; COSME Pierre, Auguste, Paris, Tempus, 2009, 345 p. ; Hurlet Frédéric, Auguste. Les ambiguïtés du pouvoir, Paris, Armand Colin, 2015, 286 p.
[4] Drusus fut le beau-fils d’Auguste et frère de Tibère, successeur d’Auguste sur le trône impérial.
[5] Ferdière Alain, Les Gaules (IIe s. av. J.-C. – Ve s. ap. J-C.), Paris, Armand Colin, 2005, 447 p., p. 168 ; Le Bohec Yann, art. cit., p. 176
[6] Ferdière Alain, op. cit., p. 168
[7] Il tomba de son cheval.
[8] Ibid., p. 169
[9] Il était, à ce moment-là, citoyen et chevalier romain.
[10] Fidélité patriotique ? Opposition à un régime oppressif ?
[11] Ibid., p. 171
[12] Le Bohec Yann, art. cit., p. 178
[13] Ibid.
[14] Ferdière Alain, op. cit., p. 169
[15] Le Bohec Yann, art. cit., p. 179
