Affiche du film Vores mand i Amerika (The Good Traitor/Notre homme en Amérique)

L’histoire d’un diplomate insoumis : The Good Traitor – Christina Rosendahl (2020)

Le film danois Vores mand i Amerika, en français Notre homme en Amérique, réalisé par Christina Rosendahl met en lumière une affaire historique négligée par la plupart des Danois. Pourtant s’il n’y avait pas eu Henrik Kauffmann, la fin de la Seconde Guerre mondiale n’aurait pas vu le Danemark figurer parmi les pays des Nations Unies.

Affiche du film Vores mand i Amerika (The Good Traitor/Notre homme en Amérique)
Affiche du film Vores mand i Amerika (The Good Traitor/Notre homme en Amérique), https://imginn.com/p/CB0OJ9nJDKf/

Le 9 avril 1940, le Danemark est placé sous le protectorat de l’Allemagne nazie. Le même jour, l’ambassadeur du pays à Washington, Henrik Kauffmann, décide de ne plus suivre les ordres du Ministère des affaires étrangères, dictés par le pouvoir nazi. Son argument : il est l’ambassadeur d’un Danemark libre. Inutile de mentionner que ce zèle patriotique, qui fera quatre-vingt ans plus tard un excellent roman et un film, représentait au moment de l’histoire un acte de haute trahison ! Le seul moyen de déclarer l’indépendance de l’ambassade danoise était par l’accord des États-Unis.

Néanmoins, comme Roosevelt l’admet sans ménagements : « Pourquoi s’immiscer dans la guerre des autres ? » , car en effet, la distance géographique entre les deux continents est trop importante pour que l’Allemagne représente un danger imminent pour les Américains. Malgré tout, Kauffmann ne baisse pas les bras face à ce premier refus. Assisté par son jeune avocat, d’un caractère impulsif et qui manque de sang froid, il insiste pour continuer les négociations avec le Ministère des affaires étrangères. Ce dernier va finir par saluer la demande de Kauffmann, au prix d’un territoire à grande valeur stratégique pour les États-Unis : le Groenland[1].

https://www.youtube.com/watch?v=ub_c8ty5Rf4&t=23s&ab_channel=VoresgamleDanmark-filmfrafortiden

Le processus de négociation se développe parallèlement avec des séquences de la vie privée d’Henrik. L’élément de réussite du film est qu’il met en place la même dynamique entre les enjeux diplomatiques et les relations humaines. Les deux mondes, politique et personnel, sont animés par deux facteurs communs – l’engagement et la transgression des règles. Par la suite, nous allons analyser ces deux thèmes à travers une perspective anthropologique. Cette démarche nous permettra d’identifier les moyens utilisés par Christine Rosendahl pour adapter un sujet aussi complexe que la négociation diplomatique à un public international de tout âge.

L’alliance politique par le mariage, un héritage ancien

You always told me that diplomacy is 50 % information and 50 % gambling, then gamble Henrik! – Charlotte

Rendre la négociation diplomatique accessible au grand public en tant que cinéaste sous-entend l’intervention de plusieurs obstacles. À part la nécessité des connaissances dans des domaines de spécialités tels que les sciences politiques et le droit international, il ne faut pas négliger non plus le prérequis d’une certaine familiarité avec la période historique, afin de comprendre la configuration géopolitique de l’époque : les traités d’alliance, les conflits et les enjeux politiques. La réalisatrice trouve une variante « intuitive » pour transposer l’alliance que le diplomate danois souhaite mettre en place sous le voile des relations humaines. Ainsi, elle nous renvoie à une technique ancienne de former des coalitions – le mariage.

La première scène du film présente la famille Kauffmann dans une visite à la Maison-Blanche. La relation proche entre Charlotte, l’épouse américaine de Kauffmann, et le président Roosevelt contraste avec la manière formelle dont les deux hommes s’adressent l’un à l’autre. À travers l’échange amical entre Roosevelt et Charlotte, il est sous-entendu que les deux personnes se connaissent grâce au père de Charlotte, auquel le président porte beaucoup de respect. Plus tard, la sœur cadette de Charlotte, Zilla, et son mari rendent visite aux Kauffmann. L’attraction réciproque entre Henrik et Zilla est observable depuis le premier bonjour. Leur relation extra-conjugale n’ira jamais plus loin qu’un baiser furtif dans les bois, mais le spectateur se demande pourquoi les deux individus ne se séparent pas de leurs conjoints pour vivre ensemble, étant donné que Henrik se montre beaucoup plus attiré par Zilla que par son épouse ?

Au fur et à mesure que le film avance, il devient clair que le mariage avec Charlotte apporte à Henrik plus qu’un simple rapprochement de la famille Roosevelt, qu’il aurait d’ailleurs pu acquérir aussi en épousant Zilla. Bien que moins charmante que sa sœur cadette, Charlotte a le talent tactique et l’habileté relationnelle d’utiliser intelligemment ses connexions familiales. Le film lui assigne même une place importante dans la négociation de l’alliance. Par exemple, chaque fois que Henrik essaie d’amener l’affaire de l’ambassade dans la discussion, Roosevelt met très vite un terme à la conversation. Pourtant, lorsque Charlotte ouvre le sujet, le président écoute avec intérêt et attention.

La citation qui démontre que Charlotte occupe une place essentielle dans la vie professionnelle de l’ambassadeur danois est la phrase que le diplomate prononce, la suppliant de le pardonner :

Denmark needs you, the world peace needs you! 

Par la décentralisation de son égo, Henrik révèle que leur lien conjugal n’est pas limité au cadre domestique, mais qu’il repose sur un idéal commun – la paix. 

Photographie du diplomate Henrik Kauffmann et de son épouse Charlotte MacDougall, https://www.geni.com/people/Charlotte-MacDougall/6000000146557306862

Le film présente un mariage politique différent de celui de la Rome ancienne entre Sylla et Caecilia Matella ou Pompée et Aemilia, dans le sens où le facteur déterminant du mariage n’est plus un élément statique tel que la place généalogique de l’épouse, mais quelque chose d’actif comme l’habileté de celle-ci à utiliser son milieu pour faciliter les négociations politiques. Par analogie avec « l’affaire Groenland », Charlotte occupe la place de l’ambassade indépendante et Henrik celle des états Unis. Les États-Unis accordent le statut d’ambassade indépendante non pas pour ce qu’elle constitue de fait, mais pour ce qu’elle peut potentiellement apporter : une base militaire stratégiquement placée au Groenland. 

Christine Rosendahl mentionne que c’est le caractère insoumis et la pensée autonome d’Henrik qui lui ont inspiré la production de ce film. à travers les rôles d’ambassadeur et d’époux, elle montre la distinction entre le comportement rebelle bénéfique et celui calamiteux. En tant qu’ambassadeur, la force motrice de la transgression des règles n’est pas la colère, ni le machiavélisme, mais une dynamique positive exprimée par la volonté d’assurer un meilleur avenir à sa patrie. Cependant, dans le rôle d’époux, la relation extra-conjugale avec la sœur cadette de Charlotte étale l’autre face de la nature rebelle : celle aux pouvoirs destructeurs, qui devrait être contenue car elle n’apporte pas de bénéfice à la société.

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Notes

[1] Kauffmann réussit à convaincre le président que les Nazis pouvaient quand même devenir un facteur menaçant pour les Américains. Il rappelle qu’un allié cher aux États-Unis, le Royaume-Uni, reste proche du continent et représente une potentielle cible des Nazis. Dans la perspective où le Royaume-Uni était occupé par les Nazis, le Groenland serait un espace précieux pour l’installation des bases militaires américaines. L’île est assignée aux États-Unis à travers un traité secret signé en 1941.

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