La transition de la puissance mondiale de Yan Xuetong

La transition de la puissance mondiale de Yan Xuetong

Dans un précédent article, nous avions présenté de manière succincte les différentes écoles de pensée chinoise des relations internationales (zhōngguó xuépài 中国学派), dont le courant de pensée du réalisme moral (dàoyì xiànshí zhǔyì 道义现实主义), dit aussi école de Tsinghua[1]. Dans le cadre de cette recension, il s’agit pour nous de synthétiser une des œuvres majeurs de ce courant écrit par l’éminent chercheur chinois Yan Xuetong (阎学通). Il s’agit de son livre publié en 2015, La transition de la puissance mondiale : leadership politique et compétition stratégique (Shìjiè quánlì de zhuǎnyí: Zhèngzhì lǐngdǎo yǔ zhànlüè jìngzhēng 世界权力的转移:政治领导与战略竞争)[2]. Si Yan nous lisait, il serait mécontent d’apprendre que nous l’associons à l’école de pensée chinoise des relations internationales, ce dont il se défend. Nous devons donc, avant toute chose, clarifier cette controverse.

En effet, dans son livre, Yan avance qu’il n’y a pas de zhōngguó xuépài, car une théorie n’appartient à aucun pays et que le but de son travail est de développer une théorie à portée universelle[3]. Il développe davantage ses arguments dans un autre article[4]. Pour Yan, l’édification d’une école de pensée chinoise des relations internationales suit un raisonnement fallacieux. Les chercheurs chinois en relations internationales ont tenté d’imiter le courant de pensée dit de l’école anglaise des relations internationales (The English School)[5]. Or, aucun courant de pensée aussi riche soit-il ne peut représenter un pays, comme la Chine. De plus, une telle appellation est paradoxale : les théoriciens chinois ont pour beaucoup d’entre eux étudié à l’étranger et se sont inspirés d’idées étrangères pour développer leurs théories. Par ailleurs, cette dénomination contreviendrait à toute logique. Elle engloberait des pensées très diverses et contradictoires. Ce serait la confusion la plus totale.

Alors pourquoi considérons-nous le réalisme moral comme l’une des écoles de pensée chinoise des relations internationales ? Parce que, comme le chercheur Zhao He de l’université nationale des technologies de la défense, l’indique, il ne s’agit que d’une question d’étiquette[6]. En réalité, même si Yan Xuetong refuse toute affiliation avec le zhōngguó xuépài, il contribue à la recherche théorique sur les relations internationales en Chine en combinant des idées venues de l’étranger avec des idées tirées de la philosophie politique chinoise.

Dans son livre, il fait la remarque que les spécialistes de l’école réaliste des relations internationales sont tous des Américains et qu’ils réfléchissent sur comment conserver la position hégémonique de leur pays[7]. Yan Xuetong, par le biais de sa théorie du réalisme moral, aspire à en faire de même pour la Chine, en réfléchissant sur comment assurer la montée en puissance de la Chine et comment réaliser la renaissance de la nation chinoise[8].

Maintenant que nous avons clarifié cette controverse, nous pouvons passer directement à la présentation du réalisme moral qui se focalise sur l’étude du leadership politique, variable centrale de la théorie[9]. Pour la théorie, il s’agit de la variable déterminante derrière les transitions de puissance (pourquoi est-ce qu’une grande puissance devient dominante ou tombe en déclin ?). Tout d’abord, nous allons examiner les fondations conceptuelles sur laquelle repose la théorie du réalisme moral. Puis, nous évoquerons quelques idées centrales de la théorie. Notamment, comment le réalisme moral tente d’expliquer le développement des stratégies étatiques, les variations des normes internationales et les transformations du système international. Enfin, nous conclurons sur les recommandations de Yan Xuetong pour assurer la montée en puissance de la Chine.

Les fondements du réalisme moral

Avant d’expliciter la théorie du réalisme moral en détails, il nous faut d’abord aborder les fondations sur lesquelles repose cette théorie. Comme son nom l’indique, le réalisme moral emprunte notamment à l’école de pensée réaliste des relations internationales, un certain nombre de postulats qui ont été remaniés.

-Chaque pays poursuit ses propres intérêts[10]. C’est la motivation première (mais pas la seule), derrière le comportement d’un pays. Cette poursuite des intérêts influence l’évolution des normes internationales. La conception que se fait le décideur politique de ces intérêts les hiérarchise. L’intérêt principal, désormais établi, définit l’objectif à poursuivre. Le décideur formule les moyens considérés comme les plus optimaux pour accomplir cet intérêt.

-La nature d’un État détermine sa conduite stratégique[11]. Ici, Yan Xuetong entre en discordance avec le réalisme structurel[12] et le réalisme offensif[13] qui minimisent, voire occultent, la nature d’un État. En effet, pour le réalisme structurel, les États ne sont que des réceptacles de puissance qui interagissent au sein d’un système international anarchique. Pour le réalisme offensif, les États sont des maximisateurs de puissance car la puissance assure la survie d’un État. En résumé, les caractéristiques de la direction étatique ne sont pas importantes pour l’analyse. Pour Yan, au contraire, la typologie de l’État est un pilier important de sa théorie.

-La politique internationale est un jeu à somme nulle[14]. Le gain de puissance d’un pays se fait au détriment de l’autre. C’est pourquoi, le théoricien de Tsinghua considère que les « paradoxes structurels[15] » entre la puissance ascendante et la puissance dominante sont inévitables. De même, la montée en puissance d’un pays le place dans une situation de plus en plus difficile. La pression internationale s’accroît contre la puissance ascendante.

-La qualité du leadership politique (plus ou moins puissant) détermine la puissance nationale[16]. Par extension, le leadership politique détermine les changements de la configuration internationale. La puissance du leadership politique est le facteur déterminant de la puissance nationale (Zònghé guólì 综合国力). Elle est considérée comme plus importante que les ressources militaires, économiques et culturelles d’un pays. C’est la formule ci-dessous :

Les relations des éléments constitutifs de la puissance nationale selon Yan Xuetong. David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire
Les relations des éléments constitutifs de la puissance nationale selon Yan Xuetong. David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire

L’adjonction du terme moral provient des enseignements tirés de la sagesse des philosophes chinois de l’antiquité. Préalablement à l’élaboration théorique du réalisme moral, l’auteur et doctorant Xu Jin (徐进) ont effectué un long et fastidieux travail de recherche et d’interprétation de pensée politique[17]. Le début de cette recherche a commencé en 2004. Ils se sont particulièrement intéressés aux penseurs des périodes du Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.) et des Royaumes combattants (481-221 av. J.-C.).

Parmi eux, nous trouvons Guanzi (管子), Laozi (老子), Confucius (孔子), Mencius 孟子, Xunzi 荀子, Mozi 墨子 et Han Feizi (韩非子)[18]. Ils se sont intéressés à des questions fondamentales liées au politique : le caractère du bon gouvernement, les causes de la guerre, les moyens d’arriver à la paix, la diplomatie, la décadence de l’ordre politique, etc. Nous pouvons noter que ce sont les mêmes questions qui ont alimenté la réflexion politique en Europe pendant des siècles. La différence est que ces penseurs chinois, excepté Han Feizi, ont une approche essentiellement moraliste de la politique[19].

Étudier en détail une pensée aussi complexe et riche sort du cadre de cet article. Nous nous contentons ici d’évoquer quelques idées essentielles de Xunzi (313-238 av. J.-C.) qui ont beaucoup influencé la réflexion de Yan Xuetong pour concevoir sa théorie du réalisme moral[20]. Xunzi a particulièrement réfléchi sur ce qu’il considère être comme le bon gouvernement en adoptant une approche focalisée sur le monarque. Le monarque étant le principal décideur politique, l’État n’est que le reflet de son monarque. Ainsi, Xunzi distingue entre les voies du « Roi » (Wáng 王) , de « l’Hégémon » ( 霸) et du « Puissant » (Qiáng 强), selon la vertu[21] du monarque[22].

Il avance que le monarque qui pratique la voie du Roi dirige le Tianxia (天下)[23], qui peut être assimilé au monde[24]. L’ordre du monde est pacifié. En revanche, la voie de l’Hégémon aboutit à un ordre du monde alternant entre stabilité et chaos[25]. Les relations entre l’Hégémon et ses alliés sont stabilisées ; cependant, en dehors de l’alliance, c’est le chaos. Le pire est la voie du Puissant, qui n’aboutit qu’au chaos. Parce que le pouvoir du Roi est le plus vertueux de tous, il n’a pas besoin de la force militaire pour maintenir l’ordre du monde. Il est acclamé et vénéré de tous[26]. Son leadership est intrinsèquement légitime. L’Hégémon, qui dispose d’un degré de moralité inférieur, doit à la fois disposer de la puissance militaire et faire preuve de bonne fois pour bâtir des alliances[27]. Le Puissant, immoral, avec pour seul atout la puissance militaire, court lui-même à sa perte. Il ne parviendra jamais à diriger les affaires du monde. Son immoralité ne suscite que la haine autour de lui, il se fabrique lui-même des ennemis.

Une autre idée fondamentale de Xunzi est son insistance sur le choix des ministres par le monarque[28]. Le monarque n’administre pas seul. En cela, la sélection du ministre pour la conduite des affaires de l’État influence la destinée du pays[29]. Ici encore, le talent et la sagesse ou le caractère corrompu des ministres reflète la virtuosité du monarque. Choisir un ministre incapable et s’adonnant à la flatterie pousse l’État à sa propre perte. Choisir un ministre vertueux favorise l’essor de l’État vers le commandement du Tianxia. Xunzi explique ainsi pourquoi des États deviennent de plus en plus puissants, quand d’autres dégénèrent et cessent d’exister.

Après ce bref exposé de la pensée politique de Xunzi qui est le point de départ du réalisme moral, nous allons maintenant présenter les différentes propositions théoriques de ce courant de pensée.

Le réalisme moral et la détermination de la stratégie d’un pays

La focalisation sur la puissance est un point commun entre tous les réalistes. Yan Xuetong formule que la puissance détermine les intérêts stratégiques d’un pays. Les pays sont différenciés selon leur puissance : dominante, ascendante, régionale, mineure[30]. Les intérêts varient selon la puissance d’un pays. Si la puissance dominante et la puissance ascendante ont intérêt à diriger les affaires mondiales, la puissance régionale a pour intérêt de gérer les affaires régionales, la survie est l’intérêt d’une puissance mineure. Ce genre de typologie est du déjà-vu.

Cependant, l’école de Tsinghua innove par la grande attention accordée à la qualité du leadership politique. Pour Yan, les différences de personnalité, d’âge, de milieu, de vision du monde, etc. des décideurs politiques aboutissent à plusieurs types de leadership. Ils distinguent quatre types de leadership : l’inactif, le conservateur, l’entreprenant et le combatif. Chaque type a une approche différente de la politique étrangère. Par-exemple, en considérant un pays en pleine montée en puissance[31]. L’inactif pratique une politique d’évitement, il veut réduire les tensions. Le conservateur donne la priorité aux intérêts économiques, il veut favoriser la coopération économique pour réduire les tensions. L’entreprenant veut accroître la puissance du pays, cela passe notamment par la constitution d’alliances stratégiques. Le combatif privilégie l’expansion par la force militaire, même si cela est très risqué.

La combinaison de la puissance d’un pays et la qualité de sa direction politique interagissent pour formuler une orientation stratégique. C’est le schéma ci-dessous :

Les relations entre la puissance nationale, le leadership politique, les intérêts stratégiques nationaux et la pensée conceptuelle selon Yan Xuetong. David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire
Les relations entre la puissance nationale, le leadership politique, les intérêts stratégiques nationaux et la pensée conceptuelle selon Yan Xuetong. David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire

Le réalisme moral et la détermination des normes internationales

Comme bon nombre de réalistes, les théoriciens de l’école Tsinghua attachent un rôle prépondérant aux grandes puissances dans la formulation des normes juridiques internationales[32]. Le droit n’est que l’expression de la puissance. Comment les grandes puissances influencent-t-elles l’élaboration des normes internationales ?

Premièrement, les grandes puissances peuvent soutenir la modification de normes actuelles et l’implémentation de nouvelles normes[33]. Citons par exemple le système des Nations unies auxquels les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (les États-Unis en tête), ont énormément contribué à son institution. Deuxièmement, les puissances dominantes ont la capacité de punir ceux les violateurs du droit international. Nous pouvons penser à la coalition menée par les États-Unis en 1991 contre l’Irak qui envahit le Koweït. Troisièmement, en donnant l’exemple, les puissances dominantes influencent subrepticement la conduite d’autrui qui tente de les imiter de leur propre grès[34]. Le réalisme moral insiste particulièrement sur cette faculté des grandes puissances d’incarner le rôle de modèle.

En reprenant le triptyque du Roi, de l’Hégémon et du Puissant conceptualisé par le philosophe Xunzi, Yan Xuetong distingue trois types de puissances dominantes qui, par leur comportement, aboutissent à différentes normes internationales :

-Le Puissant ne jure que par le recours à la force dans le cadre de sa politique étrangère[35]. Ainsi, cela aboutit à un ordre juridique international qui reconnaît la force militaire comme moyen légitime de règlement des différends internationaux. Le chercheur cite l’ère de l’impérialisme colonial européen, qui illustre un tel ordre, où le leadership du Puissant (les grandes puissances européennes avec la Grande-Bretagne en tête) fait référence[36].

-L’Hégémon pratique une politique étrangère caractérisée par le double standard[37]. C’est-à-dire qu’il respecte les normes de droit envers ses alliés, mais pas envers ses ennemis. Il n’hésite pas à utiliser la force contre ses ennemis. Les normes internationales ne s’appliquent donc qu’aux alliés de l’Hégémon. Le professeur de Tsinghua cite fréquemment les États-Unis comme l’incarnation parfaite de l’Hégémon. Cette puissance hégémonique ne peut être totalement dévouée de moralité comme le Puissant, elle doit quand même faire attention à sa réputation. L’honnêteté stratégique (zhànlüè chéngxìn 战略诚信), est une condition nécessaire pour fonder des coalitions, et donc pour parvenir à l’hégémonie.

-Le Roi est tout aussi puissant que l’Hégémon et le Puissant, voire même plus[38]. Cependant, ce qui le distingue c’est sa virtuosité, car il accepte de se conformer aux règles qu’il a lui-même institué. Il n’utilise que la force pour appliquer le droit international. Étant très puissant, la question se pose pourquoi est-ce que le Roi accepterait de restreindre lui-même ? Yan Xuetong est catégorique, c’est dans l’intérêt du Roi de le faire, parce qu’un ordre international stable ne peut reposer exclusivement sur le recours à la force[39]. Sur ce point précis, Yan désapprouve Xunzi qui n’accorde pas grande importance à la puissance.

Le diagramme ci-dessous schématise la relation entre qualité du leadership et création des normes internationales :

Le processus de l’évolution des normes internationales selon Yan Xuetong. David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire
Le processus de l’évolution des normes internationales selon Yan Xuetong. David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire

Le réalisme moral et les transformations du système international

Une autre facette importante de la théorie est sa tentative d’expliquer les changements du système international. Avant toute chose, Yan Xuetong précise qu’il n’y a pas de critère communément admis pour distinguer un système international, il conçoit donc sa propre définition[40]. Pour le chercheur, le système international est composé de trois facteurs : le ou les principaux acteurs du système, la configuration internationale qui se réfère à la distribution de la puissance et les normes au sein du système[41].

Pour Yan Xuetong, les acteurs de la société internationale obéissent à un set de règles venant de la pratique qui règlent leur comportement[42]. Ces règles coutumières font office de principes directeurs des comportements des acteurs à l’international. Ces principes ne sont pas nécessairement moraux. Les normes internationales sont une petite partie de ce set de règles, se conformant à la moralité. En réalité, les acteurs de la société internationale présentent des propriétés à la fois naturelles et sociales. Dans la filiation de la pensée hobbesienne, pour Yan, les propriétés naturelles des acteurs les poussent à s’entredévorer pour réaliser leurs intérêts. C’est la loi de la jungle ou le principe de la puissance.

En revanche, les propriétés sociales des acteurs renvoient à la conviction que leurs intérêts peuvent être accomplis par l’édiction de normes par la communauté internationale, pour régler leurs comportements. Nous pouvons percevoir les normes comme des règles sociales pour ordonner et stabiliser le système international contre la violence naturelle des acteurs. En définitive, pour Yan, le système international comporte à la fois un mélange de principes naturels (le principe de la force) et de principes sociaux (les normes internationales). Chaque système international présente des différences de degrés dans la composition de ces principes.

En parcourant l’histoire des relations internationales, le chercheur a mis en exergue les différents systèmes internationaux qui ont été établis au cours de l’Histoire dans différentes régions du monde. Par-exemple, Yan Xuetong conçoit que la signature du traité de Westphalie en 1648[43] marque des bouleversements importants pour le système international européen. La nature politique des acteurs de l’Europe s’est transformée. Westphalie a instauré le type de l’État-nation et le concept juridique de souveraineté. Par-conséquent, pour Yan, le système international européen s’est transformé. Le système du Moyen Âge laisse place au système westphalien.

Par soucis d’espace, nous n’évoquons que les systèmes internationaux étayés par l’auteur qui concernent la Chine et l’Europe. Ses réflexions sont récapitulées dans le tableau ci-dessous :

Système internationalPrincipaux acteursConfiguration internationaleNormes du système
Zhou occidentaux (1046-771 av. J.-C.)Cour royale, États vassauxUnipolaireFéodalité
Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.)Cour royale, États vassauxUnipolaire, bipolaire, multipolaireLutte pour l’hégémonie sans annexion
Royaumes combattants (475-221 av. J.-C.)MonarchiesMultipolaireAnnexion
Dynastie Qin (221-206 av. J.-C.)EmpireUnipolaireAnnexion
Empire romain (27-395 av. J.-C.)EmpireUnipolaire, BipolaireAnnexion
Moyen Âge européen (environ 476-1453)Papauté, RoyaumesMultipolaireEcclésiastique
Westphalie (1648-1791)État-nationsMultipolaireSouveraineté
Coalition anti-française (1792-1813)État-nationsMultipolaireIntervention dans les affaires intérieures
Congrès de Vienne (1814-1913)État-nationsMultipolaireIntervention dans les affaires intérieures
« Comparaison des éléments constitutifs du système international selon le monde académique » selon Yan Xuetong. Modifié par David Ho, 2024, La Revue d’Histoire Militaire

Bien que non complet, cet examen historique permet à Yan de dégager trois observations[44]. La première est que si les trois facteurs qui composent le système international varient, le système international se transforme. Deuxièmement, si seulement deux de ces facteurs varient, le système international a une grande probabilité de se transformer. Enfin, le changement d’un seul facteur ne devrait pas entraîner de transformation du système international.

Le chercheur de Tsinghua note qu’à travers l’Histoire les changements du type d’unités politiques ont été beaucoup moins fréquents que les métamorphoses de la configuration internationale et des normes du système[45]. En outre, les altérations de la configuration surviennent beaucoup plus souvent que les modifications des normes du système.

En conclusion : quelle stratégie pour la montée en puissance de la Chine ?

Nous aurions aimé développer plus en détail pour le lecteur les idées abondamment exposées dans ce livre. Cependant, du fait des restrictions posées par le format de l’article, nous devons déjà commencer à clôturer notre recension. C’est sur les recommandations suggérées par le professeur Yan en matière de politique intérieure et étrangère aux décideurs chinois que nous concluons notre article. Car, comme nous le rappelions en introduction, Yan Xuetong, comme beaucoup d’autres théoriciens chinois des relations internationales, pense que son travail doit revêtir un intérêt pour le praticien de la politique. C’est ainsi que le réalisme moral n’est pas seulement une théorie, mais aussi une stratégie pour la montée en puissance de la Chine[46].

En restant concis, Yan formule cinq recommandations aux leaders chinois[47] :

-La Chine doit suivre la voie du Roi pour réaliser la grande renaissance de la nation chinoise. Cela afin de susciter l’admiration et gagner le respect de la société internationale.

-L’establishment chinois doit mettre en avant les valeurs d’égalité, de justice et de civilisation (gōngpíng, zhèngyì, wénmíng de jiàzhíguān 公平,正义,文明的价值观)[48] afin de bâtir une société chinoise et internationale harmonieuse.

-Les dirigeants chinois doivent continuer à bâtir une nation prospère et un pays puissant (mínfùguóqiáng 民富国强).

-La Chine doit instituer un système ouvert de promotion des talents. L’objectif est d’attirer des talents du monde entier, afin notamment de constituer un vivier de politiciens talentueux.

-Il faut réformer le système de sélection et d’élection des dirigeants afin de ne promouvoir que les plus sages et vertueux. Seul un leadership politique compétent peut mettre en œuvre les réformes nécessaires à la montée en puissance du pays.

Seule la réussite ou l’échec de la montée en puissance de la République populaire de Chine pourra confirmer ou infirmer la stratégie proposée par le réalisme moral.

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Bibliographie

HO David, « Les théories chinoises des relations internationales : une brève introduction » dans La Revue d’Histoire Militaire, Les Lilas, La Revue d’Histoire Militaire, 2024, [en ligne] https://larevuedhistoiremilitaire.fr/2024/04/04/les-theories-chinoises-des-relations-internationales-une-breve-introduction/ (dernière consultation le 04/09/2024)

YAN Xuetong 阎学通, Shìjiè quánlì de zhuǎnyí: Zhèngzhì lǐngdǎo yǔ zhànlüè jìngzhēng 世界权力的转移:政治领导与战略竞争 (« La transition de la puissance mondiale : leadership politique et compétition stratégique»), Beijing, Běijīng dàxué chūbǎn shè, 2015, 296 p.

YAN Xuetong 阎学通, « Zài lùn wèihé méiyǒu “zhōngguó xuépài” » 再论为何没有“中国学派” (« Discutons encore pourquoi il n’y a pas d’ “école chinoise des relations internationales” ? »), dans Guójì zhèngzhì kēxué 国际政治科学 (« Sciences politiques internationales »), n°2018/01, Beijing, Qīnghuá dàxué, 2018, 171 p., pp. 4-7, [en ligne] https://chn.oversea.cnki.net/kcms/detail/detail.aspx?dbcode=CJFD&filename=GJZK201801001&dbname=CJFDLAST2018 (dernière consultation le 01/09/2024)

ZHAO He 赵赫, « Zhōngguó yǒu guójì guānxì lǐlùn ma? ——“Zhōngguó xuépài” de lǐxiǎng yǔ xiànshí » 中国有国际关系理论吗?——“中国学派”的理想与现实 (« La Chine a-t-elle une théorie des relations internationales ? ——L’idéal et la réalité de “l’école chinoise des relations internationales” »), dans Shǐxué yuèkān 史学月刊 (« Le mensuel de l’Histoire »), n°2021/01, Henan, Hénán dàxué; Hénán shěng lìshǐ xuéhuì, 2021, 138 p., pp. 29-33, [en ligne] https://chn.oversea.cnki.net/kcms/detail/detail.aspx?dbcode=CJFD&filename=SXYK202101006&dbname=CJFDLAST2021 (dernière consultation le 01/09/2024)


[1] L’université Tsinghua (清华大学) avec l’université de Pékin (北京大学) sont les deux universités les plus réputées de toute la Chine. Elles forment l’élite du pays.

[2] YAN Xuetong 阎学通, Shìjiè quánlì de zhuǎnyí: Zhèngzhì lǐngdǎo yǔ zhànlüè jìngzhēng 世界权力的转移:政治领导与战略竞争 (« La transition de la puissance mondiale : leadership politique et compétition stratégique»), Beijing, Běijīng dàxué chūbǎn shè, 2015, 296 p. (traduction personnelle)

[3] Ibid., pp. 104-105

[4] YAN Xuetong 阎学通, « Zài lùn wèihé méiyǒu “zhōngguó xuépài” » 再论为何没有“中国学派” (« Discutons encore pourquoi il n’y a pas d’ “école chinoise des relations internationales” ? »), dans Guójì zhèngzhì kēxué 国际政治科学 (« Sciences politiques internationales »), n°2018/01, Beijing, Qīnghuá dàxué, 2018, 171 p., pp. 4-7, [en ligne] https://chn.oversea.cnki.net/kcms/detail/detail.aspx?dbcode=CJFD&filename=GJZK201801001&dbname=CJFDLAST2018 (dernière consultation le 01/09/2024) (traduction personnelle)

[5] L’école anglaise des relations internationales fait référence aux théoriciens anglo-saxons des relations internationales de l’université d’Oxford et de la London School of Economics. Parmi ses théoriciens les plus célèbres, nous trouvons Hedley Bull, Barry Buzan, etc. Il n’est pas possible pour nous de discuter en détail des propositions théoriques ici. Nous pouvons néanmoins évoquer brièvement Hedley Bull. Bull pense que malgré l’anarchie du système international, les États constituent une société internationale capable de s’autoréguler par l’édiction de règles et de conventions. C’est dans leur intérêt de le faire pour la (relative) stabilité du système.

[6] ZHAO He 赵赫, « Zhōngguó yǒu guójì guānxì lǐlùn ma? ——“Zhōngguó xuépài” de lǐxiǎng yǔ xiànshí » 中国有国际关系理论吗?——“中国学派”的理想与现实 (« La Chine a-t-elle une théorie des relations internationales ? ——L’idéal et la réalité de “l’école chinoise des relations internationales” »), dans Shǐxué yuèkān 史学月刊 (« Le mensuel de l’Histoire »), n°2021/01, Henan, Hénán dàxué; Hénán shěng lìshǐ xuéhuì, 2021, 138 p., p. 30, [en ligne] https://chn.oversea.cnki.net/kcms/detail/detail.aspx?dbcode=CJFD&filename=SXYK202101006&dbname=CJFDLAST2021 (dernière consultation le 01/09/2024) (traduction personnelle)

[7] YAN Xuetong, Shìjiè quánlì de zhuǎnyí: Zhèngzhì lǐngdǎo yǔ zhànlüè jìngzhēng, op. cit., p. 33

[8] Ibid., p. 33

[9] Ibid., p. 34

[10] Ibid., p. 15

[11] Ibid., p. 17

[12] Kenneth Waltz, politiste américain, est le père du réalisme structurel. Le réalisme structurel fait abstraction des caractéristiques des unités politiques qui composent le système international. Peu importe le type de régime politique, les décideurs politiques, la politique intérieure, les relations diplomatiques… Ce qui compte avant tout, ce sont leurs capacités ou leur puissance. Le réalisme structurel pense expliquer et prédire la politique internationale à partir des caractéristiques du système international (environnement international anarchique et distribution de la puissance).

[13] John Mearsheimer, politiste américain, est le théoricien du réalisme offensif. L’adjonction de l’adjectif offensif fait référence aux politiques agressives des grandes puissances qui désirent accroître leur puissance. Parce que l’accumulation de la puissance est le seul moyen de garantir leur survie dans un système international anarchique.

[14] Ibid., p. 19

[15] Du fait de la diminution de l’écart de puissance entre la puissance ascendante et la puissance dominante. Yan Xuetong pense que les conflits entre les deux puissances sont inévitables.

[16] Ibid., pp. 20-22

[17] Ibid., p. 1

[18] Ibid., pp. 158-186

[19] Ibid., p. 169

[20] Ibid., p. 128

[21] La vertude Xunzi ne doit pas être confondue avec la virtù du célèbre penseur italien de la politique de la Renaissance : Nicolas Machiavel. Machiavel a notamment réfléchi comme Xunzi sur la conservation du pouvoir d’un souverain, mais leur pensée n’a pas grand-chose en commun. Certes, Machiavel avance une idée similaire à celle de Xunzi, selon laquelle, l’usage de la violence débridée précipite la chute du prince en suscitant la haine autour de lui. Toutefois, Machiavel affirme qu’il est préférable pour un prince d’être craint qu’être aimé. D’un autre côté, le penseur italien évoque aussi quelques situations où le prince doit faire preuve de libéralité. Pour résumer, la virtù du prince de Machiavel repose sur un savant dosage de libéralité et de vices selon les circonstances. Xunzi est davantage moralisateur que Machiavel et déprécie la puissance. Nous pensons plutôt que la conception de la vertu de Xunzi se rapproche davantage d’un autre penseur politique italien du XVIe siècle : Giovanni Botero.

[22] Ibid., pp. 129-130

[23] Ibid., p. 129

[24] Ibid., p. 172

[25] Ibid., p. 130

[26] Ibid., p. 146

[27] Ibid., pp. 146-148

[28] Ibid., p. 131

[29] Ibid., p. 139-142

[30] Ibid., pp. 24-25

[31] Ibid., pp. 26-29

[32] Ibid., p. 36

[33] Ibid., pp. 46-47

[34] Ibid., pp. 45-46

[35] Ibid., p. 48

[36] Ibid., pp. 57-59

[37] Ibid., p. 49

[38] Ibid., pp. 48-49

[39] Ibid., p. 156

[40] Ibid., pp. 74-75

[41] Ibid., pp. 76-77

[42] Ibid., pp. 41-42

[43] C’est le traité qui met fin à la guerre de Trente Ans, qui a commencé en 1618. Cette guerre opposant protestants et catholiques est l’une des plus dévastatrices qu’ai connu le continent européen. Le traité de Westphalie permet définitivement de mettre fin aux guerres entre États européens pour des motifs religieux.

[44] Ibid., p. 80

[45] Ibid., p. 280

[46] Ibid., pp. 214-237

[47] Ibid., pp. 252-253

[48] Yan Xuetong explique aussi dans un chapitre dédié (pp. 87-100) en quoi ces valeurs sont-elles supérieures aux valeurs occidentales (américaines) d’ « Égalité, Démocratie, Liberté ».

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