les guerres d'indépendance de l'Antiquité à nos jours

Epilogue : les guerres d’indépendance de l’Antiquité à nos jours

Tout au long de ce premier dossier, nous avons observé plusieurs guerres ayant une finalité commune : l’indépendance d’un pays, d’une caste ou d’un peuple ayant une identité propre. Certaines fonctionnent pour les indépendantistes, d’autres, au contraire, signent leur mise à mort. Si Friedrich Nietzsche disait que « C’est affaire d’une toute petite minorité que d’être indépendant, et c’est le privilège des forts »[1], l’Histoire prouve parfois le contraire d’un point de vue politique et militaire.

La reddition de Yorktown le 19 octobre 1781, peinture à l’huile de John Trumbull
La reddition de Yorktown le 19 octobre 1781, peinture à l’huile de John Trumbull, 1819-1820, Davepape, 2007, Wikimedia Commons

En effet, certaines guerres d’indépendance ont réussi. Nous avons observé, par exemple, les Écossais qui résistèrent longtemps avant que l’influence anglaise ne finisse par l’emporter. Ou bien, la guerre d’indépendance américaine durant laquelle les treize colonies, avec l’appui du royaume de France, s’émancipèrent de la tutelle britannique. Nous retrouvons encore au XXe siècle ces succès pour les indépendantistes : Algérie, Indochine, Inde (sans constituer une guerre ouverte) ou encore l’Irlande. Nous pouvons alors nous demander pourquoi certaines guerres ont réussi contrairement à d’autres ? La réponse tient dans trois conditions, trois piliers, qui ne sont pas sans rappeler la trinité Clausewitzienne[2].

Tout d’abord, le pilier politique. Il faut que les indépendantistes trouvent une certaine stabilité, avec une véritable organisation hiérarchisée, pour parvenir à se maintenir en vie et, ainsi, se développer. Nous avons vu, avec la guerre judéo-romaine, les dégâts causés par le manque d’unité au sein d’un mouvement, à l’image des trois factions en guerre dans Jérusalem.

A contrario, en Amérique, l’organisation et le rôle de George Washington ont permis un contrôle global sur l’armée continentale et sur la population. La question politique se retrouve du côté des indépendantistes comme du côté loyaliste/étatique. En effet, si Rome rencontre des difficultés au départ contre les Juifs, c’est qu’il y a une grande instabilité au sein même de la Ville, due notamment à Néron.

L’exemple le plus marquant se retrouve lors de la guerre d’Algérie : changement de République, de constitution, crise de sécurité au sein même de la métropole et, surtout, manque de confiance entre l’armée en Algérie et le général de Gaulle, considéré comme un traître par une partie de cette dernière. L’ordre politique doit donc être accepté et stabilisé par les deux camps pour l’emporter dans ce type de guerre, l’anarchie étant souvent synonyme d’échec.

Ensuite vient le contrôle de la population. Ce que nous appelons aujourd’hui « l’opinion publique » doit être contrôlée. Le parti qui contrôle au mieux cette arme bénéficie alors d’un immense avantage. Nous pouvons d’ailleurs observer deux échelles dans ce contrôle : l’opinion nationale et l’opinion internationale. En effet, le rôle de la diplomatie et des alliances étatiques est très important dans ce type de guerre. Le FLN. ou le Viêt-Cong se sont ainsi appuyés sur l’aide soviétique en matière d’armement et de relations internationales.

À l’époque moderne, il en fut de même : sans le soutien financier et militaire des royaumes de France et d’Espagne, la guerre d’indépendance américaine n’aurait peut-être pas connu le même dénouement. Au Moyen Âge, en vertu de l’Auld Alliance, les Écossais purent également s’assurer de l’aide française. L’opinion publique au sens national est tout aussi importante à contrôler. Dans son ouvrage paru en 2016[3], Gérard Chaliand met en exergue le rôle primordial de la population et de l’opinion publique dans les guerres actuelles, notamment celles marquées par la guérilla et la cause indépendantiste.

En effet, l’opinion publique mine petit à petit l’entreprise des États dans l’usage de la violence légitime : en Algérie, si la guerre était gagnée militairement, l’opinion ne s’en lassait pas moins. Ce fut pire pour les États-Unis lors de la guerre du Vietnam avec tout le mouvement de contestation, que nous connaissons notamment grâce au rock et au mouvement hippie. Aujourd’hui encore, il suffit de regarder la situation en Ukraine ou en Syrie pour observer la dépendance des États vis-à-vis de l’opinion avant de décider d’une éventuelle intervention. Le contrôle de l’opinion publique est donc essentiel pour les États, mais aussi pour les indépendantistes dans cette forme de guerre. Par ailleurs, il faut que chaque camp montre au public qu’il se bat pour une cause juste et légitime. C’est cette cause qui justifie l’adhésion ou non à un camp ou l’autre.

Enfin, le pilier militaire. Bien entendu, cette condition est centrale. Les indépendantistes doivent innover pour réussir. Lorsque ces derniers y parviennent, c’est en bouleversant le code militaire ou moral. Prenons trois exemples : les barbares contre Rome, l’exemple écossais et le cas algérien. Au Ve siècle, alors qu’elles sont moins organisées que les légions romaines et moins bien équipées, des peuplades dites « barbares » – comme les Francs et les Wisigoths – parviennent à ébranler, puis à neutraliser l’Empire romain d’Occident.

Cela est rendu possible en partie grâce à un art de la guerre bien différent de l’habitude romaine : ainsi, dans le contexte du Ve siècle, l’utilisation de l’arme de jet (francisque, ambon) est favorisée avant chaque début de combat. Nous avons vu comment tiennent les Écossais face à l’élite de l’armée anglaise : la formation en schiltron. À nouveau, nous nous retrouvons devant une innovation tactique, lorsque l’un des acteurs a conscience de son infériorité et de sa défaite proche. Enfin, le cas du FLN concerne l’augmentation importante des effectifs. Le mouvement parvient à passer de la modique somme de 400 combattants à plusieurs dizaines de milliers en quelques années.

Mais surtout, ce mouvement parvient à donner du fil à retordre à une armée puissante qui a connu entre 1945 et 1954 la jungle indochinoise. Si la France a gagné militairement la guerre d’Algérie, le FLN aura innové en termes de techniques de guérilla afin de fragiliser la situation politico-militaire française. Cela explique pourquoi le Viêt-Cong s’est inspiré des méthodes du FLN, ou encore pourquoi la bataille d’Alger est encore étudiée dans les écoles de guerres américaines à l’heure actuelle.

Alors, grâce aux différentes études que nous avons faites dans ce dossier sur les guerres d’indépendance, nous avons pu remarquer les raisons des échecs ou des succès : les trois piliers (politique, militaire et opinion publique) doivent être rassemblés afin de parvenir à une finalité. Il fut intéressant d’étudier dans notre premier dossier ce type de guerre, car cela nous a permis de mieux saisir certaines questions concernant l’indépendance, le terrorisme, la guérilla ou encore la lutte anti-impérialisme. En effet, nous avons souvent affaire à des guerres opposant ou impliquant les mêmes puissances : Rome, la France, l’Angleterre…

Les empires constituent donc un terreau pour la naissance de guerres d’indépendance. La raison est simple : hormis pour la guerre d’indépendance américaine – qui a eu lieu principalement pour des questions financières et de représentation politique – les autres opposent souvent des anciens peuples ou États libres à des empires qui n’ont pour légitimité que leur domination militaire. Nous retrouvons le même cas aujourd’hui avec les guerres contre l’empire (économique et diplomatique) américain : une tentative d’indépendance vis-à-vis de la superpuissance culturelle, politique et économique américaine dans le monde.

La question des guerres d’indépendance est très importante dans l’Histoire et les sociétés. L’étudier d’un point de vue militaire permet de comprendre une partie de la situation géopolitique actuelle, mais aussi d’envisager les futures guerres d’indépendance qui sont en train de germer dans le monde. C’est pourquoi le rôle d’un État juste et fort, s’appuyant sur son peuple et son armée, demeure un enjeu important pour prévenir de tels dangers.

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Bibliographie :

CHALIAND Gérard, Pourquoi perd-on la guerre ? : un nouvel art occidental, Paris, Odile Jacob, 2016, 174 p.

CLAUSEWITZ Carl von, De la Guerre : livre 1, Paris, Flammarion, 2014, 404 p., édité par CHANTRE Benoît et GIASSI Laurent, traduit par NEUENS Jean-Baptiste

NIETZSCHE Friedrich, Par delà le bien et le mal : prélude d’une philosophie de l’avenir, Paris, Mercure de France, 1913, 353 p., traduit par ALBERT Henri, [en ligne] https://fr.wikisource.org/wiki/Par_del%C3%A0_le_bien_et_le_mal/Texte_entier (dernière consultation le 05/08/2018)


[1] NIETZSCHE Friedrich, Par delà le bien et le mal : prélude d’une philosophie de l’avenir, Paris, Mercure de France, 1913, 353 p., p. 61, traduit par ALBERT Henri, [en ligne] https://fr.wikisource.org/wiki/Par_del%C3%A0_le_bien_et_le_mal/Texte_entier (dernière consultation le 05/08/2018)

[2] Selon Clausewitz, la guerre forme « dans sa généralité , sous le rapport des tendances qui règnent en elle, singulière trinité composée » de l’armée (et de son général), le gouvernement et le peuple. CLAUSEWITZ Carl von, De la Guerre : livre 1, Paris, Flammarion, 2014, 404 p., p. 49, édité par CHANTRE Benoît et GIASSI Laurent, traduit par NEUENS Jean-Baptiste

[3] CHALIAND Gérard, Pourquoi perd-on la guerre ? : un nouvel art occidental, Paris, Odile Jacob, 2016, 174 p.

4 réflexions sur “Epilogue : les guerres d’indépendance de l’Antiquité à nos jours

  1. Dommage que dans ton texte, il n’est pas mentionné la victoire des esclaves haïtiens mené par Toussaint Louverture au dépens de la puissante armée française.

    1. Effectivement, nous l’avions en tête (surtout qu’il s’agissait du cadre de la Révolution française puis de l’Empire) mais comme dit en intro, il y avait tellement de cas (les Séminoles, la révolte des Héréros, sans compter les pays d’Afrique sub-saharienne et d’Asie lors de la guerre Froide…) que nous avons dû choisir !

      Mais le sujet de l’indépendance haïtienne est tellement vaste et méconnu du grand public qu’il mériterait à lui seul une série d’articles ! Alors qui sait ? Nous gardons l’idée précieusement en tête 😉

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