Le 2 août 216 av. n. è. : la bataille de Cannes ou récit d’un désastre

Le 2 août 216 av. n. è. : la bataille de Cannes ou récit d’un désastre

La deuxième guerre punique : Rome en panique

En 216 av. n. è., Rome était en guerre contre Carthage depuis deux ans. Un premier conflit d’une ampleur sans précédent avait déjà opposé les deux puissances (264-241 av. n. è.) et la victoire romaine avait privé les Carthaginois de leur armée navale, mais aussi de nombreux territoires[1]. Dans les années 220 av. n. è., afin de redresser leur cité, la famille des Barcides[2], menée par Hamilcar Barca[3], puis Hannibal[4], entreprit la reconquête de territoires, principalement en Hispanie. Face à la menace que pouvait représenter, pour les Romains, une éventuelle alliance entre les Carthaginois au sud et les Gaulois insoumis au nord, un traité romano-carthaginois (226 av. n. è.) fixa les limites de l’extension des Puniques à l’Èbre[5]. La violation de ce traité par Hannibal en 219 av. n. è., qui franchit la limite, relança les hostilités entre les deux cités.

Massacre à Cannes

Selon l’historien grec Polybe (IIIe siècle av. n. è.)[6], le site de Cannes[7] représentait le grenier à blé des Romains et constituait, par conséquent, un enjeu stratégique important :

« Jugeant qu’il importait de contraindre de toute manière les ennemis à livrer bataille, il [Hannibal] s’empara de la citadelle de la ville appelée Cannes. En fait, c’était là que les Romains rassemblaient le grain et les autres vivres qui leur venaient du territoire de Canusium ; et c’était de là qu’ils approvisionnaient sans cesse les légions, suivant leurs besoins. »[8]

Le Sénat romain vota en faveur d’une bataille, destinée à récupérer Cannes, et envoya les deux consuls – Caius Terentius Varron et Lucius Aemilius Paullus[9] –, à la tête de huit légions, combattre ensemble. Arrivés aux abords de Cannes, où le territoire était plat, les deux chefs entrèrent en désaccord :

« Lucius […] déclara qu’il ne fallait pas engager le combat, parce que les ennemis avaient la supériorité en cavalerie, mais les attirer et les amener plutôt sur un terrain tel que l’infanterie des légions eussent le rôle principal dans la bataille. Or Caius, en raison de son inexpérience, était de l’avis contraire »[10]

La disposition initiale des troupes ne présente aucune originalité, dans un camp ou dans l’autre. La frontière nord représentée par le fleuve Aufide, les Carthaginois se positionnèrent à l’ouest. L’infanterie légère était à l’avant, avec les frondeurs baléares. Ils étaient suivis de l’infanterie lourde au centre, composée d’Ibères et de Gaulois, tandis que les flancs étaient couverts par les cavaliers africains, menés par Hannon (à droite) et Hasdrubal (à gauche), les fils d’Hannibal. Au total, Hannibal commandait entre 30 000 et 40 000 fantassins et 10 000 cavaliers.

Les Romains, quant à eux, adoptèrent le plan classique, en plaçant les vélites à l’avant, suivis du triplex acies[11] et de la cavalerie sur les ailes.

Disposition romaine en triplex acies
Disposition romaine en triplex acies. Serviam, 2008, Wikimedia Commons

Bien que l’armée de fantassins fût composée de 80 000 soldats, les Romains ne comptaient que 6 000 cavaliers, ce qui était relativement faible. Les consuls engagèrent alors un combat frontal, qui leur fut fatal.

Plan de la bataille et représentation des différentes phases
Plan de la bataille et représentation des différentes phases. Augusta89, 2019, Wikimedia Commons

Victorieux au départ sur les ailes, les Romains perdirent rapidement leur avantage et furent dépassés sur tous les fronts :

« Tant qu’ils purent livrer bataille sur tous les fronts, en faisant face à ceux qui les avaient encerclés, les Romains résistèrent. Mais, comme ceux qui se trouvaient à la périphérie ne cessaient de tomber, les autres furent peu à peu enfermés dans un dernier réduit où, finalement, tous trouvèrent la mort. Parmi eux se trouvaient Marcus et Cnaeus, les consuls de l’année précédente, des hommes de cœur qui s’étaient montrés dignes de Rome au cours de ce combat. »[12]

Sont dénombrés près de 45 000 pertes romaines et alliées[13] – sur un total de 80 000 –, 20 000 prisonniers et environ 15 000 survivants, dont le consul Varron.

Représentation de la mort du consul Aemilius Paullus
Représentation de la mort du consul Aemilius Paullus. Peinture de John Trumbull (1756-1843), conservée actuellement à la Yale University Art Gallery. Alonso de Mendoza, 2016, Wikimedia Commons

Les retombées de Cannes

Selon l’historien Yann le Bohec[14], le modèle de la bataille de Cannes est encore étudié de nos jours dans les écoles d’officiers. En effet, la défaite romaine à Cannes n’était pas la première de la deuxième guerre punique. Déjà en 217 av. n. è., le consul Flaminius avait été vaincu au lac Trasimène, où près de 15 000 soldats romains avaient perdu la vie selon la tradition littéraire.

L’une des conséquences majeures de ces défaites n’était pas tant militaire que politique, avec la défection croissante des alliés de Rome, qui préféraient rejoindre le camp des vainqueurs.

Néanmoins, Hannibal ne poussa pas plus loin son avantage et il descendit avec ses troupes dans le sud de l’Italie, près de Capoue. Ce temps de répit fut utilisé à bon escient par les Romains, qui en profitèrent pour reconstituer leur armée[15].

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Bibliographie

BAUDY Gerhard, « Cannae », dans Brill’s new Pauly : Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 1, Boston / Leiden, Brill, 2003, XVIII & 1190 col., col. 1050

GÜNTHER Linda-Marie, « Barcids », dans Brill’s new Pauly : Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 1, Boston / Leiden, Brill, 2003, XVIII & 1190 col., col. 506-507

HUMM Michel, La République romaine et son empire : de 509 à 31 av. J.-C., Malakoff, Armand Colin, 2018, 319 p.

LE BOHEC Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C.-410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2021, 828 p.

LIEGEOIS Liselotte, « 10 mars 241 av. n. è. : la bataille qui mit un terme à la première guerre punique », dans La Revue d’Histoire Militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire Militaire, 2023, [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2023/03/10/10-mars-241-av-n-e-la-bataille-qui-mit-un-terme-a-la-premiere-guerre-punique/ (dernière consultation le 31/07/24)

Polybe, Histoires. Livre III, Paris, Les Belles Lettres, 2004, XXXVIII & 298 p., texte édité et traduit par DE FOUCAULT Jules et FOULON Éric

RODDAZ Jean-Michel, « Hannibal », dans LECLANT Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, Presses universitaires de France, 2015, 2389 p., pp. 1024-1025


[1] Voir la bibliographie afférente dans LIEGEOIS Liselotte, « 10 mars 241 av. n. è. : la bataille qui mit un terme à la première guerre punique », dans La Revue d’Histoire Militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire Militaire, 2023, [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2023/03/10/10-mars-241-av-n-e-la-bataille-qui-mit-un-terme-a-la-premiere-guerre-punique/ (dernière consultation le 31/07/24)

[2] Famille célèbre et influente dans la vie politique de Carthage au IIIe siècle av. n. è. Ce fut grâce à Hamilcar que la famille s’imposa sur la scène politique carthaginoise dès les années 237 av. n. è. avec la reconquête de l’Hispanie. GÜNTHER Linda-Marie, « Barcids », dans Brill’s new Pauly : Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 1, Boston / Leiden, Brill, 2003, XVIII & 1190 col., col. 506-507

[3] Père d’Hannibal.

[4] Il succéda à son père dans la conquête de l’Hispanie dès 221 av. n. è. Ainsi lancé, il s’attaqua ensuite à la cité alliée de Rome, Sagonte, et provoqua la guerre en violant le traité romano-carthaginois fixant l’Èbre comme frontière. Il se rendit célèbre en franchissant les Alpes avec des éléphants au sein de son armée. Voir RODDAZ Jean-Michel, « Hannibal », dans LECLANT Jean (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, Presses universitaires de France, 2015, 2389 p., pp. 1024-1025

[5] HUMM Michel, La République romaine et son empire : de 509 à 31 av. J.-C., Malakoff, Armand Colin, 2018, 319 p., p. 161

[6] Le récit de la bataille de Cannes nous est également connu par Tite-Live, au livre XXII de son Histoire romaine, et par Appien, dans le texte qu’il consacre à Hannibal (Ἀννιβαική).

[7] Bien que nous disposions d’informations sur la bataille, le statut même de Cannes (cité politique, vicus rural) reste encore aujourd’hui incertain. Voir BAUDY Gerhard, « Cannae », dans Brill’s new Pauly : Encyclopaedia of the Ancient World, vol. 1, Boston / Leiden, Brill, 2003, XVIII & 1190 col., col. 1050

[8] Polybe, Histoires. III, 107, 2-3, Paris, Les Belles Lettres, 2004, XXXVIII & 298 p., p. 148, texte édité et traduit par DE FOUCAULT Jules et FOULON Éric : « κρίνων δὲ συμφέρειν τὸ κατὰ πάντα τρόπον ἀναγκάσαι μάχεσθαι τοὺς πολεμίους, καταλαμβάνει τὴν τῆς Κάννης προσαγορευομένης πόλεως ἄκραν. Εἰς γὰρ ταύτην συνέβαινε τόν τε σῖτον καὶ τὰς λοιπὰς χορηγίας ἁθροίζεσθαι τοῖς Ῥωμαίοις ἐκ τῶν περὶ Κανύσιον τόπων· ἐκ δὲ ταύτης ἀεὶ πρὸς τὴν χρείαν ἐπὶ τὸ στρατόπεδον παρακομίζεσθαι. »

[9] BROUGHTON Thomas Robert Shannon, The magistrates of the Roman Republic. Volume I : 509 B.C.-100 B.C., New-York, American Philological Association, 1951, XIX & 578 p., p. 247

[10] Polybe, 110, 2-3, op. cit., p. 153 : « ὁ μὲν οὖν Λεύκιος […] οὐκ ἔφη δεῖν συμβάλλειν ἱπποκρατούντων τῶν πολεμίων, ἀλλ´ ἐπισπᾶσθαι καὶ προάγειν μᾶλλον εἰς τόπους τοιούτους ἐν οἷς τὸ πλέον ἔσται διὰ τῶν πεζικῶν στρατοπέδων ἡ μάχη. Τοῦ δὲ Γαΐου διὰ τὴν ἀπειρίαν ὑπὲρ τῆς ἐναντίας ὑπάρχοντος γνώμης »

[11] Formation en trois lignes – vélites, hastati et principes – des soldats romains.

[12] Polybe, III, 116, 10-11, op. cit., pp. 162-163 : « οἱ δὲ Ῥωμαῖοι μέχρι μὲν ἐμάχοντο κατὰ τὰς ἐπιφανείας στρεφόμενοι πρὸς τοὺς κεκυκλωκότας, ἀντεῖχον· ἀεὶ δὲ τῶν πέριξ ἀπολλυμένων, καὶ κατὰ βραχὺ συγκλειόμενοι, τέλος αὐτοῦ πάντες, ἐν οἷς καὶ Μάρκος καὶ Γνάιος, ἔπεσον, οἱ τὸ πρότερον ἔτος ὕπατοι γεγονότες, ἄνδρες ἀγαθοὶ καὶ τῆς Ῥώμης ἄξιοι γενόμενοι κατὰ τὸν κίνδυνον. »

[13] Y compris le consul Lucius Aemilius Paullus.

[14] LE BOHEC Yann, Histoire des guerres romaines (milieu du VIIIe siècle av. J.-C.-410 ap. J.-C.), Paris, Tallandier, 2021, 828 p., p. 194

[15] Sur la reconstitution de l’armée romaine, voir ibid., pp. 196-197

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