Le 24 août 410 : Rome pillée par les Wisigoths

Le 24 août 410 : Rome pillée par les Wisigoths

La fin du IVe siècle : l’arrivée progressive de peuplades étrangères

Face à l’arrivée des Huns d’Attila à la fin du IVe siècle, les Alains, poussés vers l’ouest, contraignirent les Wisigoths à se décaler aussi et à entrer, de force, dans l’Empire romain[1].

Carte des migrations des différents peuples du IIe au VIe siècle
Carte des migrations des différents peuples du IIe au VIe siècle, SKIBLY101, 2022 (MapMaster, 2006), Wikimedia Commons

Bien qu’accueillis comme fédérés, les Wisigoths, face aux taxes élevées, à la corruption et aux vexations du pouvoir impérial, se révoltèrent et pillèrent les Balkans. Dirigés par Fritgern, les Wisigoths furent vainqueurs des Romains à la bataille d’Andrinople de 378, durant laquelle l’empereur Valens perdit la vie[2]. Lui succéda Théodose Ier, qui adopta une autre stratégie. Il proposa un traité de paix aux Wisigoths en octobre 382, faisant d’eux des sujets autonomes de l’Empire. Ils s’installèrent en Thrace et n’avaient aucun impôt à payer[3]. En échange, ils devaient fournir un contingent de soldats à l’armée impériale.

La nouveauté de l’époque, et cela ne fut pas sans conséquence pour la suite des évènements, était l’installation massive, au sein de l’Empire romain, d’un peuple qui n’avait pas été vaincu, mais qui avait obtenu gain de cause par la force[4]. Il ne faut toutefois pas croire que l’ensemble des Goths intégra l’Empire après 376. En effet, et les traces archéologiques le confirment, des Goths vécurent autour du limes (« frontières ») romain[5]. En outre, les Huns ne firent leur apparition que tardivement, puisque le premier Hun « danubien » est évoqué en 400[6].

L’incorporation des Goths au sein de l’Empire eut de nombreuses conséquences, dont leur intégration au sein de l’appareil institutionnel et militaire romain. Ils n’étaient pas les premiers « barbares » à accéder à de tels postes, puisque des Alamans et des Francs occupaient déjà des fonctions plus ou moins importantes au sein des institutions romaines. Néanmoins, parmi les Goths, l’un d’entre eux parvint à tirer son épingle du jeu : Alaric[7].

Portrait imaginaire d’Alaric Ier
Portrait imaginaire d’Alaric Ier, C. Strahlheim, Das Welttheater (« Le théâtre du monde »), 1836, Asybaris01, 2010, Wikimedia Commons

Il accomplit l’exploit de gravir les échelons de la hiérarchie romaine rapidement, tout en conservant autour de lui un groupe de Goths lui étant particulièrement fidèles. Il est notamment connu pour le sac de la ville d’Athènes en 395, ainsi que celui de Rome 15 ans plus tard.

Alaric entrant dans la cité d’Athènes
Alaric entrant dans la cité d’Athènes, AmaryllisGardener, 2015, Wikimedia Commons

L’histoire d’Alaric avec le régime impérial fut complexe. En 398, il fut nommé par l’empereur d’Orient chef militaire de l’Illyrie et placé à la tête d’une des quatre zones militaires de l’Empire[8]. Après des déconvenues avec le pouvoir impérial en Orient, Alaric se dirigea vers l’Occident et il envahit l’Italie en date du 18 novembre 401. Allié au roi Ostrogoth Radagaise, il mena plusieurs batailles contre Flavius Stilicon[9], qui l’arrêta dans ses dévastations en avril 402. Alaric quitta l’Italie en 402, après sa défaite à la bataille de Vérone. Face à la menace que représentait toujours Alaric, la capitale de l’empire d’Occident fut déplacée de Ravenne à Milan[10].

Les Wisigoths n’étaient pas les seuls à traverser le territoire romain afin de trouver de nouvelles terres où s’installer. À titre d’exemple, à partir du 31 décembre 405, eut lieu la traversée du Rhin : plusieurs peuples, dont les Vandales, les Burgondes, les Suèves et les Alains traversèrent le Rhin, faisant ainsi sauter temporairement la frontière romaine[11].

En 408, Stilicon fut assassiné[12] à la suite de la mutinerie des légions de Pavie et Alaric espérait lui succéder, mais l’empereur Honorius, conseillé par Olympius, refusa d’accéder aux revendications du chef wisigoth[13]. Alaric mena alors le premier siège de Rome en 409, aidé par les troupes de Stilicon, afin de récupérer la part des richesses qu’il considérait lui revenir de droit[14]. Alaric souhaitait également obtenir un statut au sein de l’armée d’Honorius et il décida de négocier avec le Sénat, en l’absence de l’empereur. Ayant trouvé un accord avec le Sénat, le Wisigoth apprit qu’Honorius acceptait ses demandes et il quitta Rome pour aller s’installer vers Pise.

De la fin 409 au mois d’août 410 : la vengeance d’Alaric

Il s’avéra, en effet, que l’accord conclu avec Honorius n’était qu’un faux-semblant et les relations se dégradèrent à nouveau rapidement entre les deux parties, d’abord sous l’impulsion d’Olympius, rapidement remplacé par Priscus Attale. Honorius refusa d’octroyer le moindre titre militaire à Alaric, qui se sentit outragé et insulté. Rassemblant ses troupes, ce dernier décida de mener un nouveau raid sur Rome – ce fut le deuxième pillage de la ville. De son côté, l’empereur fit appel au peuple des Huns, ainsi qu’au gouvernement impérial de Constantinople, et il profita de l’occasion pour reconnaître comme Auguste l’usurpateur Constantin, qui se trouvait alors en Gaule.

À la fin de l’année 409, Alaric parvint à un nouvel accord avec le Sénat, qui choisit comme nouveau préfet de la Ville Attale. En outre, comme il avait été convenu entre les Goths et Rome que l’empereur devrait être déposé, Attale envoya une ambassade à Ravenne, demandant à Honorius de déposer la pourpre – il apparut en effet que l’ennemi dont devait se méfier l’empereur n’était pas tant Alaric qu’Attale qui cherchait à usurper le pouvoir[15].

Pendant ce temps, les armées gothiques prirent le contrôle des villes du nord de l’Italie et firent le siège de Ravenne. L’empereur fut sauvé grâce à l’arrivée des renforts d’Orient et, au mois de juillet 410, Alaric fit déposer Attale par le Sénat de Rome et tenta de renouer le contact diplomatique avec Honorius.

Néanmoins, l’empereur préféra rester en sécurité à Ravenne, n’hésitant pas à « sacrifier » Rome aux Wisigoths. L’armée impériale resta en garnison dans les cités italiennes et n’intervint pas.

Finalement, en l’absence d’accord diplomatique, les Wisigoths entrèrent dans la cité de Rome par la porte Salaria et la ville fut mise à sac durant trois jours.

Représentation du sac de Rome par Évariste Vital Luminais (1821-1896)
Représentation du sac de Rome par Évariste Vital Luminais (1821-1896), Soerfm, 2018, Wikimedia Commons

Tout comme cela fut réitéré par Genséric quelques décennies plus tard, Alaric défendit à ses troupes d’incendier la cité, mais aussi de toucher aux édifices religieux et à la population qui se serait réfugiée dans ces lieux :

« Obéissant aux ordres d’Alaric, ils se contentent de la [Rome] piller, mais n’y mettent pas le feu, ce que les nations ont coutume de faire, et ils n’autorisent en aucun cas à ce qu’il soit porté atteinte à qui que ce soit dans les lieux saints. »[16]

Néanmoins, ses ordres ne furent pas totalement respectés et quelques édifices sacrés furent touchés – une partie des trésors liturgiques de la basilique Saint-Jean de Latran fut par exemple pillée, des meurtres et des viols furent également commis.

Basilique Saint-Jean de Latran
Basilique Saint-Jean de Latran, Livioandronico2013, 2015, Wikimedia Commons

En dépit du retentissement qu’eut cet évènement, particulièrement pour les habitants de Rome éprouvés par la situation politique instable, Honorius ne réagit pas au sac et ignora totalement les revendications d’Alaric. Les Goths quittèrent la ville après les trois jours, emmenant avec eux des otages, parmi lesquels se trouvait la demi-sœur de l’empereur, Gallia Placidia[17]. Ils se dirigèrent alors vers le sud de la péninsule italienne, avec le but éventuel de traverser la mer afin de rejoindre l’Afrique, mais ils ne parvinrent pas à rejoindre la Sicile. Alaric décéda à la fin de l’année 410, probablement de maladie.

Ensevelissement d’Alaric par Heinrich Leutemann (1824-1904)
Ensevelissement d’Alaric par Heinrich Leutemann (1824-1904), Holt, 2008, Wikimedia Commons

Symptomatique d’un effondrement du cadre du pouvoir politique en Occident, l’historien Paul Veyne décrit de façon juste cette époque, et plus particulièrement le sac de 410, qui fut « un épisode dramatique », mais surtout :

« ce ne fut pas une invasion venue du dehors, mais la conséquence d’une rébellion de l’intérieur de l’Empire où les Goths étaient installés depuis quarante ans ou le double ; leur roi Alaric n’était plus, à ce moment-là, un envahisseur, mais occupait une haute fonction dans l’administration de l’Empire romain d’Orient »[18]

Successeur d’Alaric, Athaulf épousa Galla Placidia – ce qui avait été le projet, stoppé par la mort, d’Alaric – et tenta lui aussi d’accéder au poste d’Attale, en vain[19]. Les Goths finirent par s’établir en Aquitaine, fondant ainsi le royaume de Toulouse, s’étendant progressivement sur la péninsule ibérique durant les siècles suivants, avant l’arrivée des Arabes.

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Bibliographie

Jordanès, Histoire des Goths, Paris, Les Belles Lettres, 2004, XXX & 227 p., texte traduit par Devillers Olivier

Kisch Marie-Anne de (dir.), Kisch Yves de (dir.) et Kulikowski Michael (dir.), Rome et les Goths : IIIe-Ve siècle, invasions et intégration, Paris, Éditions Autrement, 2009, 237 p.

Petit Paul, Histoire générale de l’Empire romain. Tome 3 : Le Bas-Empire (284-395), Paris, Éditions du Seuil, 1974, 285 p.

Sotinel Claire (dir.) et Virlouvet Catherine (dir.), Rome, la fin d’un Empire : de Caracalla à Théodoric (212-fin du Ve siècle), Paris, Belin, 2019, 688 p.

Veyne Paul, « La prise de Rome par Alaric en 410 », dans Mètis, Numéro Spécial 1 : Alexandre le Grand, religion et tradition, Athènes / Paris, Daedalus / Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2003, 335 p., pp. 201-218, {en ligne] https://books.openedition.org/editionsehess/2113 (dernière consultation le 13/08/2023)

Veyne Paul, L’Empire gréco-romain, Paris, Éditions du Seuil, 2005, 875 p.


[1] Petit Paul, Histoire générale de l’Empire romain. Tome 3 : Le Bas-Empire (284-395), Paris, Éditions du Seuil, 1974, 285 p., p. 141 ; Veyne Paul, « La prise de Rome par Alaric en 410 », dans Mètis, Numéro Spécial 1 : Alexandre le Grand, religion et tradition, Athènes / Paris, Daedalus / Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2003, 335 p., pp. 201-218, [en ligne] https://books.openedition.org/editionsehess/2113 (dernière consultation le 13/08/2023)

[2] Ibid.

[3] Petit Paul, op. cit., p. 142

[4] Ibid.

[5] Kisch Marie-Anne de (dir.), Kisch Yves de (dir.) et Kulikowski Michael (dir.), Rome et les Goths : IIIe-Ve siècle, invasions et intégration, Paris, Éditions Autrement, 2009, 237 p., pp. 175‑176

[6] Ibid., p. 175

[7] Veyne Paul, art. cit.

[8] Veyne Paul, L’Empire gréco-romain, Paris, Éditions du Seuil, 2005, 875 p., p. 722

[9] Stilicon était un Vandale parfaitement romanisé (fils d’un Vandale et d’une Romaine), général talentueux et beau-père de l’empereur.

[10] Rome avait été délaissée comme capitale par les empereurs depuis des décennies.

[11] Sotinel Claire (dir.) et Virlouvet Catherine (dir.), Rome, la fin d’un Empire : de Caracalla à Théodoric (212-fin du Ve siècle), Paris, Belin, 2019, 688 p., p. 475

[12] Selon Paul Veyne, au Ve siècle, le recours à l’assassinat pour éliminer des concurrents politiques était un moyen tout à fait courant et usuel. L’empereur Constantin fit assassiner son fils Valentinien III et d’autres exemples sont mentionnés dans Veyne Paul, op. cit., p. 726, note 32

[13] Id., art. cit.

[14] Id., op. cit., p. 725

[15] Id., art. cit.

[16] Jordanès, Histoire des Goths, Paris, Les Belles Lettres, 2004, XXX & 227 p., p. 61, texte traduit par Devillers Olivier : « Ad postremum Romae ingressi Halarico iubente spoliant tantum, non autem, ut solent gentes, igne supponunt nec locis sanctorum in aliquo paenitus iniuria inrogare patiuntur. »

[17] Veyne Paul, art. cit.

[18] Id., op. cit., pp. 713-714

[19] Id., art. cit.

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